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Un mécanisme d’élimination des protéines localisées par erreur dans le noyau cellulaire

 

 

 

 

 

 

 

Un mécanisme d’élimination des protéines localisées par erreur dans le noyau cellulaire


COMMUNIQUÉ | 17 DÉC. 2014 - 19H00 | PAR INSERM (SALLE DE PRESSE)

BASES MOLÉCULAIRES ET STRUCTURALES DU VIVANT | BIOLOGIE CELLULAIRE, DÉVELOPPEMENT ET ÉVOLUTION



Une collaboration internationale coordonnée par le Centre allemand de recherche contre le cancer (Université d’Heidelberg), associant en France des chercheurs de l’Institut de Génétique et Développement de Rennes (CNRS/Université de Rennes 1) sous la direction de Gwenaël Rabut, chercheur à l’Inserm, ainsi que des équipes suédoise et canadienne vient de mettre en évidence un nouveau mécanisme moléculaire qui permettrait aux cellules de détruire les protéines localisées par erreur dans leur noyau. Ces travaux sont publiés dans la revue Nature.

Les processus biologiques sont loin d’être parfaits. Malgré des millions d’années de perfectionnement, les mécanismes moléculaires qui assurent le fonctionnement des êtres vivants font de nombreuses erreurs qui, si elles ne sont pas détectées et corrigées, peuvent avoir de graves conséquences. Par exemple, de nombreux cancers ont pour origine des erreurs de copie de notre matériel génétique. De même, un mauvais repliement de certaines protéines neuronales entraîne la formation d’agrégats toxiques qui perturbent le fonctionnent du système nerveux et provoquent des maladies neurodégénératives, comme Alzheimer ou Parkinson.
Pour éviter d’en arriver là, les cellules ont mis en place des mécanismes moléculaires complexes qui contrôlent la qualité des protéines et éliminent celles qui sont défectueuses. Ces mécanismes sont localisés et mis en œuvre principalement dans le cytoplasme (compartiment des cellules où les protéines sont synthétisées).
En travaillant sur plusieurs facteurs impliqués dans le contrôle de qualité des protéines, les chercheurs se sont aperçus que certains d’entre eux étaient également localisés dans le noyau des cellules (le compartiment qui renferme le matériel génétique) et qu’ils permettaient de dégrader des protéines anormalement présentes dans ce compartiment.

Lors de cette étude, les chercheurs de l’Institut de génétique et de développement de Rennes (dont Gwenaël Rabut, chercheur Inserm, coordinateur et responsable du projet à Rennes et Ewa Blaszczak, doctorante, co-première auteure de l’article) ont pu observer que ces facteurs impliqués dans le contrôle de qualité des protéines interagissaient entre eux au niveau du noyau et qu’ils entraînaient l’ubiquitylation (l’étape précédant la dégradation) d’une protéine localisée par erreur dans le noyau.

En utilisant une méthode d’observation basée sur un décalage de fluorescence des protéines d’intérêt développée à l’Université d’Heidelberg, les chercheurs ont pu identifier une vingtaine de protéines dont la dégradation dépendait des facteurs de contrôle de la qualité localisés dans le noyau. Comme plusieurs de ces protéines sont normalement localisées dans le cytoplasme, et qu’elles s’accumulent au niveau du noyau lorsqu’elles ne sont plus dégradées, les chercheurs proposent que ce système de contrôle de qualité serve à éliminer non seulement des protéines défectueuses, mais aussi les protéines localisées par erreur dans le noyau.
Ces découvertes ont été réalisées en utilisant un organisme modèle, la levure de boulanger, mais il est vraisemblable que des mécanismes similaires existent également chez l’homme.

 

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Quand la nanoscopie déchiffre l'organisation moléculaire des neurones

 

 

 

 

 

 

 

Quand la nanoscopie déchiffre l'organisation moléculaire des neurones

Afin de traiter et transmettre l'information au sein de réseaux, les neurones présentent une organisation polarisée qui dépend d'assemblages moléculaires formant des compartiments distincts au sein de la cellule. La microscopie optique de super-résolution ou “nanoscopie” permet d'observer directement ces assemblages à l'échelle nanométrique pour élucider leur fonction. Une équipe du Centre de recherche en neurobiologie et neurophysiologie de Marseille a utilisé la nanoscopie pour déterminer l'architecture moléculaire du segment initial de l'axone, un compartiment clé pour l'organisation et la communication des neurones. Ces travaux, publiés dans la revue Cell Reports, apportent des informations d'une précision inégalée sur l'organisation neuronale. Ils ouvrent la voie à une meilleure compréhension des phénomènes de polarité et de transport cellulaires qui sont profondément affectés dans les maladies neurodégénératives comme la maladie d'Alzheimer.


Les capacités du cerveau à stocker et traiter l'information reposent sur l'organisation en réseaux des milliards de neurones qui le constituent. Afin de former ces réseaux, les neurones doivent s'organiser de manière polarisée, avec une arborisation complexe composée de dendrites qui reçoivent l'information et d'un axone qui envoie les messages sous forme de potentiels d'action. L'un des grands sujets de recherche de la biologie cellulaire du neurone est de comprendre comment les neurones parviennent à établir et à maintenir cette organisation complexe par une myriade de mécanismes de transport et d'assemblage cellulaires. A l'entrée de l'axone, un compartiment clé permet de le séparer du reste du neurone et de générer les potentiels d'action : c'est le segment initial de l'axone (SIA). Il est constitué d'un assemblage unique de protéines d'échafaudage et de canaux ioniques, mais leur arrangement macromoléculaire était jusqu'à aujourd'hui énigmatique. Connaitre cet arrangement permettrait de comprendre comment le SIA peut gérer l'entrée des protéines dans l'axone, une étape importante pour le maintien de l'organisation neuronale.
Pour déterminer l'arrangement des protéines du SIA, les membres de l'équipe “Architecture des Domaines Axonaux” ont utilisé la microscopie optique de super-résolution (nanoscopie). Cette méthode, couronnée par le prix Nobel de Chimie 2014, permet de visualiser les assemblages protéiques au sein des cellules avec une résolution de l'ordre de 20 nanomètres, dix fois meilleure que la microscopie classique, Grâce à un partenariat avec Nikon Instruments, les chercheurs ont exploité cette technique pour cartographier les composants du SIA et leur arrangement à l'échelle moléculaire. La précision de la nanoscopie, couplée à l'utilisation de plusieurs anticorps contre différentes parties de protéines du SIA, a permis de déterminer la position et l'orientation de ces protéines. Les  chercheurs ont confirmé que le complexe d'actine et de spectrine sous la surface du SIA est organisé de manière périodique, avec des paires de spectrines reliant des anneaux d'actine espacés de 190 nanomètres. Ils ont ensuite révélé que l'ankyrine G, la protéine d'échafaudage qui retient les canaux ioniques au SIA, a une extrémité insérée dans ce complexe périodique, tandis que l'autre dépasse vers l'intérieur de la cellule, avec une extension moyenne de 30 nanomètres.

