|
|
|
|
 |
|
La démarche scientifique |
|
|
|
|
|
La démarche scientifique
Pour comprendre et expliquer le réel en physique, chimie, sciences de la vie et de la Terre, les scientifiques utilisent une méthode appelée la démarche scientifique. Quels sont ses grands principes ? Quels outils sont utilisés pour mettre en place des raisonnements logiques ? Découvrez l’essentiel sur la démarche scientifique.
Publié le 19 septembre 2018
QU’EST-CE QUE LA DÉMARCHE SCIENTIFIQUE ?
La démarche scientifique est la méthode utilisée par les scientifiques pour parvenir à comprendre et à expliquer le monde qui nous entoure. De façon simplificatrice, elle se déroule en plusieurs étapes : à partir de l’observation d’un phénomène et de la formulation d’une problématique, différentes hypothèses vont être émises, testées puis infirmées ou confirmées ; à partir de cette confirmation se construit un modèle ou théorie. L’observation et l’expérimentation sont des moyens pour tester les différentes hypothèses émises.
L’évolution de la démarche scientifique
au fil du temps
De l’Antiquité à nos jours, les moyens d’investigation sur le monde ont évolué pour aboutir à une démarche dont les fondements sont communs à toutes les sciences de la nature (physique, chimie, sciences de la vie et de la Terre).
Dès l’Antiquité, Hippocrate, médecin grec, apporte de la nouveauté dans son traité « Le pronostic », qui détaille, pour la première fois, un protocole pour diagnostiquer les patients. Ce texte est l’une des premières démarches scientifiques.
Le XVIIe siècle est l’âge d’or des instruments et désormais l'expérience est au cœur de la pratique scientifique : on parle de Révolution scientifique. En plus des observations, les hypothèses peuvent aussi être testées par l’expérience. Par ailleurs, l’invention d’instruments tels que le microscope donne la possibilité aux scientifiques d’observer des éléments jusqu’alors invisibles à l'œil nu, comme les cellules, découvertes par Robert Hooke en 1665.
A partir du XXe siècle, la science se fait de manière collective. Les études scientifiques sont soumises au jugement des « pairs », c’est-à-dire à d’autres scientifiques et toutes les expériences doivent être détaillées pour être reproductibles par d’autres équipes. En contrepartie, la publication dans des revues internationales, et sur Internet dès les années 1990, permet aux chercheurs du monde entier d’accroître la notoriété de leurs idées et facilite l'accès aux sciences pour le grand public. Mais avec l'arrivée de l'informatique, il n'y a pas que la communication qui change, la méthode scientifique aussi se transforme. Il devient plus simple de trier de grands nombres de données et de construire des études statistiques. Il faut cependant faire attention à sélectionner les critères pertinents, car les progrès technologiques apportent aux chercheurs d’immenses quantités d’informations, appelées big data.
LES DIFFÉRENTES ÉTAPES DE LA DÉMARCHE SCIENTIFIQUE
Observation et formulation d’une problématique
A la base de toute démarche scientifique,il y a au départ une observation d’un phénomène et la formulation d’une problématique.
Par exemple, depuis l’Antiquité, certains savants sont convaincus que la Terre est immobile au centre de l’Univers et que le Soleil tourne autour d’elle : c’est l’hypothèse du géocentrisme. Elle est émise car à l’époque, toutes les observations se faisaient à l’œil nu. Vu depuis la Terre, le Soleil peut donner l’impression de tourner autour de nous car il se lève sur l’horizon Est et se couche sur l’horizon Ouest. Cependant, ce n’était qu’une intuition car à ce stade, aucune véritable démarche scientifique n’est engagée.
Plus tard, quand les astronomes ont observé le mouvement des planètes, ils ont vu que le déplacement de certaines planètes forme parfois une boucle dans le ciel, ce qui est incompatible avec un mouvement strictement circulaire autour de la Terre. Le problème fut résolu en complexifiant le modèle : une planète se déplace sur un cercle dont le centre se déplace sur un cercle. C’est la théorie des épicycles.
Les hypothèses et la construction d’un modèle
Une nouvelle hypothèse fut émise par Nicolas Copernic au XVe siècle. Selon lui, le Soleil est au centre de l’Univers et toutes les planètes, dont la Terre, tournent autour de lui. On appelle cette hypothèse « l’héliocentrisme ». Ce modèle rend naturellement compte des rétrogradations planétaires mais possède quand même des épicycles pour décrire leurs mouvements avec plus de précisions.
Durant l’hiver 1609-1610, Galilée pointe sa lunette vers le ciel et découvre les phases de Vénus et des satellites qui tournent autour de la planète Jupiter. Ses observations l’incitent à invalider l’hypothèse géocentrique et à adhérer à l’héliocentrisme.
Petit à petit, cette méthode est devenue générale. Une hypothèse reste considérée comme valide tant qu’aucune observation ou expérience ne vient montrer qu’elle est fausse. Plus elle résiste à l’épreuve du temps, plus elle s’impose comme une description correcte du monde. Cependant, il suffit d’une seule observation contraire pour que l’hypothèse s’effondre, et dans ce cas, c’est définitif. Il faut alors changer d’hypothèse.
Reste que l’héliocentrisme de Copernic s’est d’abord imposé par la qualité des éphémérides planétaires qui en étaient tirées plus que par la force de son hypothèse, certes plus pratique que l’hypothèse géocentrique mais pas confirmée directement. Pour cela, il fallut encore attendre quelques années, le temps que la qualité des instruments d’observation progresse.
L’observation et l’expérimentation
Si la Terre est animée d’un mouvement autour du Soleil alors on devrait constater un effet de parallaxe, c’est-à-dire de variation des positions relatives des étoiles au fil de l’année. L’absence d’une parallaxe mesurable était utilisée contre l’héliocentrisme. C’est en cherchant à mesurer la parallaxe des étoiles que l’astronome anglais James Bradley découvrit en 1727 un autre effet, l’aberration des étoiles, dont il montra qu’elle ne pouvait provenir que de la révolution de la Terre autour du Soleil. La première mesure de parallaxe, due à l’astronome Friedrich Bessel en 1838, vient clore le débat.
Le mouvement de rotation de la Terre ne fut prouvé que plus tard. En 1851 le physicien Léon Foucault mène une expérience publique spectaculaire : un grand pendule est accroché à la voûte du Panthéon de Paris et la lente révolution de son plan d’oscillation révèle la rotation de la Terre sur elle-même.
On trouve là une autre caractéristique de la démarche scientifique. Une fois le modèle mis au point en s’appuyant sur des observations qui le justifient, il faut en tirer des prédictions, c’est-à-dire des conséquences encore non observées du modèle. Cela permet de mener de nouvelles observations ou de bâtir de nouvelles expériences pour aller tester ces prédictions. Si elles sont fausses, le modèle qui leur a donné naissance est inadéquat et doit être réformé ou oublié. Si elles sont justes, le modèle en sort renforcé car il est à la fois descriptif et prédictif.
La communication
Aujourd’hui, la « revue par les pairs » permet de contrôler la démarche scientifique d’une nouvelle découverte, par un collège de scientifiques indépendants. Si les observations et expérimentations vont dans le même sens et qu’elles ne se contredisent pas, la proposition est déclarée apte à être publiée dans une revue scientifique.
QUELS OUTILS POUR DÉCRYPTER
LA SCIENCE ?
La démarche scientifique repose sur la construction d’un raisonnement logique et argumenté. Elle utilise les bases de la logique formelle : l’induction et la déduction.
L’induction
L’induction cherche à établir une loi générale en se fondant sur l’observation d’un ensemble de faits particuliers (échantillon).
L'induction est par exemple utilisée en biologie. Ainsi, pour étudier des cellules dans un organisme, il est impossible de les observer toutes, car elles sont trop nombreuses. Les scientifiques en étudient un échantillon restreint, puis généralisent leurs observations à l’ensemble des cellules. Les scientifiques établissent alors des hypothèses et des modèles dont il faudra tester les prédictions par des observations et des expériences ultérieures.
La déduction
La déduction relie des propositions, dites prémisses, à une proposition, dite conclusion, en s’assurant que si les prémisses sont vraies, la conclusion l’est aussi.
Exemple classique de déduction : tous les hommes sont mortels, or Socrate est un homme donc Socrate est mortel.
La déduction est beaucoup utilisée en physique ou mathématiques, lors de la démonstration d’une loi ou d’un théorème.
Raisonnement du Modus Ponens et du Modus Tollens
Le Modus Ponens et le Modus Tollens sont utilisés par les scientifiques dans leurs raisonnements.
Le Modus Ponens est, en logique, le raisonnement qui affirme que si une proposition A implique une proposition B, alors si A est vraie, B est vraie.
Mais si une implication est vraie alors sa contraposée l’est également (même valeur de vérité selon les règles de la logique formelle). Cela signifie que « la négation de B implique la négation de A » (contraposée de « A implique B »).
Le Modus Tollens est le raisonnement suivant : si une proposition A implique une proposition B, constater que B est fausse permet d’affirmer que A est fausse.
Un exemple : On sait que tous les poissons respirent sous l'eau. Or le saumon est un poisson donc il respire sous l'eau (Modus Ponens). La proposition initiale peut être énoncée sous une autre proposition équivalente (contraposée) : si « je ne peux pas respirer sous l’eau, alors je ne suis pas un poisson ». Cela permet de construire le raisonnement suivant : tous les poissons respirent sous l’eau, or je ne respire pas sous l’eau, donc je ne suis pas un poisson (Modus Tollens).
DOCUMENT cea LIEN |
|
|
|
|
 |
|
PLATON |
|
|
|
|
|
Platon
Philosophe grec (Athènes vers 427-Athènes vers 348 ou 347 avant J.-C.).
Platon est un des philosophes majeurs de la pensée occidentale, et de l’Antiquité grecque en particulier. Son œuvre, essentiellement sous forme de dialogues, se présente comme une recherche rigoureuse de la vérité, sans limitation de domaine. Sa réflexion porte aussi bien sur la politique que sur la morale, l’esthétique ou la science.
La confiance dans la capacité humaine de connaître la réalité est ce qui constitue l’unité de l’œuvre de Platon. Contre les sophistes, qui enseignent l’art de convaincre et de plaire, Platon pose la question du discours vrai. Le réel est connaissable ; l’homme n’est pas limité à ses impressions : par ce qu’il sent, il peut avoir accès à une réalité qui le dépasse. Son œuvre s’oriente ainsi dans deux directions complémentaires : d’une part, chercher la vérité à propos de réalités déterminées (la justice, le monde, par exemple) ; d’autre part, chercher à justifier la possibilité même de connaître la vérité.
Famille
Platon est né vers 427 av. J.-C. dans une famille aristocratique. Son oncle Critias fut l’un des oligarques (les Trente) qui dirigèrent Athènes après la défaite contre Sparte (404 av. J.-C.), à la fin de la guerre du Péloponnèse.
Formation
Il passe huit ans auprès de Socrate mais ne peut être témoin de la mort inique de son maître. Il poursuit sa formation auprès d’Euclide le Socratique. Il voyage et rencontre philosophes et mathématiciens de différentes écoles.
Enseignement philosophique et mise en pratique
Sa vie de maître de philosophie, à l’école (Académie) qu’il a créée, est entrecoupée d'épisodes dramatiques. Il manque partir en esclavage. Il a des relations tumultueuses avec les tyrans (autocrates qui ont pris le pouvoir par la force) de Syracuse, en Sicile ; il y est retenu contre son gré à deux reprises. Il rentre définitivement à Athènes (361 av. J.-C.) et meurt une douzaine d’années plus tard.
