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L'EAU : UN LIQUIDE ORDINAIRE OU EXTRAORDINAIRE |
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L'EAU : UN LIQUIDE ORDINAIRE OU EXTRAORDINAIRE
L'eau est un liquide dont les propriétés sont tout à fait surprenantes, à la fois comme liquide pur et comme solvant. C'est un liquide très cohésif : ses températures de cristallisation et d'ébullition sont très élevées pour un liquide qui n'est ni ionique, ni métallique, et dont la masse molaire est faible. Cette cohésion est assurée par les liaisons hydrogène entre molécules d'eau ; l'eau fait ainsi partie d'un petit groupe de liquides qu'on appelle liquides associés. Cependant, parmi ces liquides, la cohésion de l'eau est remarquable, et elle se traduit par une chaleur spécifique énorme. Cette résistance aux variations de température a des conséquences climatiques importantes, puisque la capacité calorifique des océans leur fait jouer le rôle de régulateurs thermiques du climat. L'eau est aussi un liquide très cohésif d'un point de vue diélectrique : sa constante diélectrique est bien plus élevée que celle qu'on attendrait sur la base de la valeur du moment dipolaire de la molécule isolée. C'est aussi, dans les conditions usuelles de température et de pression, un liquide peu dense : les atomes y occupent moins de la moitié du volume total ; une grande partie du volume de l'eau liquide est donc formée de cavités. Le volume occupé par ces cavités varie de manière tout à fait anormale à basse température. D'abord, l'eau se dilate quand on la refroidit en dessous d'une température appelée température du maximum de densité. Ensuite, l'eau se dilate encore de 9 % en cristallisant, contrairement à la plupart des liquides, qui se contractent d'environ 10 % en cristallisant. Cette augmentation de volume, qui fait flotter la glace sur l'eau, a des conséquences environnementales considérables : si la glace était plus dense que l'eau liquide, toute la glace formée dans les régions arctiques coulerait au fond des océans au lieu de former une banquise qui les isole thermiquement des températures extérieures, et la production de glace continuerait jusqu'à congélation complète de ces océans Pour presque tous les liquides, l'application d'une pression réduit la fluidité et favorise le solide par rapport au liquide. Au contraire, pour l'eau à basse température, l'application d'une pression accroît la fluidité et favorise le liquide par rapport à la glace. Cet effet anormal de la pression permet à l'eau de rester fluide lorqu'elle est confinée dans des pores ou des films nanométriques, contrairement aux autres liquides qui se solidifient sous l'effet des pressions de confinement. Cette persistance de l'état fluide est capitale pour le fonctionnement des cellules biologiques : en effet, de nombreux processus requièrent le déplacement de couches d'hydratation avant le contact entre macromolécules, ou avant le passage d'un ligand vers son récepteur. De même le passage des ions à travers les canaux qui traversent les membranes des cellules n'est possible que grâce à l'état fluide de l'eau confinée dans ces canaux. Les théories anciennes attribuaient toutes ces anomalies au fait que les molécules d'eau sont liées par des liaisons H. En ce sens, l'eau devrait avoir des propriétés « en ligne » avec celles d'autres liquides associés (éthanol, glycols, amides). Pour les propriétés de cohésion, c'est une bonne hypothèse de départ – bien que les propriétés de l'eau (densité d'énergie cohésive, constante diélectrique) soient supérieures à celles des liquides comparables. Pour les autres propriétés, cette hypothèse n'est pas suffisante : les autres liquides associés ne partagent pas les propriétés volumiques anormales de l'eau, ni son polymorphisme, ni son comportement comme solvant. Certains liquides ont un comportement qui ressemble à celui de l'eau pour une de ses propriétés : par exemple, on connaît quelques liquides qui se dilatent à basse température, ou en cristallisant. Nous découvrirons peut-être un jour que chacune des propriétés anormales de l'eau existe aussi dans un autre liquide. Cependant il est remarquable qu'un seul liquide rassemble autant d'anomalies. Il y a donc un besoin d'explication, auquel ne répondent pas les théories développées pour les liquides simples.
Le texte de Bernard Cabane et Rodolphe Vuilleumier ci-dessous est similaire aux principaux points développés lors de la 593 ème conférence de lUniversité de tous les savoirs donnée le 15 juillet 2005 1
Par Bernard Cabane, Rodolphe Vuilleumier : « La physique de leau liquide »
L'eau est le liquide le plus abondant à la surface de la terre. C'est un liquide dont les propriétés sont tout à fait surprenantes, à la fois comme liquide pur et comme solvant. L'eau est un liquide très cohésif : ses températures de cristallisation et d'ébullition sont très élevées pour un liquide qui n'est ni ionique, ni métallique, et dont la masse molaire est faible. Ainsi, l'eau reste liquide à pression atmosphérique jusqu'à 100 °C, alors que l'extrapolation de la série H2S, H2Se, H2Te donnerait une température d'ébullition de - 80°C. Cette cohésion est assurée par les liaisons hydrogène entre molécules d'eau ; l'eau fait ainsi partie, avec les alcools et les amines, d'un petit groupe de liquides qu'on appelle liquides associés (Figure 1). Parmi ces liquides, la cohésion de l'eau est remarquable. Par exemple, l'eau a des températures de fusion et d'ébullition très supérieures à celles de l'ammoniac et de l'acide fluorhydrique, qui font des liaisons H plus faibles ou spatialement moins développées.
Figure 1. Densités électroniques du dimère, obtenues par calcul des orbitales localisées via la mécanique quantique. Le "pont" de densité électronique qui joint les deux molécules est la « signature » de la liaison H.
La cohésion de l'eau se traduit aussi par une chaleur spécifique énorme : il faut 3 fois plus d'énergie pour réchauffer l'eau que pour la même masse de pentane, et 10 fois plus que pour la même masse de fer. Cette chaleur spécifique est aussi beaucoup plus élevée que celle du solide (plus de 2 fois supérieure à celle de la glace), alors que la plupart des liquides ont des chaleurs spécifiques proches de celles des solides correspondants. Elle est due à l'absorption de chaleur par la rupture de liaisons hydrogène : la chaleur absorbée par ces processus n'est pas disponible pour augmenter l'énergie cinétique des molécules, ce qui réduit l'élévation de température. Cette résistance aux variations de température a des conséquences climatiques importantes, puisque la capacité calorifique des océans leur fait jouer le rôle de régulateurs thermiques du climat.
L'eau est aussi un liquide très cohésif d'un point de vue diélectrique : sa constante diélectrique est bien plus élevée que celle qu'on attendrait pour un liquide non associé sur la base du moment dipolaire de la molécule isolée. Qualitativement, cette réponse très forte aux champs électriques est due à l'enchaînement des molécules par les liaisons hydrogène, car les molécules liées par des liaisons hydrogène se polarisent mutuellement (Figure 2).
Figure 2. Variations de densité électronique causées par les interactions des deux molécules du dimère, par rapport aux densités électroniques de molécules isolées. Les régions où la densité électronique du dimère est excédentaire sont ombrées en gris, celles qui ont perdu de la densité électronique en blanc. L'alternance régulière de régions contenant un excès et un défaut de densité électronique crée une polarisation des molécules, qui augmente le moment dipolaire du dimère.
C'est grâce à cette constante diélectrique exceptionnelle que la vie a pu se développer dans l'eau (Figure 3). La plupart des molécules biologiques sont en effet ioniques, et les processus biochimiques requièrent la dissociation des paires d'ions et l'écrantage des charges électriques. C'est la polarisation des molécules d'eau autour d'un ion qui compense le champ électrique créé par l'ion, et permet ainsi la dissociation des paires d'ions et la dissolution des cristaux ioniques. L'exemple le plus courant de solution ionique est, bien sur, l'eau de mer, qui ne contient que 9 molécules d'eau par paire d'ions.
Figure 3. Constantes diélectriques relatives des liquides polaires usuels (variation parabolique en fonction du moment dipolaire de la molécule isolée) et de liquides associés points situés très au dessus). La valeur anormalement élevée de la constante diélectrique de l'eau est due à la polarisation mutuelle des molécules dans le liquide
L'eau est, dans les conditions usuelles de température et de pression, un liquide peu dense. Sa masse volumique est relativement peu élevée pour un liquide aussi cohésif (les huiles ont des densités comparables, mais sont beaucoup moins cohésives). Cette faible masse volumique exprime le fait que le volume occupé par les atomes est faible par rapport au volume total : les atomes de la molécule d'eau n'occupent que 49 % du volume disponible par molécule. Une grande partie du volume de l'eau liquide est donc formée de cavités.
L'eau présente toute une série d'anomalies liées aux variations de son volume. Tout d'abord, la variation en température de sa masse volumique est anormale à basse température. Pour presque tous les liquides, le volume occupé diminue régulièrement lorsqu'on abaisse la température, par suite de la réduction du désordre et surtout du nombre de lacunes excitées thermiquement. Au contraire, l'eau se dilate quand on la refroidit en dessous d'une température appelée température du maximum de densité (TMD H + 4 °C pour H2O). L'eau liquide à basse température est un liquide peu dense par rapport à ce qu'on attendrait d'après sa densité à haute température.
Figure 4 Variation de la masse volumique de l'eau liquide avec la température. Pour les liquides « normaux », la masse volumique décroit de manière monotone. La température du maximum de densité de l'eau vaut 4 °C dans H2O, 11.2 °C dans D2O et 13,4 °C dans T2O. La décroissance de la densité à basse température résulte d'un changement de la structure du liquide, qui crée systématiquement des liaisons et des cavités.
Pour presque tous les liquides, le volume occupé se réduit d'environ 10 % lors de la cristallisation, car les atomes ou les molécules sont empilés de manière plus efficace dans le cristal. Au contraire, l'eau se dilate d'environ 9 % en cristallisant. Cette augmentation de volume, qui fait flotter la glace sur l'eau, a des conséquences environnementales considérables : si la glace était plus dense que l'eau liquide, toute la glace formée dans les régions arctiques coulerait au fond des océans au lieu de former une banquise qui les isole thermiquement des températures extérieures, et la production de glace continuerait jusqu'à congélation complète de ces océans.
Les propriétés de l'eau confinée dans des pores ou des films nanométriques diffèrent aussi de celles des autres liquides. La plupart des liquides se stratifient lorsqu'ils sont confinés entre deux surfaces planes, et ils résistent comme des solides lorsqu'on essaie de les faire s'écouler. Au contraire, l'eau reste fluide même dans des géométries extrêmement confinées. Cette résistance à la solidification semble être due aux anomalies volumiques de l'eau, qui devient plus fluide lorsqu'elle est soumise à une pression. La persistance de l'état fluide de l'eau est capitale pour le fonctionnement des cellules biologiques : en effet, de nombreux processus requièrent le déplacement de couches d'hydratation avant le contact entre macromolécules. De même le passage des ions à travers les canaux qui traversent les membranes n'est possible grâce à la fluidité de cette eau confinée.
Les propriétés de l'eau comme solvant sont aussi très surprenantes. On comprend bien que les molécules polaires ou ioniques se dissolvent facilement dans l'eau, tandis que les molécules apolaires se dissolvent beaucoup plus difficilement. Cette préférence est à l'origine de phénomènes physico-chimiques comme la micellisation des molécules de tensioactifs, la formation des membranes biologiques, et le repliement ou la dénaturation des protéines. Cependant le passage dans l'eau de ces molécules hydrophobes ou amphiphiles se fait de manière tout à fait anormale : alors que la dissolution dans n'importe quel solvant est un processus défavorable du point de vue des énergies, mais favorisé par l'entropie, c'est l'inverse qui se produit pour la dissolution des molécules apolaires dans l'eau. Ces effets varient fortement avec la température, et on trouve que les solubilités augmentent aussi bien quand on va vers les basses températures (c'est bien pour les poissons, qui respirent l'oxygène dissous) que lorsqu'on va vers les températures élevées (l'eau super-critique est un bon solvant, utilisé, par exemple, pour extraire la caféine). Le minimum de solubilité coïncide à peu près avec le minimum de densité de l'eau pure, ce qui suggère que ces solubilités anormales sont liées à l'équation d'état (anormale elle aussi) de l'eau liquide.
Les théories anciennes attribuaient toutes ces anomalies au fait que les molécules d'eau sont liées par des liaisons H. En ce sens, l'eau devrait avoir des propriétés « en ligne » avec celles d'autres liquides associés (éthanol, glycols, formamide etc). Pour les propriétés de cohésion, c'est une bonne hypothèse de départ - bien que les propriétés de l'eau (densité d'énergie cohésive, constante diélectrique) soient supérieures à celles des liquides comparables. Pour les autres propriétés, cette explication n'est pas suffisante : les autres liquides associés ne partagent pas les propriétés volumiques anormales de l'eau, ni son polymorphisme, ni son comportement comme solvant.