Une fois cette cartographie moléculaire obtenue, ils ont testé la robustesse de cet assemblage en perturbant le cytosquelette neuronal ainsi que la signalisation intracellulaire. Ils ont démontré que le SIA est non seulement hautement organisé à l'échelle nanoscopique, mais que cette organisation est particulièrement résistante. Ces résultats suggèrent que l'organisation du SIA est importante pour maintenir et réguler le transport vers l'axone, permettant d'entretenir et de modifier l'arborisation axonale. Une meilleure compréhension de ce transport vers l'axone permettra d’appréhender comment et pourquoi il est profondément altéré dans les phases précoces des maladies neurodégénératives comme la maladie d'Alzheimer.
 

Figure : Image par nanoscopie d'un SIA marqué pour la ßIV-spectrine (en haut à gauche). L'organisation en bandes périodiques est clairement visible, contrairement à l'image de microscopie d'épifluorescence classique (encart) dont la résolution est trop limitée pour distinguer ces bandes. La nanoscopie peut être réalisée en 3D et en 2 couleurs (en bas à gauche), permettant de visualiser des coupes transverses du SIA, par exemple les microtubules à l'intérieur (en vert) entourés par la ßIV-spectrine sous-membranaire (en rose). A droite, schéma en zooms successifs montrant la localisation et l'organisation du SIA à l'échelle moléculaire, avec le complexe sous-membranaire périodique (190 nm) et l'extension de l'ankyrine G (32 nm).

© Christophe Leterrier
 

En savoir plus
* Nanoscale architecture of the axon initial segment reveals an organized and robust scaffold. 
Christophe Leterrier, Jean Potier, Ghislaine Caillol, Claire Debarnot, Fanny Rueda Boroni, Bénédicte Dargent. 
Cell Reports (2015), http://dx.doi.org/10.1016/j.celrep.2015.11.051





 Contact chercheur
* Christophe Leterrier 
Centre de recherche en neurobiologie 
et neurophysiologie de Marseille 
CNRS UMR7286, Aix Marseille Université 
Faculté de Médecine Secteur Nord
Boulevard Pierre Dramard 
13344 MARSEILLE CEDEX 15 


Tel: 04 91 69 89 30

 

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NEURO-MODELAGE DES SOUVENIRS

 

 

 

 

 

 

 

Neuro-modelage des souvenirs
Serge Laroche dans mensuel 344
daté juillet-août 2001 -

Comment les neurones parviennent-ils à enregistrer nos souvenirs de façon durable ? Les controverses sont vives. Néanmoins, le puzzle se constitue peu à peu autour d'une pièce centrale : la plasticité du cerveau. Variation de l'activité de certaines synapses, croissance de nouvelles d'entre elles, et peut-être même formation de nouveaux neurones semblent impliquées dans la formation de traces mnésiques au niveau cellulaire.
Plusieurs centaines de milliards de neurones, chacun relié directement à dix ou vingt mille autres neurones par des connexions appelées synapses : voilà la formidable machine de plus d'un million de milliards de connexions qui nous permet de percevoir, de construire nos souvenirs, mais aussi de savoir, de croire, de décider et d'agir.
La clé de ses capacités réside en une propriété étonnante : celle de pouvoir remodeler, reconfigurer ses propres circuits. A cette aune, qu'est-ce que la mémoire ? Le modèle général considère qu'à chaque souvenir correspondrait une configuration unique d'activité dans de vastes réseaux neuronaux. Or, on sait depuis longtemps que cette activité est, par nature, évanescente. Elle ne peut donc constituer une trace stable à long terme, compatible avec la quasi-permanence des souvenirs. Alors, comment ceux-ci s'inscrivent-ils ? Quelle est leur trace matérielle ?
L'idée d'une reconfiguration des circuits neuronaux naît en 1894, lorsque le neuroanatomiste Santiago Ramón y Cajal propose, au cours d'une conférence à la Royal Society de Londres, une hypothèse révolutionnaire : l'apprentissage faciliterait l'expansion et la croissance de protubérances - elles allaient bientôt s'appeler les synapses - qui connectent les neurones entre eux. Cette première formulation du concept de plasticité neuronale est, à l'époque, d'autant plus frappante que les études anatomiques du cerveau et de son développement révèlent la précision et la stabilité des assemblages neuronaux. Sans arguments expérimentaux directs, les positions théoriques s'affrontent entre les tenants de l'hypothèse de la plasticité et ceux qui, comme Lorente de Nó, un élève de Cajal, et Deslisle Burns, prônent une conception plus dynamique impliquant la circulation en boucle de l'activité neuronale dans des chaînes de neurones. En 1949, le psychologue canadien Donald Hebb énonce une hypothèse forte, qui permet de concilier les deux points de vue. Hebb propose que l'activité électrique que l'on observe dans des assemblées de neurones lors d'un apprentissage persiste pendant un certain temps, comme pour frayer un chemin, et que cela entraîne des modifications cellulaires ou biochimiques des neurones activés, de sorte que la force synaptique entre eux augmente. Un demi-siècle après la publication de l'ouvrage de Hebb, le postulat selon lequel l'activité simultanée de neurones connectés modifie les connexions synaptiques entre ces neurones est devenu la pierre angulaire de notre compréhension des bases cellulaires de la mémoire.
Mais un postulat n'a pas force de théorème. Comment prouver la réalité de cette plasticité ? Un premier argument en sa faveur est venu de l'étude de formes simples d'apprentissage en l'occurrence, du conditionnement chez un mollusque marin, l'aplysie. En 1970, Eric Kandel et ses collaborateurs mettent en évidence des changements fonctionnels des synapses de l'aplysie, corrélativement à cet apprentissage1. Ces résultats ne devaient trouver leur pendant chez les mammifères qu'en 1973. Timothy Bliss et Terje Lømo démontrent alors, en travaillant sur des lapins, l'extraordinaire capacité de plasticité des synapses de l'hippocampe - structure qui joue un rôle fondamental dans de nombreux types de mémoire voir l'article de Bruno Poucet dans ce numéro. Cette plasticité est désormais connue sous le nom de potentialisation à long terme, ou LTP2. Dans leur découverte initiale, les auteurs montrent qu'une brève stimulation à haute fréquence d'une voie neuronale envoyant des informations sensorielles du cortex à l'hippocampe, induit une augmentation importante et durable de l'efficacité de la transmission synaptique : les neurones cibles de l'hippocampe acquièrent une plus grande sensibilité à toute stimulation ultérieure. Le plus remarquable dans cette forme de plasticité, induite en quelques dizaines de millisecondes, est sa persistance : les synapses restent modifiées pour des semaines, voire des mois. Cette découverte suscita un enthousiasme considérable dans la communauté scientifique. Avait-on là le mécanisme du stockage de l'information dans le cerveau, que l'on cherchait depuis l'énoncé de la théorie de Hebb ? En étudiant les mécanismes de la LTP au niveau cellulaire, allait-on découvrir les mécanismes de la mémoire ? Cela semblait plausible à de nombreux chercheurs. Dès lors, un très grand nombre d'équipes ont orienté leurs travaux vers l'étude de ce modèle de plasticité.

