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LA SONATE |
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Auteur : sylvain Date : 15/10/2016 |
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sonate
(forme)
Ce principe structurel domina la musique occidentale en gros de 1750 à 1950, ou de la première école de Vienne (Haydn, Mozart, Beethoven) à la seconde (Schönberg, Berg, Webern). Théoriquement, il s'applique non à une œuvre entière, mais à un mouvement isolé, ce dernier pouvant évidemment faire partie d'une œuvre en plusieurs mouvements. En réalité, il est possible et fréquent, à partir de la maturité de Haydn et Mozart, de retrouver le principe de la forme sonate à l'échelle d'une œuvre en plusieurs mouvements. Dans une symphonie de Haydn par exemple, le finale joue souvent un rôle de résolution analogue à celui d'une réexposition dans une forme sonate. À noter enfin que la forme sonate vaut pour tous les genres instrumentaux pratiqués à partir de 1750 (pas seulement la sonate, mais aussi la symphonie, le concerto, le quatuor à cordes, etc.), et même, dans certains cas, pour les genres vocaux.
De la forme sonate, on ne trouve pas chez Haydn, Mozart et Beethoven, ses premiers grands représentants, deux exemples identiques. Elle n'eut rien de schématique, et ses « règles » furent bien moins nombreuses qu'on ne le croit. Le terme lui-même ne devait d'ailleurs voir le jour que bien après la mort des trois classiques viennois. Czerny prétendit avoir été le premier, vers 1840, à en donner une définition.
À partir de Czerny, la forme sonate fut le plus souvent définie comme une structure mélodique en trois parties : exposition, avec premier thème ou premier groupe de thèmes à la tonique, et second thème ou second groupe de thèmes à la dominante ; puis (après reprise de l'exposition) développement, avec fragmentation et combinaison des thèmes dans diverses tonalités ; enfin réexposition (éventuellement suivie d'une coda), avec les deux thèmes ou les deux groupes de thèmes à la tonique.
Ce schéma, confirmé par beaucoup de mouvements du xviiie siècle mais contredit par d'autres, a comme inconvénients principaux moins son anachronisme (c'est le xviiie siècle revu par le xixe) et son caractère approximatif que son caractère de recette (pour des plats au demeurant devenus impossibles à préparer) et sa tendance à faire passer les pages de Haydn, Mozart et Beethoven ne s'y conformant pas comme autant de violations (mises au compte de leur génie, bien sûr) de règles qui en réalité n'avaient jamais existé.
D'où peu à peu l'apparition d'une autre définition de la forme sonate, admettant quant à elle la priorité de la structure tonale sur la structure mélodique, et distinguant non plus trois parties mais essentiellement deux : début à la tonique et passage à la dominante, puis passage à d'autres tonalités et retour à la tonique. Son inconvénient, outre de faire comme si les thèmes n'avaient aucune importance, est d'être davantage une description qu'une définition, de s'appliquer à trop de musiques écrites entre 1700 et 1950, et de ne faire aucune distinction entre Haydn, Mozart et Beethoven d'une part, leurs contemporains de seconde zone d'autre part, bref de se borner à des points de grammaire sans rendre compte de l'esprit de la forme, de sa signification en tant que produit de la fin du xviiie siècle, ni au sein de chaque œuvre des rapports entre structure et matériau.
Les éléments constitutifs de la forme sonate apparurent parallèlement en une constante interaction dont peut aider à saisir le mécanisme une bonne compréhension de la portée exacte de la tonalité et de la modulation classiques. En musique tonale, et particulièrement depuis Haydn et Mozart, la tonalité principale d'un morceau ou d'une œuvre joue, par rapport aux autres tonalités dans lesquelles s'aventure ce morceau ou cette œuvre, le même rôle que, dans une tonalité donnée, l'accord parfait (consonant) par rapport aux autres accords, plus ou moins dissonants : un rôle de résolution de tension. Revenir à la tonique ou s'en rapprocher est en soi réducteur de tension : le retour de cette tonique à la fin d'une œuvre classique correspond à une exigence fondamentale de l'époque. Quitter la tonique (la tonalité principale) ou s'en éloigner est en soi générateur de tension : plus la modulation est articulée dramatiquement, plus la nouvelle tonalité est éloignée de la principale, et plus la tension créée sera forte. Corollaire : plus une tonalité est éloignée de la principale, plus il lui sera difficile d'établir un nouvel équilibre, de se fixer et de se transformer en tonique provisoire.
