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BOIS ET HUMIDITÉ ... |
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Paris, 23 mars 2016
Comprendre la stabilité du bois face à l'humidité
Connaître le retrait1 ou le gonflement du bois en fonction de l'humidité (ce que l'on appelle la stabilité dimensionnelle) est primordial pour de nombreux usages du bois. Des chercheurs du CNRS et du Cirad2 ont démontré que chez la bagasse (Bagassa guianensis) une espèce de bois guyanais à croissance rapide, les métabolites secondaires, dont la fonction principale est de défendre l'arbre contre les attaques extérieures, permettent également de bloquer le retrait. Ils confèrent ainsi à la bagasse une grande stabilité. Ces résultats, dont la méthode sera étendue à une large diversité d'arbres, montrent l'intérêt de décrire la biodiversité en effectuant une analyse approfondie des propriétés des bois afin de découvrir des espèces prometteuses qui pourront être plantées à l'avenir. Ils seront publiés dans PLOS ONE le 23 mars 2016.
Pour contribuer à la diversification des bois exploitables et commercialisables, tout en s'appuyant un maximum sur la biodiversité locale, il est nécessaire de découvrir de nouvelles espèces d'arbres qui pourront être plantées. Pour cela, il faut poursuivre l'effort de description de la biodiversité, pas seulement d'un point de vue taxonomique, c'est-à-dire selon la classification classique des espèces, mais aussi par une caractérisation des propriétés des bois. L'objectif est ainsi de répondre aux demandes en matériaux, notamment dans les régions tropicales où la croissance démographique est rapide3.
Forts de ce constat, des chimistes et biomécaniciens du laboratoire EcoFoG (CNRS/Agroparistech/Cirad/Inra/Université des Antilles/Université de Guyane) ont tout d'abord sélectionné plusieurs espèces d'intérêt en croisant deux bases de données issues de plusieurs décennies de mesures en Guyane ; l'une sur la croissance des arbres4 et l'autre recensant les propriétés technologiques des bois5. Parmi les espèces sélectionnées, les chercheurs ont ciblé la bagasse, un bois guyanais à croissance rapide, présentant une densité moyenne (le bois n'est ni trop lourd ni trop léger), et une forte durabilité. En caractérisant les propriétés physiques et mécaniques de plusieurs centaines d'échantillons de bois, issus d'une dizaine d'arbres à différent stades de croissance, les chercheurs ont mis en évidence que le bois de bagasse avait une stabilité dimensionnelle particulièrement forte, quelle que soit sa densité.
Pour comprendre pourquoi le bois de bagasse est aussi stable, les scientifiques se sont intéressés à la teneur en métabolites secondaires du duramen, ou bois de cœur. Cette partie centrale du tronc est plus foncée que la partie périphérique du bois, l'aubier, à cause des métabolites de défense synthétisés par l'arbre en le protégeant des insectes et des champignons. Les chercheurs ont comparé la manière dont des échantillons de bois de bagasse réagissaient au séchage en fonction de la quantité de métabolites présents dans le bois. Leurs résultats mettent en évidence que le cœur de ce bois est très stable quel que soit l'humidité et ce d'autant plus quand la teneur en métabolites secondaires augmente. Ce sont donc ces derniers qui bloquent le retrait et qui confèrent au bois de bagasse sa grande stabilité. Ces résultats montrent ainsi que le taux de métabolites peut être un facteur explicatif du retrait au séchage plus important que la densité. Ils permettent également de proposer des hypothèses sur le mécanisme de déformation mécanique du retrait.
Ces résultats ont permis de tester de nouveaux modèles statistiques qui intègrent la teneur en métabolites pour prédire le retrait d'un bois et donc son comportement au séchage. Les chercheurs souhaitent désormais approfondir leurs recherches pour comprendre l'impact de la nature chimique des métabolites sur les propriétés du bois. Ils souhaitent également étendre leurs analyses à une large diversité d'espèces guyanaises pour révéler de bons candidats à la plantation et à une production locale de bois d'œuvre, à l'image de la bagasse, déjà connue pour sa croissance rapide et sa durabilité et qui se distingue aujourd'hui par sa forte stabilité dimensionnelle.
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LE SYSTÈME IMMUNITAIRE |
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Le système immunitaire
back to basic - par Laure Schalchli dans mensuel n°301 daté septembre 1997 à la page 90 (3001 mots)
Des millions d'anticorps et un grand principe : pour reconnaître l'étranger, encore faut-il se connaître soi-même
La masse du système immunitaire est comparable à celle du foie ou du cerveau. Mais il est éparpillé dans tout l'organisme. En font partie les globules blancs circulant dans le sang, dans la lymphe et imprégnant les tissus. Les principales cellules de l'immunité sont les lymphocytes, qui sont les globules blancs majoritaires dans le sang. Un homme adulte en contiendrait quelque deux mille milliards. Mais il existe beaucoup d'autres cellules impliquées dans l'immunité : globules blancs polynucléaires, monocytes ou macrophages, mastocytes, cellules dendritiques.
Le système immunitaire c'est aussi une série d'organes et de tissus dits lymphoïdes : les ganglions, la moelle des os, la rate, les amygdales, les végétations, l'appendice et des tissus associés au tube digestif et aux poumons en font partie. S'y ajoute le thymus, un organe situé dans le thorax derrière le sternum, qui grossit jusqu'à la puberté puis s'atrophie à l'âge adulte.
Toutes les cellules impliquées dans l'immunité prennent naissance dans la moelle des os. Certains lymphocytes se différencient dans le thymus. Puis ils migrent dans le sang et la lymphe et séjournent temporairement dans la rate, les ganglions, en se concentrant à proximité de la peau et des muqueuses, partout où le risque de pénétration d'intrus est grand. En permanence, le système immunitaire assure l'intégrité de l'organisme face aux substances étrangères, aux bactéries, aux virus, aux parasites.
Quand a-t-il été découvert ?
Le 14 mai 1796, un médecin de Berkeley, Edward Jenner, fait une expérience capitale. Il prend au mot une croyance populaire, selon laquelle une maladie de la vache cowpox , maintenant appelée vaccine peut rendre l'homme réfractaire à la variole. Il introduit du pus d'une femme atteinte de la maladie bovine dans le bras du jeune James Phipps, un enfant de 8 ans en parfaite santé. Six semaines plus tard, il injecte au garçon du pus d'un malade atteint de variole. James Phipps reste en bonne santé. La vaccination est née.
Un peu plus de quatre-vingts ans plus tard, Louis Pasteur fournit un début d'explication au succès de Jenner. En injectant à des poules de vieilles souches atténuées de bacilles du choléra, Pasteur et Emile Roux les protègent d'une infection ultérieure par le même microbe, mais pas par d'autres germes. Pasteur répète l'expérience, entre autres, avec des bacilles du charbon inactivés par la chaleur. On trouve ici les propriétés essentielles des réactions immunitaires : la vaccination ne protège que contre l'agent vaccinant spécificité, la protection est complète efficacité, le vaccin protège pendant des années, voire toute la vie mémoire.
Peu après, le zoologiste et microbiologiste russe Ilya Mechnikov propose sa théorie « cellulaire » de l'immunité, qui fait intervenir des cellules spécialisées. Pour la première fois, il suggère que l'inflammation n'est pas une composante nocive de la maladie, mais une réaction de l'organisme qui tend à protéger le malade. C'est au tournant du siècle que la réaction immunitaire est rattachée à l'apparition dans le sang de protéines spécifiques, les anticorps. En 1890, l'Allemand Emil von Berhing et le Japonais Shibasaburo Kitasato isolent les premiers d'entre eux, des substances solubles capables de neutraliser les toxines diphtérique et tétanique.
Qu'est-ce qu'un anticorps ? Comment est-il fabriqué ?
Le nom d'abord, anticorps, vient de ce que cette substance reconnaît le corps étranger et s'y fixe. On ne parle pas d'anticorps sans parler de son partenaire obligé, l'antigène, nommé ainsi parce que c'est justement... le « générateur » d'anticorps. L'antigène est le composé qui, quand on l'introduit dans l'organisme, provoque la formation d'anticorps spécifiques dirigés contre lui. La définition se mord la queue.
Les anticorps sont des protéines solubles présentes dans le sang. On les appelle également immunoglobulines. Elles sont fabriquées par un type particulier de globules blancs, les lymphocytes B. Le sang humain en contient une quantité énorme : un litre recèle environ soixante-dix grammes de protéines, dont dix à vingt grammes d'immunoglobulines.