Mécanismes de plasticité. Un premier courant, de loin le plus important en efforts de recherche, se penchait sur les mécanismes de la LTP au niveau cellulaire et moléculaire3. Les synapses concernées par le phénomène de plasticité utilisent le glutamate comme neuromédiateur. On en trouve dans l'hippocampe, bien sûr, mais aussi dans la plupart des structures corticales et sous-corticales du cerveau. Pour que ces synapses puissent être modifiées, il est impératif qu'elles soient d'abord activées, soit, en d'autres termes, que l'influx nerveux qui arrive au niveau du neurone présynaptique se propage au neurone post-synaptique. C'est le récepteur AMPA du glutamate qui permet la propagation de cet influx nerveux fig. 1. Si le neurone post-synaptique est suffisamment activé, un second récepteur jusqu'alors inactif, le récepteur NMDA, subit une modification qui fait que sa stimulation par le glutamate entraîne l'entrée de calcium dans la cellule. En découle l'activation de nombreuses protéines, en particulier des kinases* dont la calmoduline-kinase II CaMK II et les MAP kinases. Au moins deux types de mécanismes sont alors déclenchés : la phosphorylation* des récepteurs du glutamate tant NMDA que AMPA, et l'activation de la machinerie génique. Ainsi qu'on peut le voir en microscopie électronique, ces modifications aboutissent à un profond remodelage des circuits neuronaux : changement de la forme et de la taille des synapses, insertion de récepteurs du glutamate et transformation de synapses silencieuses en synapses actives, et croissance de nouvelles synapses.
Comment mettre à jour l'hypothétique lien entre plasticité synaptique et processus d'apprentissage et de mémorisation ? Le chemin était difficile, et l'histoire, encore jeune, de ces recherches est jalonnée de constantes fluctuations entre le rejet et l'acceptation de l'hypothèse. Toutefois, les connaissances sur les mécanismes moléculaires de la mémoire ont progressé ces dix dernières années à un rythme étonnant, et de plus en plus de résultats montrent que ces mécanismes de plasticité sont un élément déterminant du stockage des souvenirs.
Dans les années 1980, plusieurs laboratoires ont étudié des formes simples d'apprentissage associatif chez le rat, comme l'association d'un son avec un léger choc électrique. Après une certaine période de conditionnement, l'animal réagit au son seul comme il réagissait au choc électrique. Parallèlement, les neurones de nombreuses structures, y compris l'hippocampe, présentent une augmentation importante et sélective de leur fréquence de décharge. De plus, l'efficacité de la transmission synaptique dans les circuits de l'hippocampe augmente parallèlement aux progrès de l'apprentissage. Mais ces données n'ont qu'une valeur de corrélation, et ne sont pas la preuve d'une relation de cause à effet. Sans compter que les variations d'efficacité synaptique pen-dant l'apprentissage sont techniquement difficiles à mettre en évidence, car la transmission synaptique moyenne sur une large population de neurones reste relativement constante. De fait, des données suggèrent que le renforcement de certaines populations de synapses s'accompagne de l'affaiblissement d'autres. Ceci n'est pas si surprenant : comment concevoir que l'efficacité de très nombreuses synapses augmente chaque fois que l'on apprend ? Un tel système serait probablement très vite saturé. La dépression à long terme LTD, un mécanisme de plasticité inverse de la LTP que l'on peut observer dans certaines conditions d'activation synaptique, interviendrait-elle à ce niveau en évitant la saturation du système d'encodage et en augmentant le contraste entre synapses potentialisées et déprimées ? Ou jouerait-elle un rôle dans l'oubli comme le prédisent certains modèles théoriques ? Si des modifications synaptiques de type LTP ou LTD ont pu être observées dans différentes structures du cerveau en fonction de l'information à mémoriser, une analyse précise nécessitera le développement de nouvelles méthodes électro-physiologiques permettant d'isoler de petites populations de synapses.
La pharmacologie et la génétique ont apporté des réponses là où l'électrophysiologie se heurtait à ses limites. Le blocage de la LTP, obtenu en faisant appel à des techniques relevant de l'un ou l'autre de ces deux domaines, modifie-t-il les capacités d'apprentissage d'un animal ? A la fin des années 1980, le groupe de Richard Morris à Edimbourg montre que l'administration à des rats d'un antagoniste* des récepteurs NMDA, qui bloque la plasticité des synapses sans perturber la transmission des messages neuronaux assurée par le récepteur AMPA, rend ces animaux incapables d'apprendre une tâche de navigation spatiale. A mesure que les doses d'antagoniste augmentent, la plasticité synaptique diminue, et les déficits mnésiques se renforcent4. De notre côté, nous constations qu'en présence d'un antagoniste des récepteurs NMDA les neurones de l'hippocampe ne modifient plus leur activité pendant un apprentissage associatif, suggérant que ces mécanismes de plasticité sont nécessaires à la construction d'une représentation neuronale de l'information à mémoriser. Et, alors que l'équipe de Bruce McNaughton à Tucson montrait que la saturation de la LTP dans l'hippocampe par de multiples stimulations électriques perturbait l'apprentissage spatial, l'enthousiasme pour considérer que la LTP représentait un modèle des mécanismes de l'apprentissage grandissait. Mais le scepticisme quant au rôle de la LTP dans la mémoire s'installa de nouveau lorsque plusieurs équipes ne purent reproduire ce résultat. Il a fallu plusieurs années pour inverser la tendance et montrer que l'on observe un réel déficit mnésique pour peu que l'on s'approche autant que possible de la saturation maximale de la LTP, saturation qui empêche les synapses d'être modifiées pendant l'apprentissage.
Une autre approche déterminante a consisté à d'abord rechercher les mécanismes biochimiques et moléculaires de la mémoire, puis à voir s'ils étaient similaires à ceux de la plasticité. Les premières études que nous avons réalisées avec Tim Bliss au milieu des années 1980 ont ainsi mis en évidence une augmentation de la capacité de libération synaptique du glutamate dans différentes régions de l'hippocampe après un apprentissage associatif, par des mécanismes neurochimiques identiques à ceux de la LTP. Ces résultats ont été confirmés lors de la réalisation d'autres tâches d'apprentissage, comme l'apprentissage spatial. Nombre d'autres études ont montré que la phosphorylation de différentes kinases ou l'augmentation de la sensibilité des récepteurs du glutamate - ainsi que d'autres mécanismes cellulaires impliqués dans la LTP - sont activées lorsqu'un animal apprend5. Et inversement le blocage de ces événements biochimiques perturbe invariablement l'apprentissage.