Nous découvrirons peut-être un jour que chacune des propriétés anormales de l'eau existe aussi dans un autre liquide. Cependant il est remarquable qu'un seul liquide rassemble autant d'anomalies. Il y a donc un besoin d'explication, auquel ne répondent pas les théories développées pour les liquides simples.
On ne compte plus les théories proposées pour expliquer telle ou telle anomalie de l'eau, et abandonnées parce qu'elles n'expliquent que certaines anomalies, mais pas l'ensemble des propriétés de l'eau. On peut ainsi citer la théorie des « icebergs », dans sa version liquide pur (l'eau liquide serait formée de petits groupes de molécules ayant la structure de la glace, séparées par un liquide désordonné) et dans sa version solvant (les molécules d'eau se réorganiseraient autour d'un soluté apolaire pour former plus de liaisons hydrogène que l'eau pure, ce qui expliquerait le coût entropique de l'introduction du soluté). De nombreuses théories ont aussi postulé des structures particulières, comme des structures de type « clathrates », semblables aux cages que forment les molécules d'eau dans les hydrates de gaz cristallins. On discute actuellement une série de modèles qui postulent que l'eau serait formée de deux liquides mélangés dans des proportions qui changeraient avec la température et la pression, mais ne se sépareraient que dans des conditions de température inaccessibles aux expériences.
Il peut sembler paradoxal qu'une civilisation qui comprend la physique de l'infiniment grand et de l'infiniment petit, et qui est capable de prouesses technologiques considérables, n'arrive pas à décrire le liquide dans lequel tous les systèmes vivants fonctionnent. En fait, il s'agit d'un problème dur. Les verrous tiennent, pour une part, à une limitation des informations expérimentales. En effet, nous ne savons pas mesurer, dans un liquide, les fonctions de corrélation qui décrivent les arrangements de petits groupes de molécules (3 ou plus) : depuis un demi-siècle, nous sommes limités aux fonctions de corrélation de paires. Ils sont aussi dus à notre incapacité à simplifier correctement la description d'un liquide dans lequel les molécules forment des liaisons ayant un fort caractère orientationnel. Nous savons, bien sur, décrire ces liaisons, et nous pouvons simuler numériquement les mouvements des molécules soumises à ces interactions et à l'agitation thermique : nous pouvons ainsi reproduire certaines propriétés du liquide (mais pas toutes à la fois !) Par contre, nous ne savons pas, actuellement, construire une théorie de l'eau en utilisant les outils de la physique statistique.
Pour en savoir plus :
« The physics of liquid water »
B. Cabane, R. Vuilleumier
C. R. Geosciences. 337 (2005) 159
Liquides : solutions, dispersions, émulsions, gels
B. Cabane et S. Hénon
Livre publié par Belin (2003)
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SUIVRE LES RÉACTIONS ENTRE LES ATOMES EN LES PHOTOGRAPHIANT AVEC DES LASERS
"Les progrès de l'optique ont conduit à des avancées significatives dans la connaissance du monde du vivant. Le développement des lasers impulsionnels n'a pas échappé à cette règle. Il a permis de passer de l'ère du biologiste-observateur à l'ère du biologiste-acteur en lui permettant à la fois de synchroniser des réactions biochimiques et de les observer en temps réel, y compris in situ. Ce progrès indéniable a néanmoins eu un coût. En effet, à cette occasion le biologiste est (presque) devenu aveugle, son spectre d'intervention et d'analyse étant brutalement réduit à celui autorisé par la technologie des lasers, c'est à dire à quelques longueurs d'onde bien spécifiques. Depuis peu, nous assistons à la fin de cette époque obscure. Le laser femtoseconde est devenu "" accordable "" des RX à l'infrarouge lointain. Il est aussi devenu exportable des laboratoires spécialisés en physique et technologie des lasers. Dans le même temps, la maîtrise des outils de biologie moléculaire et l'explosion des biotechnologies qui en a résulté, ont autorisé une modification à volonté des propriétés - y compris optiques - du milieu vivant. Une imagerie et une spectroscopie fonctionnelles cellulaire et moléculaire sont ainsi en train de se mettre en place. L'exposé présentera à travers quelques exemples, la nature des enjeux scientifiques et industriels associés à l'approche "" perturbative "" du fonctionnement des structures moléculaires et en particulier dans le domaine de la biologie. "
Texte de la 211e conférence de l’Université de tous les savoirs donnée le 29 juillet 2000.
La vie des molécules biologiques en temps réel : Laser et dynamique des protéines
par Jean-Louis Martin
En aval des recherches autour des génomes, alors que le catalogue des possibles géniques et protéiques est en voie d’achèvement, nous sommes entrés dans l’ère fonctionnelle qui doit nous conduire à comprendre comment toutes les molécules répertoriées interviennent pour « faire la vie ». Le profit qui sera fait de cette masse d’informations, dépend de notre capacité à intégrer ces données moléculaires dans des schémas fonctionnels sous-tendant la constitution et l’activité des cellules voire des organes et des organismes.
Cette intégration va dépendre de domaines de recherche très variés, différents de ceux qui traditionnellement ont fait progresser la biologie des systèmes intégrés.
Au niveau cellulaire, l’approche fonctionnelle est déjà très avancée, en partie parce qu’elle s’appuie sur des compétences, des technologies et des concepts, largement communs à ceux développés par la génétique et la biologie moléculaire. Elle est toutefois, à ce jour, encore loin d’aboutir à une mise en cohérence du rôle fonctionnel des différents acteurs dont elle identifie le rôle au sein de la cellule : récepteurs, canaux ioniques, messagers, second messagers… Les progrès dans ce domaine vont être intimement liés à notre capacité à développer des outils autorisant à la fois un suivi in situ des différents acteurs, et une manipulation à l’échelle de la molécule.
Les développements technologiques spectaculaires dans le domaine des lasers impulsionnels a déjà permis le développement d’une nouvelle microscopie en trois dimensions : la microscopie confocale non linéaire. Associée à la construction de protéines chimères fluorescentes, cet outil a déjà permis de progresser significativement dans la localisation d’une cible protéique ou dans l’identification de voies de trafic intracellulaire.
Cependant, le décryptage in situ et in vivo du rôle fonctionnel des différents acteurs, en particulier protéique, ou plus encore, la compréhension des mécanismes sous-jacents, constituent des défis que peu d’équipes dans le monde ont relevés à ce jour. Il s’agit ici d’associer des techniques permettant de donner un sens à une cascade d’évènements qui s’échelonnent sur des échelles de temps allant de la centaine de femtoseconde1 à plusieurs milliers de secondes.
Le fonctionnement des protéines en temps réel
Le fonctionnement des macromolécules biologiques – protéines, acides nucléiques – est intimement lié à leur capacité à modifier leurs configurations spatiales lors de leur interaction avec des entités spécifiques de l’environnement, y compris avec d’autres macromolécules. Le passage d’une configuration à une autre requiert en général de faibles variations d’énergie, ce qui autorise une grande sensibilité aux variations des paramètres de l’environnement, associée à une dynamique interne des macromolécules biologiques s’exprimant sur un vaste domaine temporel.
Dans une première approche, on peut considérer qu’une vitesse de réaction biologique est la résultante du « produit » de deux termes: une dynamique intrinsèque des atomes et une probabilité de transition électronique. C’est en général ce dernier facteur de probabilité qui limite la vitesse d’une réaction. Une réaction biochimique est généralement lente non pas comme conséquence d’évènements intrinsèquement lents, mais comme le résultat d’une faible probabilité avec laquelle certains de ces évènements moléculaires peuvent se produire.
Plus précisément, une réaction biologique qui implique, par exemple, une rupture ou une formation de liaison, est tributaire de deux classes d’évènement : d’une part un déplacement relatif des noyaux des atomes et d’autre part une redistribution d’électrons parmi différentes orbitales. Ces deux catégories d’évènements s’expriment sur des échelles de temps qui leur sont propres et qui dépendent de la structure électronique et des masses atomiques des éléments constituant la molécule. Ainsi la dynamique des atomes autour de leur position d’équilibre est, en première approximation, celle d’oscillateurs harmoniques faits de masses ponctuelles couplées par des forces de rappels. Dans le cas des macromolécules biologiques, les milliers d’atomes que comporte le système évoluent sur une hyper-surface d’énergie dont la dimension est déterminée par le nombre de degrés de liberté de l’ensemble du complexe.
Le « travail » que doit effectuer une protéine est de nature très variée : catalyse dans le cas des enzymes, transduction de signal dans le cas de récepteurs, transfert de charges de site à site, transport de substances … mais il existe une caractéristique commune dans le fonctionnement de ces protéines : la sélection de chemins réactionnels spécifiques au sein de cette surface de potentiel. À l’évidence le système biologique n’explore pas l’ensemble de l’espace conformationnel : le coût entropique serait fatal à la réaction… et à l’organisme qui l’héberge.
L’identification de ce chemin réactionnel au sein de l’édifice constitue l’objectif essentiel des expériences de femto-biologie.
L’approche expérimentale : produire un séisme moléculaire et le suivre par stroboscopie laser femtoseconde
Dans une protéine, qui comporte des milliers d’atomes, l’identification des mouvements participant à la réaction moléculaire n’est pas chose aisée.
Comment réussir à caractériser la dynamique conduisant à une conformation intermédiaire qui est elle-même à la fois très fugace et peu probable ?
La cinétique de ces mouvements est directement déterminée par les modes de vibration de la protéine. On peut donc s’attendre à des mouvements dans les domaines femtoseconde et picoseconde2. Pour espérer avoir quelques succès dans cette investigation, il est par ailleurs impératif d’utiliser un système moléculaire accessible à la fois à l’expérimentation et à la simulation, la signature spectrale de la dynamique des protéines n’apportant que des informations indirectes. De plus, la réaction étudiée doit pouvoir être induite de manière « synchrone » pour un ensemble de molécules. Il est donc nécessaire de perturber de manière physiologique un ensemble moléculaire dans une échelle de temps plus courte que celle des mouvements internes les plus rapides, donc avec une impulsion femtoseconde.
Cette approche « percussionnelle » est commune à la plupart des domaines de recherche utilisant des impulsions femtosecondes. La biologie ne se distingue sur ce point, que dans l’adaptation de la perturbation optique pour en faire une perturbation physiologique. Le problème est naturellement résolu dans le cas des photorécepteurs pour lesquels le photon est « l’entrée » naturelle du système. Ceci explique les nombreux travaux en photosynthèse : transfert d’électron dans les centres réactionnels bactériens, transfert d’énergie au sein d’antennes collectrices de lumière dans les bactéries, mais aussi les études transferts de charges au sein d’enzyme de réparation de l’ADN ou responsable de la synchronisation des rythmes biologiques avec la lumière solaire, ainsi que les travaux sur les premières étapes de la vision dans la rhodopsine.
Il existe par ailleurs des situations favorables où la protéine comporte un cofacteur optiquement actif qui peut servir de déclencheur interne d’une réaction: c’est la cas des hémoprotéines comme l’hémoglobine que l’on trouve dans les globules rouges ou les enzymes impliquées dans la respiration des cellules comme la cytochrome oxydase. Dans ces hémoprotéines il est possible de rompre la liaison du ligand (oxygène, NO ou CO) avec son site d’ancrage dans la moléculen par une impulsion lumineuse femtoseconde.On se rapproche ici des conditions physiologiques, la transition optique permettant de placer le site actif de l’hémoprotéine dans un état instable entrainant la rupture de la liaison site actif-ligand en moins de 50 femtosecondes. Cette méthode aboutit à la synchronisation de l’ensemble des réactions d’un grand nombre de molécules. Il est alors possible de suivre leur comportement pendant la réaction et d’identifier les changements de conformation lors du passage des cols énergétiques. On peut faire une analogie sportive : en suivant l’évolution de la vitesse d’un « peloton » de coureurs cyclistes lors d’une étape du tour de France, on peut retracer le profil de cols et de vallées de l’étape, à condition que les coureurs partent au même instant. Pour un « peloton » de molécules, c’est le Laser femtoseconde qui joue le rôle du « starter » de l’étape.