D'où, chez Haydn et Mozart, le rôle essentiel de la dominante, de toutes les tonalités génératrices de tension la plus aisée à établir, parce que la plus proche de la principale. D'où aussi, chez Beethoven et ses successeurs, créateurs de structures aptes à supporter en leurs points d'articulation de plus fortes tensions, la fréquente attribution à des tonalités plus éloignées du rôle précédemment dévolu à la dominante. La sonate Waldstein de Beethoven est en ut majeur : de son premier mouvement, la seconde partie de l'exposition ne se fixe pas à la dominante sol majeur, mais à la médiante mi majeur, utilisée comme substitut de dominante.
Le phénomène du passage à la dominante (ou au relatif majeur pour un morceau en mineur), en soi antérieur à l'époque de Haydn et Mozart, devint avec eux irrésistible. Cela dit, en tant que tels, les phénomènes du passage à la dominante et du retour à la tonique furent moins chez eux des éléments de forme que de simples points de grammaire, des conditions d'intelligibilité. Essentielle fut leur façon de mettre en œuvre des démarches qui, pour les auditeurs du temps, allaient de soi. Au début du xviiie siècle, on n'était pas censé les souligner ; eux les mirent en évidence. Au début du siècle, en particulier dans les danses, on trouvait fréquemment la progression schématique suivante : énoncé d'un matériau avec progression de la tonique à la dominante, puis énoncé du même matériau ou d'un matériau très semblable avec progression de la dominante à la tonique. D'où une double symétrie binaire, A-B/A-B au point de vue mélodique, et A-B/B-A au point de vue tonal, avec impression d'ensemble binaire et déroulement assez continu, la plus forte réaffirmation de la tonique n'intervenant pas lors de sa réapparition en cours de morceau, mais étant réservée pour la fin.
La révolution menée à terme par Haydn et Mozart, et qui donna naissance à la forme sonate, consista à articuler dramatiquement aussi bien le passage à la dominante que le retour de la tonique, en d'autres termes à transformer, nettement quoique provisoirement, la dominante en nouvelle tonique, et à réaffirmer avec force la tonique dès les deux tiers d'un morceau, parfois même dès sa moitié, au plus tard à ses trois quarts. Ces deux dramatisations, la seconde surtout, expliquent l'impression tripartite, et non plus bipartite, laissée par la plupart des morceaux de la fin du xviiie siècle, les trois parties se définissant non par leur longueur, pas forcément la même, mais par l'articulation, en définitive par leur fonction.
Ces dramatisations, auxquelles d'autres vinrent s'ajouter, furent le moteur principal de la forme sonate classique, fondée sur la relation dialectique tension-détente, avec entre autres caractères essentiels une stabilité des extrêmes, de la fin plus encore que du début, et une tension maximale vers le centre.
Les préclassiques, le jeune Haydn et le jeune Mozart s'en tinrent souvent, pour leurs premiers mouvements et surtout leurs derniers mouvements de symphonies, à la double symétrie binaire définie ci-dessus. Mais au fur et à mesure que se développa en musique instrumentale le sens du drame, une seconde partie purement symétrique devint de moins en moins acceptable, et on put observer en son début une tendance à l'accroissement de la tension harmonique et expressive par le biais notamment de modulations dans diverses tonalités. À une tension accrue vers le centre (développement) devait fatalement correspondre une résolution (réexposition) plus marquée : d'où la mise en valeur du retour de la tonique et d'une section conclusive la quittant très peu, avec comme résultat une structure tripartite obtenue en quelque sorte par fission du second volet de l'ancienne structure bipartite.