Un casse-tête a dès le départ préoccupé les immunologistes. Un anticorps reconnaît de façon extrêmement fine et spécifique un antigène. Or il existe, dans la nature, un nombre indéfini d'antigènes. Le système immunitaire peut donc produire des anticorps contre n'importe quoi, y compris des substances créées par l'industrie chimique du XXe siècle.
Pour l'expliquer, on a d'abord pensé que les anticorps s'adaptent à l'antigène injecté, qu'ils « apprennent » sa forme en s'y modelant. Ce modèle, dit instructionniste, a été défendu jusqu'à la fin des années 1950. Il a été détrôné par celui de la « sélection » des anticorps : une diversité énorme d'anticorps existe bel et bien dans l'organisme. L'arrivée d'un antigène sélectionne ceux qui le reconnaissent et s'y fixent. Un processus somme toute très darwinien. Le modèle de la sélection supposait cependant de résoudre un problème de taille : la fabrication de millions d'anticorps différents, bien plus que le nombre total de gènes disponibles dans les chromosomes.
Deux phénomènes génétiques exceptionnels, qui ont lieu dans les lymphocytes, assurent une telle diversité. Ils ont été découverts pendant les années 1970. Le premier est un « remaniement » du génome. Chaque anticorps est codé par un gène unique, construit à partir de plusieurs pièces détachées : au moins trois tronçons génétiques différents, choisis parmi plus d'une centaine, sont coupés et placés bout à bout. De plus, l'assemblage des tronçons est assez imprécis. Ce jeu de combinaisons permet de produire une diversité considérable d'anticorps, libérés par autant de lymphocytes différents. Des chiffres ont été avancés, très divers eux aussi : un million, dix milliards...
Le second processus laisse encore les généticiens perplexes. Certaines portions des gènes codant les anticorps mutent à une vitesse impensable dans le reste du génome. Le taux de mutation peut y être jusqu'à dix millions de fois plus élevé. Ce mécanisme, qui entraîne une augmentation extrême de la diversité, touche les anticorps déjà sélectionnés par l'antigène. Il a lieu dans les lymphocytes activés, en réponse à l'antigène, et se solde par la production et la sélection d'anticorps encore plus « performants ».
Notons enfin que contrairement à une simplification abusive, chaque antigène est reconnu par de nombreux anticorps différents. Et vice versa : un même anticorps reconnaît plusieurs antigènes. Les immunologistes parlent de dégénerescence de la reconnaissance.
Pourquoi rejette-t-on les greffes ?
Parce que l'organe greffé contient des composants, plus exactement des protéines, qui n'existent pas dans le corps du receveur. Le système immunitaire détecte ces protéines étrangères et détruit les tissus qui les portent.
Ces protéines spéciales sont appelées « molécules d'histocompatibilité » du grec histos , tissu. Elles ont des propriétés étonnantes. Normalement, à l'intérieur d'une espèce, donc chez l'homme, les protéines varient peu d'une personne à l'autre, sauf anomalie génétique. Dans le cas des molécules d'histocompatibilité, pour une seule protéine - c'est-à-dire pour un seul gène - on peut trouver plus de cent versions différentes dans la population. Comme ces protéines sont de surcroît assez nombreuses quelques dizaines, deux individus pris au hasard ont très peu de chances de porter les mêmes. Les protéines d'histocompatibilité sont ainsi de très bons marqueurs du « soi » biologique. Dernière particularité, toutes les cellules de l'organisme exhibent ces protéines à leur surface. A quelques exceptions près : les spermatozoïdes en sont dépourvus ; les globules rouges aussi, ce qui facilite les transfusions...
Ces protéines sont codées par un groupe de gènes, le « complexe majeur d'histocompatibilité » CMH. Qui est effectivement fort complexe et très étudié par les immunologistes et les généticiens. Il contient au moins une cinquantaine de gènes différents, mais seulement certains dits de classe I et II interviennent dans la reconnaissance du soi. Chez l'homme, on appelle souvent ces protéines HLA human-leucocyte-associated antigens , parce qu'elles ont été découvertes par hasard sur les globules blancs les leucocytes. On les distingue par des lettres : HLA A, B, C, E, F, G, DP, DQ, DR... Deux vrais jumeaux ont exactement les mêmes HLA. Deux frères et soeurs ont moins d'une chance sur seize d'hériter d'un lot identique. Connaissant la répartition des différentes formes de HLA dans la population, on estime que cette probabilité tombe à un sur 40 000 pour deux personnes prises au hasard.
D'autres protéines jouent un rôle mineur dans le rejet des greffes. Elles sont très variées et la liste est loin d'être close. L'une d'entre elles, « HY », est présente uniquement chez les hommes, car elle est codée par un gène situé sur le chromosome Y. Résultat : une femme rejette le rein ou le coeur d'un homme, même s'ils ont les mêmes HLA.
Comment le système immunitaire détecte-t-il les intrus ?
Dans les années 1970 a été faite une découverte étonnante : le système immunitaire n'est pas capable d'identifier les composés étrangers tels quels. Il ne reconnaît le « non-soi » que s'il est associé aux marqueurs du « soi » : les antigènes ne sont vus que s'ils sont portés, présentés par les protéines d'histocompatibilité. Tout est affaire de coopération entre cellules.
Très schématiquement, la reconnaissance de la plupart des bactéries qui pénètrent dans l'organisme se déroule de la façon suivante. En permanence, des sentinelles abondantes dans la peau, les muqueuses et les ganglions, les cellules dendritiques et les macrophages, captent les intrus et les ingèrent. Les antigènes bactériens sont digérés, fragmentés, puis exhibés à la surface de ces cellules. Ils n'y sont jamais exposés seuls, mais nichés au sein des protéines d'histocompatibilité. C'est sous cette forme que le système immunitaire les reconnaît. La reconnaissance est assurée par les lymphocytes : tous portent à leur surface des molécules semblables aux anticorps, mais ancrées sur la cellule. Ceux qui fixent spécifiquement l'antigène intrus sont sélectionnés et se multiplient. Entrent d'abord en jeu les lymphocytes T, baptisés ainsi parce que leur maturation se fait dans le thymus, puis les lymphocytes B, qui produisent les anticorps.
Autre cas possible : l'organisme est envahi par des virus. C'est la cellule infectée qui présente directement aux lymphocytes des fragments du virus, lovés dans les protéines du soi.
Lorsqu'un antigène a été reconnu une première fois, le système immunitaire s'en souvient. La mémoire repose sur des cellules à durée de vie extrêmement longue : elles - ou leurs descendantes - restent dans la rate, dans les ganglions, pendant des mois ou des années, prêtes à se réveiller si l'antigène réapparaît. En revanche, la très grande majorité des lymphocytes ne vivent que quelques jours : après avoir été activés et s'être multipliés à très grande allure pendant la réponse immunitaire, ils meurent en masse, se suicidant en réponse à des signaux externes. On ignore complètement ce qui permet à certains d'échapper à l'hécatombe.
Comment les détruit-il ?
L'organismerépond généralement à l'invasion de bactéries ou de virus par de la fièvre, puis par une réaction inflammatoire : le lieu de l'infection devient rouge, douloureux, gonflé. Les tissus infectés libèrent des substances chimiques qui dilatent les vaisseaux, provoquent un afflux de sang, attirent les globules blancs. Ces derniers affluent et détruisent les bactéries ou les cellules infectées. Si l'on entre dans les détails de la réponse immunitaire, l'affaire se complique très vite. Entrent en jeu une panoplie de cellules qui communiquent soit par contact physique, soit en libérant dans leur voisinage des signaux chimiques.
Les anticorps neutralisent les bactéries ou leurs toxines en les agglutinant et en activant contre elles des enzymes sanguines, regroupées sous le nom de système du complément. Mais ce n'est que l'une des armes du système immunitaire. L'entrée de bactéries provoque un recrutement en cascade. Les lymphocytes T « auxiliaires » ou CD4 activent les lymphocytes B, qui se multiplient et sécrètent les anticorps. Un seul lymphocyte peut en produire plus de dix millions par heure. D'autres cellules, les polynucléaires et les macrophages, ingèrent et tuent les microbes. La lutte contre les virus ou contre certaines bactéries se développant à l'intérieur des cellules fait intervenir d'autres acteurs, les lymphocytes T tueurs ou CD8. Ces derniers reconnaissent directement les cellules infectées et les tuent en y déclenchant un programme interne de suicide.
D'où viennent les maladies auto-immunes ?