L’œuvre
Elle est couramment classée en dialogues de jeunesse (dits socratiques), dialogues de la maturité (dont surtout le Banquet, la République, le Théétète, le Parménide), et dialogues tardifs.
Le dialogue entre interlocuteurs est un questionnement intérieur, mouvement délibéré et difficile vers la recherche de la vérité : prendre conscience de ce qui n’est pas, de ce qui est faux, de ce qui est. Deux moyens privilégiés sont donc la dialectique et la réminiscence.
La postérité
Après les continuateurs de l’Ancienne et de la Nouvelle Académie, une certaine influence de la pensée de Platon, telle que transmise notamment par Plotin (→ néoplatonisme) marque l’Antiquité de l’Empire romain puis la Renaissance, la pensée médiévale ayant quant à elle abondamment interprété Aristote, qui fut longtemps son élève.
Voir l'article scolastique.
1. LA VIE DE PLATON
Issu d'une famille noble, Platon est né vers 427 avant J.-C. et a vécu quatre-vingts (ou quatre-vingt-un ans : une biographie pythagoricienne préfère ce chiffre, qui est le carré de 9). Il eut deux frères (Adimante et Glaucon) et une sœur, Potoné, dont le fils, Speusippe, prendra sa suite à la direction de l'Académie.
Critias, l'un des Trente –c’est-à-dire le conseil qui dirigea Athènes par un régime de terreur en 404 avant J.-C. – était son oncle maternel. Tous ces personnages apparaissent dans les dialogues.
1.1. LA FRÉQUENTATION DE SOCRATE
Platon a vingt ans lorsque, vers 407 avant J.-C., il fait la rencontre de Socrate, qui en a alors soixante-trois. Les relations entre les deux hommes vont durer huit ans, jusqu'à ce qu'en 399 av. J.-C. Athènes condamne Socrate à boire la ciguë. D'après le Phédon, Platon, malade, ne pourra assister aux derniers moments de celui dont la mort fut pour lui l'expérience de l'injustice même, à partir de laquelle tout le sérieux de la philosophie ainsi que sa vocation politique lui apparurent.
1.2. LES PREMIERS DIALOGUES
Après la mort de Socrate, Platon part quelque temps pour Mégare, où Euclide le Socratique et son groupe l'accueillent. De retour à Athènes, il écrit ses premiers dialogues et réunit autour de lui un premier cercle d'amis et d'élèves qui préfigure l'Académie.
1.3. VOYAGES EN MÉDITERRANÉE
Suivent ensuite quelques années de voyages. Le premier le conduit en Égypte (il s'y rend, dit-on, en négociant une cargaison d'huile qu'il veut vendre à Naukratis), puis à Cyrène, où il rencontre l'un des protagonistes du futur Théétète, Théodore le mathématicien, et Aristippe de Cyrène, qui avait été de l'entourage de Socrate.
Un deuxième voyage le mène en Italie du Sud, où il veut rencontrer le pythagoricien Archytas, sans doute moins (comme certaines traditions le laissent entendre) pour être initié à quelque doctrine secrète que simplement pour connaître celui qui avait instauré à Tarente un gouvernement dont les principes reposaient sur la philosophie.
Invité par Denys l'Ancien, tyran de Syracuse, Platon gagne ensuite la Sicile. Mais son séjour à la cour du tyran, où règne une vie très dissolue, sera bref : un conflit l'oppose bientôt à Denys, qui le met d'office dans un bateau. Ce premier épisode sicilien de Platon connaît un ultime rebondissement. Le bateau fait escale à Égine, où Platon est gardé comme esclave, mais, reconnu par un certain Annicéris rencontré à Cyrène, il est finalement racheté et libéré. Il est de retour à Athènes en 387 avant J.-C.
1.4. FONDATION DE L’ACADÉMIE
Platon achète alors un gymnase et un parc situés au nord-ouest de la ville et y fonde l'Académie (c'était le nom du lieu), première école de philosophie dont l'existence soit historiquement incontestable.
L'Académie est dotée d'un statut juridique propre, dispose de logements destinés aux élèves et, en plus des salles de cours, d'un muséum où sont conservés livres et objets scientifiques. Xénocrate, Héraclide du Pont, Eudoxe de Cnide, Speusippe, Aristote figurent parmi les maîtres. Il ne semble pas que le dialogue socratique y soit la seule méthode d'enseignement en vigueur : le recours au livre n'est pas exclu (comme en témoigne l'existence d'écrits de Platon lui-même) ni l'exposé continu, comme, à ce qu'il semble, c'est le cas des doctrines non écrites de Platon qu'Aristote a transmises.
Le rayonnement de l'Académie est considérable. On vient de tout le monde grec y acquérir une philosophie dont le but avoué est politique : établir la justice.
1.5. EXPÉRIENCES POLITIQUES EN SICILE ET RETOUR À ATHÈNES
Denys l'Ancien meurt en 367 avant J.-C., et son fils, Denys le Jeune, lui succède. Dion, beau-frère du premier, propose alors à Platon (dont il a été l'élève) de revenir à Syracuse. Certains disent que la République vient d'être écrite et que Platon voit dans cette offre l'occasion d'en mettre les principes à l'épreuve, en entreprenant de faire du jeune tyran un philosophe. Il confie donc la charge de l'Académie à Eudoxe. Mais à l’accueil chaleureux succède vite la méfiance. Dion et Platon sont soupçonnés de vouloir exercer le pouvoir pour leur propre compte. Le premier est alors exilé, et Platon reste quelque temps prisonnier dans le palais royal, jusqu'à ce que, obligé lui-même de partir pour une expédition militaire, Denys se décide à le relâcher. Telle est la deuxième aventure sicilienne.
Platon reste alors six ans à Athènes. Or, en 361 avant J.-C., Denys le rappelle. « Tandis que du côté de la Sicile comme de l'Italie on me tirait à soi, du côté d'Athènes on me poussait en quelque sorte dehors à force de prières ! » dit la Lettre VII. Platon confie donc l'Académie à Héraclide du Pont et repart pour Syracuse, où c'est de nouveau la brouille avec Denys, qui l'assigne à résidence. Il faut l'intervention d'Archytas de Tarente, qui envoie même un bateau pour le ramener à Athènes, pour qu'il sorte sain et sauf de cette troisième et dernière aventure sicilienne.
Platon restera désormais à Athènes, où il continue à enseigner et à écrire. Il est en train d'achever les Lois quand il meurt, vers 348 avant J.-C.
2. L'ŒUVRE ÉCRITE DE PLATON
Tous les écrits philosophiques de Platon ont été conservés, ce qui est exceptionnel pour un auteur de l'Antiquité. Vingt-huit ouvrages - des dialogues - sont considérés aujourd’hui comme authentiques.
Une classification des dialogues en trois groupes à peu près chronologiques est communément admise.
2.1. LES DIALOGUES DE JEUNESSE
L’ensemble de ces dialogues proprement socratiques comprend tout ce que Platon a écrit avant d'entreprendre ses voyages (390 avant J.-C.), soit l'Hippias mineur (Du mensonge) , l'Hippias majeur (Du beau), l'Ion (sur l'Iliade), le Protagoras (sur les sophistes), l'Apologie de Socrate, le Criton (Du devoir), l'Alcibiade (De la nature de l'homme), le Charmide (De la sagesse), le Lachès (Du courage), le Lysis (De l'amitié), l'Euthyphron (De la piété), le Gorgias (De la rhétorique) et le livre premier de la République, qui, avant de servir de préface à ce gros ouvrage, aurait constitué, sous le titre de Thrasymaque, un dialogue indépendant.
2.2. LES DIALOGUES DE LA MATURITÉ
Ce second groupe, lié plus à l'enseignement de l'Académie qu'au souvenir de Socrate, s'achève au moment du deuxième séjour de Platon à Syracuse (361 avant J.-C.). Il comprend le Ménexène (De l'oraison funèbre), le Ménon (De la vertu), l'Euthydème (De l'éristique), le Cratyle (De la justesse des noms), le Banquet, le Phédon (De l'âme), la République (De la justice), le Phèdre (De la beauté). Sont à rattacher à ce groupe deux dialogues où Platon critique l'éléatisme de l'école socratique de Mégare : le Théétète (De la science) et le Parménide (Des idées).
2.3. LES DERNIERS DIALOGUES
Ce dernier groupe comprend le Sophiste (De l'être), le Politique (De la royauté), le Timée (De la nature), le Critias (De l'Atlantide), qui est inachevé, le Philèbe (Du plaisir) et les Lois (De la législation).
3. LA PHILOSOPHIE DE PLATON
3.1. LA MAÏEUTIQUE, OU L’ART D’ACCOUCHER LES ESPRITS
La forme dialoguée que Platon a donnée à ses écrits ne trouve pas sa justification dans le seul souvenir des entretiens que Socrate avait animés ; elle est également liée – au-delà de l'anecdote – à la méthode pédagogique que Platon présente comme l'héritage philosophique de Socrate, le « maïeute », l'accoucheur des esprits.
Le questionnement de Socrate conduit l’interlocuteur à prendre conscience qu’il ne connaît pas ce qu’il croyait connaître. Par là, il l’invite à expliciter ce qu’il a à l’esprit : si cette explicitation, cet « accouchement » est possible, alors la pensée prouve sa consistance. La mise au jour de la pensée en est comme l’épreuve : si je peux dire pour un autre ce que je pense, la preuve est faite que ma pensée est effectivement pensable.
Cette épreuve ne suffit pas à montrer que la pensée est vraie mais elle montre au moins qu’elle est logique. Grâce à cette formulation de la pensée dans la langue, le dialogue peut avoir lieu.
3.2. LE DIALOGUE ET LA DIALECTIQUE
Platon conçoit le dialogue comme une recherche commune de la vérité, commune parce qu’elle n’appartient à personne.
CONTRE LES SOPHISTES
Par opposition aux sophistes, qui ne voyaient dans le dialogue qu'une joute oratoire, qu'un combat de monologues dont la fin se limitait à réduire l'adversaire au silence, le dialogue platonicien vise, en effet, à permettre aux participants d'accorder leurs discours à la vérité.
Les sophistes, tels du moins que Platon les peint, sont des pragmatiques, pour qui compte seule la réussite et qui ne s'embarrassent pas de scrupule concernant les valeurs : l'homme, disait Protagoras, est la mesure de toute chose.
Le platonisme, au contraire, affirme la transcendance de la mesure. Et ce n'est pas à cause de la difficulté des sujets abordés, mais parce que leurs mauvaises dispositions les conduisent à rejeter cette transcendance sans laquelle le mot vérité n'a plus aucun sens, que les sophistes font se terminer sur une aporie (contradiction insoluble) la plupart des dialogues auxquels ils participent.
PARTIR DE SA PROPRE IGNORANCE
Celui qui parle ne saurait donner la mesure : il ne peut que s'y soumettre. Le dialogue platonicien est une sorte d'entretien sans maître, le savant (sophistês) n'y a pas sa place, et l'on n'y fait profession que d'ignorance – profession qui constitue le moment inaugural de la philosophie en tant qu'elle est amour (philia), donc désir, donc manque du savoir (sophia).
Mais d'un savoir qui soit savoir vrai, alors que celui des sophistes, étant dissocié de la vérité, n'est qu'apparent. Le sophiste ne désire pas savoir, il désire vendre ce qu'il fait passer pour son savoir. Si le moteur du discours sophistique est financier, celui du dialogue platonicien est érotique : ce désir du vrai dans lequel Platon montre, en même temps que la vérité de tout désir, le vrai désir. C'est là ce que, d'après le récit du Banquet, Diotime aurait appris à Socrate : « La sagesse est parmi les plus belles choses et c'est au beau qu'Amour rapporte son amour ; d'où il suit que, forcément, Amour est philosophe. »
DÉPASSER L'APPARENCE
Cette opposition historique et méthodologique de Platon et des sophistes redouble l'opposition de deux mondes (sensible et intelligible), qui constitue l'armature du système platonicien.
