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La musique pour soigner la mémoire
Grâce aux travaux des neurosciences, on sait aujourd'hui que l'exposition à la musique a des effets positifs sur la mémoire, notamment chez les personnes atteintes d'Alzheimer. Le point sur les dernières découvertes, dans cet article qui figure dans le Top 10 des contenus les plus lus sur notre site cette année.
La musique aurait-elle ce pouvoir extraordinaire de s’enraciner profondément dans notre mémoire et de réactiver des capacités cognitives qu’on croyait perdues à jamais ? Dans les institutions qui accueillent les malades d’Alzheimer, il est fréquent de voir des patients entonner avec une vitalité inattendue La Java bleue et autres chansons apprises dans leur jeunesse, alors qu’ils ne se souviennent plus de leur prénom. Dans le même registre, les cliniciens ont depuis longtemps constaté que certaines personnes victimes d’accident vasculaire cérébral (AVC) atteintes d’aphasie (troubles de la parole) étaient capables de fredonner les paroles de leurs chansons favorites sans difficulté d’élocution ou encore que des patients atteints par la maladie de Parkinson parvenaient à se déplacer lorsqu’ils synchronisaient leur marche sur un rythme ou un tempo musical. Comment expliquer ce phénomène ?
Le son traité de manière automatique par le cerveau
« Lorsque la musique nous parvient, précise Emmanuel Bigand1, professeur de psychologie cognitive à l’université de Bourgogne et directeur du Laboratoire d’études de l’apprentissage et du développement2, notre cerveau l’interprète à une vitesse de 250 millièmes de seconde, au cours de laquelle se joue une véritable symphonie neuronale. » Concrètement, le son est d’abord traité par le système auditif, puis interviennent différentes aires cérébrales impliquées dans la mémoire, les émotions, la motricité (la musique nous donne envie de battre du pied), le langage… sans compter l’activation des circuits neuronaux de la récompense (production de la dopamine) lorsque nous écoutons une musique plaisante.
La musique est traitée par notre cerveau de manière automatique, sur un mode involontaire, et stockée dans notre mémoire « implicite ». « Beaucoup de nos connaissances et de nos représentations musicales sont acquises par exposition naturelle, précise Emmanuel Bigand. Bien avant de naître, le bébé mémorise les œuvres musicales et est capable de les reconnaître un an après sa naissance, sans les avoir réentendues. À l’autre extrémité de la vie, même lorsque les activités linguistiques disparaissent, notamment aux stades avancés de la maladie d’Alzheimer, la musique reste accessible. Non seulement, elle redonne le goût de communiquer, de sourire et de chanter, mais elle parvient à réveiller la mémoire et les événements qui lui sont associés. »
La mémoire
musicale active les
deux hémisphères,
notamment la
région de Broca :
celle du langage.
Hervé Platel3, professeur de neuropsychologie à l’université de Caen, est l’un des premiers chercheurs, dans les années 1990, à avoir observé le cerveau exposé à la musique. Grâce à l’imagerie par résonance magnétique (IRM), il a identifié les réseaux du cerveau impliqués dans la perception et la mémoire musicale. Jusqu’alors, et de manière empirique, on considérait que le cerveau gauche était celui du langage (notamment l’aire de Broca et de Wernicke) et le droit, celui de la musique, or c’est plus compliqué que cela.
La mémoire musicale partage ainsi avec celle des mots des zones de l’hémisphère gauche qui permet notamment de nommer le nom de l’œuvre musicale, alors que l’hémisphère droit assure l’analyse perceptive (on reconnaît une mélodie). « Cette spécificité confère à la mémoire musicale, une supériorité par rapport à la mémoire verbale, détaille le chercheur. Lorsqu’un malade présente une lésion à l’hémisphère gauche (langage), les aires homologues droites ne compensent généralement pas ce déficit. En revanche, le malade pourra généralement toujours percevoir, mémoriser la musique (sans la nommer) et en retirer du plaisir. »
Une persistance étonnante chez les malades d’Alzheimer
Cette persistance de la mémoire musicale s’observe particulièrement chez les malades d’Alzheimer, y compris dans les situations d’apprentissage. Des travaux réalisés par l’équipe d’Hervé Platel, en collaboration avec le docteur Odile Letortu, médecin dans l’unité Alzheimer de la maison de retraite Les Pervenches (Calvados), ont en effet montré que des patients (cas modérés et sévères de la maladie) a priori incapables de mémoriser une nouvelle information réussissaient à apprendre des chansons nouvelles (d’une dizaine de lignes) en moins de huit semaines (huit séances d’une heure tente). Et fait encore plus étonnant : certains d’entre eux s’en souvenaient et pouvaient entonner les mélodies quatre mois après l’arrêt de l’atelier.
Ces résultats ont conduit les chercheurs caennais à répliquer l’expérience. Ils ont fait écouter à des malades de nouveaux extraits musicaux et verbaux (poèmes et livres audio) pendant huit jours (à raison d’une fois par jour). Et, une fois encore, ont constaté que « les malades éprouvaient un sentiment de familiarité avec les mélodies écoutées deux mois et demi plus tôt, détaille le chercheur. En revanche, ils ne gardaient plus aucun souvenir des poèmes et des histoires entendus, ce qui confirme l’étonnant pouvoir de la musique à s’inscrire durablement dans le cerveau ».