La question est loin d'être vraiment résolue. Dans ces maladies, le système immunitaire s'attaque aux propres éléments de l'organisme : les cellules du pancréas dans certains diabètes, la gaine des neurones dans la sclérose en plaques, les globules rouges dans certaines anémies... L'élément déclenchant reste assez mystérieux. Un point est sûr : nous produisons tous des anticorps et des lymphocytes dirigés vers les constituants du corps humain. Certains pensent même que c'est indispensable à l'équilibre du système immunitaire. Mais en temps normal, ces lymphocytes sont inactifs.
Très tôt, durant la vie embryonnaire, le système immunitaire apprend à devenir tolérant vis-à-vis de ses propres constituants. Dans le thymus de l'embryon, beaucoup de lymphocytes dirigés contre les constituants du corps sont éliminés. D'autres sont simplement « muselés », empêchés d'agir on parle d'anergie des lymphocytes. L'hypothèse actuelle est que pour entrer en jeu un lymphocyte a besoin de recevoir au moins deux signaux. D'une part, il lui faut reconnaître l'antigène, présenté par une cellule adéquate. D'autre part, il doit recevoir en même temps un signal délivré par la cellule présentatrice, par contact direct ou sous forme d'une substance soluble. Dans l'embryon, ce second signal ferait défaut, ce qui entraînerait la mort ou l'anergie de tous les lymphocytes reconnaissant les constituants du corps.
Cette « éducation » du système immunitaire se poursuit à l'âge adulte. L'organisme fabrique en permanence des lymphocytes dirigés contre ses propres constituants. C'est la présence ou l'absence du second signal - qui reflète peut-être le danger associé à l'antigène - qui aiguillerait le système vers la tolérance ou vers la réaction immunitaire. Certaines maladies auto-immunes ont été associées à des HLA particuliers. La présentation de l'antigène par telle ou telle molécule d'histocompatibilité pourrait favoriser l'activation des lymphocytes dirigés contre les constituants du corps. Une autre piste est qu'une infection virale peut modifier la présentation des antigènes du soi et induire certains lymphocytes à y réagir.
Pourquoi un corps étranger comme le foetus est-il toléré par la mère ?
C'est ce qu'on appelle le « privilège immunitaire », qui profite d'ailleurs aussi aux cellules cancéreuses. Il n'existe pas d'explication unique à ce phénomène.
Pour le foetus, le scénario suivant est avancé. Lorsque l'oeuf se niche dans l'utérus, ses enveloppes ne portent pas les protéines d'histocompatibilité HLA classiques ; il échappe ainsi au rejet de greffe. Cependant, les cellules sans HLA sont normalement détruites par une catégorie spéciale de cellules immunitaires, les cellules tueuses naturelles, qui reconnaissent l'absence du soi. Et l'utérus en regorge. L'embryon échapperait à la destruction car ses enveloppes portent un autre type de protéines HLA, appelées HLA-G, qui agissent comme des immunosuppresseurs.
Quant aux cellules cancéreuses, elles produisent des antigènes anormaux qui devraient également entraîner leur destruction par le système immunitaire. Peut-être y échappent-elles par le mécanisme décrit ci-dessus. Leur furtivité pourrait aussi être liée au fait que ce ne sont pas de bonnes « présentatrices » d'antigènes : elles ne délivreraient pas le second signal adéquat. Autre hypothèse : les cellules cancéreuses libèrent des signaux captés par les cellules immunitaires, les poussant à un suicide anticipé ou rendant leur réponse inefficace. Ces hypothèses ne sont pas exclusives : l'homme évolue avec ses tumeurs depuis des millions d'années, aux cours desquelles a dû s'instaurer un dialogue complexe entre ces dernières et le système immunitaire.
D'où viennent les allergies ?
Ce sont des réactions immunitaires exacerbées - et surtout mal aiguillées. Leur nom fait référence à cette réponse particulière du grec allos , autre, et ergon , travail. La rougeur, l'oedème, les démangeaisons sont dus à la libération dans la peau, dans les muqueuses du nez, dans les bronches, de grandes quantités de substances chimiques responsables de l'inflammation, en particulier de l'histamine. Ces substances font partie intégrante d'une réponse immunitaire normale, mais la machine s'est emballée.
Même si seulement 10 à 20 % des personnes s'en plaignent, tout le monde est plus ou moins allergique. C'est une question d'équilibre dans la réponse immunitaire. Un antigène peut, une fois qu'il a été reconnu par les lymphocytes T auxiliaires, donner lieu à deux réponses différentes. Schématiquement, la première voie recrute les lymphocytes tueurs et permet le rejet des greffes ou la lutte antivirale. La seconde, mise en jeu dans la lutte contre les parasites et beaucoup de bactéries, favorise la formation d'anticorps. Ces voies ont été baptisées TH1 et TH2 pour T helper 1 et 2, parce qu'elles sont mises en route par deux types de lymphocytes auxiliaires, qui émettent des signaux différents. Dans l'allergie, la balance penche vers TH2, et en particulier vers la production d'un type d'anticorps appelé IgE pour immuno- globuline E. Ces anticorps stimulent la libération explosive de l'histamine et d'autres signaux par des cellules spécialisées, les mastocytes.
Certains antigènes - comme ceux des pollens des graminées, qui donnent le rhume des foins - sont plus propices à la production d'IgE. Mais l'allergie est aussi une question de prédisposition génétique : certaines personnes sont plus disposées à répondre par l'une ou l'autre des deux voies immunitaires.
Les éponges, les oiseaux, les végétaux ont-ils un système immunitaire ?
Tout dépend de ce qu'on appelle immunité. Les éponges ou les colonies de coraux sont capables de rejeter un élément étranger. Il s'agit d'un système de reconnaissance du non-soi, mais qui n'a rien à voir avec l'immunité assurée par les lymphocytes. De même, les plantes, les insectes peuvent réagir à un agresseur en relarguant des substances toxiques antibiotiques, protéines. Mais il n'y a pas de reconnaissance précise de l'antigène.
Ce type d'immunité non spécifique, sans mémoire, a bizarrement été qualifiée de « naturelle » ou d'« innée ». Elle correspond, chez l'homme, à l'action des cellules tueuses naturelles, des macrophages ou du complément.
Des molécules, dont la structure est proche de celle des anticorps, ont été retrouvées chez les vers nématodes ou les insectes. Mais cela n'implique pas une parenté de fonction. L'immunité spécifique ou « adaptative » apparaît chez les vertébrés. Presque tous ont un système immunitaire avec des anticorps. A une exception près : on n'en a pas retrouvé chez les vertébrés les plus primitifs, les poissons sans mâchoires ou agnathes, comme la lamproie. Les poissons, les batraciens, les reptiles, les oiseaux ont un thymus. La coopération entre lymphocytes, qui permet la maturation de la réponse immunitaire, atteint son efficacité maximale chez les mammifères.
Par Laure Schalchli
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C'EST LA NATURE QUI A COMMENCÉ ... |
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C'est la nature qui a commencé !
qui a peur des ogm ? - par C. P. L. dans mensuel n°327 daté janvier 2000 à la page 39 (4072 mots)
De même que des mots passent d'une langue à l'autre, dans la nature, il arrive que des gènes passent d'une espèce à l'autre. Cela s'est par exemple produit, au cours de l'évolution, avec des virus qui se sont introduits dans le tabac. Que nous apprennent ces invasions naturelles ?
Au début des années 1980, des Californiens se révoltèrent contre les modifications génétiques des plantes cultivées. Je me rappelle une attaque d'activistes contre une culture expérimentale de fraises. La modification génétique testée ne portait pas sur les fraisiers mais sur des bactéries qui vivent à leur surface. Ces bactéries produisent une protéine qui sert d'agent de nucléation de la glace. Le gène codant cette protéine avait été supprimé pour vérifier s'il était possible - dans cette niche écologique - de remplacer les bactéries sauvages par ces mutants pour protéger les fraises contre le gel. Les Européens observaient, sidérés, ce qui leur paraissait être une réaction hystérique : après tout, les bactéries en question n'exprimaient pas même un gène nouveau et étranger, puisqu'on s'était borné à leur en enlever un ! Quel danger y avait-il à cela ? Quinze ans plus tard, nous avons été confrontés par surprise à une invasion silencieuse, mais massive, du marché par des plantes génétiquement modifiées PGM. On estime que 70 % du soja cultivé aux Etats-Unis en 1999 est transgénique, les deux autres principales cultures transgéniques étant le coton et le ma•s. Les gènes étrangers introduits dans ces plantes sont tous deux d'origine bactérienne et permettent une augmentation des rendements. Le premier confère en effet à la plante une résistance aux herbicides. On peut donc éliminer les mauvaises herbes par application d'un désherbant après le semis. Le second commande la production par la plante de protéines insecticides, ce qui la protège contre ses ravageurs. Retournement de situation : désormais, les Européens ne sont plus sidérés, ils ont pris la tête de la révolte, et les craintes à l'égard des PGM gagnent à nouveau les Etats-Unis.