Les sophistes ont partie liée avec les philo-doxes, littéralement les « amis de l'opinion », dont les discours reposent sur la connaissance sensible, apparente, des choses matérielles. La philosophie, au contraire, sera essentiellement para-doxale, opposant la réalité aux apparences et la science aux opinions. En conséquence, le dialogue platonicien sera chaque fois une tentative pour se hausser hors de la multiplicité des apparences, et accéder à la réalité intelligible.
3.3. L’ALLÉGORIE DE LA CAVERNE : SE DÉTOURNER DES OPINIONS FAUSSES
L'itinéraire de cette conversion paradoxale est décrit dans l'allégorie de la Caverne (la République, vii).
La première scène, ou première étape, présente des hommes enchaînés dans une caverne, tournant le dos à un feu qui projette, sur la seule paroi qu'ils puissent voir, l'ombre d'objets que des porteurs font défiler (Platon en précise la nature : « statues et autres figures de pierre ou de bois, et toutes sortes d'objets fabriqués par la main de l'homme »).
L'habitude, jointe au fait qu'ils n'ont – ou ne se souviennent pas d'avoir – jamais rien vu d'autre, leur fait prendre ces ombres pour la vérité elle-même.
La deuxième étape, qui entreprend de briser cette première illusion, sera en conséquence douloureuse : elle décrit les souffrances qu'éprouveraient ces esclaves si quelqu'un descendait les libérer de leurs chaînes et les contraignait à tourner leur regard en direction du feu, pour constater l'existence d'objets plus vrais et reconnaître qu'ils n'en avaient vu que l'ombre.
Mais l'éblouissement empêche cette reconnaissance, et il faudra, dans une troisième étape, les faire cette fois sortir de la caverne pour qu'ils commencent à accepter l'évidence de réalités d'un degré de vérité supérieur (les statues et autres figures), dont les objets qui défilaient devant le feu (les ombres) n’étaient qu’une image.
Enfin, lorsqu'ils auront été accoutumés à ces réalités, la quatrième étape les fera accéder à la contemplation directe du Soleil, qui leur permet par sa chaleur d'exister et, par sa lumière, d'être connus. Ils redescendent alors dans la caverne pour émanciper ceux qui ne les ont pas suivis, mais, éblouis cette fois par les ténèbres, leur maladresse fera d'eux l'objet de toutes les risées, voire – s'ils deviennent gênants – de sévices pouvant aller jusqu'à la mort.
3.4. DU SENSIBLE VERS L’INTELLIGIBLE
Les quatre étapes de cette allégorie décrivent quatre degrés d'être et les quatre modes de connaissance qui leur correspondent.
Les deux premiers appartiennent au monde visible : ce sont d'abord les images ou copies, auxquelles correspond la simulation ; ce sont ensuite les choses visibles elles-mêmes, qui sont le corrélat d'une sorte de foi perceptive. Les deux derniers constituent le monde intelligible qui commence avec les mathématiques, c'est-à-dire des raisonnements discursifs conduits à partir d'hypothèses, tandis que l'intellection véritable ne suppose rien, mais rattache tout au principe suprême (arkhê) qu'est l'idée du Bien.
D'un côté donc, le monde de ce qui paraît (phainomenon), images (eikones) ou idoles (eidola) ; de l'autre, le monde de ce qui est, monde des Idées, dont la propriété est d'être invisibles, c'est-à-dire pensables (noumena).
Le mythe de la Caverne décrit l'itinéraire qui conduit de l'un à l'autre, « hors de ce qui devient, vers ce qui existe » – itinéraire par lequel « ce qu'il y a de meilleur dans l'âme » accède à la contemplation de « ce qu'il y a de plus excellent dans la réalité ».
3.5. PHILOSOPHER, C’EST APPRENDRE À MOURIR
Accéder à la connaissance des Idées ne suscite donc pas seulement des difficultés logiques, mais d'abord des difficultés morales ou métaphysiques. Il faut que l'âme soit libérée, non seulement de la sujétion, mais aussi de la médiation du monde sensible : qu'elle soit rendue à l'état qui était le sien avant que, par la naissance, elle ait dû s'incarner dans un corps. « Philosopher, c'est apprendre à mourir », dit Platon, dans le Phédon.
Cette libération est l'occasion de la réminiscence, par laquelle l'âme retrouve les Idées dont elle s'était nourrie, quand elle suivait, au lieu supra-céleste, le cortège des dieux ; la vie corporelle avait ensuite étouffé ce souvenir.
Les amis de la sagesse sont donc les ennemis du corps conçu comme obstacle à l’élévation vers l’intelligible. Il y a donc lieu d’inverser les valeurs communes : dans ce monde renversé qu'est le platonisme, la vraie vie correspond à ce que l'opinion commune croit être la mort, c'est-à-dire l'état auquel l'âme renaît ou ressuscite chaque fois qu'elle se sépare de nouveau de son tombeau corporel.
Le monde des Idées est en effet la patrie de l'âme ; entre les Idées et l'âme existe une étroite parenté : indestructibles et indivisibles, elles échappent aux sens comme au devenir.
3.6. « QUE NUL N’ENTRE ICI S’IL N’EST GÉOMÈTRE »
Cette ascèse repose sur un certain nombre d'intermédiaires qui assurent le passage d'un monde à l'autre. L'amour était l'un d'eux, par lequel Socrate gagnait son entourage à la philosophie, puisque, amour charnel d'un corps au départ, il devenait amour de l'invisible beauté idéale et, par la procréation, de l'immortalité.
Fontenelle méditant sur la pluralité des mondes
Mais, dans le cadre plus institutionnel de l'Académie, Platon préfère lui substituer les mathématiques : elles aussi, partant de figures sensibles, aboutissent à l'intuition de « figures absolues, objets dont la vision ne doit être possible pour personne autrement que par le moyen de la pensée ». Tel est le sens de l'inscription qui figurait au fronton de l'Académie : « Que nul n'entre ici s'il n'est géomètre ! » : avant de s'engager dans la philosophie, il faut avoir d'abord libéré son âme au moyen des mathématiques.
Pourtant, les mathématiques, nécessaires à la science, ne lui suffisent pas : leurs principes sont des hypothèses dont elles ne peuvent répondre, pas plus qu'elles ne peuvent, par conséquent, répondre des conclusions qu’elles en tirent par voie déductive.
La dialectique seule conduit à l'intellection des principes en eux-mêmes ; elle seule peut justifier entièrement ses propositions en les rattachant à ce principe suprême que Platon a nommé le Bien et que, dans la Caverne, il a figuré par le Soleil.
3.7. APRÈS LA RECHERCHE DE LA VÉRITÉ, L’EXPLICATION DE L’ERREUR
Les derniers dialogues, dits « dialectiques » (le Phèdre, le Parménide, le Sophiste, le Politique, le Philèbe), cherchent à comprendre comment l’erreur est possible. Il ne s’agit plus de partir des exemples pour saisir ce qui leur est commun et, par là, accéder à leur Essence, mais de comprendre comment il est possible de se tromper, c’est-à-dire de dire ce qui n’est pas. La réflexion ne porte plus que sur les Idées elles-mêmes : il s’agit de comprendre comment elles sont liées entre elles.
Dans le Parménide, le philosophe Parménide d’Élée met le jeune Socrate en difficulté en contestant la cohérence d'une philosophie qui établit une séparation tranchée entre les sensibles et les intelligibles.
À partir des cinq genres que sont l'Être, le Repos, le Mouvement, le Même et l'Autre, le Sophiste, pour sa part, développe la participation des Idées les unes aux autres, leur mutuelle implication. Sans doute Repos et Mouvement sont-ils trop exclusifs pour se mêler si peu que ce soit, mais tous deux, dans la mesure où ils sont, participent à l'Être et, chacun des trois pouvant également être dit autre que les autres et le même que lui-même, tous participent et au Même et à l'Autre. Il en résulte que l'on peut dire de l'Être autre chose que l'Être ; autour de chaque Être prolifère l'autre, le Non-Être.
Deux conclusions peuvent alors être avancées :
– de même que les êtres sensibles sont déterminés par leur participation aux Idées, de même les Idées dépendent les unes des autres selon des rapports hiérarchiques ; l’Idée de Justice participe, par exemple, de l’Idée de Vertu. La seule Idée qui ne participe d’aucune Idée est celle de laquelle dépendent toutes les autres : l’Idée de Bien ;
– si l'on ne respecte pas ces relations, mais que l'on mêle n'importe quelle Idée à n'importe quelle autre, on risque de tomber dans l'erreur en disant ce qui n'est pas - ce que fait le sophiste.
3.8. PHILOSOPHIE ET MYTHE
La recherche de la vérité s’accompagne d’une conscience aigüe des limites de la connaissance. Ainsi la philosophie de Platon recourt-elle au mythe. Ces séquences narratives qui ponctuent bien des dialogues ont des statuts différents. Il est possible d’en distinguer trois principalement.
Tout d’abord, Platon reprend des mythes populaires : au début du Phèdre, Socrate dit que, ne se connaissant même pas lui-même, il ne peut pas prétendre savoir si ce que l’on raconte sur les Hippocentaures, les Gorgones, ou Pégases est vrai ou faux. La sagesse populaire n’est peut-être pas plus aberrante que bien des arguties (distinctions subtiles).
Ensuite, le mythe est une méthode pour se représenter ce que l’on ne peut connaître. Dans le Phèdre encore, après avoir démontré l’immortalité de l’âme, Socrate montre qu’il n’est pas possible de savoir ce qui lui arrive après la mort : la seule façon de s’en donner une idée est d’imaginer ce que nous ne connaissons pas à partir de ce que nous connaissons, tel est le mythe de l’attelage ailé.
Il ne saurait y avoir de science du devenir, c'est-à-dire de physique scientifique. Le mythe cosmologique (comme celui du Timée), par l'objet même qui est le sien, ne saurait être autre chose qu'une opinion dont on n'est pas en droit d'attendre plus que de la voir s'accorder harmonieusement avec la science de l'Être.
Enfin, le mythe peut être une illustration évocatrice de ce qui a été établi rationnellement au préalable ; ainsi, le mythe de la Caverne, au début du livre vii de la République, expose-t-il la distinction entre sensible et intelligible établie au livre vi.
4. LE PLATONISME
4.1. UNE POSTÉRITÉ RÉELLE QUOIQUE DIVERSE
Qu'est-ce que le platonisme ? Dans la mesure où, depuis Platon, la philosophie est métaphysique, opposant le sensible à l'intelligible et soumettant le premier au second, toute philosophie est par destin platonicienne.
Pourtant, ce que le nom de Platon a représenté, chez ceux qui, au cours de l'histoire de la philosophie, l'ont invoqué, n'a pas cessé de varier. Le platonisme est soumis à l'histoire de la transmission du texte de Platon et varie selon la liberté des traductions et des commentaires, au travers desquels elle s'effectue et selon celui ou ceux des dialogues sur lesquels ils portent.
4.2. L’ACADÉMIE : LA NOUVELLE ET L’ANCIENNE
L'école que Platon avait fondée devait survivre près de dix siècles à son fondateur. Il est vrai qu'il n'en fallut pas trois pour que l'enseignement qu'on y dispensait perdît tout rapport avec la doctrine du philosophe.
On distingue l’Ancienne et la Nouvelle Académie.
Les scolarques, ou directeurs, de l'Ancienne Académie furent :
– Speusippe, neveu de Platon (de 348 à 339 av. J.-C.)