Tous les ouvrages de Haydn, Mozart et Beethoven sont dialectiquement écartelés entre le drame et la symétrie (terme non synonyme de répétition textuelle), mais cette contradiction sans cesse apparente, chacun de leurs chefs-d'œuvre la résolut à sa manière. Le nombre de « thèmes » d'un mouvement de « forme sonate » n'était par exemple en rien fixé. D'une exposition, on se bornait à exiger qu'elle posât un premier conflit en affirmant la tonique, puis la dominante (ou un substitut de dominante). Rien ne l'empêchait d'affirmer en passant d'autres tonalités à rôle structurel moins fondamental. Le côté dramatique de l'établissement de la dominante pouvait être renforcé par l'apparition simultanée d'un nouveau thème (démarche fréquente chez Mozart et la plupart de ses contemporains), mais aussi bien par la répétition à la dominante du thème initial (solution fréquente chez Haydn). Beethoven et Haydn (symphonies no 92, dite Oxford, ou 99) combinèrent volontiers les deux méthodes, en répétant d'abord le thème initial à la dominante, avec quelques changements, par exemple dans l'orchestration, pour bien montrer que sa fonction dans l'architecture globale n'était plus la même, et en n'introduisant qu'ensuite un nouveau thème, à fonction plutôt conclusive.
Présenter deux fois la même idée sous des angles différents est aussi dramatique, sinon plus, qu'en énoncer deux. Le critique du Mercure de France, après avoir entendu les symphonies parisiennes, fit remarquer d'un ton admiratif qu'alors que tant de compositeurs avaient besoin de plusieurs thèmes pour construire un mouvement, un seul suffisait à Haydn. Quand il y avait deux thèmes ou plus, ils n'étaient pas nécessairement contrastés. C'est souvent le cas chez Mozart et encore plus chez Beethoven, mais du premier mouvement de la symphonie militaire de Haydn, les deux thèmes ont le même caractère : les sections à la tonique et à la dominante sont articulées surtout par l'orchestration. De toute façon, c'est par la transformation des thèmes, obtenue parfois par le simple fait de les placer dans un contexte différent, et non par leurs contrastes, que Haydn, Mozart et Beethoven nous surprennent le plus.
On dit souvent d'une œuvre de la seconde moitié du xviiie siècle qu'elle est d'autant plus progressiste que sa section centrale (développement), située en principe entre les accords semi-conclusifs de dominante (fin de l'exposition) et le retour de la tonique et du thème du début (commencement de la réexposition), est plus nette et plus vaste. Il est vrai que chez Haydn, Mozart et Beethoven, cette section manque rarement, et qu'en particulier chez Beethoven, ses dimensions peuvent être considérables. Il est vrai également qu'en général la tension y culmine, rendant ainsi nécessaire et désirable la résolution amorcée par le retour de la tonique. Cela dit, ni la grande étendue ni même l'existence d'un « développement » ne sont indispensables à la forme sonate. Aussi bien dans l'ouverture des Noces de Figaro de Mozart que dans le premier mouvement de la symphonie Oxford de Haydn, le retour de la tonique (réexposition) intervient alors que le morceau n'en est pas encore à sa moitié. C'est dû chez Mozart à l'absence de développement (après l'exposition, quelques mesures de transition conduisent directement à la réexposition) ; chez Haydn, aux dimensions exceptionnelles de la réexposition, en outre suivie d'une coda. On ne saurait dire pour autant que le morceau de Mozart, qui voulut sans doute préfigurer la rapidité d'action de la pièce de Beaumarchais dont était tiré son livret, est moins « avancé » que celui de Haydn : les deux le sont autant.
Chez Haydn, Mozart et Beethoven, exposition, développement, réexposition et coda ne sont en rien des compartiments étanches. Les définir par leur position dans un mouvement est commode, mais ne correspond qu'à une partie de la réalité. Ce sont les fonctions d'exposition, de développement et de réexposition qui importent, et, chez les trois maîtres classiques, on les trouve en général réparties, inégalement il est vrai, sur tout un mouvement ou presque. Haydn et Beethoven en particulier commencent souvent à « développer » leurs thèmes ou motifs dès l'exposition. L'arrivée d'un nouveau thème dans le développement, comme souvent chez Mozart, comme chez Haydn dans la symphonie les Adieux ou chez Beethoven dans l'Héroïque, provoque certes un dépaysement : a-t-elle aussi une fonction d'exposition ?