Le débat sur les PGM est complexe, et suscite des inquiétudes sur plusieurs aspects imbriqués. Il s'agit de savoir si leur consommation est dangereuse pour la santé humaine, et si les plantes transgéniques, en entrant dans la chaîne alimentaire, risquent de nuire à des organismes innocents. La question se pose aussi du risque de pollution génétique, c'est-à-dire de la dissémination des transgènes dans les espèces sauvages, avec la perspective d'une perturbation de la diversité génétique des écosystèmes. Le dernier sujet d'inquiétude, le principal aux yeux de certains, est la mondialisation : le risque que quelques grandes firmes contrôlent les moyens de production alimentaire, exploitent les agriculteurs pauvres en leur vendant des semences brevetées et très cožteuses, et pillent les gènes du tiers-monde. Nous nous sentons menacés par la grande industrie, soupçonnée de collusion avec les autorités nationales pour obtenir la mise sur le marché de plantes transgéniques sans essais de sécurité appropriés.
De plus, nous avons peur d'une technologie perçue comme venue d'ailleurs et non naturelle. Pourtant, on ne peut pas dire que les PGM soient non naturels : de fait, chaque fois que l'on tire une bouffée de cigarette pour ceux d'entre nous qui sont encore assez désuets pour fumer, on inhale les produits de combustion d'un PGM naturel qui est apparu quelque part dans les Andes il y a plusieurs millions d'années. Dans notre laboratoire londonien, Andrew Leitch et moi-même étudions l'origine évolutive de fragments de gènes viraux que nous avons découverts dans le tabac et dans quatre plantes apparentées. Comment s'est produit ce très ancien " accident " génétique ? Pourquoi s'est-il perpétué pendant l'évolution ? Les réponses à ces questions permettront peut-être de mieux évaluer les risques d'une dissémination des transgènes artificiels vers les plantes sauvages.
Les gènes passent des parents à leur descendance : c'est la transmission verticale. Lors de la réplication de l'information génétique, il se produit des erreurs naturelles dues au hasard - les mutations - à l'origine de la variabilité génétique. L'effet cumulé de la sélection naturelle, qui favorise les plus adaptés des descendants, est le moteur du changement, qui peut aboutir à l'apparition d'une espèce nouvelle. C'est l'évolution, telle que l'a formulée Charles Darwin, confortée par la découverte des gènes par Gregor Mendel, éclairée par la compréhension du rôle de l'ADN et par la connaissance du mécanisme des mutations. De la même manière, les langues évoluent sur un mode de transmission verticale, génération après génération. C'est ainsi qu'on est passé, par exemple, de l'anglais de Chaucer à celui de Shakespeare, puis à l'anglais moderne.
Mais, de même que les langues incorporent et assimilent couramment des mots étrangers " robot " vient du tchèque, " magie et acrobate " du grec, " guérilla " de l'espagnol..., les organismes vivants peuvent acquérir naturellement des gènes venus d'autres espèces : c'est la transmission horizontale.
Le transfert horizontal de gènes est fréquent chez les bactéries. Parmi les instruments de ce transfert figurent les plasmides, molécules d'ADN circulaires qui se répliquent indépendamment du chromosome bactérien et codent leur propre transfert, même entre des espèces bactériennes non apparentées. C'est la conjugaison bactérienne. A la différence des virus, les plasmides ne tuent pas la cellule qu'ils occupent. Ce sont, eux aussi, des parasites dont l'évolution vise à assurer la survie. Parfois, grâce à des gènes sauteurs les transposons, ils acquièrent chez leur hôte de nouveaux gènes qui confèrent, après la conjugaison, un avantage à la bactérie receveuseI. C'est le cas de la résistance aux antibiotiques. Les bactéries du sol fabriquent des antibiotiques qui sont des armes chimiques contre leurs concurrentes. Depuis des temps immémoriaux, les gènes de résistance aux antibiotiques, qui équipent ces bactéries d'antidotes contre leurs propres toxines, ont été transférés naturellement d'une bactérie à l'autre, par l'intermédiaire de plasmides qui les avaient acquis grâce à des transposons de l'hôte. Le recours excessif aux antibiotiques, pour combattre les maladies infectieuses et pour accélérer la croissance du bétail, a conduit à l'apparition de nouvelles bactéries pathogènes multirésistantesII. Le plus souvent, la résistance ne résulte pas de mutations de novo transmises verticalement, comme dans le schéma néodarwinien, mais de la dissémination de gènes d'antibiorésistance dans des bactéries pathogènes. Ces gènes sont acquis naturellement par les germes pathogènes. Et s'ils se répandent, c'est grâce à une sélection artificielle favorisée par leur nouvel avantage génétique, lequel n'est d'ailleurs nouveau qu'en raison de la nouvelle utilisation de ces antibiotiques pour combattre les maladies infectieuses.
La plupart des plantes transgéniques possèdent les gènes de résistance aux antibiotiques qui ont servi à identifier les cellules végétales ayant effectivement incorporé le " transgène " d'intérêt agronomique voir l'article de Francine Casse p. 35 . On s'est inquiété à l'idée que la consommation de ces plantes pourrait permettre à des bactéries pathogènes d'acquérir une résistance aux antibiotiques. Comme on l'a vu plus haut, il est très probable que la transmission entre bactéries est plus efficace. Mais il y a là une leçon à retenir en ce qui concerne la pollution génétique : la dissémination des gènes dans la nature, par croisement entre des plantes transgéniques et des variétés sauvages cousines, doit-elle inquiéter dans tous les cas ? Ou les craintes ne se justifient-elles que si ce transfert confère un avantage sélectif à la plante receveuse ?
La transmission horizontale peut aussi se produire à une échelle plus vaste que le simple transfert de quelques mots ou gènes : la langue anglaise, née de l'invasion normande en 1066, est un hybride qui réunit les mots du français normand et de l'anglais ancien au caractère plus germanique. Et les mots venant de ces deux sources et désignant le même objet ont acquis des fonctions nouvelles. Ainsi, pour des animaux comme le porc, le mouton et le boeuf, les vieux mots anglais pig , sheep , ox se sont conservés pour désigner l'animal vivant, dont l'élevage revenait aux paysans anglo-saxons. Tandis que les mots d'origine française pork , mutton , beef se sont spécialisés pour désigner la viande de ces mêmes animaux, mets de l'aristocratie normande.
De grandes " invasions normandes " sont fréquentes parmi les plantes : on estime que le tiers environ des espèces végétales vivantes ont évolué à partir d'hybrides naturels. Au contraire des hybrides animaux, comme le mulet croisement du cheval et de l'âne, les plantes hybrides ne sont pas forcément stériles. Les sélectionneurs de végétaux ont abondamment exploité cette propriété. Ainsi, le blé moderne comporte de longs fragments d'ADN d'une autre céréale, le seigle. Et ce n'est pas le résultat des techniques de génie génétique mais simplement, au début du siècle, des moyens classiques de la sélection végétale : on a croisé le blé avec le seigle, puis on a opéré des rétrocroisements répétés entre l'hybride et le blé. Le résultat est assez proche de celui qui aurait été obtenu par manipulations génétiques, même si la technique est différente.
Des invasions encore plus importantes se sont produites dans la nature il y a 1,5 milliard d'années lorsqu'une cellule en a avalée une autre. La cellule avalée a gardé une identité distincte et s'est transformée en organite : ce sont les mitochondries et, chez les plantes, les chloroplastesIII. Progressivement, à mesure que ces associations cellulaires évoluaient, des gènes des organites sont passés horizontalement, à l'intérieur de la cellule, jusqu'au génome du noyau. Arrivés là, s'ils gardaient leur fonction et si la protéine dont ils commandaient la synthèse pouvait revenir à l'organite auquel elle était nécessaire, la pression de sélection n'exigeait plus que ces gènes restent dans l'organite, et le génome de celui-ci s'est donc régulièrement réduit. Les programmes de séquençage du génome révèlent que, si l'on remonte encore plus loin dans le temps, notre représentation de la phylogénie bactérienne se déforme à mesure que l'on acquiert la preuve de transferts géniques horizontaux entre bactéries1.