Le paysage moléculaire dans les premiers instants d’une réaction : la propagation d’un séisme moléculaire
Dans les premiers instants qui suivent la perturbation (dissociation de l’oxygène de l’hème, par exemple), les premiers évènements moléculaires resteront localisés à l’environnement proche du site actif. À une discrimination temporelle dans le domaine femtoseconde, correspond donc une discrimination spatiale au sein de la molécule. Il devient ainsi possible de suivre la propagation du changement de conformation au sein de la molécule. Pour donner un ordre de grandeur, celui-ci s’effectue en effet en première approximation à la vitesse d’une onde acoustique ( environ 1200m/s) qui, traduite à l’échelle de la molécule, est 1200x10-12 soit 12 Å par picoseconde. En 100 fs la perturbation initiale est donc essentiellement localisée au site actif. Nous sommes au tout début du séisme moléculaire. En augmentant progressivement le retard de l’impulsion analyse par rapport à l’impulsion dissociation, il est possible de visualiser les chemins de changement conformationnel de la protéine et d’identifier les mouvements associés au fonctionnement de la macromolécule.
Ce simple calcul montre que la spectroscopie femtoseconde se distingue de manière fondamentale des techniques à résolution temporelle plus faible: il ne s’agit plus d’ obtenir des constantes de réaction avec une meilleur précision, mais l’intérêt majeure des « outils femtosecondes » provient du fait que pour la première fois il est possible de décomposer les évènements à l’origine de ces réactions ou induits par la réaction.
Cette discrimination spatiale associée à une résolution temporelle femtoseconde a un autre intérêt qui est de « simplifier » un système complexe sans avoir à utiliser une approche réductionniste (par coupure chimique) qui peut conduire le biophysicien moléculaire à étudier un sous-ensemble d’un complexe moléculaire dont les propriétés n’auront que peu de choses à voir avec la fonction biologique de l’ensemble.
La compréhension d’un automate moléculaire
Dès le début des années 80, l’approche percussionnelle dans le régime femtoseconde a été développée dans le domaine de la dynamique fonctionnelle des hémoprotéines et en particulier pour l’étude de l’hémoglobine. Cette protéine qui comporte quatre sites de fixation de l’oxygène, les hèmes, est capable d’auto-réguler sa réactivité à l’oxygène : c’est une régulation dite « allostérique ». La régulation allostérique de l’hémoglobine se traduit par le fait que la dissociation ou la liaison d’une molécule d’oxygène entraine une modification d’un facteur 300 de l’affinité des autres hèmes pour l’oxygène. La structure de l’hémoglobine est connue à une résolution atomique à la fois dans l’état ligandé (ou oxyhémoglobine) et dans l’état déligandé (désoxyhémoglobine). De ces travaux on sait que l’hémoglobine possède deux structures stables qui lui confèrent soit une haute affinité (état R) soit une basse affinité (état T) pour l’oxygène. Il s’agissait de déterminer le mécanisme, qui partant de la rupture d’une simple liaison chimique entre oxygène et fer induit un changement conformationel de l’ensemble du tétramère conduisant à distance à une modulation importante de l’affinité des autres sites de liaison.
Le débat de l’époque concernant la transition allostérique dans l’hémoglobine n’avait pas encore décidé du choix entre cause et conséquence au sein de l’édifice moléculaire. Nous connaissions les deux structures à l’équilibre avec une résolution atomique, grâce aux travaux de Max Perutz. Il était connu, même si cela n’était pas encore unanimement admis, que la dissociation de l’oxygène de l’hème entrainait « à terme » un changement conformationnel de ce dernier par déplacement de l’atome de fer en dehors du plan des pyrroles. Deux modèles s’opposaient: ce déplacement était-il la cause ou la conséquence du changement conformationnel impliquant la structure tertiaire et quaternaire de l’hémoglobine ? Dans la première hypothèse, cet évènement était crucial puisque le déclencheur de la communication hème-hème au sein de l’hémoglobine, c’est à dire le processus qui traduisait une perturbation très locale ( rupture d’une liaison chimique en un « basculement » de la structure globale vers un autre état). En discriminant temporellement les évènements consécutifs à la rupture de la liaison ligand-fer, il a été montré que le premier évènement est le déplacement du fer en dehors du plan de l’hème en 300 femtosecondes. Cet événement ultra-rapide constitue une étape cruciale dans la réaction de l’hémoglobine avec l’oxygène. Il contribue à donner à l’hémoglobine les propriétés d’un transporteur d’oxygène en autorisant une communication d’un site de fixation de l’oxygène à un autre. Un événement excessivement fugace et à l’échelle nanoscopique a donc retentissement au niveau des grandes régulations physiologiques : ici l’oxygénation des tissus.
À ce jour, l’essentiel du scénario consécutif à cet événement initial, qui conduit à la communication hème-hème, reste à découvrir. Pour cela il est nécessaire de faire appel à des outils permettant de suivre la propagation de ce « séisme initial » au sein de l’édifice et d’identifier ainsi les mouvements atomiques contribuant au chemin réactionnel. Des nouveaux outils restent à découvrir, certains sont en cours de développement : diffraction RX femtoseconde, spectroscopie infra-rouge dans le domaine THz sont probablement les outils adaptés.
e enzymatique : la caractérisation des états de transition
Dans son commentaire sur le prix Nobel en « femtochimie », l’éditeur de Nature3 écrit dans le dernier paragraphe : « It seems inevitable that ultrafast change in biological systems will receivre increasing attention ».
Sur quoi se fonde une telle certitude ?
Pour une part, sur une réflexion qui date d’un demi-siècle : celle de Linus Pauling qui était essentiellement de nature théorique. Pauling a proposé que le rôle des enzymes est d’augmenter la probabilité d’obtenir un état conformationnel à haute énergie très fugace ou, en d’autres termes, de stabiliser l’état de transition c’est-à-dire l’état conformationnel conduisant à la catalyse. En d’autres termes, il s’agit d’optimiser l’allure du « peloton » au sommet du Tourmalet. Dans les enzymes comme pour les coureurs, c’est à cet endroit que l’avenir de la réaction se joue, et c’est ici que les enzymes interviennent !
Le préalable à la compréhension du fonctionnement des enzymes est donc la caractérisation des états de transition. Une démonstration expérimentale indirecte a été la production d’anticorps catalytiques- ou abzymes- par Lerner et coll. dans le début des années 80. En effet, suivant le raisonnement de Pauling, les anti-corps « reconnaissent » leur cible épitopique dans leur état fondamental ( c’est à dire au minimum de la surface de potentiel, dans la vallée énergétique) alors que les enzymes reconnaissent leur cible, le substrat, dans son état de transition, au col énergétique. Les anticorps deviendont catalytiques si, produits en réponse à la présence d’une molécule mimant l’état de transition d’un substrat, ils sont mis en présence de ce dernier... : ça marche... plus ou moins bien, mais ceci est une autre histoire.
La caractérisation de cet état de transition est donc un préalable à la compréhension des mécanismes de catalyse mais aussi à la conception d’effecteurs modifiant la réactivité. Dans une protéine, qui comporte des milliers d’atomes, l’identification des mouvements participant à la réaction moléculaire n’est pas chose aisée, l’interprétation des spectres ne pouvant plus être directe, comme dans le cas des molécules diatomiques. La cinétique de ces mouvements est directement déterminée par les modes de vibration de la protéine. On peut donc, ici aussi, s’attendre à des mouvements dans le domaine femtoseconde.
Il existe une classe d’enzymes pour laquelle la structure de l’état de transition est connue grace à des approches théoriques : ce sont les protéases dont on sait qu’elles favorisent la configuration tétrahédrique du carbone de la liaison peptidique.Cette connaissance de l’état de transition a autorisé une approche rationnelle dans la conception de molécules « candidat-médicament »: les inhibiteurs de protéase. Il n’est donc pas surprenant qu’à ce jour, les seuls médicaments sur le marché -et non des moindres- issus d’une démarche scientifique véritablement rationnelle soient des inhibiteurs de protéases ou de peptidases : inhibiteurs de l’enzyme de conversion (IEC), inhibiteurs de protéase du virus HIV, base de « la tri-thérapie ».
En donnant l’espoir de photographier les états de transition, la femto-biologie ouvre la perspective d’une démarche rationnelle dans la conception d’inhibiteurs spécifiques. Avant qu’une telle possibilité ne soit offerte, il reste néanmoins à surmonter de sérieuses difficultés: le développement d’une méthode plus directe de visulisation des conformations, en particulier par diffraction RX femtoseconde, mais aussi la mise au point de méthodes de synchronisation à l’échelle femtoseconde de réactions enzymatiques au sein d’un cristal.
Filmer les molécules à l’échelle femtoseconde a permis de mettre en évidence un comportement inattendu d’enzymes de la respiration : l’utilisation de mouvements de balancier des atomes au profit d’une grande efficacité de réaction
La vie de tous les organismes aérobies – dont nous sommes – dépendent d’une classe d’enzyme : les oxydases et plus particulièrement pour les eucaryotes, de cytochromes oxydases. Cette enzyme est la seule capable de transférer des électrons à l’oxygène en s’auto-oxydant de manière réversible. Elle est responsable de la consommation de 90 % de l’oxygène de la biosphère.
Un dysfonctionnement de cette enzyme a un effet délétère sur la cellule, en particulier par production du très toxique radical hydroxyle °OH. Au delà d’un certain seuil de production, les systèmes de détoxification sont débordés. Le stress oxydatif qui en résulte peut se traduire par diverses pathologies. On retrouve une telle situation en période post-ischémique dans l’infarctus du myocarde, mais aussi dans des maladies neurodégénératives ou lors du vieillissement.
Cette enzyme catalyse la réduction de l’oxygène en eau à partir d’équivalents réducteur cédés par le cytochrome c soluble. Cette réduction à quatre électrons est couplée à la translocation de quatre protons à travers la membrane mitochondriale. L’oxygène et ses intermédiaires restent liés à un hème (l’hème a3) dans un site très spécifique. Ce site comprend, outre l’heme a3, un atome de cuivre, le CuB. Cet atome joue un rôle important dans le contrôle de l’accès des ligands vers ce site ou vers le milieu. Des ligands diatomiques (O2, NO, CO) peuvent établir des liaisons soit avec le Fer de l’hème a3, soit avec le CuB, mais le site actif parait trop encombré pour accommoder deux ligands.
Des études récentes en dynamique femtoseconde ont permis d’élucider le mécanisme de transfert de ligand (monoxyde de carbone (CO)), de l’hème a3 vers le CuB. Le CO est une molécule de transduction du signal produite en faible quantité par l’organisme, qui inhibe la cytochrome c oxidase par formation d’un complexe heme a3-CO stable. En suivant cette réaction par spectroscopie femtoseconde, il a été possible de mettre en évidence un mécanisme très efficace, et en toute sécurité, de transfert d’une molécule dangereuse pour la vie cellulaire. L’enzyme libère la molécule de CO d’un premier site en lui donnant une impulsion qui oriente sa trajectoire vers le site suivant en la protégeant de collisions avec l’environnement.
Dans ce dernier exemple l’enzyme a atteint un degré de sophistication supplémentaire : outre le franchissement du col énergétique de façon optimale, l’enzyme évite la diffusion d’une molécule dangereuse pour la survie cellulaire, tout en l’utilisant comme messager très efficace !
Vers le décloisonnement des disciplines
Le cinema moléculaire n’en est qu’à ses débuts. Il est essentiellement muet. La filmothèque est à peine embryonnaire, le nombre de plan-séquences ne permet pas encore de révéler un véritable scénario. L’essentiel est donc à venir.
Reconstruire le film des évènements conduisant à la vie cellulaire, les intégrés dans des schémas fonctionnels, va donc constituer l’objectif des prochaines décennies.
Cette intégration va dépendre de domaines de recherche très variés, différents de ceux qui traditionnellement ont fait progresser la biologie de la cellule ou des organes. Le transfert des outils de la physique, et au-delà, l’invention de nouveaux outils, y compris moléculaires, l’émergence de nouveaux concepts, va nécessiter le développement de synergies entre acteurs évoluant jusqu’ici dans des sphères disjointes : biologistes cellulaire et moléculaire, physiciens, chimistes, bioinformaticiens… Dans ce cadre il sera utile de créer les conditions permettant de rassembler en un seul site, l’ensemble des compétences.
1 Femtoseconde : le milliardième de millionième de seconde.
2 Picoseconde : millioniène de millionième de seconde = 1000 femtosecondes.
3 Vol 401,p. 626,14 octobre 1999.
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particules élémentaires
Cet article fait partie du dossier consacré à la matière.
Constituant fondamental de la matière apparaissant, dans l'état actuel des connaissances, comme indivisible.