– Xénocrate (de 339 à 315 av.J.-C.)
– Polémon (de 315 à 269 av.J.-C.)
– Cratès (de 269 à 268 av.J.-C.).
Tous orientent le platonisme vers une méta-mathématique qui, prolongeant les doctrines non écrites de Platon sur les nombres, le rapproche du pythagorisme (→ Pythagore).
La Nouvelle Académie eut pour scolarques Arcésilas de Pitane, Lacydes, Téléclès, Évandre, Hégésinus, Carnéade, Clitomachos et Philon de Larissa (qui meurt vers 85-77 av. J.-C., à Rome). Le dogmatisme platonicien est alors soit critiqué, soit infléchi vers le scepticisme.
Le maître mot de Socrate, « je sais que je ne sais rien », est interprété en un sens différent. Il ne signifie plus l’étonnement, source du désir de savoir, mais la désillusion de celui qui renonce à chercher la vérité.
4.3. LE PLATONISME ROMAIN
On peut douter, d'ailleurs, que, si l'Académie avait été plus fidèle à la doctrine de son fondateur, le platonisme ait eu quelque chance de pénétrer à Rome. « Platon, ce dieu pour nous » (« Plato deus ille noster ») , écrit Cicéron à Atticus (iv, 6). Mais cette admiration que Cicéron ne ménage pas à Platon, c'est à la beauté des écrits, à la noblesse de la vie de Platon, et non à sa philosophie, que Cicéron les porte.
Trait dominant de toute philosophie romaine, l'éclectisme caractérisera aussi ce platonisme, qui continuera d'exister à côté du stoïcisme, de l'épicurisme ou de l'aristotélisme. Et divers éléments mystiques prendront vite le dessus, accusant une convergence du platonisme et du pythagorisme, d'ailleurs souvent déjà amorcée. C'est elle qui ressort en particulier de la pensée de Philon d'Alexandrie, du légendaire Apollonios de Tyane, de plusieurs écrits de Plutarque, des œuvres philosophiques d'Apulée (auteur d'un De Platone [Sur Platon]) et surtout des doctrines gnostiques, d'inspiration judéo-chrétienne ou « égyptienne », qui se multiplient à partir du Ier siècle de notre ère (Numenius d'Apamée, Ammonios).
4.4. LE NÉOPLATONISME DE LA FIN DE L’ANTIQUITÉ
Plotin a été, à Alexandrie, l'élève d'Ammonios. Par le contexte dans lequel il se développe, le néoplatonisme apparaît lié à une religiosité profondément mystique. À Rome comme à Alexandrie, il sera d'ailleurs accompagné de pratiques magiques plus ou moins ésotériques, de toutes sortes de mystères, etc. Il regroupera dans une semi-clandestinité les religions orientales, de plus en plus étouffées par les progrès du christianisme.
Aussi Plotin est-il avant tout un mystique qui demande simplement au langage philosophique de se greffer, pour la formaliser, sur une expérience antérieure. Entreprise qui, d'ailleurs, ne saurait atteindre à l'essentiel de cette expérience : l'absolu, en effet, échappe totalement à l'ordre du discours. Chez Plotin, la philosophie est à l'« extase » mystique ce que les mathématiques étaient à la philosophie chez Platon.
Porphyre (qui a aidé Plotin à gouverner l'école qu'il avait fondée à Rome), Amélios, Jamblique, Proclus surtout et Damaskios, enfin, prolongeront la pensée de Plotin jusqu'au vie siècle.
4.5. LE NÉOPLATONISME DE LA RENAISSANCE
La période médiévale n’a pas ignoré Platon mais lui a préféré Aristote. Trois dialogues de Platon étaient alors accessibles dans une traduction latine : le Timée, traduit au ive siècle par Chalcidius ; le Ménon et le Phédon, traduits par Henri Aristippe (1154 et 1156).
C'est le poète et humaniste Pétrarque (1304–1374) surtout qui relance l’intérêt pour Platon. Non qu'il ait jamais eu du platonisme une connaissance profonde ni étendue, mais, par ses écrits et ses recherches, il est le principal initiateur du réveil du platonisme. Après sa mort paraîtront en effet les traductions de Leonardo Bruni (Phédon, 1405 ; Gorgias, 1409 ; Criton, Lettres, 1423 ; Apologie, 1424).
Puis on opposera ce Platon redécouvert à un Aristote qui avait trop longtemps usurpé sa place ; c'est ce que font en 1439 Gémiste Pléthon et en 1469 le cardinal Bessarion, avec In calumniatorem Platonis. Alors viendra Marsile Ficin, fondateur de l'Académie florentine, à travers laquelle ce platonisme gagnera toute l'Europe.
Pour en savoir plus, voir l'article humanisme.
À ce regain du platonisme, on sait que la naissance de la physique mathématique est liée ; dans son Dialogue sur les deux plus grands systèmes du monde, l'astronome et physicien italien Galilée rejette l'aristotélisme et lie au platonisme l'avenir de la science.
Quelque chose de la pensée de Platon, sous une forme certes quelque peu sommaire, sans commune mesure avec la portée philosophique du platonisme, est passé dans la langue courante, pour désigner un sentiment détaché du sensible, en l'occurrence du sensuel : « l'amour platonique ».
DOCUMENT larousse.fr LIEN |
|
|
|
|
 |
|
Edmund Husserl |
|
|
|
|
|
Edmund Husserl
Philosophe et logicien allemand (Prossnitz, aujourd'hui Prostějov, Moravie, 1859-Fribourg-en-Brisgau 1938).
Dans la lignée de Descartes, Edmund Husserl chercha à établir les conditions d’une connaissance rigoureuse. Il fut à l’origine de la phénoménologie, dont le but était de fonder la possibilité de l’objectivité scientifique. Selon lui, il n’était pas légitime de faire comme si la science de la nature était indépendante de la vie de l’esprit.
Un « fonctionnaire de l'humanité »
Fidèle à la définition qu'il donne du philosophe dans la Crise des sciences européennes, Husserl a su identifier la majeure partie de son existence aux principales étapes de sa recherche. Après des études d'astronomie, de physique et de mathématiques à Leipzig, il présente à Vienne sa thèse de doctorat Sur le calcul des variations (Beiträge zur Theorie der Variationsrechnung, 1883) et devient privatdocent à l'université de Halle. En 1891 paraît le premier volume de la série inachevée Philosophie de l'arithmétique (Philosophie der Arithmetik). Le même esprit qui préside aux Recherches logiques (Logische Untersuchungen, 1900-1901) prend un tour plus définitivement husserlien dans les leçons sur la Phénoménologie de la conscience interne du temps (Vorlesungen zur Phänomenologie des inneren Zeitbewusstseins, publié en 1928) et dans le cours professé à Göttingen sur « l'Idée de la phénoménologie », que préciseront, en 1913, les Idées directrices pour une phénoménologie (Ideen zu einer reinen Phänomenologie). Nommé professeur à Fribourg-en-Brisgau (1916), il prend sa retraite en 1928. Ses conférences en Sorbonne (1929) formeront la matière des Méditations cartésiennes (Cartesianische Meditationen). En dépit de l'hostilité que lui manifeste le nazisme, Husserl tente une sorte de synthèse de sa pensée dans la Crise des sciences européennes (Die Krisis der europäischen Wissenschaften, 1936). Après sa mort, ses textes et manuscrits, recueillis par le R. P. H. L. Van Breda, seront réunis à l'université de Louvain, où ils constituent les « Archives Husserl ».
Connaissance de la vérité et vérité de la connaissance
Mathématicien avant de devenir philosophe, Husserl se propose de transformer la philosophie en science exacte et de dévoiler les fondements essentiels de toute réalité. Sa recherche passe par trois périodes successives, aussi distinctes qu'inséparables. S'interrogeant d'abord sur l'analyse mathématique, il en vient à reconnaître le primat de la logique sur l'ensemble des sciences, de même que sur les méthodes de la psychologie. Il constate ensuite que la logique pure est initialement phénoménologie, c'est-à-dire qu'elle se pose comme description des actes de la conscience, comme démarche pour saisir les significations et comme procédé pour accéder à la vision des essences. Enfin, il tente de traiter en termes d'historicité de la conscience les problèmes du monde des êtres et des choses, de la culture.
L'itinéraire de Husserl part donc de la crise des sciences et y aboutit de nouveau, mais en montrant qu'il s'agit là d'une crise de la conscience. La phénoménologie apparaît dès lors comme une méthode, dans le meilleur style cartésien, pour fonder sur des certitudes la réalité du monde et la réalité de l'homme dans le monde. Au niveau le plus simple, elle se veut l'étude des phénomènes, de ce qui surgit à la conscience, de ce qui est donné. Elle s'identifiera, en fin de compte, à la manière dont la conscience vit le monde et exprime cette vie.
L'intentionnalité
Où prend appui la connaissance scientifique ? Pour l'empiriste, la démarche logique s'explique par l'analyse psychologique du sujet qui raisonne. Or, constate Husserl, le sujet reste soumis à la contrainte des connexions et des enchaînements objectifs : les propriétés des nombres sont les mêmes pour un homme du xxe s. et pour un Grec de l'Antiquité.
Faut-il, en suivant Kant, distinguer le monde de l'expérience ou des phénomènes, seul connaissable, et celui de la « chose en soi », inaccessible ? Ce serait consacrer la rupture entre le sujet et le monde, entre la conscience qui perçoit et l'objet perçu. Au contraire, la notion de visée intentionnelle abolit une telle séparation.
Chez Husserl, l'intentionnalité est le mouvement où se résout la contradiction entre l'être et la conscience : elle scelle le pacte de la conscience et du monde. Il n'y a donc pas de monde qui ne soit pour une conscience et pas de conscience qui ne se détermine comme une façon d'appréhender le monde. Au noème (connaissance comme résultat) correspond une certaine noèse (acte de connaissance). Le phénomène est donc l'apparaître de la réalité, ce qui se donne au sujet ; sa connaissance ne consiste pas à le rejoindre mais à le dévoiler, à obtenir qu'il se donne directement tel qu'il est : unité de l'acte de conscience et de l'objet, unité réalisée par la visée intentionnelle.
Mais les actes de conscience ne visent pas leurs objets de la même manière et, simultanément, les objets ne se donnent pas de façon identique. C'est à la phénoménologie qu'il appartient de dégager les distinctions et la certitude logique en permettant la description du vécu, des actes de conscience et des essences qu'ils visent.
La réduction ou mise entre parenthèses
La perception ne nous livre le réel que par esquisses et profils successifs. Un objet reste soumis au déroulement indéfini des profils sans jamais permettre une exploration exhaustive ; l'essence de ce perçu est d'être inépuisable. Et pourtant, la perception a ceci de paradoxal qu'elle nous donne l'absolu d'un apparaître qui se développe sans cesse dans une synthèse toujours plus grande et toujours inachevée.
Mais, si la chose émerge ainsi à travers des retouches sans fin, au contraire le vécu est donné à lui-même dans une perception immanente ; la conscience de soi donne le vécu comme un absolu. Une analyse précise implique que soient pleinement dissociés le monde comme totalité de choses, d'une part, la conscience et le vécu, d'autre part. Cette opération qui, mettant le monde entre parenthèses, dégage le phénomène d'existence dans sa pureté, Husserl l'appelle la réduction, ou « épokhê ».
Au premier stade, la réduction phénoménologique distingue donc le monde et un sujet non mondain ; une analyse plus poussée conclut ensuite à la contingence de la chose (le modèle du mondain) et à la nécessité du moi pur, résidu de la réduction. C'est ce que Husserl exprime, dans les Idées directrices, par : « Toute chose donnée » en personne « peut aussi ne pas être, aucun vécu donné » en personne « ne peut pas ne pas être ».