Apports très récents. Plus récemment, les techniques de modification génique chez la souris ont permis d'apporter des réponses encore plus démonstratives. D'un grand nombre d'études il ressort que l'inactivation génétique de molécules importantes pour la plasticité perturbe corrélativement l'apprentissage. Des souris chez lesquelles les neurones de certaines zones de l'hippocampe n'expriment pas le récepteur NMDA se sont révélées particulièrement riches en enseignements. Chez ces souris, la LTP est abolie dans la région hippocampique concernée, la stabilité des cellules de lieu est altérée voir l'article de Bruno Poucet dans ce numéro et les animaux présentent corrélativement des déficits importants de mémoire spatiale6. Inversement, en augmentant, chez d'autres souris, l'expression d'un gène qui code une protéine du récepteur NMDA, l'équipe de Joe Tsien à Princeton a observé de nettes améliorations des performances mnésiques dans de nombreuses tâches d'apprentissage7. Au vu de ces résultats, il semble indéniable que le récepteur NMDA est un acteur clé de la mémoire. Mais, de façon surprenante, les déficits mnésiques observés chez les souris dépourvues de récepteur NMDA peuvent être compensés par une période d'élevage dans un environnement riche en stimulations sensorielles8 voir l'article de Claire Rampon. S'agit-il de la compensation de mécanismes moléculaires défectueux par d'autres ? La fonction déficiente est-elle prise en charge par d'autres circuits ? Il est encore trop tôt pour le dire, mais ce type de données montre qu'on ne saurait restreindre les capacités mnésiques d'un animal à la présence du récepteur NMDA dans telle zone du cerveau.
L'idée que la mémorisation repose sur des modifications synaptiques implique que ces modifications soient stabilisées et consolidées. Comment peuvent-elles perdurer en résistant au renouvellement des molécules de la cellule ? On a constaté que l'administration d'inhibiteurs de la synthèse protéique pendant l'apprentissage perturbe la mémoire à long terme sans altérer la mémoire à court terme. Il semble donc que ces deux types de mémoires reposent sur des mécanismes biologiques distincts - la mémoire à long terme requérant la synthèse de protéines. On observe du reste une dichotomie analogue dans la plasticité synaptique, dont seule la phase durable nécessite l'apport de nouvelles protéines. Déduction logique : les mécanismes de plasticité neuronale et de consolidation mnésique impliquent très probablement des régulations de gènes. C'est au début des années 1990 que les premières évidences en la matière ont été mises à jour : l'induction de la LTP dans l'hippocampe conduit à l'activation de gènes dans le noyau des neurones activés. Ces régulations transcriptionnelles commencent par l'activation rapide en quelques dizaines de minutes et transitoire jusqu'à quelques heures d'une classe de gènes appelés « gènes précoces ». Certains d'entre eux codent des protéines qui agissent directement au niveau de la synapse. Mais une fraction importante, dont fait partie le gène zif268 , code des facteurs de transcription nucléaires modifiant l'expression d'autres gènes appelés, eux, effecteurs tardifs5,9. La réponse transcriptionnelle globale se traduit, sur plusieurs jours, par des vagues successives d'expression de différents gènes. Par exemple, l'expression des kinases est augmentée dans une fenêtre temporelle de quelques heures à un jour, alors que les récepteurs du glutamate sont, quant à eux, surexprimés entre 2 et 4 jours après l'induction de la LTP.