Dans le langage, les mots ne sont pas tous acquis naturellement : certains sont inventés, en recombinant des racines puisées dans le vocabulaire classique grec et latin. C'est le cas par exemple du mot " graphème ", qui désigne les symboles graphiques de cette page, lesquels servent à encoder les " phonèmes " prononcés si la page est lue à haute voix. A l'usage, beaucoup de graphèmes recombinants, comme téléphone ou télévision, ne provoquent plus aucune gêne et sont perçus comme quasi naturels.
De la même manière, les PGM qui portent les gènes d'autres organismes résultent d'une transmission horizontale artificielle de gènes recombinants. Dans une étude pilote, nous avons fabriqué des plants de tabac transgéniques résistants aux virus. Nous avons inséré dans l'ADN de la plante un gène de réplication virale et nous l'avons modifié de façon à empêcher les virus invasifs de synthétiser la protéine nécessaire à leur réplication. L'expérience a fonctionné comme prévu : les attaquants des plantes transgéniques n'ont pas pu s'y multiplier2,3.
Curieusement, c'est à ce moment que nous avons découvert, dans les plants de tabac non modifiés, des séquences d'ADN très similaires à celles que nous avions introduites artificiellement, et présentes à des centaines d'exemplaires4 ! Nous avons trouvé les mêmes séquences dans trois autres espèces végétales, toutes trois très proches du tabac5. Ces séquences étaient-elles vraiment d'origine virale, et étaient-elles apparentées les unes aux autres ?
La comparaison des séquences d'ADN est un puissant outil d'étude de la phylogenèse, c'est-à-dire de la construction des arbres généalogiques établissant les liens entre organismes. La puissance de cette méthode est illustrée par la comparaison du verbe " aimer " au présent de l'indicatif dans huit langues latines modernes et en latin. Il n'est pas utile de bien connaître ces langues, ni même de savoir que le latin en est l'ancêtre commun, pour repérer que c'est le sarde qui ressemble le plus au latin ; que l'espagnol et le portugais sont les deux langues les plus proches l'une de l'autre et qu'avec l'italien elles viennent en deuxième position pour la ressemblance au latin ; que le provençal et le catalan constituent une autre paire de langues soeurs, mais plus éloignées du latin, et que le français, bien que nettement apparenté au latin, en est encore plus éloigné et qu'il est distinct de toutes les autres langues. Bien qu'il s'agisse d'une langue latine, le roumain montre que ce type d'analyse peut également mettre en évidence des transmissions horizontales : dans le cas présent, la langue est influencée par ses voisines slaves pour le verbe mais, pour ce qui est des noms, " amour " se dit amor et " amoureux " ou " amant " se dit amante .
Nous avons constaté que les séquences d'ADN que nous avions découvertes dans le tabac et les plantes voisines étaient toutes fortement apparentées et qu'en outre elles étaient très proches d'une sous-sous-famille de virus présents dans le Nouveau Monde, là où le tabac était apparu. Ces espèces végétales portaient toutes ces séquences virales au même emplacement d'un chromosome homologue. Elles étaient donc forcément issues d'un seul et même événement6,7.
Nos résultats semblent indiquer qu'il y a environ cinq millions d'années un puceron a piqué une plante et lui a transmis le virus. Certaines cellules infectées ont survécu mais pas avant qu'une séquence virale se soit insérée en plusieurs exemplaires dans un seul chromosome. Ainsi génétiquement modifiées, les cellules végétales ont dž donner naissance à des cellules d'où sont issues des fleurs qui ont produit des graines porteuses de ce nouvel ADN. Ces graines ont germé et de nouvelles plantes sont apparues. Que ce soit par hasard ou en raison d'un nouvel avantage ainsi acquis, les plantes porteuses de ces gènes ont fini par prédominer, et tous les représentants de l'espèce ont fini par avoir les nouveaux gènes. Cette espèce végétale était l'ancêtre lointain dont l'évolution a abouti aux quatre espèces distinctes aujourd'hui porteuses de ces séquences.
Si la domination de la nouvelle plante était due au hasard, elle n'a pu se produire que dans une population fondatrice de très petite taille. Si elle a résulté d'un avantage acquis, on en est réduit aux hypothèses quant à sa nature : le transfert génique accidentel a peut-être donné naissance à des plantes résistantes à l'infection virale par des mécanismes similaires à ceux que nous avions mis en place expérimentalement. Bien que désormais inertes, les anciennes séquences virales ne l'ont peut-être pas toujours été.
Il n'est pas très étonnant d'avoir découvert des séquences d'ADN viral dans des plantes. Les virus sont des agents très performants pour introduire des gènes dans une cellule. Cela n'a pas échappé aux chercheurs qui utilisent des virus animaux comme vecteurs de thérapie génique. De plus, la nature est riche d'exemples de bactéries et d'animaux dont le génome contient de l'ADN viral. Chez l'animal, le cycle de vie de certains virus à ARN, les rétrovirus, passe par l'insertion d'une copie de cet ARN sous forme d'ADN en un site cible de leur hôte. Certains virus à ADN, les pararétrovirus, se répliquent en passant par un ARN intermédiaire et, comme les rétrovirus, ils peuvent copier cet ARN sous forme d'ADN. Mais à la différence des rétrovirus, ils ne sont pas programmés pour s'intégrer à l'ADN de leur hôte. Pourtant, on a récemment découvert des pararétrovirus dans le génome de la banane et du tabac. Chez les plantes, ce type de transfert génétique horizontal pourrait être plus fréquent qu'on ne le pensait8,9,10.
Existe-t-il d'autres exemples de transfert génétique horizontal vers les plantes ? Absolument. Des bactéries du sol, les agrobactéries, font naturellement des manipulations génétiques. Elles portent un gros plasmide. Lorsqu'elles infectent une plante blessée, une partie de ce plasmide est transférée dans les cellules végétales. Ces dernières expriment alors des gènes bactériens commandant la synthèse d'enzymes, avec pour conséquence la formation d'une tumeur bénigne, la maladie du collet et des racines. C'est ce transfert génique naturel que les biologistes mettent à profit dans l'une des techniques de fabrication de plantes transgéniques. On modifie les bactéries en ajoutant le gène voulu et ce sont elles qui transfèrent ce gène aux cellules végétales, à partir desquelles on régénère une plante transgénique. Là encore, la nature a fait elle-même l'expérience, pour produire des plantes génétiquement modifiées. Dans la tumeur bactérienne du collet et des racines, l'ADN bactérien ne s'introduit en principe que dans une partie de la plante. Mais, à un moment ou à un autre de l'évolution, ce tissu tumoral a dž transmettre l'ADN bactérien, via la lignée germinale, à un ancêtre du tabac et des espèces apparentées qui sont toutes porteuses de ces séquences11.
Un ancien précurseur du tabac a donc acquis, à des moments différents, des séquences de deux virus non apparentés et celle de l'agrobactérie puis, par spéciation, il a donné naissance au tabac et aux espèces voisines. Comme les plantes s'hybrident facilement entre espèces proches, ces événements peuvent donc aussi se transmettre d'une espèce à l'autre. Mais on connaît l'histoire classique du monsieur rationnel qui a perdu ses clés dans la rue la nuit et qui ne les recherche que sous les réverbères, seul endroit où il pourrait les voir. De la même façon, les événements naturels correspondant à un transfert génétique horizontal au cours de l'évolution des plantes n'ont jusqu'à présent été détectés qu'au hasard de l'éclairage apporté par des expériences particulières. C'est peut-être pour cette raison que le tabac, plante très étudiée, paraît avoir été sujet à tant de transferts géniques horizontaux.
Comment savoir si le transfert horizontal de gènes vers les plantes est très répandu dans la nature ? Une étude révèle une vague massive, et relativement récente, de transferts horizontaux depuis les champignons vers les mitochondries des végétaux12. Là encore, l'ADN transféré est très mobile car il code une enzyme qui reconnaît et excise une séquence bien précise, et très conservée, d'ADN mitochondrial. Pour réparer cette coupure, l'élément mobile est copié dans ce nouveau site. On ignore encore tout de l'agent qui a, en tant d'occasions indépendantes, transféré cet ADN des champignons vers des plantes.