PHYSIQUE
1. Vers l'infiniment petit
De tout temps les scientifiques ont sondé la structure de la matière pour trouver unité et simplicité dans un monde qui nous frappe par sa diversité et sa complexité apparentes. N'est-il pas remarquable de découvrir que tous les objets qui nous entourent ne sont que les multiples assemblages, parfois fort complexes, d'un petit nombre de constituants fondamentaux, qui nous apparaissent aujourd'hui comme les particules élémentaires du monde ? N'est-il pas remarquable que toutes les forces que nous voyons en jeu dans la nature ne soient que les différentes manifestations d'un tout petit nombre de mécanismes fondamentaux prenant une forme particulièrement simple au niveau des particules élémentaires ?
L'atome est tout petit (environ 10–10 m). Un gramme de matière contient près d'un million de milliards de milliards d'atomes (1024). Cependant, grâce aux instruments dont ils disposent, les physiciens peuvent maintenant décrire et comprendre la structure intime des atomes.
La physique des particules se pratique auprès de grands accélérateurs. Elle requiert de plus en plus d'importantes collaborations internationales, nécessaires pour réaliser et exploiter ces machines extrêmement coûteuses ainsi que les détecteurs qui permettent d'analyser les événements observés. Ces collaborations sont des milieux particulièrement favorables à l'éclosion de nouvelles technologies. C'est comme cela qu'est né le World Wide Web au Cern de Genève (→ Internet).
La physique des particules s'efforce de découvrir les constituants fondamentaux de la matière et de comprendre leurs interactions, c'est-à-dire la façon dont ces constituants se lient entre eux pour réaliser les structures souvent très complexes et variées que nous observons dans le monde qui nous entoure.
Dans les années 1980, le pouvoir de résolution des instruments les plus performants pour étudier la structure intime de la matière atteignait le millionième de milliardième de mètre (10–15 m), autrement dit la dimension du proton et du neutron, les constituants du noyau atomique. Ce dernier est beaucoup plus petit que l'atome, car les nucléons y sont tassés les uns contre les autres. L'atome a un rayon 100 000 fois plus grand et son volume est rempli par le mouvement incessant des électrons qui entourent le noyau.=
Aujourd'hui, le pouvoir de résolution atteint le milliardième de milliardième de mètre (10–18 m), ce qui permet de sonder l’intérieur des nucléons. En effet, les protons et les neutrons sont constitués de particules appelées quarks, qui etcomptent désormais parmi les constituants fondamentaux de la matière. Il y a 18 types de quarks, qui se distinguent par leur « saveur » et leur « couleur ». Il s'agit là de nouveaux concepts pour lesquels on a préféré ces appellations imagées aux racines grecques en faveur auparavant. L'électron est aussi l'un des constituants fondamentaux de la matière. Il fait partie d'un ensemble de six particules élémentaires appelées leptons.
Les forces présentes dans la nature résultent des symétries entre quarks et entre leptons. Tout cela est résumé par le modèle standard des particules élémentaires et des interactions fondamentales. C’est une théorie quantique des champs, autrement dit une théorie à la fois quantique et relativiste. Or, maintenir la causalité dans un monde quantique et relativiste implique l'existence d'antimatière, dont la prédiction et l'observation ont constitué un grand succès. À chaque particule correspond une antiparticule de même masse mais de charge opposée. Toutefois, si le modèle standard permet de décrire l'ensemble des particules élémentaires de la matière et les interactions fondamentales qui s'exercent entre elles, il n’inclut toujours pas l'interaction gravitationnelle. Ainsi, le modèle standard n'est pas la théorie ultime de la physique.
2. Les moyens d'étude
Pour atteindre la résolution qui est nécessaire pour plonger à l'intérieur du noyau, puis à l'intérieur des nucléons, il faut des rayons gamma de très faible longueur d'onde, autrement dit de très haute énergie. On peut les obtenir par rayonnement de particules chargées, comme l'électron ou le proton, quand ils sont accélérés à des vitesses proches de celle de la lumière (3 × 108 km.s-1). On peut cependant opérer plus directement en utilisant le fait que l'électron et le proton se comportent comme des ondes aussi bien que comme des particules. Cela traduit la description quantique qu'il faut adopter au niveau des particules. La longueur d'onde associée à une particule de très haute énergie est inversement proportionnelle à son énergie : électrons et protons de hautes énergies sont donc aussi des sondes qui se comportent comme de la lumière de très petite longueur d'onde. Ce sont eux qui permettent d'observer la structure fine de la matière, avec un pouvoir de résolution d'autant meilleur que leur énergie est plus élevée.
2.1. Les accélérateurs de particules
En étudiant les résultats de collisions à très hautes énergies, on peut explorer la structure intime de la matière, reconnaître les particules élémentaires et étudier leurs propriétés. Le pouvoir de résolution est déterminé par la puissance des accélérateurs.
Le principe de l'observation reste le même que celui utilisé avec la lumière visible, en aidant l'œil avec un instrument d'optique. Un accélérateur communique une grande énergie aux particules qu'il accélère. Les plus performants sont des collisionneurs, où des faisceaux de particules sont simultanément accélérés dans des directions opposées et amenés en collisions frontales dans des zones où l'on dispose les détecteurs. Les produits des collisions étudiées sont analysés par les détecteurs qui rassemblent les données permettant de déterminer la nature et les propriétés des particules issues de la collision. Ces collisions de haute énergie engendrent en général un véritable feu d'artifice de particules nouvelles. Une partie de l'énergie de collision se transforme en matière et en antimatière.
On exprime les énergies de collision en électronvolts (eV). L'électronvolt est l'énergie acquise par un électron sous une différence de potentiel de un volt. C'est en gros l'énergie par électron fournie par une pile électrique, car c'est aussi l'ordre de grandeur de la variation d'énergie par électron impliquée dans une réaction chimique typique (1 eV = 1,6 × 10-19 J). Vers 1960, les accélérateurs permettaient d'obtenir des énergies de collision de l'ordre d'une centaine de millions d'électronvolts (100 MeV). On pouvait ainsi descendre jusqu'à 10–15 m. Aujourd'hui, les énergies de collision atteintes dépassent le millier de milliards d'électronvolts (1 000 GeV, soient 1 TeV). Le collisionneur de Fermilab, près de Chicago, aux États-Unis, permet d'atteindre des énergies de collision de 2 TeV entre proton et antiproton.
Mais la machine la plus puissante du monde est désormais le LHC (Large Hadron Collider), grand collisionneur de hadrons de 27 km de circonférence mis en service en septembre 2008 au Cern, près de Genève. Il a atteint une énergie de collision de 8 TeV en juillet 2012, qui a permis de découvrir une particule qui présente toutes les caractéristiques du fameux boson de Higgs. Le LHC devrait fonctionner à 7 TeV par faisceau à partir de 2015, soit une énergie de collision de 14 TeV qui permettra de confirmer définitivement la découverte du boson de Higgs et d’aller encore plus loin dans l’exploration de l’infiniment petit.
Analyser et comprendre la structure intime de la matière, c'est donc aussi comprendre la physique des hautes énergies. C'est savoir décrire et prédire ce qui se passe au cours de telles collisions.
2.2. Les détecteurs de particules
Comment parvient-on à observer les particules malgré leur taille extrêmement réduite ? On ne voit en réalité que des effets secondaires liés à leur présence et l'on déduit de l'observation de ces phénomènes le passage et les propriétés d'une ou plusieurs particules. En utilisant plusieurs phénomènes secondaires et en courbant les trajectoires des particules dans des champs magnétiques, d'autant plus facilement que les particules ont moins d'énergie, on peut connaître la nature et les propriétés des particules qui traversent un détecteur.
Les détecteurs de particules modernes (comme les détecteurs Atlas ou CMS du LHC) sont composés de couches de sous-détecteurs, chacun étant spécialisé dans un type de particules ou de propriétés. Il existe trois grands types de sous-détecteurs :
• les trajectographes, qui permettent de suivre la trajectoire des particules chargées électriquement ;
• les calorimètres, qui arrêtent une particule et en absorbent l'énergie, ce qui permet de mesurer l’énergie de la particule ;
• les identificateurs de particules, qui permettent d’identifier le type de la particule par détection du rayonnement émis par les particules chargées.
Les détecteurs sont toujours soumis à un champ magnétique, qui courbe la trajectoire des particules. À partir de la courbure de la trajectoire, les physiciens peuvent calculer l’impulsion de la particule, ce qui les aide à l’identifier. Les particules à impulsion élevée se déplacent quasiment en ligne droite, alors que celles à impulsion plus faible décrivent de petites spirales.
3. Physique des particules et cosmologie
Selon le modèle du big bang, l'Univers tel que nous l'observons est né, semble-t-il, d'une sorte de grande explosion, le « big bang », qui s'est produite il y a environ 15 milliards d'années. L'Univers est en expansion et les galaxies semblent se fuir les unes les autres avec des vitesses proportionnelles à leurs distances respectives. Sa densité et sa température n'ont cessé de décroître depuis le big bang ; aujourd'hui, elles sont toutes deux très faibles : la densité moyenne correspond à un atome par mètre cube et la température moyenne est de l'ordre 3 K (soit –270 °C).
La relativité générale nous permet de suivre l'évolution de l'Univers et de retrouver les conditions proches de celles qui ont dû exister aux premiers instants de l’Univers à partir des données actuelles. Mais le modèle se heurte à une limite, une singularité, appelée « mur de Planck », qui correspond à l’instant 10-43 s après le big bang : il est impossible de connaître ce qui s’est passé avant cet instant car les lois de la physique que nous connaissons ne sont plus applicables, la densité et la température de l’Univers étant alors infinies. Or, en physique, des quantités infinies n’ont plus grand sens… Néanmoins, de cet instant jusqu’à nos jours, le modèle permet de décrire l’évolution de l’Univers – composé cependant à 96 % de matière et d’énergie noires inconnues !
Comme la température est proportionnelle à l'énergie moyenne par particule, au début de l'Univers, ses constituants avaient des énergies colossales et, du fait de la densité extrêmement forte, ils étaient en collision constante les uns avec les autres.
La physique qui prévalait à cette époque est donc la physique des hautes énergies que l'on explore à l'aide des accélérateurs : comprendre la structure intime de la matière, c'est aussi pouvoir décrire et comprendre ce qui se passait au début de l'Univers.
Vers 1970, les spécialistes maîtrisaient la physique à des énergies de l'ordre de 100 MeV, correspondant à la température de l'Univers quand il était âgé d'un dixième de millième de seconde (10-4 s). Aujourd'hui, les progrès réalisés permettent de comprendre la physique au niveau de 1 TeV, et, donc, les phénomènes qui se déroulaient dans l'Univers un centième de milliardième de seconde après le big bang (10-11 s). Ainsi, le facteur dix mille gagné dans les énergies par particule (ou les températures) en passant de 100 MeV à 1 TeV a permis de reculer d'un facteur dix millions dans l'histoire des premiers instants de l'Univers. C'est dire combien la physique des particules et la cosmologie sont intimement liées.
4. Le modèle standard
Les particules élémentaires selon le modèle standard
Le modèle standard de la physique des particules est la théorie de référence qui décrit les constituants élémentaires de la matière et les interactions fondamentales auxquelles ils participent.
La description de la structure de la matière fait appel à deux familles de particules élémentaires : les quarks et les leptons. À chaque constituant de la matière est associée son antiparticule, une particule de même masse et de charge opposée (par exemple, l’antiparticule de l’électron est le positon).
4.1. Quarks et leptons
Les quarks, découverts dans les années 1960, sont les constituants des nucléons (protons et neutrons), les particules constitutives des noyaux atomiques. Ils participent à toutes les interactions. Il en existe six espèces différentes. Pour décrire leurs propriétés, on a choisi d'utiliser des noms imagés, faute d'analogie avec quoi que ce soit de connu. Ainsi, la caractéristique qui, en dehors de la charge électrique, permet de distinguer les quarks est appelée « saveur ». Les six saveurs, caractéristiques des six espèces de quarks, sont dénommées : up (u), down (d), strange (s), charm (c), bottom (b) et top (t). Par ailleurs, chaque saveur peut exister en trois variétés, qui portent les noms de « couleurs » : rouge, vert et bleu. De même que la masse permet à une particule de réagir à la gravitation et la charge électrique à la force électromagnétique, la couleur rend les quarks sensibles à l'interaction nucléaire forte, responsable de leurs associations et de la cohésion des noyaux atomiques. Cette force ne se manifeste pas au niveau macroscopique : les trois couleurs se compensent mutuellement pour former la matière globalement « incolore ».