Commutateur moléculaire. Ce sont les kinases activées par l'entrée de calcium induite par la stimulation du récepteur NMDA, et en particulier les MAP kinases, qui sont à l'origine de l'expression des gènes précoces. Une fois phosphorylées, ces kinases activent des facteurs de transcription tels que CREB, qui se fixent sur des sites spécifiques de promoteurs de gènes dans le noyau et modifient leur expression10. Plusieurs études montrent que ces mécanismes jouent un rôle important dans la mémoire : les MAP kinases sont rapidement phosphorylées lors de l'apprentissage et le blocage de leur phosphorylation pendant l'acquisition perturbe l'apprentissage. L'activation des gènes précoces serait, quant à elle, l'étape cruciale permettant le déroulement complet du programme cellulaire de transcription génique qui entraîne une modification durable de la connectivité neuronale. Les groupes d'Alcino Silva et d'Eric Kandel ont, par exemple, montré que l'inactivation génétique de CREB chez des souris mutantes conduit à un déclin rapide de la LTP hippocampique et à des déficits de mémoire dans de nombreuses tâches11,12. En collaboration avec Tim Bliss, nous avons montré que, chez des souris mutantes chez lesquelles le gène zif268 est invalidé, les neurones de l'hippocampe conservent leurs propriétés de plasticité, mais à court terme seulement. Corrélativement, seule la mémoire à court terme des souris mutantes est intacte : elles sont incapables de retenir une information au-delà de quelques heures dans des tâches de mémorisation de l'espace, de reconnaissance d'objets familiers ou des tests de mémoire olfactive ou gustative. Ainsi, les gènes précoces tels que zif268 joueraient-ils le rôle de commutateurs moléculaires permettant d'enclencher les changements synaptiques durables nécessaires à la formation de souvenirs à long terme13.

Nouveaux neurones. Le fait que les activations de gènes, et donc la synthèse de protéines, soient d'une telle importance lors de la LTP et de l'apprentissage a soulevé un autre problème : comment les nouvelles protéines synthétisées pouvaient-elles être dirigées vers les synapses activées, et seulement elles, sans être distribuées à toutes les synapses d'un neurone ? La question paraissait si difficile qu'on était amené à penser que la plasticité ne serait peut-être qu'un mécanisme non spécifique de facilitation globale de circuits. Mais, en 1997, Uwe Frey et Richard Morris démontrent par élimination de différentes hypothèses que le seul mécanisme possible est le marquage des synapses activées, marquage qui différencierait ces synapses des synapses non activées, et leur permettrait de « capter » les protéines nouvellement synthétisées14. La nature de ce marqueur est, pour l'heure, inconnue. La découverte d'ARN messagers et de ribosomes dans les dendrites, alors qu'on les pensait cantonnés au corps cellulaire du neurone, a, elle aussi, révolutionné l'approche du mécanisme de modification des synapses. Certains ARN messagers, comme celui qui code la kinase CaMKII, ont une expression dendritique qui augmente fortement dans la demi-heure qui suit l'induction de la plasticité et l'apprentissage. Il semble que ces ARNm migrent le long des dendrites, et soient capturés par les ribosomes qui se trouvent à proximité immédiate des synapses activées - mais pas par ceux qui se trouvent à proximité des synapses inactives fig. 2. Il n'est donc pas impossible que la synthèse locale de protéines soit un mécanisme important assurant la spécificité de la plasticité synaptique et du frayage neuronal.
Qui dit souvenirs à long terme, dit stabilisation de tout un relais synaptique. La plasticité se propage-t-elle dans des réseaux de neurones interconnectés ? On relève, là encore, l'importance des régulations de gènes. Prenons l'exemple du gène de la syntaxine, une protéine qui intervient dans la libération du neuromédiateur. Nous savions déjà que, après l'induction de la LTP, son expression augmente pendant plusieurs heures dans les neurones postsynaptiques d'une zone de l'hippocampe appelée gyrus denté. Une fois synthétisée, la protéine migre vers l'extrémité axonale de ces neurones, extrémité qui se trouve dans une autre zone de l'hippocampe, la zone CA3. Là, elle favorise la libération synaptique de glutamate, donc l'activation d'autres neurones, et l'induction d'une LTP à leur niveau. Il apparaît que la régulation de l'expression de la syntaxine intervient également lors d'un apprentissage. Lors d'une tâche de mémoire spatiale, son expression augmente non seulement dans les neurones de l'hippocampe, mais aussi dans des régions du cortex préfrontal15, ce qui suggère le frayage de réseaux neuronaux, en partie par son intermédiaire, lors de la mémorisation.