Le moi pur n'a donc pas besoin du monde pour être. Grâce à la réduction, à la mise hors d'action du monde, le concret de la vie subjective se révèle dans son authenticité, la conscience réussit à être consciente d'elle-même. Autrement dit, le moi qui est dans le monde se double, par l'acte phénoménologique, d'un moi spectateur désintéressé. En somme, réduire, c'est transformer tout donné en phénomène et révéler du même coup les caractères essentiels (eidétiques) de l'ego : fondement radical, source de toute signification, lieu d'intentionnalité avec l'objet.
Ego radical et intersubjectivité
Puisque tout sens est fondé dans la conscience individuelle donatrice de sens, la démarche du philosophe ne va-t-elle pas aboutir fatalement au solipsisme ? Husserl tourne aisément l'objection. Pour lui, « autrui soi-même m'est donné dans une expérience absolument originale. L'altérité de l'autre est un moi pur, il est une existence absolue et un point de départ pour lui-même comme je le suis moi-même ».
Ainsi, l'analyse intentionnelle d'autrui fait passer la radicalité du moi dans l'intersubjectivité, c'est-à-dire dans l'histoire. Par ce biais, Husserl a beau jeu d'aborder la crise des sciences. Ce qui est en cause, ce ne sont plus les sciences en particulier, c'est l'objectivisme qui a prétendu les fonder. Leur crise se situe dans leur absence de signification pour la vie elle-même. Seul l'ego fondamental, donateur de sens, vivant d'une vie préobjective et immédiate, peut réconcilier, dans un rapport de vérité toujours précisé, le savoir abstrait et le vécu.
La vérité ne peut se définir que comme expérience vécue de la vérité, comme l'évidence que consacre le moment où la chose dont on parle se donne « en personne » à la conscience. Et Husserl précise : « Même une évidence qui se donne comme apodictique peut se dévoiler comme illusion, ce qui présuppose néanmoins une évidence du même genre, dans laquelle elle“ éclate ”. »
Ainsi, la vérité se corrige toujours dans une expérience actuelle, et si tel vécu se donne maintenant à moi comme une évidence passée et fausse, cette actualité même constitue un nouveau moment qui exprime dans le vécu à la fois l'erreur passée et la vérité présente qui la corrige.
La vérité selon Husserl n'est pas un objet mais un mouvement, et un mouvement qui n'existe que s'il est effectivement fait par moi. Seule l'analyse intentionnelle, revenant au monde au sein duquel le sujet reçoit les choses comme synthèses passives antérieures à tout savoir, dévoile le fondement radical de toute vérité.
De sorte que, après avoir écarté le monde par la réduction pour rendre à l'ego son authenticité de donateur de sens, Husserl le retrouve comme la réalité même du constituant. Bien entendu, il ne s'agit plus du monde où l'homme s'abandonne comme existant, objective naïvement la signification des objets et s'aliène, mais bien du monde primordial, matière initiale des expériences vécues sur lesquelles s'élève la vérité théorique.
D'une recherche sur les bases de la logique, le philosophe en vient à fonder toute rationalité et toute vérité sur le vécu immédiat d'une évidence par laquelle l'homme et le monde se trouvent originairement d'accord.
Sur l'anté-rationnel du subjectif, dont certains disciples et en particulier Heidegger vont faire abusivement un anti-rationnel, Husserl élabore une nouvelle objectivité. Son rationalisme « totalisant », qui tire du vécu le principe d'intelligibilité du monde, comme Descartes le tirait de Dieu, a quelque chance d'apparaître aujourd'hui, dans la crise de la culture, comme le dernier état de la bonne conscience philosophique. S'il est vrai que la catégorie existentielle, en sauvant ici la mise de l'abstraction pure, écarte à la fois la séduction du mysticisme et la dichotomie entre être et conscience, elle n'en reste pas moins étrangère à l'histoire concrète, telle que « les hommes la font dans certaines conditions ».
Quelques mots clés de la philosophie husserlienne
eidétique
Qui concerne l'essence.
intentionnalité
« Le mot intentionnalité ne signifie rien d'autre que cette particularité foncière qu'a la conscience d'être la conscience de quelque chose » (Husserl). Caractère propre à la pensée de tendre vers un objet de pensée.
intuition
Faculté qui permet de saisir directement les essences intemporelles. « Toute intuition qui nous donne son objet de façon immédiate et originelle est source de connaissance légitime » (Husserl).
noème (du grec noêma, objet pensé)
Objet intentionnel avec son sens, son caractère de réalité, ses modes d'apparaître, etc.
noèse (du grec noêsis, pensée)
Acte même de la connaissance, tourné vers l'objet.
phénoménologie
Méthode philosophique qui vise à saisir, par-delà les êtres empiriques et individuels, les essences absolues de tout ce qui est. C'est « la science descriptive des essences de la conscience et de ses actes » (Husserl).
réduction eidétique
Acte qui consiste à éliminer les éléments empiriques du donné pour n'en retenir que la pure essence.
réduction phénoménologique
Acte qui consiste à mettre entre parenthèses les existences empiriques.
DOCUMENT larousse.fr LIEN |
|
|
|
|
 |
|
HUMANISME |
|
|
|
|
|
HUMANISME
PLAN
* HUMANISME
* HISTOIRE ET LITTÉRATURE
* 1. Un terme à la multiple et féconde ambiguïté
* 1.1. Le Moyen Âge
* 1.2. Le xvie siècle
* 1.3. xviie-xixe siècles
* 1.4. Tentative de définition
* 2. Histoire de l'humanisme français aux xve et xvie siècles
* 2.1. L'humanisme français héritier de l'humanisme italien ?
* 2.2. L'humanisme spiritualiste (1470-1547)
* Une passion pour les Anciens
* Le « divin Platon »
* Vogue du platonisme et triomphe de l'humanisme en français
* Rabelais
* Marguerite d'Angoulême (ou de Navarre)
* 2.3. L'humanisme esthétique (1547-1560)
* Une soif d'érudition
* La Pléiade
* 2.4. L'humanisme éthique et politique (fin du xvie siècle)
* Humanisme éthique
* Plutarque
* Humanisme politique
* Montaigne
* 3. Ailleurs en Europe
* 4. L'humanisme à l'œuvre
* 4.1. Humanisme et science
* 4.2. Humanisme et religion
* 4.3. Humanisme et vie civile
* Les « institutions du prince »
* Exhortation à la vie civile
* Incitation à la fierté nationale
* Néoplatonisme, éducation, amour et mariage
* Vie en société
* 5. xixe-xxe siècles : quelles formes
humanisme
Cet article fait partie du dossier consacré à la Renaissance.
Mouvement intellectuel qui s'épanouit surtout dans l'Europe du xvie siècle et qui tire ses méthodes et sa philosophie de l'étude des textes antiques.
HISTOIRE ET LITTÉRATURE
1. Un terme à la multiple et féconde ambiguïté
Le terme d'humanisme est l'un de ceux sur le sens desquels personne ou à peu près ne s'entend vraiment. C'est que le mot se trouve lié à l'évolution de la pensée occidentale, tout au long de plusieurs siècles de culture et d'histoire, comme en témoignent les emplois successifs des termes humanitas, humances, humain, humanité, humanisme, tous inséparablement liés.
En latin déjà, humanitas désigne ce qui distingue l'homme de toutes les autres créatures, ce qui, donc, est précisément le propre de l'homme, la culture.
1.1. Le Moyen Âge
Au Moyen Âge, on appelle humaniores litterae les connaissances profanes, telles qu'elles sont apprises dans les facultés des arts (notre actuel enseignement du second degré), qui ouvrent elles-mêmes accès aux facultés – de rang élevé – où l'on enseigne le droit ou la médecine. Elles se distinguent ainsi des diviniores litterae (lettres divines) : commentaires de la Bible, science de la religion chrétienne qui relèvent des éminentes facultés de théologie.
1.2. Le xvie siècle
Cette expression de lettres humaines se trouve encore employée au xvie siècle (Rabelais, Amyot) pour marquer la différence – qui n'implique pas opposition – entre la culture sacrée et un enseignement non religieux, dans lequel les littératures antiques sont venues s'ajouter à l'essentiel des disciplines scolastiques du curriculum médiéval.
Ce retour aux textes classiques, enseignés comme un complément nécessaire aux études de théologie qui, alors, sont les seules à compter vraiment, les écrivains du temps le nomment instauratio, restauratio, restitutio bonarum litterarum (établissement, rétablissement, remise en honneur des bonnes lettres). Certains, usant d'un style plus liturgique et plus imagé, parlent de reflorescentia (nouvelle floraison), renascentia (renaissance).
D'autres reprennent au latin le mot humanitas, que Rabelais traduit, en 1532, pour faire éclater dans le Pantagruel la fameuse formule lettres d'humanité, par laquelle il célèbre les littératures grecque et latine, envisagées comme un instrument d'éducation morale, à la fois philologie et philosophie, docte érudition et sagesse prudente. Aux érudits, nourris de ces lettres d'humanité, s'appliquera bientôt le nom d'humaniste (peu employé, il est vrai, en France au xvie siècle). Par leur culture littéraire et encyclopédique, ils se différencient des spécialistes étroits, ceux des questions juridiques, par exemple, et des théologiens, préoccupés des seules questions de la foi.
1.3. xviie-xixe siècles
Dès la fin du xviie siècle, avec l'organisation des collèges, on appelle humanités les classes qui font suite à celles de grammaire et dans lesquelles on enseigne les lettres antiques.
Humanisme, lui, se trouve essayé dans notre langue en 1765, au sens d'« amour général de l'humanité », signification qu'il a perdue au profit d'humanitarisme, apparu en 1837.
En fait, dans son sens historique et le plus précis, le mot humanisme désigne, depuis le dernier quart du xixe siècle, le courant littéraire et intellectuel qui, associé au réveil des langues et des littératures anciennes, porta, au xve et au xvie siècle, les érudits d'Europe à une connaissance passionnée, exacte et aussi complète que possible des textes authentiques et de la civilisation de l'Antiquité classique.
Dans une acception plus large, qui porte la marque du philosophe allemand du xixe siècle Hegel, humanisme s'entend de tout effort de l'esprit humain, qui, affirmant sa foi dans l'éminente dignité de l'homme, dans son incomparable valeur et dans l'étendue de ses capacités, vise à assurer la pleine réalisation de la personnalité humaine. Un tel effort peut, sans faire appel à aucune lumière, à aucune force surnaturelle, s'appuyer sur les seules ressources de l'homme. Il peut aussi postuler le secours de la grâce, d'une grâce qui ne détruit pas la nature, mais qui la restaure.
À la suite d'Érasme et de saint François de Sales (1567-1622) se développe un humanisme chrétien qui transcende et transfigure l'humanisme immanentiste en assignant un destin surnaturel à l'homme, corrompu, certes, mais racheté et appelé à collaborer, dans l'exercice même de ses devoirs d'homme, à l'œuvre de son salut.
Inséparable désormais d'un contexte historique, philosophique ou religieux, le mot humanisme, volontiers lié aujourd'hui à l'idée d'une civilisation aristocratique fondée et maintenue par les privilèges de l'intelligence, souvent associé aussi à la notion de culture de classe, prend presque toujours un sens polémique qui ajoute encore à sa multiple et féconde ambiguïté.
1.4. Tentative de définition
Par-delà ces querelles, peut-être pourrait-on s'accorder sur un essai de définition où n'apparaîtraient que les caractères essentiels de l'humanisme.