Une autre particularité des quarks est leur confinement : il est impossible de les obtenir individuellement à l'état libre. La famille des leptons rassemble les particules insensibles à la force nucléaire forte : l'électron ; deux particules analogues à l’électron, mais plus lourdes et instables, le muon et le tauon (ou tau) ; et trois particules électriquement neutres associées aux trois précédentes, les neutrinos électronique, muonique et tauique.
Les quarks et les leptons se présentent en doublets. Il existe un doublet de quarks (u et d) auquel fait pendant un doublet de leptons (neutrino et électron). L'électron a une charge électrique (prise par convention égale à –1), contrairement au neutrino. Il y a aussi une différence d'une unité entre la charge du quark d (–1/3) et celle du quark u (+2/3). Deux quarks u et un quark d forment un proton (charge globale +1). Deux quarks d et un quark u forment un neutron (charge globale nulle). Les protons et les neutrons sont à la base de tous les noyaux atomiques. En ajoutant suffisamment d'électrons pour compenser la charge électrique du noyau, on obtient les atomes.
L'électron, le quark u et le quark d sont les constituants exclusifs de la matière ordinaire.
4.2. Création et destruction de particules
Au cours de certains processus de désintégration radioactive, un quark d peut se transformer en quark u, mais simultanément un neutrino se transforme en électron, ou un électron est créé avec un antineutrino. La charge globale est conservée.
Dans un proton, les trois quarks ont des couleurs différentes et le proton est globalement « incolore ». C'est aussi le cas d'une multitude de particules instables qui apparaissent dans les collisions de protons quand une partie de l'énergie de collision se transforme en matière et antimatière : ces particules sont des hadrons, qui peuvent être soit des baryons – formés de trois quarks, soit des mésons – formés d'un quark et d'un antiquark. Les antiquarks ont des couleurs opposées à celles des quarks qui leur correspondent.
Quand l'énergie devient matière, il se crée autant de quarks que d'antiquarks et autant de leptons que d'antileptons. La même règle s'applique lors de l'annihilation de la matière et de l'antimatière en énergie.
Les collisions de haute énergie entre quarks ou leptons font apparaître d'autres quarks et d'autres leptons. La nature répète ainsi deux fois la famille initiale en présentant deux doublets supplémentaires de quarks, auxquels sont associés deux nouveaux doublets de leptons. Le deuxième doublet renferme le quark strange (s) et le quark charm (c), le troisième le quark bottom (b) et le quark top (t). Ce dernier a longtemps échappé aux investigations par sa masse très élevée, de l'ordre de 180 fois supérieure à celle du proton. Il a été finalement découvert au Fermilab, près de Chicago (États-Unis), en 1995, après que sa masse eut été prédite à partir de résultats obtenus à l'aide du LEP (Large Electron Positron collider) du Cern, près de Genève (Suisse). Les quarks c et b sont aussi beaucoup plus lourds que les quarks u et d, mais néanmoins nettement plus légers que le quark t.
De même, le muon et son neutrino ainsi que le tauon et son neutrino constituent les deux autres doublets de leptons associés aux deux doublets précédents de quarks. Le muon est environ 200 fois plus lourd que l'électron et le tauon près de 3 000 fois plus lourd. Ces quarks et ces leptons lourds sont instables et très éphémères à l'échelle humaine. Ils se désintègrent en se transformant en quarks ou en leptons de masse inférieure. Toutefois, la manifestation des forces entre quarks et leptons ne demande que des temps extrêmement faibles par rapport à la durée de vie de ces particules. À leur échelle, les quarks et les leptons sont donc tous aussi stables les uns que les autres et peuvent tous être considérés comme des constituants fondamentaux de la matière. Si la constitution de la matière stable de l'Univers ne fait appel qu'à la première famille de ces particules, les forces qui permettent de construire la matière à partir des éléments de la première famille font, elles, appel à la présence de tous les quarks et de tous les leptons.
4.3. Les quatre forces fondamentales
Si l'on a découvert une assez grande diversité de particules, toutes les forces présentes dans la nature se ramènent en revanche à un nombre très restreint d'interactions fondamentales. D'après la mécanique quantique, pour qu'il y ait une interaction, il faut qu'au moins une particule élémentaire, un boson, soit émise, absorbée ou échangée.
Interactions auxquelles sont soumises les particules fondamentales
4.3.1. L'interaction électromagnétique
Considérons l'interaction entre deux charges électriques. Dans la description usuelle du phénomène, on dit qu'une particule chargée crée un champ électrique qui remplit tout l'espace tout en décroissant comme l'inverse du carré de la distance à la charge. Une autre particule chargée est sensible à ce champ. Cela crée une force entre les deux particules. Si ces dernières se déplacent à une certaine vitesse, il faut introduire aussi le champ magnétique. On parle donc globalement de l'interaction électromagnétique (→ électromagnétisme). En physique quantique, ce champ présente également une forme corpusculaire : c'est une superposition de photons. Le processus fondamental de l'interaction électromagnétique correspond à l'émission d'un photon par un électron et à son absorption par un autre électron. Il implique la charge mais ne la modifie pas, puisque le photon échangé n'a pas de charge. C'est la base de l'électrodynamique quantique, qui permet de calculer tous les phénomènes mettant en jeu des échanges de photons au cours desquels peuvent aussi apparaître des paires électron-positon.
L'interaction forte repose sur la « couleur » des quarks. Le processus fondamental est très semblable à celui rencontré en électrodynamique. Deux quarks exercent une force l'un sur l'autre, et elle est associée à l'échange d'un gluon. Le gluon distingue la couleur mais peut aussi la changer car il porte lui-même de la couleur. Ce processus est à la base de la chromodynamique quantique, qui permet de calculer les phénomènes associés à l'échange de gluons, capables de se transformer en paires de quarks et d'antiquarks. Contrairement à l’interaction électromagnétique qui porte à l’infini, l’interaction forte ne s’exerce qu’à des distances très courtes, à quelques diamètres de noyaux
4.3.3. L’interaction faible
L'interaction électromagnétique et l'interaction forte ne peuvent pas changer la « saveur ». Mais il existe une autre interaction fondamentale qui peut le faire : c'est l'interaction faible. Elle existe sous deux formes. L'une peut changer la « saveur » et la charge et correspond à l'échange d'un boson W. L'autre peut agir sans changer la « saveur » ni la charge et correspond à l'échange d'un boson Z. Les neutrinos, qui n'ont ni charge ni « couleur », ne sont sensibles qu'à l'interaction faible. L’interaction faible (également appelée force nucléaire faible), qui permet de transformer un neutron en proton ou inversement – donc de changer la composition d'un noyau –, est ainsi responsable de certains phénomènes de la radioactivité, en particulier la radioactivité bêta.
L'interaction électromagnétique et les deux formes de l'interaction faible ne sont en fait que trois aspects d'un mécanisme unique : l'interaction électrofaible. En effet, en comprenant leur mode d'action, on s'est aperçu qu'on ne pouvait pas avoir l'une sans avoir les deux autres.
Mais il a fallu du temps pour parvenir à cette découverte car, si le photon a une masse nulle, les bosons W et Z sont très lourds, atteignant chacun près de cent fois la masse du proton, dont l'énergie de masse est proche de 1 GeV. Ce sont ces grandes masses échangées qui minimisent les effets de l'interaction et lui valent le qualificatif de faible. Ce n'est qu'au cours de collisions où l'énergie est comparable à l'énergie de masse du boson W ou du boson Z que la présence de ces masses élevées devient moins importante et que les interactions électromagnétiques et faibles peuvent montrer au grand jour leur étroite parenté.
4.3.4. L’interaction gravitationnelle
C'est une force universelle, en ce sens qu'elle est subie par toutes les particules connues. Elle est de loin la plus faible des forces, elle est toujours attractive et, de plus, elle a une portée infinie. C'est grâce à ces deux dernières caractéristiques qu'elle est détectable macroscopiquement : l'addition des forces gravitationnelles qui s'exercent entre les particules de notre corps et la Terre, par exemple, produit une force appelée poids.
→ gravitation.
Au niveau des particules élémentaires, cette force devient importante seulement lorsque des énergies considérables entrent en jeu. Dans un noyau atomique, par exemple, la force d'attraction gravitationnelle entre deux protons est 1036 fois plus faible que celle de la répulsion électrostatique. C'est à partir d'une énergie de 1019 GeV (1 GeV est l'énergie cinétique qu'acquiert un électron quand il est accéléré par une différence de potentiel de 1 000 millions de volts) qu'elle devient comparable à l'interaction électromagnétique.
Ainsi, malgré le grand nombre d'acteurs en présence, les thèmes de base de leurs jeux sont donc très peu nombreux et très semblables. C'est à ce niveau que se rencontrent l'unité et la simplicité. Qui plus est, on sait aujourd'hui déduire l'existence et les propriétés des forces fondamentales des symétries que les quarks et les leptons manifestent entre eux. La présence des forces est une conséquence du fait que ces particules sont nombreuses, mais qu'on peut dans une large mesure les mettre les unes à la place des autres sans modifier la description du monde : les quarks et les leptons sont groupés en doublets de « saveur » et les quarks en triplets de « couleur ». La compréhension de la nature profonde des forces est l'un des grands succès de la physique contemporaine. C'est le domaine des théories de jauge. L'existence et la propriété des forces sont impliquées par les symétries.
4.4. Points forts et points faibles du modèle standard
Le modèle standard consiste en un ensemble d'algorithmes, appelé développement perturbatif, permettant de calculer, par approximations successives, à l'aide d'un nombre fini et fixé de paramètres déterminés expérimentalement, les probabilités des réactions des leptons et des quarks, du photon et des bosons intermédiaires en interactions électromagnétique et faible, et les probabilités des réactions des quarks et des gluons en interaction forte à grand transfert d'énergie. Ce modèle a passé avec succès tous les tests expérimentaux auxquels il a été soumis et il a permis d'anticiper de très nombreuses découvertes expérimentales décisives : les réactions d'interaction faible à courants neutres en 1973, le quark charm en 1975, le gluon en 1979, les bosons intermédiaires de l'interaction faible (bosons W+, W– et Z0) en 1983, et le quark top en 1995. Toutes ses prédictions ont été confirmées par l'expérience et ce jusqu’à la très probable découverte en 2012 du boson de Higgs, la fameuse particule permettant d’expliquer l’origine de la masse de toutes les autres particules.
La chasse au boson de Higgs
Le boson de Higgs (ou de Brout-Englert-Higgs) est la particule élémentaire dont l'existence, postulée indépendamment par Robert Brout, François Englert et Peter Higgs dans les années 1960, permet d’expliquer l’origine de la masse de toutes les autres particules. En effet, les particules n’acquièrent une masse qu’en interagissant avec un champ de force invisible (appelé champ de Higgs) par l’intermédiaire du boson de Higgs. Plus les particules interagissent avec ce champ et plus elles deviennent lourdes. Au contraire, les particules qui n’interagissent pas avec ce champ ne possèdent aucune masse (comme le photon).
Pour mettre au jour le boson de Higgs, on provoque des milliards de chocs entre protons qui se déplacent quasiment à la vitesse de la lumière et on analyse les gerbes de particules produites. La découverte de ce boson, très probablement détecté dans le LHC du Cern en 2012, validerait ainsi le modèle standard de la physique des particules. Il faudra attendre 2015 et la remise en service du LHC dont les faisceaux de particules atteindront l’énergie nominale de 7 TeV par faisceau pour conclure définitivement sur la découverte du fameux boson.
Le modèle standard comporte cependant des points faibles.En particulier, il est en échec face au traitement quantique de la gravitation.Par ailleurs, il ne fournit pas d'explication à la propriété fondamentale du confinement qui interdit aux quarks de se propager à l'état libre hors des particules dont ils sont les constituants, etc. Ce modèle doit être considéré comme une théorie susceptible d'être améliorée et approfondie, voire remplacée dans l'avenir par une théorie radicalement nouvelle.
4.5. Vers la « théorie du tout » ?
Le modèle standard permet de décrire avec précision la structure de la matière avec une résolution de 10–18 m et d'évoquer ce qui se passait au début de l'Univers, dès 10–10 seconde après le big bang.
On pense aujourd'hui que l'interaction forte et l'interaction électrofaible ne sont que deux aspects d'un phénomène unique. Ce dernier ne devrait cependant se manifester ouvertement qu'à de très grandes énergies, que l'on situe vers 1016 GeV. On verra sans doute alors apparaître au grand jour d'autres mécanismes transformant les quarks en leptons et mettant en jeu l'échange de particules, encore hypothétiques, dont la masse est de l'ordre de 1016 GeV. Ce n'est que pour des énergies de collision dépassant largement ce seuil que les différents modes d'interaction devraient apparaître sur un pied d'égalité, dévoilant ainsi explicitement leur grande unité.