L'aboutissement de plusieurs projets de séquençage génomique, dont celui, imminent, de la plante Arabidopsis thaliana , ont conduit Avraham Levy et Eitan Rubin, de l'Institut Weizmann en Isra‘l, à tourner sur l'obscurité de notre ignorance la pleine puissance des projecteurs de la bioinformatique13. Leur but était de rechercher de façon systématique de tels phénomènes de transfert horizontal. Ils estiment que si ces événements sont assez fréquents, certains d'entre eux se sont peut-être fixés dans le génome de diverses espèces, et que s'ils sont suffisamment récents de 10 à 20 millions d'années, ils pourraient être restés assez similaires pour être détectés. Ces chercheurs se sont donné des critères stricts, imposant de laisser de côté l'ADN des virus, des mitochondries et des chloroplastes, et de ne prendre en compte que les séquences présentes dans seulement deux règnes* au-delà, il y aurait possibilité d'une transmission verticale à partir d'un ancêtre commun. Ils ont comparé les bases de données sur les plantes, les animaux, les bactéries et les champignons. Leur analyse n'a trouvé qu'un nombre étonnamment faible d'exemples de transmission horizontale de gènes entre règnes, dont deux étaient déjà connus : l'un était celui, évoqué plus haut, du transfert génique des agrobactéries vers le tabac. Résultat rassurant : c'est le seul exemple connu d'un tel transfert génétique vers des végétaux supérieurs. Leur travail a également retrouvé l'autre exemple connu, celui d'un transfert de gène bactérien vers des champignons ; il s'agissait en l'occurrence du transfert d'une xylynase - une enzyme dégradant les sucres qui pouvaient être utiles aux champignons. Parmi les quelques cas découverts, il n'y avait pas d'exemple convaincant d'un transfert de gènes depuis des plantes vers des mammifères. On est donc porté à penser que, malgré les grandes quantités d'ADN végétal ingérées par les mammifères au cours de l'évolution, aucun transfert génique horizontal ne s'est fixé dans une espèce.
Ce ne sont sans doute pas les occasions de transfert horizontal qui limitent la fréquence du phénomène dans la nature. C'est plutôt le rejet de la " greffe génétique ", quand elle n'offre aucun atout dans la dure arène de la sélection naturelle. L'espéranto est l'exemple d'une langue " fabriquée " avec des objectifs admirables, mais comme elle n'offre aucun avantage sélectif, elle n'est guère parlée. A l'inverse, et malgré la vive résistance opposée par les puristes, de nouveaux mots s'installent dans la langue parlée, en raison de la forte pression de sélection exercée par la culture populaire. En dépit de l'Académie française, des mots anglais comme " week-end " ou " snack-bar " ont depuis longtemps fait leur entrée dans le dictionnaire. L'Académie a proposé baladeur pour Walkman, mais sans succès, et des mots proposés plus récemment pour le vocabulaire d'Internet toile pour Web , mel ou courriel pour e-mail ou courrier électronique, cédérom pour CD-ROM n'ont pas, eux non plus, réussi à supplanter les envahisseurs étrangers. Que peut-on en déduire pour la pollution génétique ?
Des gènes étrangers peuvent-ils s'échapper dans la nature à partir de plantes transgéniques ? Lorsqu'elles sont cultivées dans des régions où des plantes sauvages apparentées sont endémiques, c'est certain, et le phénomène sera difficile à contenirIV. C'est le cas en Europe pour le colza et les espèces sauvages proches, mais pas pour le ma•s, qui n'y a pas de cousins sauvages. Mais les cultures transgéniques ne sont pas les seules à laisser échapper des gènes. Du fait de la sélection dont elles ont été l'objet, et même de l'existence d'hybrides interespèces comme entre le blé et le seigle, les plantes cultivées sont déjà génétiquement différentes des variétés sauvages. La pollution génétique par transfert de gènes des plantes cultivées vers leurs cousines sauvages remonte donc aux débuts de l'agriculture. Mais les plantes cultivées n'ont pas la robustesse des variétés sauvages, et ne réussiraient pas dans la lutte pour la survie qui se déroule hors champ. Ce sont des variétés délicates, et leur destin serait celui de l'espéranto.
Les gènes de résistance aux herbicides vont-ils se répandre et provoquer l'apparition de super mauvaises herbes ? Avec l'avantage qu'ils confèrent, vont-ils prospérer et se répandre comme le mot " Walkman " ? Les variétés sauvages qui acquerront ces gènes par des croisements interespèces survivront aux désherbants et se multiplieront. L'herbicide deviendra donc rapidement de moins en moins efficace et devra être remplacé par un autre. En revanche, l'acquisition des gènes n'apporte aux plantes hors champ, et non soumises au traitement herbicide, aucun avantage sélectif leur permettant de proliférer. On voit donc mal comment elles pourraient perturber l'écosystème naturel. En fait, une résistance aux herbicides peut apparaître spontanément, aussi bien chez les mauvaises herbes que chez les plantes cultivées, simplement par sélection de mutations aléatoires, après l'application répétée d'un même herbicide. On le sait depuis cinquante ans14. Mais cela n'a pas eu d'effets écologiques indésirables.
Il se parle quelque 6 000 langues à travers le monde, mais beaucoup sont au bord de l'extinction et il n'en survivra probablement guère plus de 3 000 à la fin du siècle prochain. La menace tient en grande partie à l'invasion des grandes langues mondiales, par assimilation culturelle. De même, des envahisseurs végétaux, souvent introduits par des jardiniers, sont une menace pour les plantes indigènes et peuvent modifier profondément la biodiversité des écosystèmes naturels. Ces envahisseurs ne se répandent pas pour la seule raison qu'ils sont étrangers, mais seulement s'ils ont un avantage compétitif, acquis par sélection naturelle dans leur habitat d'origine. Ces " étrangers " peuvent aussi s'hybrider avec les espèces indigènes. C'est une pollution génétique, non pas gène par gène, mais à l'échelle du génome entier. Et cela n'a rien à voir avec les PGM.
Les techniques de génie génétique ne sont donc pas intrinsèquement dangereuses, ni foncièrement différentes de ce qui se passe dans la nature ou avec les techniques classiques de sélection des espèces en agriculture. Il ne faut pas être éclectique dans le choix de nos craintes : les nouvelles technologies doivent être évaluées de manière rationnelle et informée, et replacées dans le contexte des menaces plus sérieuses que font peser sur les écosystèmes l'activité industrielle et les cultures actuelles, saturées d'herbicides, de pesticides et autres produits chimiques. Cela dit, bien qu'ils ne soient pas par essence plus dangereux pour l'homme que les produits de notre agriculture intensive, il ne serait pas raisonnable d'affirmer que toutes les PGM sont par nature sans danger. Les aliments qui en contiennent doivent faire l'objet des mêmes précautions que tous les aliments nouveaux et doivent être clairement étiquetés pour que les consommateurs puissent faire leur choix, comme pour les produits issus de l'agriculture biologique.
Quant à savoir si la mondialisation et les fusions industrielles menacent la libre concurrence, cela sort du domaine du présent article, et la question ne se borne pas à l'industrie agroalimentaire. Les gouvernements ont le pouvoir d'imposer des réglementations antimonopole et de s'opposer à toute exploitation malhonnête. Il existe aujourd'hui une mode antiscientifique et une tendance au repli sur le mysticisme et la superstition. Les gens n'ont pas de connaissances scientifiques de base, notamment en biologie. La société change, la culture change, la langue change, les espèces changent, et cela nous désole car nous sommes des sentimentaux.
Par C. P. L.
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LA MÉMOIRE |
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Les dedales de la memoire
voir dans le cerveau - par Leslie G. Ungerleider dans mensuel n°289 daté juillet 1996 à la page 70 (2928 mots)
Où est emmagasinée dans le cerveau l'information qui indique que les bananes sont jaunes ? Ou encore que les chevaux galopent ? Nombre d'études utilisent l'imagerie fonctionnelle pour explorer la mémoire humaine. Il est ainsi possible de suivre l'activité cérébrale lorsqu'une personne apprend un geste simple ou retient un numéro de téléphone pour quelques secondes. Et de comparer les images obtenues chez l'homme avec la somme de connaissances accumulées chez l'animal, en particulier chez les singes.
L'imagerie du cerveau humain a connu une croissance explosive. Dans certains cas, l'objectif est de dresser des cartes du cerveau : on assigne des fonctions précises aux différentes structures, selon qu'elles sont activées ou désactivées lors d'une tâche donnée lire un mot, entendre un son, bouger le petit doigt.... Mais pour nous, chercheurs en neurosciences, il est aussi crucial de comprendre les mécanismes sous-jacents à l'échelle des neurones qui se cachent derrière ces changements d'activité. Dans cette optique, que nous apprend l'imagerie cérébrale sur la mémoire ? Le tableau réserve quelques puzzles et surprises1.