Dans cet esprit serait véritable humanisme toute philosophie de la vie humaine qui, prenant l'homme et ce qui le concerne comme le centre, la mesure et la fin supérieure de toutes choses, s'applique avec ferveur à connaître et à expliquer toujours plus largement la nature humaine dans ce qu'elle a d'universel et de permanent, à favoriser, dans un souci perpétuel de renouveau fondé sur la tradition, son plus harmonieux épanouissement, à défendre, enfin, au besoin, toutes les valeurs humaines là où elles peuvent se trouver, de quelque manière, menacées.
2. Histoire de l'humanisme français aux xve et xvie siècles
2.1. L'humanisme français héritier de l'humanisme italien ?
L'humanisme français et sa phase de plein achèvement, généralement appelée Renaissance, sont souvent présentés comme l'héritage direct de l'humanisme italien, qui, reprenant, prolongeant et amplifiant l'effort initiateur de Pétrarque (1304-1374), s'était développé au xve siècle, aussi bien dans les universités et les académies qu'auprès de papes comme Nicolas V et Pie II ou dans les cours princières de la péninsule, à Florence tout spécialement.
Il se dit volontiers que cette renaissance des lettres antiques, qu'avaient favorisée, en Italie, l'éveil du sentiment national, le culte fidèle de tout ce qui avait fait la grandeur de Rome, les appuis intelligents d'un brillant mécénat, l'afflux (après la prise de Constantinople par les Turcs en 1453) de savants grecs chargés de précieux manuscrits, passa les Alpes ultérieurement, en modifiant plus ou moins ses caractères dans chaque pays d'Europe où elle pénétrait.
Pour la France, un tel schéma demande assurément retouche ou, tout au moins, nuance. D'une part, il peut conduire à faire superbement oublier l'humanisme d'Alcuin (vers 735-804) moine conseiller de Charlemagne rédacteur de nombreux traités de rhétorique, théologie, grammaire et dialectique celui de l'école de Chartres au xiie siècle et l'intégration de l'aristotélisme dans la pensée médiévale. Il fait fi, d'autre part, de l'apparition en France d'un humanisme authentique contemporain ou peu s'en faut de celui du quattrocento italien.
Sans doute n'est-il pas question ici de nier ni même de diminuer l'importance de l'humanisme italien, dont l'influence sur l'humanisme européen reste indiscutable : la présence de Pétrarque et de Boccace à la cour pontificale d’Avignon au xive siècle contribue assurément à la diffusion des principes de l’humanisme en France. Et Pétrarque, Boccace, mais aussi Coluccio Salutati (1331-1406) et le Pogge (1380-1459) ont découvert à peu près tout ce que nous connaissons de la littérature latine. À la fin du xve siècle, Jean Pic de La Mirandole (1463-1494) proclamera l'article fondamental du credo humaniste dans son Discours de la dignité de l'homme.
Mais il serait imprudent d'imaginer la Renaissance française sur le modèle de la Renaissance italienne et tout à fait inexact de continuer à parler, sauf peut-être sur le plan esthétique, d'un retard d'un siècle de l'humanisme français par rapport à l'humanisme du xve siècle italien. Aux environs de 1400 se rencontre en effet, à Paris, dont l'université reste un intense foyer de culture, un humanisme qui ne concerne, en vérité, que des milieux assez restreints (Jean de Gerson, théologien et chancelier de l’université, et ses amis du collège de la dite université, dit « collège de Navarre » à raison de sa fondation par testament de Jeanne de Navarre, reine de France) mais qui, au niveau qualitatif, n'est pas indigne d'être comparé à l'humanisme italien de l'époque, avec lequel il n'est d'ailleurs pas sans rapports. C'est le moment où l'on commence à s'intéresser à la langue grecque dans notre pays, où Nicolas de Gonesse traduit (d'après le latin) un opuscule moral de Plutarque, où s'instaure à Paris le culte de Cicéron. Et bientôt, sous l'influence de Gerson, que renforce celle du Pétrarque de la docta pietas, cet humanisme naissant va s'imprégner de spiritualité monastique.
2.2. L'humanisme spiritualiste (1470-1547)
Une passion pour les Anciens
Commence alors, vers 1470, date de l'installation à la Sorbonne de l'atelier d'imprimerie de Guillaume Fichet (1433-vers 1480), une longue période d'humanisme à tendance essentiellement religieuse, d'expression latine d'abord, puis française à partir de 1530 : période des grands espoirs, des combats contre l'enlisante tradition scolastique, des désirs plus ou moins confus d'harmonieuses synthèses. Les humanistes de l'époque sont avant tout des « philologues » passionnés par les langues, les textes littéraires, la civilisation des Anciens, domaines auxquels ils joignent l'étude de l'hébreu, nécessaire pour les « saintes Lettres ». Ainsi Johannes Reuchlin (1455-1522), qui restaure la langue et la littérature hébraïques et, surtout, Guillaume Budé (1467-1540), grand seigneur, avec Érasme, des études grecques et latines en Europe.
Les papes eux-mêmes encouragent toutes sortes de recherches sur les traditions textuelles et religieuses – y compris des audaces que les Églises locales censurent, comme à Cologne, où le tribunal ecclésiastique veut condamner Reuchlin, qui s'est opposé à l'autodafé de livres juifs, alors que le pape emploie des bibliothécaires juifs à la traduction de la kabbale. Mais, en pratiquant les lettres anciennes dans un commerce aussi assidu, ces humanistes se familiarisent avec les philosophies du paganisme.
Le « divin Platon »
Chrétiens qui n'entendent rien abandonner des enseignements de l'Église, les voici séduits par Platon, le « divin Platon », christianisé par l'académie de Florence, remis en honneur par les soins de Marsile Ficin (1433-1499).
Celui-ci rassemble les humanistes, parmi lesquels Bembo, Politien et Pic de La Mirandole, en une académie, avec la protection de Cosme de Médicis, dont le petit-fils Laurent fonde la Bibliothèque médicéenne ; sous leur égide, Marsile Ficin traduit Platon et les platoniciens tardifs. Ficin, par son commentaire du Banquet, par sa Théologie platonicienne, par l'importance de ses travaux sur les néoplatoniciens donne alors, de façon au moins indirecte, un essor immense à toutes les spéculations spiritualistes et mystiques de l'époque.
Pendant plus d'un demi-siècle, c'est à travers Ficin traduit en latin qu'en France les érudits – et pratiquement eux seuls en cette période – eurent accès à l'œuvre multiple de ce Platon dont la philosophie essaie d'« ordonner les choses entre Dieu comme principe et Dieu comme fin », un Platon, il est vrai, plus ou moins déformé par ses commentateurs.
À partir de 1490, le platonisme se répand grâce à des humanistes entreprenants, dont le plus important, en France, est l'évangéliste Jacques Lefèvre d'Etaples (vers 1450-1537), qui étudie l'hébreu dans la grammaire de Reuchlin, publie, outre des ouvrages d'Aristote, des textes de Ficin, puis, en 1530, la sainte Bible en français.
Vogue du platonisme et triomphe de l'humanisme en français
Après 1530 s'ouvre une deuxième phase de la période spiritualiste de l'humanisme, au cours de laquelle Platon continue de s'affirmer le grand maître des âmes éprises d'idéal. Phase triomphante, d'expression désormais française, caractérisée par la plus franche exaltation de l'homme et de sa nature, par l'enthousiasme général né de la découverte émerveillée de l'incomparable qualité humaine. Les savants philologues du début du siècle ont gagné à la cause de l'humanisme un certain nombre de parlementaires, de bourgeois cultivés, avocats ou médecins. Quelques villes de province, Orléans, Bourges, Poitiers, Toulouse, Lyon surtout, s'éveillent à l'humanisme.
Certes, la victoire n'est pas obtenue d'emblée, et les imprimeurs préfèrent encore éditer de la littérature de colportage, des romans adaptés des œuvres médiévales plutôt que de risquer l'impression de textes antiques. Mais la fondation en 1530 du Collège des lecteurs royaux (actuel Collège de France) par François Ier prend valeur de symbole. Témoignage de l'appui accordé à l'élite élargie des humanistes par le roi et par sa sœur Marguerite d'Angoulême (ou de Navarre), l'établissement – qui connut, dès ses débuts, un très vif succès – favorise, en dépit de la Sorbonne, la connaissance exacte des antiquités classiques, qu'assurera bientôt, pour des centaines d'années, l'ouverture, en 1561, du premier collège des Jésuites.
Près de deux siècles plus tôt, le roi Charles V (1364-1380) avait déjà demandé à des érudits de son entourage de traduire les principales œuvres historiques et morales de l'Antiquité. À son exemple, François Ier encourage les traductions en langue vulgaire, qui se multiplient en format commode, aux environs de 1530, et donnent, enfin, à l'humanisme le droit de cité attendu dans les lettres françaises. C'est en français qu'Étienne Dolet (1509-1546) veut illustrer l'honneur de son pays dans son traité sur la Manière de bien traduire d'une langue en autre (1540), dont six rééditions en dix ans attestent l'intérêt qu'on portait à la traduction, promue désormais au rang de genre littéraire. Passent ainsi en français, chez les Latins : César, Cicéron, Juvénal, Perse, Salluste ; chez les Grecs : Appien, Diodore, Épictète, Euripide, Homère, Isocrate, Plutarque, Platon surtout, qu'on interprète toujours d'après le texte latin de Ficin. La littérature des vingt dernières années du règne de François Ier révèle à l'évidence la vogue mondaine de ce platonisme, dont l'influence se retrouve partout.
Rabelais
Ainsi, le platonisme christianisé contribue, pour une large part, à ce mouvement de pensée humaniste qui, dans les quelque quarante premières années du xvie siècle, semblait, avec la consolidation du pouvoir royal, la prospérité économique du pays, l'élargissement de l'horizon intellectuel par la découverte du Nouveau Monde et la redécouverte du monde antique, promettre la réalisation d'un nouvel âge d'or. De cette confiance dans l'homme et dans son avenir, l'humanisme érasmien de Rabelais fournit, sous les inventions bouffonnes du Pantagruel (1532) et du Gargantua (1534), la plus géniale et la plus optimiste des preuves.
Marguerite d'Angoulême (ou de Navarre)
Avec Marguerite d'Angoulême (1492-1549) s'achève cette période religieuse de l'humanisme en France. Pour l'ondoyante Marguerite, le problème est d'insérer l'idéalisme platonicien dans une perspective authentiquement chrétienne, de réaliser la synthèse (devenue de plus en plus difficile par suite du durcissement des positions religieuses face à la Réforme) entre la philosophie antique et l'humanisme biblique. Sans doute Marguerite y parvient-elle en donnant à ce spiritualisme platonicien, qui la séduisait tant, le couronnement d'une mystique chrétienne du salut dans le ravissement.
Mais en fait, vers le milieu du siècle, devant les antagonismes violents où s'opposent Rome et la Réforme, devant les tentations paganisantes de la Renaissance et malgré l'influence persistante du platonisme sur les esprits et sur les âmes, s'assombrit, dans la tristesse des espoirs déçus, le visage d'un humanisme naguère encore éclatant, passionné, vigoureux comme Hercule qui le symbolisait si bien, avide des curiosités les plus diverses, ivre de tous ces pouvoirs merveilleux qu'il trouvait ou retrouvait à l'homme, saisi dans sa continuité à travers la variété des temps et la multiplicité des espaces.
En 1547, au bilan de victoire que croit encore pouvoir dresser l'antiaristotélicien Pierre de La Ramée, dit Ramus (1515-1572), répondent déjà les inquiétudes du Tiers Livre, où Rabelais ne peut plus proposer à la question du libre arbitre et de la volonté que la réponse provisoire d'une espérance prudente.