De telles énergies sont encore hors de notre portée et le resteront pour longtemps. Mais c'était celles qui prévalaient théoriquement 10–38 seconde seulement après le big bang. C'est à ce moment que les quarks et les leptons sont apparus, figés pour toujours dans leur état de quark ou de lepton avec un très léger excès, déjà mentionné, de quarks par rapport aux antiquarks et de leptons par rapport aux antileptons. On explique ainsi pourquoi l'Univers contient autant de protons que d'électrons, en étant globalement neutre. C'est le domaine de la théorie de Grande Unification, encore très spéculative. Aux énergies qui nous sont accessibles, la gravitation qui s'exerce entre des particules individuelles reste tout à fait négligeable en regard des autres forces fondamentales. Mais, à des énergies de l'ordre de 1019 GeV, elle devient aussi importante qu'elles, car ses effets croissent avec l'énergie. On pense même pouvoir l'associer aux autres modes d'interaction actuels dans le cadre d'une théorie unique. Celle-ci incorporerait une formulation quantique de la gravitation qui manque encore aujourd'hui mais dont la théorie des supercordes donne déjà un aperçu. La mise au point de cette « théorie du tout » constitue l'un des grands sujets de recherche actuels de la physique. L'Univers n'était âgé que de 10–43 seconde quand l'énergie y était de l'ordre de 1019 GeV. C'est à ce moment que le temps et l'espace prirent la forme que nous leur connaissons. Nous manquons encore de concepts plus profonds pour remonter au-delà.
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PHYSIQUE ET MÉCANIQUE
Forte de sa maturité, la mécanique des solides n'en est que plus sollicitée par de nombreux défis à relever dans le futur. Les enjeux sont multiples : depuis la connaissance fondamentale, jusqu'à la conception et la caractérisation de nouveaux matériaux, en passant par la maîtrise de l'hétérogénéité de milieux à comportement complexe, en passant par l'exploitation de l'imagerie bi voire tridimensionnelle via l'analyse de champ, ou encore la prédiction de la variabilité ou de la fiabilité des solides et des structures. Dans toutes ces dimensions, physique et mécanique sont indissociablement liées, s'interpellant et dialoguant pour affronter plus efficacement ces challenges. Sur le plan expérimental, les mesures physiques, de plus en plus finement résolues spatialement, permettent d'aborder directement des réponses mécaniques inhomogènes, liées au désordre constitutif des matériaux ou à leur comportement non-linéaire dans des sollicitations complexes. Sur le plan de la modélisation numérique, l'ère du progrès purement algorithmique est sans doute révolu, pour laisser place à des approches performantes exploitant les problèmes multi échelles avec discernement. Enfin, en ce qui concerne la théorie, les progrès majeurs accomplis dans le passé dans l'homogénéisation des milieux élastiques permettent de mesurer les difficultés qui sous-tendent l'abord de l'hétérogénéité pour des lois de comportement complexes (plasticité, endommagement, et rupture, matériaux amorphes, milieux divisés ou enchevêtrés, …).
Texte de la 584 e conférence de l'Université de tous les savoirs prononcée le 6 juillet
2005
Par Stéphane ROUX[1] : Physique et Mécanique
Résumé :
Forte de sa maturité, la mécanique des solides n'en est que plus sollicitée par de nombreux défis à relever. Les enjeux sont multiples : depuis la connaissance fondamentale, jusqu'à la conception et la caractérisation de nouveaux matériaux, en passant par la maîtrise de l'hétérogénéité de milieux à comportement complexe, l'exploitation de l'imagerie bi voire tri-dimensionnelle via l'analyse de champ, ou encore la prédiction de la variabilité ou de la fiabilité des solides et des structures. Dans toutes ces dimensions, physique et mécanique sont indissociablement liées, s'interpellant et dialoguant pour affronter plus efficacement ces challenges.
Sur le plan expérimental, les mesures physiques, de plus en plus finement résolues spatialement, permettent d'aborder directement des réponses mécaniques inhomogènes, liées au désordre constitutif des matériaux ou à leur comportement non-linéaire dans des sollicitations complexes. Sur le plan de la modélisation numérique, l'ère du progrès purement algorithmique est sans doute révolue, pour laisser place à des approches performantes exploitant les problèmes multi échelles avec discernement. Enfin, en ce qui concerne la théorie, les progrès majeurs accomplis dans le passé dans l'homogénéisation des milieux élastiques permettent de mesurer les difficultés qui sous-tendent l'abord de l'hétérogénéité pour des lois de comportement complexes (plasticité, endommagement, et rupture, matériaux amorphes, milieux divisés ou enchevêtrés, ...).
Ainsi dans tous ces domaines, et alliée à la physique, la mécanique du solide est confrontée à de nombreux et nouveaux défis, et se doit de s'exprimer dans des applications à haut potentiel industriel, économique et sociétal.
1 Introduction
Loin des feux médiatiques de la physique nanométrique ou de l'interface physique-biologie aujourd'hui porteurs de tant d'espoir, la science mécanique et plus spécifiquement la mécanique des solides pourrait apparaître comme une discipline achevée, aboutie. Les défis du passé surmontés ne laisseraient la place aujourd'hui qu'à des formulations de lois constitutives validées, à des protocoles d'essais mécaniques balisés et encadrés par des normes précises, et à des techniques de calcul éprouvées capables de digérer les lois de comportement et les géométries les plus complexes. Les progrès à attendre pourraient ainsi apparaître comme incrémentaux, voire marginaux, et les performances des résultats numériques simplement asservies au progrès fulgurant des ordinateurs. Ainsi, la reine en second des sciences dures de la classification d'Auguste Comte, entre mathématiques et physique, quitterait le domaine de la science active pour simplement alimenter son exploitation applicative et technologique.
Nul ne saurait en effet nier les très substantiels progrès récents de cette discipline qui sous-tendent une telle peinture. Seule la conclusion est erronée ! Victime d'une polarisation excessive de l'éclairage médiatique, et conséquemment des fléchages de moyens de l'ensemble des instances de recherche, mais aussi coupable d'une communication trop pauvre, (ou lorsqu'elle existe trop focalisée sur les applications) la discipline n'offre pas au grand public et plus spécifiquement aux jeunes étudiants une image très fidèle des défis qui lui sont proposés pour le futur.
Forte de sa maturité, la mécanique est aujourd'hui fortement sollicitée par de nombreux enjeux :
* Enjeux de connaissance fondamentale : la terra incognita dont les frontières certes reculent, offre toujours de larges domaines à explorer, et paradoxalement parfois sous des formes presque banales, comme les tas de sable ou les milieux granulaires.
* Enjeux des progrès des techniques d'analyse : Le développement d'outils d'analyse toujours plus sensibles, plus précis, plus finement résolus en espace et en temps, donne accès à des informations extraordinairement riches sur les matériaux dont l'exploitation dans leurs conséquences mécaniques est de plus en plus prometteuse mais aussi exigeante.
* Enjeux liés à l'élaboration, et à la conception de nouveaux matériaux. Au-delà de la caractérisation structurale, la physique et la chimie proposent toutes deux des moyens d'élaboration de matériaux extraordinairement innovants qui sont autant de défis non seulement à la caractérisation mécanique, mais aussi à la proposition de nouvelles conceptions d'architecture micro-structurale, jusqu'aux échelles nanométriques.
* Enjeux des nouvelles demandes de la société et de l'industrie. Le risque, l'aléa sont de moins en moins tolérés. Ils sont en effet combattus par le principe de précaution, pour leur dimension politique et sociale. Ils sont aussi pourchassés dans le secteur de l'activité industrielle, où les facteurs de sécurité qui pallient nos ignorances sont de moins en moins légitimes. Le progrès à attendre porte sur l'estimation des durées de vie en service de pièces ou de structure, ou sur les développements d'une quantification précise de la probabilité de rupture ou de ruine, reposant sur une évaluation de l'ensemble des sources d'aléas, depuis la loi de comportement du milieu, jusqu'à ses chargements voire même sa géométrie. Enfin, puisque la modélisation numérique devient précise et fiable, la tolérance vis-à-vis des erreurs de prédiction diminue, et plus qu'une réponse moyenne dans un contexte incertain, commence à s'affirmer une demande d'évaluation de la probabilité que tel résultat dépasse tel ou tel seuil.
2 Enjeu de connaissance fondamentale
La modélisation numérique de la mécanique d'un matériau peut être abordée de différentes manières :
* Au niveau le plus fondamental, la dynamique moléculaire ab initio , rend compte des atomes et de leurs interactions dans le cadre de la mécanique quantique. Aucun compromis n'est réalisé sur la précision de la description, mais en contrepartie le coût du calcul est tel que rarement le nombre d'atomes excède quelques centaines, et la durée temporelle vraie couverte par la simulation est typiquement de l'ordre de la dizaine à la centaine de picoseconde.
* Pour accélérer très sensiblement cette description, il est possible de simplifier les interactions atomiques en introduisant des potentiels effectifs. La simulation de dynamique moléculaire est alors maintenant réduite à l'intégration dans le temps des équations classiques (non-quantiques) du mouvement des atomes. Les échelles accessibles sont maintenant de quelques millions d'atomes, sur des temps allant jusqu'à quelques nanosecondes.
* Pour gagner encore en étendue spatiale et temporelle, en ce qui concerne les matériaux cristallins où la déformation plastique est due au mouvement de dislocations, une stratégie d'approche intéressante consiste à accroître le niveau d'intégration de l'objet élémentaire étudié, ici la dislocation, et décrire un ensemble de tels défauts d'un monocristal, leur génération à partir de sources, leurs mouvements selon des plans privilégiés, leurs interactions mutuelles et avec les parois, la formation de défauts, jusqu'à la formation d'une « forêt » de dislocations. Cette description s'appelle la « dynamique des dislocations ».
* Enfin à une échelle beaucoup plus macroscopique, la mécanique des milieux continus peut être étudiée numériquement par la classique méthode des éléments finis pour des rhéologies ou des lois de comportement aussi complexes que souhaitées.
* Citons encore des simulations utilisant des éléments discrets pour rendre compte par exemple du comportement de milieux comme des bétons à une échelle proche des différentes phases constitutives (granulats, ciment, ...). L'intérêt ici est de permettre de capturer la variabilité inhérente à la structure hétérogène du milieu. Dans le même esprit, les éléments discrets permettent de modéliser les milieux granulaires avec un réalisme impressionnant, alors même que la description continue n'est aujourd'hui pas encore déduite de cette approche.
2.1 Savoir imbriquer les échelles de description
Chacune des approches citées ci-dessus est aujourd'hui bien maîtrisée et adaptée à une gamme d'échelles spatiale et temporelle bien identifiée. Il reste cependant à mieux savoir imbriquer ces différents niveaux de description, et à trouver des descriptions intermédiaires pour des systèmes spécifiques. Ainsi par exemple de nombreux travaux ont permis d'ajuster au mieux les potentiels empiriques de la dynamique moléculaire pour assurer une continuité de description avec les approches ab initio. Les maillons manquants concernent par exemple les matériaux amorphes comme les verres où la dynamique des dislocations n'est évidemment pas pertinente, et où un écart important existe entre les échelles couvertes par Dynamique Moléculaire et par la mécanique des milieux continus. L'exemple type du problème qui rassemble nombre de défis est celui de la fracture. Par nature, seule l'extrême pointe de la fissure est sensible à des phénomènes fortement non-linéaires. L'idée naturelle est alors de construire une modélisation véritablement multi-échelle, en associant simultanément différentes descriptions selon la distance à la pointe de la fissure.
Les points durs au sein de cette imbrication de description concernent l'identification des variables qui sont pertinentes pour caractériser l'état à grande échelle et celles dont la dynamique rapide peut être moyennée. Lorsque le comportement du système est purement élastique, alors ce changement d'échelle peut être effectué dans le cadre de l'homogénéisation, et de fait la procédure est ici très claire. On sait parfaitement aujourd'hui moyenner contraintes et déformations, et on maîtrise parfaitement la disparition progressive de l'hétérogénéité pour atteindre la limite aux grandes échelles d'un milieu élastique déterministe. Pour les comportements autres qu'élastiques linéaires, cette homogénéisation non-linéaire reste beaucoup moins bien maîtrisée en dépit des avancées récentes dans ce domaine, et le territoire à conquérir est à la fois vaste et riche d'applications.