Dans l'Héroïque de Beethoven, la coda faisant suite à la réexposition n'est pas un ajout gratuit. Le résidu de tension qu'elle sert à résoudre provient de la nature du développement proprement dit, si vaste et si dramatique qu'il écrase quelque peu la réexposition, plus courte et incapable de l'équilibrer à elle seule : une coda se révèle donc indispensable. De même, sans le tribut au langage de l'époque que sont les quelque cinquante mesures martelant l'accord parfait d'ut majeur à la fin de la 5e symphonie de Beethoven, l'énorme tension accumulée au cours de cette œuvre gigantesque n'aurait pu être résolue.
L'articulation et la périodicité à tous les niveaux entraînèrent dans les œuvres classiques une grande diversité rythmique et un besoin accru de symétrie, d'équilibre. De ce besoin, les réexpositions de forme sonate sont une manifestation à grande échelle, mais celles de Haydn en particulier rappellent que symétrie et répétition textuelle ne sont pas synonymes. Ces réexpositions sont écartelées entre leur fonction de résolution et la nécessité de maintenir la musique en mouvement jusqu'au bout. Elles prennent ainsi en compte la temporalité de l'art musical en général et le dynamisme de celui de la fin du xviiie siècle en particulier. D'où, en leur sein, de nouvelles surprises. Les retours d'événements déjà vécus y sont non de simples redites, mais des réinterprétations.
On dit d'une réexposition qu'elle est d'autant plus régulière qu'elle se modèle plus étroitement sur l'exposition. Les réexpositions de Haydn sont souvent très irrégulières, mais la raison principale n'en est pas un simple souci de variété. Chez Haydn, les expositions sont déjà tellement dramatiques, surtout quand y domine un seul court motif (symphonie no 88), qu'une réexposition textuelle à la tonique serait un pur non-sens, voire une stricte impossibilité. Tous les épisodes qui, dans les expositions ou les développements de Haydn, apparaissent dans une tonalité autre que la principale n'en ont pas moins leur contrepartie dans la réexposition : ils y sont en général récrits, réinterprétés, arrangés dans un autre ordre, mais toujours résolus. Mozart, avec ses expositions plus volontiers polythématiques et faites de longues mélodies, peut se permettre des réexpositions plus textuelles mais elles réinterprètent autant que celles de Haydn.
Dans la sonate pour piano en sol majeur K. 283 de Mozart, on trouve dans l'exposition (mesure 17) et la réexposition (mesure 84) une phrase identique, mais qui donne une impression de passage à la dominante dans un cas, d'affirmation de la tonique dans l'autre. Cette différence, moyen de clarification de la forme, est due à ce qui dans chaque cas précède la phrase en question.
On a là un exemple, inconcevable sous cet aspect aux époques précédentes, de la mise en relation des parties et du tout dans le style classique viennois. En même temps, l'exemple de la sonate de Mozart montre que dans ce style les parties sont préformées par le tout, parfois de manière indélébile. Ainsi que l'a noté Tovey, en tombant en cours de déroulement sur un mouvement inconnu de Haydn, Mozart et Beethoven, un auditeur peut se rendre compte si ce mouvement en est vers son début, son milieu ou sa fin, ce qui est beaucoup plus difficile avec Bach. Inversement, la forme concrète n'est pas imposée de l'extérieur, mais déterminée par le matériau, propulsée par lui de l'intérieur. Les idées initiales de Haydn et Beethoven, souvent concises et en soi chargées d'énergie, donnent alors immédiatement une impression de conflit dont le déroulement et la résolution ne seront autres que l'œuvre elle-même : ce fut leur plus grande contribution à l'histoire de la musique.
Le quatuor à cordes op. 50 no 1 de Haydn débute calmement sur un multiple énoncé, au violoncelle, de la note de tonique : le passage à la dominante se fait attendre, et les conflits les plus violents n'interviennent que dans le développement. Son quatuor op. 50 no 6 (la Grenouille) s'ouvre au contraire sur un mi isolé d'autant mieux mis en valeur que son registre est aigu, et dont le caractère dissonant (c'est la dominante de la dominante) apparaît au bout de trois mesures, quand on réalise enfin que la tonalité principale est ré majeur. Cet élément de conflit posé immédiatement, Haydn l'exploite à fond dès l'exposition, une de ses plus violentes.