Comme on l'a vu, les recherches actuelles montrent que les expériences sensorielles laissent des traces dans le cerveau en modifiant l'efficacité des synapses entre neurones et en créant de nouvelles synapses. Et si de nouveaux neurones se créaient aussi ? Impossible, aurait-on dit, il y a encore peu de temps. Nous perdons des neurones en permanence parce que les neurones qui meurent continuellement dans le cerveau adulte ne sont pas remplacés, ce qui est probablement l'une des causes majeures de nombreux désordres neurologiques. Pourtant, des travaux de Joseph Altman à la fin des années 1960 suggéraient que de nouveaux neurones étaient générés dans le gyrus denté de l'hippocampe pendant la vie postnatale et chez le jeune adulte. D'autres travaux montraient aussi une neurogenèse dans certaines régions cérébrales impliquées dans la mémoire des chants chez les canaris. Ces recherches sont longtemps restées dans l'ombre car elles semblaient n'être que des exceptions face au dogme prévalent. Mais, en 1998, Elizabeth Gould et son équipe démontrent qu'une neurogenèse se produit dans le gyrus denté chez le singe adulte et, la même année, Freg Gage au Salk Institute en Californie et ses collègues suédois de l'université de Göteborg observent le même phénomène chez l'homme en étudiant les cerveaux de patients âgés de 57 à 72 ans16I. Ces nouveaux neurones sont produits à partir d'une population de cellules progénitrices qui migrent dans le gyrus denté et se différencient en neurones. D'autres études ont montré que cette neurogenèse chez l'adulte se produit aussi dans des régions corticales. Quel pourrait être le rôle fonctionnel de ce nouveau type de plasticité ? S'agit-il d'un mécanisme de remplacement compensant partiellement les pertes neuronales ou a-t-il un rôle spécifique dans certaines fonctions cognitives ? En ce qui concerne l'apprentissage, deux études viennent de montrer, d'une part, qu'il augmente la survie des nouveaux neurones formés dans le gyrus denté17 et, d'autre part, qu'il est perturbé lorsque l'on empêche la neurogenèse chez le rat adulte18 fig. 3. Peut-on en conclure qu'apprendre, c'est aussi former de nouveaux neurones et que ces nouveaux neurones sont impliqués dans le codage de l'information qui vient d'être apprise ? Peut-on imaginer faciliter ces mécanismes de neurogenèse pour tenter de compenser les déficits mnésiques associés à certaines maladies neurodégénératives ? Il est encore beaucoup trop tôt pour le dire.

Ouverture. De tous ces résultats fondamentaux, commencent à émerger, çà et là, des embryons d'explications quant aux mécanismes cellulaires de certaines pathologies de la mémoire, comme le syndrome de l'X fragile la plus commune des formes héréditaires de retard mental ou la maladie d'Alzheimer. Par exemple, chez des souris qui surexpriment la protéine APP* et présentent des signes neuropathologiques de la maladie d'Alzheimer, on observe, associée aux déficits mnésiques, une altération de la plasticité synaptique dans l'hippocampe19. Si les connaissances qui s'accumulent sur la plasticité synaptique constituent l'une des pierres de ce qui sera, un jour, une réelle théorie de la mémoire, elles pourraient donc aussi, à échéance peut-être plus courte, favoriser l'émergence de nouvelles pistes thérapeutiques pour compenser certains dysfonctionnements de la mémoire.

1 V. Castellucci et al., Science, 167 , 1745, 1970.
2 T.V.P. Bliss et T. Lømo, J. Physiol. Lond., 232 , 331, 1973.
3 T.V.P. Bliss et G.L. Collingridge, Nature, 361 , 31, 1993.
4 S. Davis et al., J. Neurosci., 12 , 21, 1992.
5 S. Davis et S. Laroche, C.R. Acad. Sci. Paris, 321 , 97, 1998.
6 T.J. McHugh et al ., Cell, 87 , 1339, 1996.
7 Y.P. Tang et al., Nature, 401 , 63, 1999.
8 C. Rampon et al., Nature Neurosci., 3 , 238, 2000.
9 K.L. Thomas et al., Neuron., 13 , 737, 1994.
10 S. Davis et al., J. Neurosci., 20 , 4563, 2000.
11 R. Bourtchuladze et al., Cell, 79 , 59, 1994.
12 M. Mayford et E.R. Kandel, Trends in Genetics, 15 , 463, 1999.
13 M.W. Jones et al., Nature Neurosci., 4 , 289, 2001.
14 U. Frey et R.G.M. Morris, Nature, 385 , 533, 1997.
15 S. Davis et al., Learning & Memory, 5 , 375, 1998.
16 P.S. Eriksson et al ., Nature Med., 11 , 1313, 1998.
17 E. Gould et al ., Nature Neurosci., 2 , 260, 1999.
18 T.J. Shors et al ., Nature, 410 , 372, 2001.
19 P.F. Chapman et al ., Nature Neurosci., 2 , 271, 1999.

NOTES
*Protéines-kinases
Enzymes qui catalysent une réaction de phosphorylation durant laquelle un groupement phosphate est fixé sur une protéine donnée.
*Antagoniste
Molécule capable de se lier spécifiquement à un récepteur donné sans produire d'effet physiologique.
*APP Protéine précurseur du peptide amyloïde qui est anormalement secrété dans la maladie d'Alzheimer et forme après agrégation la composante principale des plaques séniles observées chez les patients atteints de cette maladie.

 

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L'OPTOGÉNÉTIQUE

 

 

 

 

 

 

 

L’optogénétique, quand la lumière prend les commandes du cerveau
19.06.2017, par Lucie Bard, chercheuse post-doctorante à l’University College London


Depuis une dizaine d’années, le développement de l’optogénétique a bouleversé les neurosciences. En rendant les neurones sensibles à la lumière, ce nouvel outil permet d’intervenir sur le cerveau et le système nerveux. Contrôle des souvenirs, du goût, de la soif… Les domaines d’application et leurs limites sont présentées dans ce nouveau billet du blog «Aux frontières du cerveau».

Le cerveau est probablement l’organe le plus complexe du corps humain. C’est un immense réseau formé de près de 100 milliards de neurones interconnectés, distribués dans différentes aires cérébrales et classés en différents sous-types selon le neurotransmetteur qu’ils libèrent en réponse à une stimulation. Une mauvaise communication neuronale est à l’origine de troubles neuropsychiatriques comme la schizophrénie et l’autisme. Etudier comment l’information est transmise dans les réseaux de neurones est donc primordial pour mieux comprendre le fonctionnement du cerveau en conditions physiologiques et pathologiques.
Pour cela, il est essentiel de pouvoir contrôler spécifiquement les différents types cellulaires qui composent les réseaux de neurones. Ceci a été rendu possible il y a maintenant un peu plus de dix ans par le développement de l’optogénétique, véritable révolution technologique dans le domaine des neurosciences. Cette technique consiste à modifier génétiquement des neurones afin qu’ils deviennent sensibles à la lumière grâce à l’expression d’une protéine : l’opsine.
 