Un des sujets limitants proche du précédent est surprenant tant sa banalité est grande : le comportement des milieux granulaires reste aujourd'hui un sujet de recherche très actif. Le caractère paradoxal des difficultés qui surgissent dans le lien entre descriptions microscopiques (bien maîtrisées) et macroscopiques (dont les fondations sont aujourd'hui peu satisfaisantes, même si des modèles descriptifs opérationnels existent) provient de la combinaison de deux facteurs : d'une part des lois de contact simples ( frottement et contact) mais « peu régulières » au sens mathématique, d'autre part une géométrie (empilement de particules) qui introduit de nombreuses contraintes non-locales à l'échelle de quelques particules. Les milieux granulaires montrent des difficultés spécifiques qui représentent toujours un défi pour la théorie.
2.2 Non-linéarité et hétérogénéité : Physique statistique
Décrire le comportement de milieux hétérogènes est un défi auquel a été confrontée la mécanique depuis des années. Comme mentionné ci-dessus, dans le cadre de l'élasticité de nombreux résultats ont été obtenus. Pour les milieux périodiques comme pour les milieux aléatoires, des bornes encadrant les propriétés homogènes équivalentes ont été obtenues, tout comme des estimateurs des propriétés homogènes équivalentes prenant en compte de diverses manières des informations microstructurales. Plus encore que des caractérisations moyennes macroscopiques, des informations sur leur variabilité ou encore des évaluations locales peuvent être obtenues portant par exemple sur la valeur de la contrainte ou de la déformation dans chaque phase du milieu.
Pour des rhéologies plus complexes, l'essentiel reste à construire :
Dans le domaine de la plasticité, de manière incrémentale, nous nous retrouvons sur des bases comparables à celle de l'élasticité de milieux hétérogènes, et cette correspondance a bien entendu été exploitée. Cependant une difficulté supplémentaire apparaît, au travers de corrélation spatiale à très longues portées dans les fluctuations de déformation qui se couplent ainsi au comportement local. Or, ces corrélations sont très difficiles à gérer sur un plan théorique et représentent toujours un défi pour l'avenir. Dans cette direction, des développements récents sur des modélisations élastiques non-linéaires donnent des pistes très intéressantes.
L'endommagement est une loi de comportement de mécanique de milieux continus déterministe qui décrit les milieux susceptibles de développer des micro-fissures de manière stable et dont on ne décrit que la raideur locale pour différents niveaux de déformation. Cela concerne en particulier des matériaux quasi-fragiles, comme le béton ou les roches. Paradoxalement, le caractère hétérogène de ces milieux multifissurés à petite échelle n'est pas explicitement décrit, et de fait cela ne s'avère pas nécessaire. Il existe cependant une exception notable, à savoir, lorsque le comportement montre une phase adoucissante, où la contrainte décroît avec la déformation. Ceci concerne au demeurant aussi bien l'endommagement fragile évoqué ci-dessus, que l'endommagement ductile où des cavités croissent par écoulement plastique. Dans le cas d'un adoucissement, le champ de déformation a tendance à se concentrer sur une bande étroite, phénomène dit de « localisation ». Or cette localisation dans une vision continue peut s'exprimer sur des interfaces de largeur arbitrairement étroite. Cette instabilité traduit en fait une transition entre un régime de multifissuration distribuée vers un régime de fracture macroscopique. Le confinement de la déformation concentrée devrait faire intervenir des échelles de longueur microscopiques permettant de faire le lien entre une dissipation d'énergie volumique (décrit par l'endommagement) et une dissipation superficielle sur la fissure macroscopique. Dans cette localisation, le caractère hétérogène de la fissuration se manifeste de manière beaucoup plus sensible, et c'est dans ce trait spécifique que doit être recherchée la liaison vers une fracture macroscopique cohérente avec la description endommageante. Ce passage reste à construire de manière plus satisfaisante qu'au travers des modèles non-locaux aujourd'hui utilisés dans ce contexte. C'est à ce prix que l'on pourra rendre compte de manière satisfaisante des effets de taille finie observés (e.g. valeur de la contrainte pic en fonction de la taille du solide considéré).
Dans le domaine de la physique statistique, des modèles de piégeage d'une structure élastique forcée extérieurement et en interaction avec un paysage aléatoire d'énergie ont été étudiés de manière très générale. Il a été montré dans ce contexte que la transition entre un régime piégé pour un faible forçage extérieur vers un régime de propagation à plus forte sollicitation pouvait être interprétée comme une véritable transition de phase du second ordre caractérisée par quelques exposants critiques universels. La propagation d'une fracture dans un milieu de ténacité aléatoire, la plasticité de milieux amorphes, sont deux exemples de champ d'application de cette transition de dépiégeage. Ce cadre théorique fournit potentiellement tous les ingrédients nécessaires à la description de la fracture des milieux hétérogènes fragiles ou de la plasticité des milieux amorphes, et en particulier ces modèles proposent un cadre général de la manière dont la variabilité de la réponse disparaît à la limite thermodynamique d'un système de taille infinie par rapport à la taille des hétérogénéités. La surprise est que cette disparition progressive des fluctuations se fait selon des lois de puissance dont les exposants sont caractéristiques du phénomène critique sous-jacent. La physique statistique peut donc donner un cadre général au rôle des différentes échelles mais sa déclinaison à une description cohérente de ces lois de comportement prenant en compte le caractère aléatoire de la microstructure reste pour l'essentiel à construire.
3 Enjeu des nouvelles techniques d'analyse
Ces vingt dernières années ont vu aboutir des progrès substantiels dans les techniques d'analyse, en gagnant dans la sensibilité, dans la diversité des informations recueillies et dans leur résolution spatiale et temporelle. Ces nouvelles performances permettent d'accéder à des mesures de champs dont l'exploitation sur un plan mécanique représente un nouveau défi.
3.1 Nouvelles imageries
Les microscopies à force atomique ( AFM) et à effet tunnel ( STM) permettent aujourd'hui dans des cas très favorables d'atteindre la résolution atomique. En deçà de ces performances ultimes, l'AFM permet de résoudre une topographie de surface avec des résolutions de quelques nanomètres dans le plan et de l'ordre de l'Angstrom perpendiculairement dans des conditions très courantes. Cet instrument, exploitant les forces de surface, permet de travailler selon différents modes (contact, non-contact, friction, angle de perte de la réponse mécanique, ...), ce qui donne accès, au-delà de la topographie, à des informations supplémentaires sur la nature des sites de surface.
La microscopie électronique en transmission ( TEM) permet, elle aussi, d'atteindre l'échelle atomique et représente un moyen d'analyse dont les performances progressent sensiblement .La préparation des échantillons observés reste cependant lourde et limite son utilisation à des caractérisations structurales de systèmes spécifiques.
A de plus grandes échelles, il est aujourd'hui possible d'utiliser des spectrométries ( Raman, Brillouin, Infra-rouge) dotées de résolutions spatiales qui selon les cas peuvent atteindre l'ordre du micromètre. Ces informations sont pour l'essentiel relatives à la surface de l'échantillon analysé, intégrant l'information sur une profondeur variable. Sensibles à des modes vibrationnels locaux, le signal renseigne sur la composition chimique ou la structure locale à l'échelle de groupements de quelques atomes.
Ces imageries ne sont plus même limitées à la surface des matériaux, mais permettent aussi une imagerie de volume. La tomographie de rayons X donne accès à des cartes tridimensionnelles de densité. En exploitant la puissance des grands instruments comme à l'ESRF, il est possible d'augmenter la résolution de cette technique pour atteindre aujourd'hui typiquement un ou quelques micromètres. Bien entendu, la taille de l'échantillon analysé dans ce cas est sensiblement inférieure au millimètre.
De manière beaucoup plus banale, l'acquisition d'images optiques digitales ou de film vidéo s'est véritablement banalisée, dans un domaine où l'accroissement de performance est aussi rapide que la chute des coûts, rendant très facilement accessible cette technologie. Il en va de même de la thermographie infra-rouge permettant l'acquisition de champs de température avec des résolutions spatiales et temporelles qui s'affinent progressivement.
3.2 Que faire avec ces informations ?
Ces développements instrumentaux de la physique nous conduisent dans l'ère de l'imagerie, et si nous concevons aisément l'impact de ces mesures dans le domaine de la science des matériaux, l'accès à ces informations fines et spatialement résolues entraîne également de nouveaux défis à la mécanique du solide. En effet, en comparant des images de la surface de solides soumis à différents stades de sollicitation, il est possible par une technique dite de corrélation d'image, d'extraire des champs de déplacement. La philosophie générale consiste à identifier différentes zones entre une image référence et une de l'état déformé en rapprochant au mieux les détails de ces zones et de repérer ce faisant le déplacement optimal. A partir de cette mesure point par point, une carte ou un champ de déplacement peuvent ainsi être appréciés. Le fait de disposer d'un champ au lieu d'une mesure ponctuelle (comme par exemple par un extensomètre ou une jauge de déformation) change notablement la manière dont un essai mécanique peut être effectué. L'information beaucoup plus riche permet de cerner l'inhomogénéité de la déformation et donc d'aborder la question de la relation entre déformation locale et nature du milieu. Il manque cependant une étape pour que cette exploitation soit intéressante : Quelle est la propriété élastique locale qui permet de rendre compte du champ de déplacement dans sa globalité ? Il s'agit là d'un problème dit « inverse » qui reçoit une attention accrue dans le domaine de la recherche depuis une vingtaine d'années. L'exploitation rationnelle de cette démarche permet de réaliser un passage homogène et direct depuis l'essai mécanique expérimental et sa modélisation numérique, exploitable pour le recalage ou l'identification de lois de comportement.
Citons quelques applications récentes ou actuelles de ces techniques d'imagerie avancées :
* Fracture de matériaux vitreux imagée par AFM
En étudiant la surface d'un échantillon de verre lors de la propagation lente d'une fissure en son sein, par AFM, il est possible de mettre en évidence des dépressions superficielles que l'on peut interpréter comme la formation de cavités plastiques en amont du front de fracture. Si un comportement plastique à très petite échelle n'est pas une totale surprise, même pour des matériaux fragiles, cette mise en évidence est un exploit expérimental hors du commun qui repose sur les progrès de ces techniques d'imagerie.
* Comportement plastique de la silice amorphe
La silice vitreuse et dans une moindre mesure la plupart des verres montrent lors de leurs déformations plastiques certains traits qui les distinguent des matériaux cristallins : Leur déformation plastique possède une composante de distorsion (habituelle) et une de densification (moins usuelle). Pour décrire l'indentation de ces matériaux et à terme l'endommagement superficiel qui accompagnera les actions de contact et le rayage, il est important d'identifier une loi de comportement cohérente. La difficulté est que lors d'une indentation, cette densification a lieu à des échelles qui sont typiquement d'une dizaine de micromètres. Ce n'est que très récemment qu'il a été possible d'obtenir des cartes de densification à l'échelle du micron en exploitant la micro-spectrométrie Raman. Ici encore, cette avancée expérimentale majeure n'a été rendue possible que par la grande résolution spatiale maintenant accessible.
* Détection de fissures et mesure de leur ténacité
Par microscopie optique, il est possible d'observer la surface d'échantillon de céramique à des échelles microniques. Cette résolution est largement insuffisante pour y détecter des fissures dont l'ouverture est inférieure à la longueur d'onde optique utilisée. La corrélation d'image numérique aidée par notre connaissance a priori des champs de déplacements associés à la fracture (dans le domaine élastique) permet de vaincre cette limite physique et d'estimer non seulement la position de la fissure mais aussi son ouverture avec une précision de l'ordre de la dizaine de nanomètres.
* Comportement de polymères micro-structurés
Les polymères en particulier semi-cristallins peuvent montrer des organisations microscopiques complexes. L'étude par AFM de la déformation locale par corrélation d'image en fonction de la nature de la phase permet de progresser dans l'identification de l'origine des comportements macroscopiques non-linéaires et leur origine microstructurale. La faisabilité de cette analyse vient à peine d'être avérée.
4 Enjeu des nouveaux matériaux
Au travers des exemples qui précèdent, nous avons déjà eu l'occasion d'évoquer des problématiques liées directement aux matériaux (milieux granulaires, matériaux amorphes, milieux quasi-fragiles, ...). Le développement de nouveaux matériaux fortement appelé par les besoins industriels, et par la maîtrise croissante des techniques d'élaboration, tant chimique que physique, pose sans cesse de nouveaux défis à l'appréciation de leurs performances mécaniques. Ceci est d'autant plus vrai que ces nouveaux matériaux sont de plus en plus définis, conçus ou formulés en réponse à une (ou plusieurs) fonction(s) recherchée(s). Cette orientation de pilotage par l'aval, sans être véritablement nouvelle, prend une place croissante dans la recherche sur les matériaux, par rapport à une approche plus « classique » où la connaissance de matériaux et de leur mode de synthèse se décline en une offre de fonctions accessibles.