La forme sonate du classicisme viennois fut une manière d'écrire, en définitive un mode de pensée défini par Charles Rosen comme « la résolution symétrique de forces opposées ». Il ajoute : « Si cette définition semble aussi large que la forme artistique elle-même, c'est que le style classique est devenu pour une bonne part le modèle d'après lequel nous jugeons toute autre musique d'où son nom. Cela dit, si dans le baroque il y a aussi résolution, elle est rarement symétrique, et les forces opposées, qu'elles soient rythmiques, dynamiques ou tonales, y sont bien moins nettement définies. Dans la musique de la génération de 1830 (Schumann), la symétrie est moins marquée, et parfois même esquivée (sauf dans les genres/formes académiques comme la sonate romantique), et le refus d'une résolution complète fait souvent partie de l'effet poétique. »
Ce mode de pensée produisit une grande variété de « formes », il pénétra aussi bien le rondo que la forme lied, chez Mozart les grands finales d'opéra, et surtout chez Beethoven la fugue et la variation. Socialement, il avait, du moins en partie, trouvé son origine dans l'apparition d'un public plus nombreux et avide de divertissement. L'apparition de ce public avait été une des causes du caractère superficiel de bien des musiques immédiatement postérieures à Bach. « Les compositeurs durent se faire les agents du marché, dont les désirs pénétrèrent leurs œuvres jusqu'au plus profond d'elles-mêmes » (Adorno).
Mais, ajoute Adorno, « il n'est pas moins vrai qu'en vertu justement de cette interpénétration, le besoin de divertissement se transforma en besoin de variété au sein de l'objet composé, de la composition elle-même, ceci par opposition au déroulement unitaire et relativement continu du baroque. Or ce souci d'alternance au sein d'un même morceau devint le fondement de la relation dynamique entre unité et diversité qui n'est autre que la loi du classicisme viennois. Cette relation dynamique fut pour l'acte compositionnel un progrès immanent qui, après deux générations (avec la maturité de Haydn et Mozart), compensa les pertes qu'au début le changement de style (consécutif à la mort de Bach) avait entraînées ».
Ce mode de pensée eut comme contradiction interne celle existant entre un dynamisme global se projetant de l'avant et tendant vers le développement perpétuel, et le retour, à un moment donné, du début (réexposition), ou encore celle résultant de la présence d'une identité statique dans une forme en devenir. De cette contradiction, indispensable vers 1780-1815 à la vérité artistique, mais que le xixe siècle, en raison notamment de l'évolution de la tonalité, devait ressentir avec de plus en plus de gêne, et ce jusqu'aux liquidations schönbergiennes, on trouve un indice dans le soin que prit si souvent Joseph Haydn d'introduire, dans l'entourage immédiat de ses réexpositions, une modification aussi minime soit-elle par rapport au début, mettant ainsi une fois de plus identité et changement en relation dialectique.
Beethoven, en particulier dans ses symphonies, alla dans cette direction aussi loin qu'il était possible sans détruire le langage. Le premier mouvement de sa 9e symphonie s'ouvre pianissimo avec quelques instruments, sa réexposition est martelée fortissimo par tout l'orchestre. Identité et changement ne font plus qu'un, leur proclamation simultanée ayant été rendue possible par une démarche préalable aboutissant à faire de la réexposition un phénomène non seulement attendu, mais hautement désiré, et du retour du point de départ le résultat inéluctable d'un processus déclenché par ce point de départ lui-même. Le « faux départ » du cor, quatre mesures avant la réexposition du premier mouvement de l'Héroïque, n'est autre que la sédimentation dans l'œuvre elle-même du résultat de cette démarche et de son idéologie sous-jacente.