2.3. L'humanisme esthétique (1547-1560)
Une soif d'érudition
Au moment où, un peu avant 1550, la recherche religieuse qui avait animé l'humanisme de la période précédente se trouve engagée dans une impasse, alors que grandit dans la plupart des esprits la tentation du repli sur soi, du silence, voire de l'abandon, l'humanisme va s'épanouir de façon magnifique.
D'une part, l'érudition s'affirme plus vivante que jamais dans la fidélité à la vocation première de l'humanisme. L'édition d'Anacréon, d'Henri II Estienne (1531-1598), apporte aux Français, en 1554, des trésors inconnus.
À la même époque, Adrien Turnèbe (1512-1565) commente Cicéron, fournit les premières éditions de Philon, traduit Plutarque en latin ; Ramus multiplie les commentaires sur Aristote, Cicéron, Virgile, César, fait imprimer trois livres de mathématiques avant d'éditer bientôt deux grammaires du grec ou du latin, et Denis Lambin (1516-1572), autre lecteur royal, interprète, en ardent défenseur, les dix livres de l'Éthique à Nicomaque d'Aristote.
La Pléiade
D'autre part, l'humanisme reçoit son expression la plus belle grâce à ce groupe poétique, jeune, audacieux et fécond : « la Pléiade ».
En 1547, quand meurt François Ier, l'humanisme spiritualiste reste marqué de l'empreinte qu'y ont mise ses pionniers : des clercs, des érudits, presque tous des bourgeois. Humanisme d'élévation morale, c'était essentiellement un humanisme en prose, auprès duquel l'humanisme d'un poète, fût-il des meilleurs, comme Clément Marot, ne pouvait guère mériter considération. Mais la même année 1547, les premières œuvres originales de Jacques Peletier du Mans (1517-1582) – qu'accompagnaient une ode de Ronsard et un dizain de Du Bellay, tous deux à leurs débuts – font entendre à plein la voix de la poésie, d'une poésie écrite souvent par des plumes nobles, soucieuses de faire œuvre de beauté et mues par l'impérieux désir de l'aristocratique exercice de la création poétique.
Humanistes, les poètes de la Pléiade, entre autres Ronsard, du Bellay, Jean Antoine de Baïf (1532-1589), Rémi Belleau (1528-1577), communient dans le même culte admiratif de l'Antiquité que les écrivains de la période précédente, mais, chez eux, la réflexion savante et religieuse inspirée par les pensées des Anciens fait place à la sensibilité et à l'imagination fondées sur l'« innutrition », assimilation personnelle des plus exquises vertus artistiques des poètes grecs et latins. Loin de rêver à quelque synthèse intellectuelle, ils proclament le dogme du génie individuel, mettant ainsi un accent nouveau sur l'une des caractéristiques majeures d'un humanisme bien compris : le développement de la personnalité. Leur but, c'est de réaliser en vers, pour leur propre gloire et pour l'illustration de leur pays, cette adaptation française des lettres antiques déjà assurée pour la prose.
À l'Antiquité gréco-latine, les poètes de la Pléiade empruntent d'abord une conception nouvelle de la poésie, tirée de la théorie platonicienne de l'enthousiasme, des ornements de style, des motifs artistiques, et un certain nombre de formes poétiques comme ces odes (horaciennes ou pindariques) par lesquelles s'effectue dans nos lettres la résurrection intégrale de l'art lyrique antique. Puis ils vont chanter le poème de l'homme situé dans cet univers dont leur poésie cosmologique vient précisément de révéler les secrets, de l'homme appréhendé dans son aventure et confronté avec le destin du monde : ainsi, Peletier dans son Uranie (1555), Ronsard à travers ses Hymnes (1555-1556) et, à un moindre degré, du Bellay dans ses Antiquités de Rome (1558).
2.4. L'humanisme éthique et politique (fin du xvie siècle)
La Pléiade n'avait donc, jusqu'en 1560, rien abandonné de la passion pour les œuvres antiques, ni de la curiosité de connaître des humanistes de la génération antérieure. À travers les œuvres de Ficin, les poètes avaient découvert les richesses de Platon, à qui ils avaient dû, jusqu'alors, outre l'idée que la poésie était le mode suprême de la connaissance, cette même foi dans l'homme qu'avait proclamée l'humanisme de 1530. Mais, à cette confiance qu'avaient déjà altérée la sinistre affaire des Placards (1534) et le massacre des Vaudois (1545), les conflits religieux, puis les guerres civiles allaient porter un coup fatal à partir de 1560, date à laquelle on serait tenté parfois de croire – bien à tort – que l'humanisme est mort.
Humanisme éthique
En fait débute alors pour l'humanisme du xvie siècle une ultime période, éthique et politique, à dominante stoïcienne et dont la fin peut se situer, sans qu'il soit possible de préciser davantage, dans la première moitié du xviie siècle. Il est incontestable que, avant 1560, les humanistes, tout occupés de platonisme, se sont peu intéressés au stoïcisme, pourtant déjà mise en partie à leur disposition par l'édition érasmienne des Œuvres de Sénèque parue en 1527. Leur intérêt ne s’affirme vraiment que plus tard, sous l'influence des circonstances historiques et politiques, avec la véritable tragédie que vont vivre les Français de 1560 après le début des guerres de Religion.
Paraissent alors bon nombre de traités, édités ou traduits séparément, et plusieurs commentaires où, face à tous les méfaits et à tous les maux engendrés par les luttes fratricides, les contemporains puisent résignation et courage. C'est dans les « jours mauvais pleins de désolations » que le Lillois Alexandre Le Blancq traduit, en 1571, la stoïcienne Consolation à Apollonius de Plutarque, comme c'est pendant les guerres dites « de Religion » que Robert Garnier s'inspire des tragédies de Sénèque pour composer des drames remplis d'allusions à nos malheurs nationaux, et que Guillaume Du Vair rédige, en 1590, pendant le siège de Paris, sa Constance et consolation ès calamités publiques.
Doctrine d'action et de résistance, ce stoïcisme moral, plus ou moins imprégné de christianisme, qui était celui d'un Étienne de La Boétie (1530-1563), marque d'une manière prédominante, mais non exclusive, l'humanisme du dernier tiers du xvie siècle, avant de prolonger son influence chez des auteurs comme Jean-Pierre Camus (Diversités, 1609) et Corneille, puis dans les Passions de l'âme de Descartes, pour intéresser encore la pensée religieuse jusqu'aux environs de 1660.
Avec lui, l'humanisme du temps, volontiers compréhensif, accueille toujours le platonisme, qui se survit dans quelques milieux mondains et à la Cour et aussi (mais de façon bien limitée) l'épicurisme, dont les thèmes ne parviennent pas à imposer l'idée – bien humaniste pourtant – de la retraite, du retour à soi, qui eût dû parfaitement convenir en ces temps de si profond désarroi.
Plutarque
Mais l'influence la plus nette sur l'époque est celle – tout éclectique – de Plutarque, que Jacques Amyot (1513-1593) vient précisément de traduire. Plutarque n'est pas seulement l'auteur des Vies parallèles, qui exaltent les vertus héroïques des païens et qui ont ainsi renforcé les tendances stoïciennes de l'époque ; c'est aussi celui d'opuscules moraux d'inspiration souvent platonicienne, parfois dirigés contre les stoïciens et les épicuriens. Avec le Plutarque d'Amyot se trouve favorisé à la fin du xvie siècle le syncrétisme philosophique qui donne un visage si complexe et si riche à l'humanisme éthique de cette période.
Humanisme politique
Éthique, l'humanisme d'alors est devenu aussi, par la force, politique. Bon nombre de poètes qui, en 1550, avaient allègrement chanté leur confiance dans le temps, ajoutent à leur lyre, une dizaine d'années plus tard, une corde d'airain ; témoin, parmi d'autres, Ronsard dans ses Discours (1562). Les horreurs des guerres civiles, dénoncées avec une éloquence grave et simple par l'humaniste et érasmique chancelier Michel de L'Hospital (1505 ou 1506-1573), sont aggravées par l'abaissement moral de bon nombre de Français, par la corruption particulière des princes que pervertit trop souvent le machiavélisme, cette doctrine détestable des courtisans et des tyrans. Contre les idées de Machiavel s'imprime sans doute une littérature qui emprunte à la fois à la tradition chrétienne et à l'ambiguïté païenne. L'illustrent, en dehors du Discours de la servitude volontaire de La Boétie, les œuvres de François de La Noue (1531-1591), d'Innocent Gentillet, de Jean Bodin (1530-1596). Certains passages aussi de Montaigne (1533-1592), dont il faut préciser ici la place singulière dans cet humanisme de la fin du xvie siècle
Montaigne
Humaniste, Montaigne l'est assurément par son admiration pour les écrivains de l'Antiquité (chez qui il « pillote », jusque dans ses dernières années, citations et exemples), par son souci constant de « bien faire l'homme et dument », par sa volonté de retrouver partout et toujours l'« universelle et commune liaison » entre les humains.
Mais, devant les œuvres, les héros et la civilisation des siècles antiques (il connaît, d'ailleurs, assez mal le grec), Montaigne garde un esprit critique acéré dont n'avaient pas fait preuve les humanistes précédents. L'homme, pour lui, n'est plus le centre ni la raison d'être de toute la création, encore moins cette « merveille des merveilles » dont parlait Sophocle et qu'avait exaltée l'humanisme optimiste de Pétrarque à François Rabelais : « Il n'est pas dit, déclare-t-il dans l'Apologie, que l'essence des choses se rapporte à l'homme seul. » Cependant, cet homme, même ramené à ses modestes dimensions dans l'univers copernicien, garde le droit – et a même l'impérieux devoir – d'atteindre à « cette absolue perfection et comme divine de savoir jouir loyalement de son être ».
À la réalisation de cette légitime ambition servira chez Montaigne l'exploration des divers systèmes philosophiques de l'Antiquité. Non pour que l'homme moderne y redécouvre quelque modèle idéal, mais parce que, par l'analyse critique, méthodique, méthodologique des affirmations avancées par ces systèmes, il se cherche et il se trouve lui-même, dans le consentement lucide à l'humaine condition, dans le sentiment profond du rapport de reconnaissance qui doit unir l'être créé à son créateur. Avec Montaigne, l'humanisme français du xvie siècle s'enrichit de ce qui reste le meilleur de tout humanisme : il s'humanise.
3. Ailleurs en Europe
Le mouvement humaniste ne se limite pas seulement à l'Italie et à la France. Il gagna les Pays-Bas, où l'université de Louvain avait été fondée en 1425, où Érasme le rencontre auprès de Rudolf Agricola et d'Alexander de Heek (Hegius). Érasme est le phare de la nouvelle culture, encore très liée à la religion : ses éditions des Pères de l'Église, ses Dialogues et ses Adages, son Éloge de la folie (1511), ses réflexions sur le christianisme, sur la formation des princes chrétiens le posèrent en maître à penser de l'Europe. Une abondante correspondance le relia aux lettrés de tous les pays.
L’humanisme brilla également en Angleterre dans l'entourage de John Colet (1467-1519) et de Thomas More (1478-1535) dont la célèbre Utopie (1516) prépara la voie à l'art élisabéthain.
L'Espagne (→ Juan Luis Vives, 1492-1540) connut de son côté un humanisme religieux et théologique. Le grand défenseur de l'humanisme y fut le cardinal Cisneros, qui fonda l'université trilingue d'Alcalá de Henares, d'où sortit la première Bible polyglotte. Mais, après une génération enthousiaste, les querelles religieuses envenimèrent le mouvement et les disciples d'Érasme furent pourchassés.