4.1 Matériaux composites et nano-matériaux
L'ère des matériaux composites n'est pas nouvelle, et l'on sait depuis longtemps associer différents matériaux avec des géométries spécifiques permettant de tirer le meilleur bénéfice de chacun des constituants. Pour ne citer qu'un seul exemple, pas moins de 25 % des matériaux constitutifs du dernier Airbus A380 sont des composites, et cette proportion croît sensiblement dans les projets en développement. Au-delà de la sollicitation des différentes phases associées, le rôle crucial des interfaces a été vite compris et le traitement superficiel des fibres ou inclusions du matériau composite a été mis à profit pour moduler les propriétés globales ( arrêt de fissure par pontage et déflexion du front, modulation du report de charge après rupture).
Dans ce cadre, les nano-matériaux ne changent guère cette problématique générale. Leur taille peut, le cas échéant, justifier d'une très grande surface développée, et donc exacerber le rôle des interfaces et des interphases. Par effet de confinement, ces interphases peuvent également démontrer de nouvelles propriétés originales par rapport à leur correspondant volumique. Enfin, en réduisant la taille des objets constitutifs, leurs interactions vont facilement conduire à la formation d'agrégats ou de flocs. Cette propriété peut être soit subie soit exploitée pour dessiner une architecture idéale ou atteindre une nouvelle organisation (e.g. auto-assemblage).
4.2 Matériaux fibreux/Milieux enchevêtrés
Parmi les matériaux à microstructure, les milieux fibreux contenant des fibres longues d'orientation aléatoire se distinguent des milieux hétérogènes habituellement considérés de par la complexité géométrique de l'organisation des différentes phases à l'échelle du volume élémentaire représentatif. Que la géométrie gouverne alors la réponse mécanique ne donne cependant pas une clef facile pour résoudre ces fascinants problèmes.
4.3 Couches minces : Tribologie Frottement adhésion
La surface et le volume jouent souvent des rôles très différents selon les propriétés recherchées, et c'est donc naturellement qu'une voie prometteuse pour réaliser un ensemble de propriétés consiste à recouvrir la surface d'un solide par une (voire plusieurs) couche(s) mince(s). Concentrer la nouvelle fonction dans un revêtement superficiel permet d'atteindre un fort niveau de performance pour une faible quantité de matière. Ainsi par exemple sur verre plat, sont le plus souvent déposés des empilements de couches minces permettant d'accéder à des fonctions optiques, thermiques, de conduction électrique, ... spécifiques. En parallèle, il est important dans la plupart des applications de garantir la tenue mécanique du matériau ainsi revêtu.
Le comportement de ces couches minces dans des sollicitations de contact ponctuel et de rayage est donc crucial et souligne l'importance de la tribologie et de l'adhésion, sujets couverts par des conférences récentes dans le cadre de l'Université de tous les savoirs 2005 présentées par Lydéric. Bocquet et Liliane Léger respectivement.
4.4 Couplages multiphysiques
La mécanique n'est souvent pas une classe de propriétés indépendante des autres. De nombreux couplages existent entre élasticité et thermique, électricité, magnétisme, écoulement en milieu poreux, capillarité, adsorption, réactivité chimique ... La prise en compte de ces couplages devient stratégique dans la description et surtout la conception de matériaux « intelligents » ou « multifonctionels ». Ici encore, on se trouve vite confronté à un large nombre de degrés de libertés où il est important de savoir trier les variables (maintenant couplant paramètres mécaniques et autres) et les modes qui conditionnent les plus grandes échelles de ceux qui ne concernent que le microscopique. Les stratégies d'approche du multi-échelle et du multi-physique se rejoignent ainsi naturellement.
4.5 Vieillissement
La maîtrise du vieillissement des matériaux est l'objet d'une préoccupation croissante dans l'optique particulière du développement durable. Cette problématique fait partie intégrante des couplages multi-physiques que nous venons de citer si nous acceptons d'y adjoindre une dimension chimique. La composante de base est essentiellement la réactivité chimique parfois activée par la contrainte mécanique (comme dans la corrosion sous contrainte, la propagation sous-critique de fissure, ou certains régimes de fatigue), mais aussi le transport lui aussi conditionné par la mécanique. La difficulté majeure de ce domaine est l'identification des différents modes de dégradation, leur cinétique propre, et les facteurs extérieurs susceptibles de les influencer. En effet, il convient souvent de conduire des essais accélérés, mais la correspondance avec l'échelle de temps réelle est une question délicate à valider ... faute de temps ! Ici encore la modélisation est une aide précieuse, mais elle doit reposer sur une connaissance fiable des mécanismes élémentaires.
4.6 Bio-matériaux/bio-mimétisme
La nature a du faire face à de très nombreux problèmes d'optimisation en ce qui concerne les matériaux. De plus, confronté aux imperfections naturelles du vivant, les solutions trouvées sont souvent très robustes et tolérantes aux défauts. Faute de maîtriser l'ensemble des mécanismes de synthèse et de sélection qui ont permis cette grande diversité, nous pouvons déjà simplement observer, et tenter d'imiter la structure de ces matériaux. Cette voie, assumée et affirmée, est ce que l'on nomme le bio-mimétisme et connaît une vague d'intérêt très importante. Pour ne citer qu'un exemple, la structure des coquillages nous donne de très belles illustrations d'architectures multi-échelles, dotées d'excellentes propriétés mécaniques (rigidité et ténacité), réalisées par des synthèses « douces » associant chimies minérale et organique.
4.7 Mécanique biologique
Au-delà de l'observation et de l'imitation, il est utile de comprendre que les structures biologiques n'échappent pas aux contraintes mécaniques. Mieux, elles les exploitent souvent au travers des mécanismes de croissance et de différentiation qui, couplés à la mécanique, permettent de limiter les contraintes trop fortes et de générer des anisotropies locales en réponse à ces sollicitations. Exploiter en retour ce couplage pour influer sur, ou contrôler, la croissance de tissus biologiques par une contrainte extérieure est un domaine naissant mais certainement plein d'avenir.
5 Enjeu des nouvelles demandes/ nouveaux besoins
Puisque la maîtrise de la modélisation numérique est maintenant acquise en grande partie, pour tous types de loi de comportement ou de sollicitation, l'attente a cru en conséquence dans de nombreuses directions.
5.1 Essais virtuels
Le coût des essais mécaniques de structures est considérable car souvent accompagné de la destruction du corps d'épreuve. En conséquence, la pression est forte pour exploiter le savoir-faire de la modélisation, et ainsi réduire les coûts et les délais de mise au point. Dans le secteur spatial ou aéronautique, la réduction des essais en particulier à l'échelle unité a été extrêmement substantielle, jusqu'à atteindre dans certains cas la disparition complète des essais réels. S'y substitue alors « l'essai virtuel », où le calcul numérique reproduit non seulement l'essai lui-même, mais aussi des variations afin d'optimiser la forme, les propriétés des éléments constitutifs ou leur agencement. Cette tendance lourde se généralise y compris dans des secteurs à plus faible valeur ajoutée, où l'optimisation et la réduction des délais sont le moteur de ce mouvement.
5.2 Sûreté des prédictions
Si l'importance de l'essai mécanique s'estompe, alors il devient vite indispensable de garantir la qualité du calcul qui le remplace. Qualifier l'erreur globale, mais aussi locale, distinguer celle commise sur la relation d'équilibre, sur la loi de comportement ou encore sur la satisfaction des conditions aux limites peut être un outil précieux pour mieux cerner la sûreté de la prédiction. Cette mesure d'erreur ou d'incertitude peut guider dans la manière de corriger le calcul, d'affiner le maillage ou de modifier un schéma numérique d'intégration. Dans le cas de lois de comportement non-linéaires complexes, l'élaboration d'erreurs en loi de comportement devient un exercice particulièrement délicat qui requiert encore un effort de recherche conséquent compte-tenu de l'enjeu.
5.3 Variabilité Fiabilité
La situation devient plus délicate dans le cas où la nature du matériau, ses propriétés physiques, sa géométrie précise sont susceptibles de variabilité ou simplement d'incertitude. Bien entendu des cas limites simples peuvent être traités aisément par le biais d'approches perturbatives, qui (dans le cas élastique) ne changent guère la nature du problème à traiter par rapport à une situation déterministe. Pour un fort désordre (voire même un faible désordre lorsque les lois de comportement donnent lieu à un grand contraste de propriétés élastiques incrémentales), la formulation même du problème donne naturellement lieu à des intégrations dans des espaces de phase de haute dimensionalité, où rapidement les exigences en matière de coût numérique deviennent difficiles voire impossibles à traiter. Les approches directes, par exemple via les éléments finis stochastiques atteignent ainsi vite leurs limites. L'art de la modélisation consiste alors à simplifier et approximer avec discernement. Guidé dans cette direction par les approches multiéchelles qui ont eu pour objet essentiel de traiter de problèmes initialement formulés avec trop de degrés de liberté, nous devinons qu'une stratégie de contournement peut sans doute dans certains cas être formulée, mais nous n'en sommes aujourd'hui qu'aux balbutiements. Si l'on se focalise sur les queues de distributions, caractérisant les comportements extrêmes, peu probables mais potentiellement sources de dysfonctionnements graves, alors la statistique des extrêmes identifiant des formes génériques de lois de distributions stables peut également fournir une voie d'approche prometteuse.
Dans le cas des lois de comportement non-linéaires, comme l'endommagement, on retrouve une problématique déjà évoquée dans la section 2, certes sous un angle d'approche différent mais où les effets d'échelle dans la variabilité des lois de comportement aléatoires renormalisées à des échelles différentes demeure très largement inexplorée.
5.4 Optimisation
Quelle forme de structure répond-elle le mieux à une fonction imposée dans la transmission d'efforts exercés sur sa frontière ? Telle est la question à laquelle s'est attachée la recherche sur l'optimisation de forme. Des avancées récentes très importantes ont été faites dans le réalisme des solutions obtenues en prenant en compte de multiples critères. Ceux-ci incluent la minimisation de quantité de matière (mise en jeu dans les formulations premières du problème), mais aussi plus récemment des contraintes de réalisabilité de pièce via tel ou tel mode d'élaboration.
5.5 Contrôle
Parfois les sollicitations extérieures sont fluctuantes, et peuvent donner lieu à des concentrations de contraintes indésirables, ou encore à des vibrations proches d'une fréquence de résonance. Plutôt que de subir passivement ces actions extérieures, certains systèmes peuvent disposer d'actuateurs dont l'action peut potentiellement limiter le caractère dommageable des efforts appliqués. La question de la commande à exercer sur ces actuateurs en fonction de l'information recueillie sur des capteurs judicieusement disposés est au cSur du problème du contrôle actif. Ce domaine a véritablement pris un essor considérable en mécanique des fluides ( acoustique, et contrôle pariétal de la turbulence), et entre timidement aujourd'hui dans le champ de la mécanique des solides.
6 Conclusions
Ce très bref panorama, focalisé sur des développements en cours ou prometteurs, a pour but de montrer que la mécanique du solide est extraordinairement vivace. Confrontée à des défis nouveaux, elle voit ses frontières traditionnelles s'estomper pour incorporer des informations ou des outils nouveaux de différents secteurs de la chimie et de la physique. Elle se doit d'évoluer aussi sur ses bases traditionnelles, sur le plan numérique par exemple, en développant de nouvelles interfaces avec d'autres descriptions, (mécanique quantique, incorporation du caractère stochastique, couplages multiphysiques...), et en développant des approches plus efficaces pour traiter ne fut-ce qu'approximativement, des problèmes de taille croissante. On observe également que l'interface entre l'expérimental (mécanique mais aussi physique) et la modélisation numérique se réduit avec l'exploitation quantitative des nouveaux outils d'imagerie. Cette ouverture très nouvelle redonne toute leur importance aux essais mécaniques, domaine un peu délaissé au profit de la modélisation numérique.
7 Références
Le texte qui précède est consacré à un impossible exercice de prospective, qui ne doit pas abuser le lecteur, tant il est probable que, dans quelques années, ce texte n'offrira que le témoignage de la myopie du rédacteur. Pour tempérer ceci, et permettre à chacun de se forger une opinion plus personnelle, je ne mentionne pas ici de références. En revanche, le texte contient en caractère gras un nombre conséquent de mots clés, qui peuvent chacun permettre une entrée de recherche sur Internet, donnant ainsi accès à un nombre considérable d'informations, et d'opinions sans cesse mises à jour.
[1] E-mail : stephane.roux@saint-gobain.com
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