Gardons à l'esprit qu'avec l'imagerie cérébrale, nous ne mesurons pas l'activité des neurones, mais des modifications du flux sanguin dans le cerveau en tomographie par émission de positons, TEP, par exemple ou de l'oxygénation du sang en imagerie fonctionnelle par résonance magnétique, IRMf. Le lien entre ces changements hémodynamiques et les processus physiologiques n'est pas encore très clair. Autre limite : les faibles précisions dans l'espace environ 2 mm pour l'IRMf et dans le temps délai de 4 à 8 secondes de l'imagerie, comparées à celles obtenues dans les études chez l'animal en mesurant directement l'activité électrique des neurones. Pourtant, l'imagerie fonctionnelle permet d'étudier le cerveau humain au travail et, on l'espère, de combler le fossé entre les expériences chez l'animal en particulier le singe et les observations chez l'homme.
Prenons le cas de la mémoire visuelle. Comment nos connaissances sur les objets forme, couleur, emplacement, mouvements, etc. sont-elles stockées dans le cerveauI ? Les informations en provenance de la rétine arrivent à l'arrière du cortex cérébral, dans le cortex visuel. En gros, son organisation, telle qu'on la découvre chez l'homme par imagerie et par l'étude de malades souffrant de lésions du cerveau, est remarquablement semblable à celle qu'on connaît chez le singe voir l'article de John Reppas et al. dans ce même numéro. L'information visuelle chemine dans deux grandes voies de traitement spécialisées, distinctes anatomiquement. L'une, la voie « ventrale », est cruciale pour identifier ce que l'on voit. L'autre, la voie « dorsale », nous sert, entre autres, à localiser dans l'espace les objets et à guider le bras pour les saisir. D'une façon simple, l'une des voies répond à la question « QUOI ? », l'autre à la question « OU ? ». De plus, l'ensemble du cortex visuel comprend au moins trente zones, analogues chez l'homme et chez les singes, avec chacune sa spécialité : perception des formes, des couleurs, des visages, analyse des mouvements, etc.
Ainsi, la détermination du sexe d'une personne d'après les traits de son visage active chez l'homme une zone précise, la surface ventrale du cortex temporal postérieur ; l'identification d'un visage connu active une région plus antérieure du cortex temporal ventral ; et retrouver des connaissances sur un individu, comme sa profession, active des régions situées encore plus en avant dans le gyrus parahippocampique et le lobe temporal.
Est-ce à dire que le cerveau humain n'est qu'un gros cerveau de singe, du moins pour le volet visuel ? En fait, le trait distinctif pourrait être justement le type d'information traité et finalement stocké en mémoire. Ainsi, on pense - possibilité fascinante - qu'il existe, dans le cerveau de l'homme, des zones spécialisées dans la reconnaissance visuelle des mots écrits. L'idée est venue de l'observation des personnes frappées d'« alexie ». Incapables de lire car elles ne reconnaissent pas les mots, elles ont souvent des lésions dans une même zone du cortex visuel, la partie médiane gauche du cortex occipito-temporal. En 1990, S.E. Petersen et ses collègues ont observé que cette même zone est activée lorsque les personnes regardent des mots écrits2. Cette zone est très sélective, puisqu'elle reste « muette » si l'on présente non pas des mots, mais des groupes de lettres disposées au hasard, ou encore des alignements de formes ressemblant à des lettres. D'après son emplacement, la même région du cortex doit, chez le singe, remplir des fonctions plus générales de reconnaissance visuelle. En revanche, chez l'homme, une zone spécialisée dans la perception visuelle des mots n'a de toute évidence pas pu évoluer tout exprès pour les besoins de la lecture. Il faut donc admettre qu'elle se développe chez l'enfant, lorsque ce dernier apprend à lire.
Si l'apprentissage de la lecture peut amener une région du cortex à se spécialiser dans la reconnaissance des mots, on peut se demander comment fonctionne, de façon plus générale, la mémoire visuelle. Où est stockée l'information indiquant que la banane est jaune ou que les chevaux galopent ? Tout récemment, notre équipe s'est penchée sur la question en utilisant la TEP3. Dans l'expérience, des objets dessinés au trait noir sont montrés à des sujets volontaires. Ils doivent alors nommer soit une couleur, soit une action typiquement associée à ces objets. Résultat : lorsqu'ils nomment - et donc se rappellent - une couleur, une zone d'activation apparaît au niveau de la région ventrale du cortex visuel. Cette activation n'apparaît pas n'importe où, mais juste en avant de la région impliquée dans la perception des couleurs. S'ils citent une action, la zone activée est située juste à côté de celle impliquée dans la perception du mouvement fig. 2. Cela suggère que les informations sur les différents attributs visuels d'un même objet couleur, mouvement, etc. ne sont pas stockées de façon unifiée en un seul point du cortex. Au contraire, les connaissances paraissent plutôt distribuées dans le cortex céré- bral, selon un système de stockage de l'information où chaque attribut de l'objet est gardé en mémoire tout près de la région responsable de la perception de ce même attribut ; la couleur jaune de la banane à côté de la région responsable de la vision des couleurs, le galop du cheval à côté de celle spécialisée dans les mouvements... Reste à relier le tout pour créer une représentation mentale complète de l'objet, et aboutir par exemple au concept de « banane ». Apprendre ce concept nécessite aussi de lier la couleur jaune à d'autres types d'informations, comme la forme, la valeur alimentaire, etc., qui sont stockées dans des régions diverses du cortex cérébral. L'hippocampe, structure située sur la face interne des lobes temporaux du cortex et site de convergence de tous les types d'informations sensorielles, jouerait un rôle crucial pour établir ces liens. Cette région, selon les résultats d'une étude récente en TEP, pourrait non seulement faciliter l'emmagasinage des souvenirs, mais aussi permettre leur récupération4.
Peut-on aller plus loin et entrevoir, grâce aux techniques d'imagerie fonctionnelle, comment se fait la mémorisation ? S'accompagne-t-elle de changements détectables dans les parties du cortex qui traitent les informations sensorielles ?
Récemment, notre groupe a étudié en IRMf un type de mémoire non consciente, l'effet de facilitation5. C'est ce type de mémoire qui fait qu'on est plus rapide à nommer des objets, ou à réagir à des sons, si on les a déjà vus ou entendus auparavant. Point caractéristique, les performances s'améliorent même si l'on ne se souvient pas d'avoir vu l'objet ou entendu le son on parle de mémoire implicite.
Dans l'expérience, les volontaires doivent regarder des objets dessinés au trait et les nommer. Les dessins sont soit toujours les mêmes et présentés dans un ordre aléatoire, soit à chaque fois nouveaux. Comme prévu, les réponses sont plus rapides quand les mêmes dessins reviennent périodiquement. Mais les résultats de l'imagerie cérébrale paraissent surprenants. A mesure que les performances s'améliorent, les régions du cortex correspondant à la voie ventrale la voie du « quoi ? », justement impliquée dans la reconnaissance des objets sont de moins en moins activées. A l'aide de la TEP, Larry Squire, de l'université de Californie à San Diego, et Randy Buckner dans le laboratoire de Marcus Raichle, à l'université Washington à Saint Louis, sont arrivés aux mêmes conclusions en présentant des fragments de mots6,7.
Il peut paraître paradoxal que l'acquisition d'une expérience soit associée à une baisse d'activation du cerveau. Cela l'est moins si l'on raisonne de façon intuitive, en termes d'économie d'énergie. Imaginez une situation où l'activation cérébrale serait maximale lorsque l'individu est plongé dans un environnement familier, et minimale quand il est confronté à une situation totalement nouvelle !
De fait, les résultats des études chez le singe sont conformes à l'idée qu'une part moins grande du cortex est nécessaire pour traiter les stimulations familières, parce que les neurones mis en jeu sont devenus plus sélectifs. Lorsqu'un stimulus nouveau devient familier pour le singe, l'activité électrique de certains neurones - mais pas tous - décroît graduellement8-10. A mesure que l'animal apprend les traits caractéristiques d'un nouvel objet, les neurones activés par des traits peu pertinents sont progressivement mis hors jeu, laissant place à une population de neurones plus petite, mais plus sélective8. La chute d'activation observée lors des études d'imagerie cérébrale chez l'homme s'explique donc probablement par la diminution du nombre total de neurones actifs. Cette « économie neuronale » expliquerait l'amélioration des performances.