Reuchlin et Melanchthon (1497-1560) illustrèrent l'humanisme érudit allemand, dont la production littéraire demeure, au total, assez pauvre. En Hongrie, l'empereur Mathias Corvin (1440-1490) favorisa la renaissance des lettres antiques, dont Jan Kochanowski (1530-1584) est le meilleur représentant en Pologne. Partout, l'humanisme assura la restauration des études anciennes ; partout, il exerça une influence réelle sur la civilisation.
4. L'humanisme à l'œuvre
Rien ne serait plus faux, en effet, que d'imaginer l'humanisme comme un phénomène purement littéraire et rhétorique. Sans doute, les humanistes sont-ils, d'abord, de véritables savants, mais ces esprits curieux, acharnés au travail, ne vivent pas une vie ignorante du monde. Hommes pratiques, que rapprochent les uns des autres, dans la république des lettres, visites et échanges de correspondance, ils savent que les bonae artes doivent englober tous les domaines de l'existence. Mus par un sens très vif de l'histoire, que ne gêne point leur passion pour les sources antiques, ils entendent faire œuvre de philosophes, contribuer à la promotion d'une humanité libérée, capable, grâce à sa rénovation spirituelle, d'affronter, mieux qu'il n'était possible dans le passé, tous les problèmes de la vie, moraux, pratiques, intellectuels et philosophiques. Ainsi, la philosophie est, à l'image du macrocosme, dont l'homme est le microcosme, aussi vaste et aussi riche que l'Univers lui-même.
4.1. Humanisme et science
S'agissant de la science, à laquelle les Anciens avaient pourtant accordé une place importante, on ne peut dire que l'humanisme, nourri surtout de textes et d'auteurs, l'ait pleinement favorisée. Humanisme et science paraissent souvent se développer séparément et sans action directe réciproque. Les poètes dits « scientifiques » – Peletier, Ronsard, Maurice Scève, Baïf, Belleau, Du Bartas, d'Aubigné – sont tous de grands humanistes, mais ils demeurent, sauf de rares exceptions, étrangers à l'activité créatrice des sciences de leur temps.
En France, les vrais savants – comme Bernard Palissy (vers 1510-vers 1590), l'inventeur des émaux français, géologue et astronome, et, plus encore, le chirurgien Ambroise Paré (vers 1509-1590), qui ne savait ni le grec ni le latin – récusent l'autorité des Anciens, pour s'appuyer sur l'expérience, sur la pratique, sans laquelle il n'est pas, à leurs yeux, de véritable science. Cependant, cette pratique n'exclut pas forcément, chez tous les savants, le recours à la théorie, aux textes antiques oubliés, ceux d'Archimède par exemple, que l'humanisme précisément vient de remettre à jour et qu'un Copernic n'a peut-être pas méprisés, sachant, en humaniste accompli, que l'expérience du passé est nécessaire à la découverte de demain.
4.2. Humanisme et religion
Dans le domaine religieux, l'humanisme n'entraîne, au total, de paganisme que littéraire. Et mis à part quelques libertins, quelques rationalistes isolés, il n'affecte pas essentiellement la mentalité d'une époque qui voulut croire. Évangélique, l'humanisme est, d'abord, au service de la foi. Par la suite, bien peu d'humanistes passèrent à la Réforme, dont ils appréciaient l'effort philosophique et philologique d'épuration de la doctrine chrétienne, mais à laquelle ils se sentaient plus encore opposés, et dans le problème de la justification par la foi et dans la conception de la vie morale, où les réformés se plaisaient trop à leur gré à insister sur le néant de l'homme.
Sans doute un puissant mouvement sceptique traverse-t-il la seconde moitié du xvie siècle. Encore n'a-t-il pour conséquence que de séparer les domaines de la raison et de la foi. L'humanisme, pour Montaigne, ne suppose pas la croyance, il ne l'exclut pas davantage et il conduit, chez lui, tout naturellement au respect de la tradition religieuse. De quoi sera garante, lors de la Contre-Réforme française, l'alliance des catholiques les plus orthodoxes avec les disciples les plus sceptiques de Montaigne dans une croisade commune contre le calvinisme.
4.3. Humanisme et vie civile
Les « institutions du prince »
L'humanisme inspire également les attitudes de l'homme dans la cité. Pour les esprits du xve siècle ou du xvie siècle, l'organisation de l'État revêt une telle importance qu'on ne saurait mieux la comparer qu'à celle de l'Univers, la « court et l'estat d'ung prince terrien » pouvant être « apparagés [assimilés] », comme l'écrit Antoine Du Saix (1505 ?-1579), « à la ronde concavité et forme sphérique du firmament ». De ce cosmos politique, le prince est le soleil, par la sagesse de qui passe obligatoirement le bonheur du peuple. D'où ces multiples « institutions du prince », où la leçon antique renforce les instructions de la Bible pour prôner l'exercice d'une pieuse sagesse fondée sur les vertus cardinales, pour mettre le prince en garde contre les flatteurs et les médisants, pour lui rappeler sans cesse ses devoirs envers Dieu, envers son peuple, envers lui-même
Exhortation à la vie civile
D'où aussi ces appels à une active participation des citoyens aux affaires publiques comme Montaigne les entend lorsqu'il accepte, sur les ordres du roi, la mairie de Bordeaux. Exhortation à la vie civile qui s'accompagne souvent d'une incitation à la fierté nationale.
Incitation à la fierté nationale
Par nature, l'humanisme se colorait volontiers de cosmopolitisme, mais les œuvres antiques abondaient, par ailleurs, en exemples prestigieux d'amour pour la patrie. S'autorisant de ces vénérables précédents, les humanistes affirment avec force l'originalité de la pensée nationale. En France, où se développe le mythe nationaliste des Celtes et des Gaulois, des historiens érudits, comme Étienne Pasquier (1529-1615) dans ses Recherches de la France et Claude Fauchet (1530-1602) tout au long des Antiquités gauloises et françaises, étudient les origines de leur pays, que chante aussi Ronsard dans l'Hymne de France, que célébreront tous ceux qui, comme Marot ou du Bellay, sont sensibles aux charmes de leurs petites provinces natales.
Néoplatonisme, éducation, amour et mariage
Parallèlement, l'humanisme suscite un véritable renouvellement dans l'inspiration amoureuse : avec le néoplatonisme, l'amour que le courant courtois du Moyen Âge avait déjà spiritualisé prend une teinte nettement mystique. Y seront sensibles beaucoup d'hommes et surtout de femmes, qui répugnent aux platitudes et aux grossièretés de l'amour vulgaire.
L'humanisme, enfin, apporte ses secours dans de multiples circonstances ; ainsi, dans les problèmes de l'éducation, qui préoccupent, d'Érasme à Montaigne, tant d'auteurs d'« institutions puériles », soucieux d'assurer aux enfants, dès leur plus jeune âge, les rudiments du savoir et du savoir-vivre afin de les humaniser progressivement. Et aussi dans la question, sans cesse reprise, des rapports entre l'amour et le mariage, réalités que Montaigne (Essais, III, V) trouve sinon conciliables, du moins orientées de façon tout à fait différente, mais que tout un mouvement, qui va du platonisme chrétien de Marguerite de Navarre à l'humanisme dévot de saint François de Sales, veut absolument associer pour le plus grand bonheur de l'homme et de la femme, sur terre et dans le ciel.
Vie en société
Enfin, dans les diverses difficultés que soulèvent à chaque instant les nécessités de la vie en société. Dans ces domaines si variés, les Œuvres morales de Plutarque, synthèse complète de l'acquis d'une civilisation prestigieuse, apportaient à chacun réponse à sa mesure. Traduites par Amyot en 1572, elles connurent le plus vif des succès. Présentées dans l'habit seyant que leur avait taillé Amyot, les Œuvres morales ne parurent plus une œuvre traduite de l'Antiquité. Plutarque devint rapidement « familier par l'air françois qu'on lui avoit donné, si perfect et si plaisant » notait Montaigne (Essais, II, VII), qui ajoutait : « C'est nostre bréviaire. » De fait, les lecteurs pouvaient y apprendre comment distinguer l'ami du flatteur, quels remèdes trouver contre l'irascibilité, sur quels principes fonder l'éducation des enfants. Les jeunes mariés y recevaient d'utiles conseils pour la vie conjugale ; les citoyens, de sages indications sur l'administration des affaires publiques.
Plutarque apportait également le témoignage des vertueux faits de tant de femmes héroïques de l'Antiquité : parmi elles, la Gauloise Camma, dont la fidélité conjugale devait longtemps inspirer dramaturges et moralistes. Par là se trouvait fournie la solution au problème fondamental de l'humanisme, celui de savoir comment l'apport de l'Antiquité pouvait servir à l'éducation d'une pensée qui se savait chrétienne et se voulait moderne.
Ainsi, l'humanisme fut, en même temps que passion de connaître et culte de beauté, une attitude expérimentale et psychologique de l'homme, une « épreuve » de toutes ses forces, une véritable école de vie.
Sur le plan littéraire, son importance n'est pas moindre. Il donna leur pleine ampleur à des thèmes essentiels de notre littérature : nature, vertu, gloire, amour. Il favorisa le développement du genre du dialogue, dans lequel on voyait comme une manière d'« humaniser » un traité, et c'est sous l'influence de la littérature antique que naquit la tragédie française régulière, avec, notamment, la Cléopâtre captive de Jodelle (1532-1573). Il fut enfin l'occasion d'un enrichissement remarquable du vocabulaire et, s'agissant du style, il constitua une étape décisive dans la conquête de la précision et de l'harmonie.
Au-delà de sa définition la plus précise, lié au courant littéraire et intellectuelle qui marqua l’histoire européenne des xve et xvie siècles, l'humanisme est une philosophie qui se donne pour fin l'épanouissement de l'homme.
5. xixe-xxe siècles : quelles formes d'humanisme ?
Le xixe siècle, qui « invente » le terme d'humanisme, lui donne en fait des significations plus intéressantes que sa définition, puisque le terme naît chez Proudhon. « Homme » désigne alors plutôt l'individu, opposé à des systèmes ou à des régimes (politiques, économiques, sociaux) ; rien d'étonnant dès lors si, au nom de la révolte ou du progrès, les historiens appellent « humanisme » le mouvement d'idées du début de la Renaissance qui, d'une certaine manière, faisait de l'esprit critique individuel, de la promotion des individus hors de leur champ social selon leurs capacités, de l'inventivité des valeurs, de la pensée libre un instrument de lutte contre ce que le xixe siècle considère comme un obscurantisme médiéval religieux. On y oublie le rôle indéniable des langues anciennes, la religiosité platonicienne et l'appui aux princes.
Les aspects combatifs d'un socialisme utopique se diluent ensuite, le terme est repris hors de son contexte, et peut se retourner contre ses auteurs, taxé de matérialisme, de tyrannie au nom de systèmes.
Concrètement, « humanisme » peut finir par s'appliquer à toutes les opinions où chacun défend l'homme à partir de définitions différentes de ce qu'il est et devrait être. C'est ainsi qu'on a pu opposer Camus l'humaniste à Sartre le théoricien, et poser la question de savoir si l'existentialisme était un humanisme, ou encore s'il pouvait exister un humanisme marxiste.
Quelle que puisse être la vanité de telles questions, l'emploi actuel le plus fréquent du terme « humanisme » évoque souvent un contexte passéiste, quelque ennuyeuse vertu, et une certaine désuétude, même et surtout sous l'étiquette d'« humanisme moderne ». Mais il est vrai que le xxe siècle, à travers guerres et holocaustes, camps et goulags, idéologies massives et esthétiques de la « défiguration », a tout fait pour effacer la « nature humaine ».
DOCUMENT larousse.fr LIEN |
|
|
|
|
Page : [ 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 ] - Suivante |
|
|
|
|
|
|