En 2002, Georg Nagel, Ernst Bamberg et Peter Hegemann identifient la channelrhodopsine, une protéine photosensible issue d’une algue verte appelée Chlamydomonas reinhardtii. Chez ce micro-organisme unicellulaire, la channelrhodopsine est nécessaire à la phototaxie, processus par lequel certains organismes se dirigent dans l’espace par rapport à la lumière présente dans l’environnement, par exemple pour favoriser la photosynthèse. En 2003, ces mêmes chercheurs découvrent et caractérisent la channelrhodopsine-2, qui est aujourd’hui la protéine la plus utilisée pour les approches d’optogénétique.
Comment une protéine issue du monde unicellulaire pourrait-elle être utile en neurosciences ?
D’un point de vue mécanistique, la channelrhodopsine-2 est un canal ionique activé par la lumière bleue. Son activation se traduit par l’ouverture du canal qui permet alors l’entrée dans la cellule d’ions positifs (Figure 1). En 2005, Edward Boyden, Feng Zhang et Karl Deisseroth, de l’université de Stanford en Californie, montrent qu’exposer des neurones exprimant la channelrhodopsine-2 à de la lumière bleue permet leur activation en déclenchant des potentiels d’action (message électrique des neurones).
 
La puissance de cette approche est basée sur une précision spatiale mais aussi temporelle du contrôle des neurones. Précision spatiale puisqu’il est possible, par génie génétique, de cibler une population neuronale spécifique dans une région cérébrale bien définie de façon à ce que la channelrhodopsine ne soit produite que par les neurones que l’on souhaite activer (pour plus de détails, lire le billet « Des outils innovants pour étudier les circuits neuronaux »). De plus, des développements technologiques sont en cours afin de  restreindre l’application de la lumière à une zone très localisée du cerveau. Précision temporelle, également, puisque l’activation des neurones est transitoire et n’a lieu que lorsque l’expérimentateur allume la lumière.



L’optogénétique ne se limite pas à la channelrhodopsine. Au fil des années, la modification par génie génétique des protéines existantes, ainsi que la découverte d’autres protéines sensibles à la lumière, ont permis aux chercheurs d’avoir accès à toute une panoplie d’outils pour contrôler l’activation des neurones. Par exemple, l’insertion de mutations dans la channelrhodopsine a permis de générer des protéines activées par la lumière rouge (Figure 2). À l’opposé, l’halorhodopsine, issue d’une bactérie appelée Halobacteria, permet non pas d’activer mais d’inhiber les neurones.


L’inception grâce à l’optogénétique ?
Grace à l’optogénétique, générer de faux souvenirs est maintenant possible chez le rongeur, ce qui permet une meilleure compréhension de la mémoire et de ces mécanismes. En 2013, l’équipe du professeur Susumu Tonegawa (prix Nobel de physiologie ou médecine, 1987) au Massachussetts Institute of Technology (Boston) a montré qu’il était possible d’implanter de faux souvenirs chez des souris en activant des neurones par optogénétique dans l’hippocampe, une structure cérébrale essentielle dans les processus de mémorisation. En effet, lorsque les souris découvrent un nouvel environnement, certaines cellules de cette région sont spécifiquement activées et participent de façon spécifique à la mémorisation du contexte spatial. Dans l’expérience conduite par le laboratoire de Susumu Tonegawa, des souris ont été, dans un premier temps, placées dans une cage A (Figure 3). L’exploration de cet environnement entraîne l’activation sélective d’une population de cellules de l’hippocampe (neurones A) qui, couplée à une approche de génie génétique, permet d’exprimer la channelrhodopsine spécifiquement dans ces neurones.
Ces mêmes souris ont ensuite été placées dans une cage B, dans laquelle les neurones A ne sont pas naturellement activés car le contexte est différent de celui de la cage A. Mais les chercheurs ont activé artificiellement les neurones A en projetant de la lumière bleue dans l’hippocampe grâce à une petite fibre optique. Simultanément, dans cette cage B, les souris ont reçu de faibles chocs électriques qui induisent alors une réponse de peur. Par la suite, lorsque les souris ont été replacées dans la cage initiale A, elles ont montré une réaction de peur alors que cet environnement spatial n’avait jamais été associé à des chocs électriques. Les chercheurs ont ainsi réussi à associer de façon artificielle l’activation des neurones A à la réaction de peur et ainsi créer un faux souvenir.


L’optogénétique pour faire aimer les choux de Bruxelles à nos enfants ?
L’optogénétique a également été utilisée pour mieux comprendre les circuits neuronaux associés à la soif et au goût. En particulier, le laboratoire de Charles Zuker à l’université de Columbia (New York) a montré en 2015 qu’il était possible de déclencher la sensation de soif chez des souris en activant par optogénétique une population de neurones de l’hypothalamus, et ceci même quand les souris étaient parfaitement bien hydratées. Cette même équipe s’est également intéressée au système gustatif. Le goût est représenté par cinq saveurs : sucrée, salée, amère, acide et « umami » (qui signifie « savoureux » en japonais et qui décrit un goût appétissant de bouillon ou de viande généré par la présence de glutamate). Nombre d’entre nous pensent que ces différentes saveurs sont détectées au niveau de zones bien définies sur la langue mais il semblerait que cela soit un mythe. En effet, on sait aujourd’hui que les récepteurs responsables de la détection des différentes saveurs sont distribués de façon uniforme à la surface de la langue au niveau des papilles gustatives. Celles-ci sont innervées par des fibres nerveuses qui transmettent les informations  jusqu’au cortex gustatif.
Dans cette structure, les différentes saveurs sont représentées au niveau de champs topographiques bien distincts les uns des autres, ce qui permet de cibler très spécifiquement les neurones activés par telle ou telle saveur. C’est l’approche qu’a utilisée l’équipe de Charles Zuker en induisant l’expression de la channelrhodopsine soit dans les neurones codant pour la saveur amère, soit dans ceux codant pour la saveur sucrée. De façon naturelle, les souris ont une attraction pour les substances sucrées et une aversion pour les substances amères. Cependant, si on stimule spécifiquement les neurones codant pour la saveur amère dans le cortex gustatif, on déclenche alors chez les souris une réponse de répulsion si intense que les souris refusent alors les substances sucrées. Inversement, lorsque les neurones de la saveur sucrée sont spécifiquement activés, les souris présentent une réponse d’attraction qui va même jusqu’à masquer leur aversion pour les substances amères. Les neurones codant pour la saveur amère pourraient donc être baptisés « neurones du dégoût » et ceux codant pour la saveur sucrée, « neurones de la gourmandise ».