L'idée est séduisante sur le plan intuitif. Elle paraît toutefois en contradiction avec les travaux sur un autre type de mémoire, en apparence très proche : l'apprentissage du « savoir-faire », c'est-à-dire d'habiletés motrices ou perceptives voir l'article de Thomas Elbert et Brigitte Rockstroh dans ce numéro. Cette fois-ci, c'est exactement l'inverse, soit une expansion de la région cérébrale activée, qui a été observée en imagerie. De telles données ont été publiées l'année dernière par Avi Karni et ses collègues, du NIH à Bethesda11. Dans l'expérience, les participants doivent apprendre à pianoter avec les doigts d'une main, en suivant une séquence précise de mouvements. Au fil des semaines d'entraînement, ils réussissent à exécuter les mouvements de plus en plus vite. Une fois par semaine, les su-jets subissent une séance d'IRMf. La séquence apprise - ainsi qu'une suite de mouvements contrôle - doit être exécutée lentement lors de la session d'enregistrement. Résultats : avant l'entraînement, l'exécution du geste produit des points d'activation dans la partie motrice du cortex cérébral aire primaire, M1, dans la région précise qui contrôle l'exécution des mouvements de la main. Rien que de très attendu. En revanche, après l'entraînement, lorsque le volontaire répète la séquence apprise, la région activée augmente de taille, remplissant les espaces entre les points d'activation fig. 3. Point important, cette expansion s'observe uniquement dans le cas de la séquence apprise. Ce n'est donc pas la représentation neuronale des doigts, mais bien celle de la séquence motrice qui s'agrandit. Ici encore, ces résultats sont en accord avec des expériences effectuées ces dernières années chez les singes.
Comment réconcilier ces résultats à première vue contradictoires, baisse de l'activation du cortex cérébral quand un objet devient familier et, à l'inverse, hausse de l'activation lors de l'apprentissage d'un savoir-faire manuel ? En fait, dans le cas de l'habileté manuelle, Karni et ses collègues observent bien, au cours des trente premières minutes de la première séance d'imagerie, une chute fugace de l'activation dans la zone motrice. L'activation baisse lorsque le volontaire répète les mouvements pour la deuxième fois. Puis la situation s'inverse au cours de la même séance et l'activation tend à augmenter. Cela suggère que l'apprentissage se fait en deux temps. Dans une première phase, très brève, l'activation du cortex diminuerait pour se concentrer sur une population de neurones plus petite : ceux qui représentent le mieux le stimulus ou le mouvement. Viendrait ensuite une phase plus lente, durant laquelle de nouveaux neurones seraient peu à peu incorporés au réseau. Une telle expansion paraît d'ailleurs logique : si des zones du cortex visuel peuvent, chez l'homme, se spécialiser dans le traitement de la forme des mots et d'autres caractéristiques des objets, un certain type d'expansion des représentations sensorielles dans le cortex doit être possible.
Ce qui précède a trait à la formation de souvenirs durables. Mais nous avons souvent besoin de retenir une information pendant un instant seulement, avant de nous en débarrasser. Par exemple un numéro de téléphone lu dans l'annuaire et que l'on s'apprête à composer. On parle alors de « mémoire de travail », celle qui assure le maintien actif de souvenirs à court terme. Grâce à l'imagerie cérébrale, les composantes anatomiques de ce type de mémoire commencent à être identifiées, particulièrement dans le cas de tâches verbales12-14.
L'étude de la mémoire de travail chez les singes avait déjà pointé du doigt une structure située à l'avant du cerveau, dans le lobe frontal, le cortex préfrontal. Ces expériences utilisent une tâche de « non-appariement différé à l'échantillon » delayed non-matching-to-sample . On présente à l'animal un signal bref, par exemple un point lumineux sur un écran, dont il doit mémoriser l'emplacement pendant plusieurs secondes. Au bout de ce délai, le singe doit choisir, entre deux nouveaux points lumineux, celui qui n'est pas au même emplacement.
En suivant ce type de protocole, de nombreuses équipes ont trouvé dans le cortex du singe des neurones dont l'activité électrique, déclenchée par le signal, se maintient durant toute la durée du délai. Ainsi, il semble que la mémoire du signal perdure grâce au maintien de l'activité de certains neurones. Selon le type de signal utilisé pour l'expérience, des neurones dotés de cette propriété ont été trouvés en différents points du cortex : dans la voie « dorsale » pour les indices de nature visuo-spatiale, dans la voie « ventrale » pour les formes visuelles ou les couleurs. Mais dans tous les cas, quel que soit le signal, on retrouve de tels neurones dans le cortex préfrontal. Cette structure semble capitale car pendant le délai d'attente, son activation persiste mieux qu'ailleurs dans le cortex, et ne cesse pas même si on présente au singe d'autres signaux visuels. De façon intéressante, on y observe une distribution des rôles selon le type de signal mémorisé15. Quand il s'agit d'une information spatiale, c'est la partie dorsale du cortex préfrontal qui est activée pendant le délai d'attente. Cette région est justement connectée à la voie « dorsale » du cortex visuel, impliquée dans la localisation des objets.
A l'inverse, quand le signal est une forme ou une couleur, c'est la partie ventrale du cortex préfrontal qui est activée. Celle-là même qui est en connexion avec la voie « ventrale » du cortex visuel, qui traite la forme ou la couleur des objets. Le cortex préfrontal semble donc être le réel instigateur de l'activité cérébrale dans les régions sensorielles pendant la période où le signal est gardé en mémoire.
Qu'en est-il chez l'homme ? La partie frontale du cortex joue-t-elle aussi un rôle clé dans la mémoire de travail ? Effectivement, cette région du cortex paraît cruciale pour « garder en tête » une information. Plusieurs travaux d'imagerie cérébrale ont maintenant montré que le cortex préfrontal est activé lors de tâches impliquant la mémoire de travail visuelle. Comme chez le singe, l'imagerie montre une activation de sa partie dorsale lorsque l'information est de type spatial, et d'une zone plus ventrale lorsque c'est un visage qui doit être mémorisé fig. 416.
Dans notre laboratoire, nous avons exploré les rôles respectifs du cortex préfrontal et du cortex visuel dans la mémoire de travail. Pour cela, nous avons refait des études d'imagerie en utilisant toujours le même type de protocole, mais en faisant varier le délai entre le signal un visage et la réponse un choix entre deux visages. Plus le délai est long, plus le visage doit être gardé longtemps en mémoire.
Nos résultats renforcent l'idée que le cortex préfrontal joue ici un rôle important17. En effet, à mesure que le délai augmente, l'activation du cortex visuel dans la voie ventrale s'évanouit, alors que celle du cortex préfrontal persiste. L'interprétation probable est que les aires visuelles sont surtout impliquées dans l'aspect perceptif de la tâche, et les zones frontales, surtout dans la mémorisation. Apparemment, les techniques d'imagerie sont capables de détecter la forte activité des neurones du cortex préfrontal, mais elles ne sont pas assez sensibles pour relever la faible activité qui persiste dans la voie visuelle pendant l'attente.
Chez le singe comme chez l'homme, on peut ébaucher un scénario probable de la mémoire de travail. Après activation des aires visuelles du cortex par un objet, lorsque nous gardons l'image en tête, le cortex préfrontal s'active lui aussi, et maintient probablement la représentation mentale de l'objet en activant en retour le cortex visuel.
Les neurones du cortex préfrontal pourraient jouer un rôle analogue dans la mémoire à long terme. Par exemple lorsqu'on se rappelle, de façon consciente, une expérience passée ou un tableau vu dans une exposition. De très nombreuses études ont montré la participation du cortex préfrontal dans l'encodage et le rappel des souvenirs. Plus précisément, le côté gauche est activé lors de l'encodage de l'information, qu'elle soit de nature verbale ou visuelle, et la partie droite lors de son rappel. L'activité du cortex préfrontal paraît alors corrélée à l'effort que l'on fait pour retrouver l'information en mémoire.
Il reste un mystère de taille. Comment le cortex préfrontal « sait-il » quels neurones visuels activer pour rappeler tel souvenir ? Tâche difficile quand on pense qu'avec le stockage de nouveaux souvenirs, les représentations des objets dans les aires visuelles doivent constamment se modifier. Ce type de question sert surtout à nous rappeler l'étendue de notre ignorance sur la coordination des activités au sein de la multitude d'aires que contient le cortex cérébral. De nombreuses études combinées sur l'homme et l'animal seront nécessaires pour répondre à ces questions.
Par Leslie G. Ungerleider
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