Une étude incluant un groupe de 40 malades d’Alzheimer (stades modérés et sévères) et un groupe de 20 patients appareillés est en cours pour identifier les aires impliquées dans l’acquisition de nouvelles informations. « La question qui se pose, s’interroge Hervé Platel, qui pilote cette recherche avec la chercheuse Mathilde Groussard, est de savoir si cette capacité d’apprentissage est liée aux zones cérébrales qui fonctionnent encore ou à un circuit de mémoire alternatif qui prendrait le relais. »
La musique contre le vieillissement cérébral
Quoi qu’il en soit, la mise en évidence de ces étonnantes aptitudes musicales chez les patients atteints par la maladie d’Alzheimer a favorisé la mise en place de nouvelles méthodes de prises en charge. Certaines structures d’accueil proposent désormais des dispositifs fondés sur la familiarisation comme l’utilisation d’une mélodie chantée familière pour aider à la ritualisation de l’activité toilette, ou la mise en place de bornes de musique spécifique à chaque salle d’activité afin d’aider les patients à se repérer dans l’espace et dans le temps.
Les sujets âgés
ayant une pratique
musicale de
quelques années
ont moins
de risque de
développer une
maladie neuro-
dégénérative.
Mais pour autant, peut-on parler d’effets thérapeutiques ? De nombreux travaux indiquent que, en cas de lésions cérébrales, la sollicitation des aires cérébrales impliquées dans le traitement de la musique avait un effet positif sur les aptitudes cognitives (attention, mémoire, traitement du langage) et contribuait à favoriser la plasticité cérébrale. « La répétition de stimuli musicaux contribue à favoriser les échanges d’informations entre les deux hémisphères et à augmenter le nombre de neurones qui assure cette communication, ce qui a pour effet de modifier la structure du cerveau. Chez les musiciens, ces modifications se traduisent par des changements visibles, sur le plan anatomique par exemple : une plus forte densité du corps calleux (réseau de fibres qui relient les deux hémisphères) par rapport aux non-musiciens », note Emmanuel Bigand.
En 2010, Hervé Platel et Mathilde Groussard ont pour la première fois mis en évidence l’effet de la pratique musicale sur la mémoire. Ils ont observé chez les musiciens une plus forte concentration de neurones dans l’hippocampe, région des processus mnésiques.
« Ce résultat confirme que la pratique de la musique stimule les circuits neuronaux de la mémoire et suggère qu’elle permettrait de contrer efficacement les effets du vieillissement cérébral. Plusieurs études ont ainsi montré que les sujets âgés ayant une pratique musicale de quelques années ont moins de risque de développer une maladie neurodégénérative », souligne le chercheur.
Des bénéfices à tous les âges
De même, la musique a des effets sur les aphasies (perte de l’usage de la parole) majoritairement consécutives aux AVC. En 2008, l’équipe de Teppo Sarkamo, du Centre de recherche sur le cerveau, à Helsinki, en Finlande, mettait en évidence les effets de récupération du fonctionnement cognitif et émotionnel de l’écoute musicale chez les victimes d’AVC.
Des travaux similaires ont lieu actuellement au CHU de Dijon sur l’impact d’une stimulation musicale précoce chez les patients touchés par un AVC. « Les premières observations montrent non seulement que les patients éprouvent du plaisir à écouter des musiques qui leur rappellent des souvenirs, mais qu’ils se mettent spontanément à fredonner ces mélodies, explique Emmanuel Bigand, qui pilote cette recherche. Cette réaction pourrait faciliter la réorganisation fonctionnelle indispensable à la restauration des compétences linguistiques. »
Alors devrions-nous tous écouter de la musique en boucle, chanter ou pratiquer un instrument pour stimuler notre cerveau et l’aider à lutter contre le vieillissement ? « Cela ne fait aucun doute », répondent de concert les chercheurs. « Les bénéfices sur le fonctionnement cognitif global du cerveau peuvent être observés à tous les âges, y compris chez les personnes âgées qui débutent tardivement la musique », précise Emmanuel Bigand, qui milite pour que, au même titre que le sport, la musique soit enseignée dès le plus jeune âge.
À lire aussi sur notre site : "Dans la tête de Dory, le poisson amnésique"
La Semaine de la mémoire, du 19 au 25 septembre 2016, à Caen
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et à Bordeaux et sa région
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Une semaine en compagnie de chercheurs venus du monde entier pour partager les recherches et les découvertes sur la mémoire auprès du grand public.
Notes
* 1.
Il a coordonné l’ouvrage Le Cerveau mélomane, paru en 2014 aux éditions Belin.
* 2.
Unité CNRS/Univ. de Bourgogne.
* 3.
Chercheur au laboratoire Neuropsychologie et imagerie de la mémoire (Inserm/EPHE/Unicaen), à l’université de Caen. Il est coauteur avec Francis Eustache et Bernard Lechevalier de l’ouvrage Le Cerveau musicien, paru en 2010 aux éditions De Boeck.
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