Des applications thérapeutiques de l’optogénétique dans un futur proche ?
Comme l’illustrent les études précédemment décrites, l’optogénétique est un outil incomparable pour améliorer notre compréhension du fonctionnement cérébral. Mais peut-on imaginer des applications thérapeutiques chez l’humain à court terme ? Ceci paraît peu probable, car c’est une technique qui reste pour l’instant très invasive. En effet, son application nécessite des approches de thérapie génique qui consistent à modifier des neurones en injectant un virus codant pour la channelrhodopsine dans l’aire cérébrale ciblée. Quelles doses de virus doit-on administrer ? Existe-il des effets secondaires à long terme ? Autant de questions auxquelles on doit préalablement répondre avant d’envisager concrètement une application chez l’homme.
Par ailleurs, cette technique nécessite l’implantation d’une fibre optique dans le cerveau pour illuminer et activer les neurones modifiés dans l’aire cérébrale ciblée, ce qui reste à ce jour difficile, notamment pour les aires cérébrales profondes. En effet, la lumière bleue traverse assez mal les tissus. Des recherches sont en cours pour développer des outils optogénétiques activables par la lumière infrarouge, beaucoup plus efficace pour pénétrer dans les tissus, en vue de remplacer l’implantation de fibres optiques par des diodes électroluminescentes (LED) disposées à la surface du crâne. Le développement de nouvelles opsines, de plus en plus performantes est fulgurant. Injecter aujourd’hui une opsine chez un patient âgé de 30 ans c’est un peu comme l’envoyer sur Pluton avec les technologies aérospatiales des années 70. Il paraitrait donc plus sage d’attendre d’avoir des outils optogénétiques optimisés avant de se lancer dans des essais cliniques chez l’homme.

Les études présentées dans cet article ne reflètent qu’une infime partie des travaux employant l’optogénétique. À ce jour, ce serait plus de 1 000 laboratoires dans le monde qui utiliseraient cette approche pour améliorer notre compréhension du fonctionnement du cerveau. Les six inventeurs de l’optogénétique, Ernst Bamberg, Edward Boyden, Karl Deisseroth, Peter Hegemann, Gero Miesenböck et Georg Nagel, ont reçu en 2013 le très convoité « Brain Prize » pour « l’invention et le développement de l’optogénétique. Cette technique révolutionnaire permet d’allumer et d’éteindre avec de la lumière des populations de neurones génétiquement modifiés, permettant ainsi non seulement d’étudier le fonctionnement des circuits neuronaux mais également de développer de nouvelles approches thérapeutiques pour les troubles neurologiques et psychiatriques. »
 

Références
1. Boyden E. S., Zhang F., Bamberg E., Nagel G., Deisseroth K., « Millisecond-timescale, genetically targeted optical control of neural activity », Nature Neuroscience, 2005, vol. 8 (9) : 1263-8. doi: 10.1038/nn1525.
2. Nagel G., Ollig D., Fuhrmann M., Kateriya S., Musti A., Bamberg E. et al., « Channelrhodopsin-1: A Light-Gated Proton Channel in Green Algae », Science, 2002, vol. 296 (5577) : 2395-8. doi: 10.1126/science.1072068.
3. Nagel G., Szellas T., Huhn W., Kateriya S., Adeishvili N., Berthold P. et al., « Channelrhodopsin-2, a directly light-gated cation-selective membrane channel », Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America, 2003, vol. 100 (24) : 13940-5. doi: 10.1073/pnas.1936192100.
4. Oka Y., Ye M., Zuker C. S., « Thirst driving and suppressing signals encoded by distinct neural populations in the brain », Nature, 2015, vol.520 (7547) : 349-52. doi: 10.1038/nature14108.
5. Peng Y., Gillis-Smith S., Jin H., Tränkner D., Ryba N. J. P., Zuker C. S., « Sweet and bitter taste in the brain of awake behaving animals », Nature, 2015, vol. 527 (7579) : 512-5. doi: 10.1038/nature15763.
6. Ramirez S., Liu X., Lin P.-A., Suh J, Pignatelli M., Redondo R. L. et al., « Creating a False Memory in the Hippocampus », Science, 2013, vol. 341 (6144) : 387-91. doi: 10.1126/science.1239073.

Lucie Bard est docteure en Neurosciences. Elle cherche à comprendre comment l’information est transmise dans les réseaux de neurones par des approches de microscopie optique et d’électrophysiologie. Elle a effectué sa thèse sous la direction de Laurent Groc à l’université de Bordeaux au cours de laquelle elle s’est intéressée aux mécanismes moléculaires qui contrôlent l’ancrage des récepteurs du glutamate de type NMDA dans les synapses. Depuis 2011, elle est en post-doctorat dans le laboratoire de Dmitri Rusavov à l’University College London au Royaume-Uni et s’intéresse au dialogue entre neurones et astrocytes et son rôle dans la physiologie synaptique. Sur Twitter @LucieBard.


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