Adorno voit d'une part en Beethoven « le prototype musical de la bourgeoisie révolutionnaire (et) d'une musique ayant échappé à la servitude », et d'autre part « dans la gestique affirmative de la réexposition (de ses) plus grands mouvements symphoniques un répressif et autoritaire C'est ainsi ». Il met en outre en parallèle l'identité du statique et du dynamique que proclament ces réexpositions, et notamment leurs débuts, avec « la situation historique d'une classe (la bourgeoisie) en train de dissoudre l'ordre statique sans pour autant, de peur de se dissoudre elle-même, s'abandonner à sa dynamique propre ». Le parallèle est intéressant, et historiquement convaincant, surtout si l'on songe aux avatars de la forme sonate au xixe siècle. Elle avait été un organisme vivant, elle tendit à devenir un exercice d'école. Ou alors, ses contours s'estompèrent. Il y eut bien sûr des démarches héroïques, tendant comme celle de Bruckner à la mener plus avant, ou comme celle de Schubert à la repenser dans ses rapports avec le déroulement du temps, ou encore, comme celle de Liszt (sonate en si mineur), à lui tourner le dos, du moins en apparence. Il reste que dans les premières années du xxe siècle, les jeux étaient faits. Les grands inventeurs de formes participèrent dorénavant à la liquidation de la « sonate », même et surtout quand ils réussirent à en magnifier l'esprit. Significatif est le cas de l'extraordinaire 6e symphonie en la mineur de Mahler (1904), à la fois apothéose de la « forme sonate » dans tout ce qu'elle avait alors de normatif, et gigantesque mise au tombeau, par son message, de cette forme et de ce qui l'avait accompagnée.
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Auteur : sylvain Date : 31/08/2016 |
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L'ordinateur qui joue comme un musicien |
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Auteur : sylvain Date : 07/08/2016 |
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L'ordinateur qui joue comme un musicien
Arshia Cont dans mensuel 465
Doté de la capacité d'interaction propre à l'homme, le logiciel Antescofo est un musicien à part entière. Il interprète sa partition tout en s'adaptant au jeu des instrumentistes.
Le 20 février 2012, le Français Philippe Manoury a reçu la Victoire de la musique classique du meilleur compositeur, pour son opéra La Nuit de Gutenberg. Cette récompense, il la doit bien sûr à son talent, mais aussi à un musicien pas comme les autres : le logiciel Antescofo. En effet, ce programme informatique, conçu par l'Institut de recherche et coordination acoustique/musique (Ircam) est capable de jouer une partition de musique via la carte son d'un ordinateur. Mais surtout, il modifie son jeu en suivant celui des autres interprètes, à l'image d'un musicien dans un ensemble.
L'idée d'Antescofo a vu le jour en 2007 sous l'impulsion du compositeur italien Marco Stroppa. À l'occasion de la commande d'une oeuvre pour saxophone et électronique au Japon, il s'était lancé un défi à la fois artistique et scientifique. Il souhaitait faire interagir un musicien et un ordinateur sur scène pendant le concert, comme si ce dernier était humain.
Doter une machine de cette capacité d'interaction est complexe : il mobilise des techniques issues des recherches les plus avancées en traitement du signal, apprentissage automatique, intelligence artificielle et programmation des systèmes temps réel. Face au défi technologique, l'équipe Interactions musicales temps réel de l'Ircam et moi-même avons été associés au projet.
Une première étape a consisté à étudier le vivant pour mieux comprendre la nature de la coordination musicale chez l'homme. Les musiciens forment certes un groupe parfois composé de centaines d'individus sur scène. Chacun est responsable d'interpréter sa propre partition en cohérence avec celle des autres : il doit en particulier ralentir ou accélérer pour se synchroniser avec ses collègues. Le résultat final est alors très proche de celui que le compositeur avait imaginé et transcrit sur des partitions de musique.
Écouter et agir
Cette aptitude à se coordonner musicalement malgré toutes les variations liées à une interprétation est l'une des compétences de base des musiciens. Mais comment l'ordinateur peut-il s'intégrer à cette microsociété présente sur scène, et ainsi devenir un musicien à part entière ? Pour parvenir à un tel résultat, il doit être capable de mener deux tâches en parallèle : écouter et agir. Afin d'interagir avec son environnement, une machine doit en effet percevoir, sur le vif, ce qui l'entoure. Elle doit être capable d'« entendre » le jeu des interprètes en temps réel. Dans ce but, un système d'écoute a été mis au point afin de suivre pas à pas les sons émis par les instrumentistes. Il est constitué de deux logiciels.
Le premier, baptisé « agent audio », est un programme qui a mémorisé une partition et cherche à la reconnaître lorsqu'elle est jouée, à partir des sons captés par un microphone. Il repose sur un système de reconnaissance probabiliste, similaire aux dispositifs de suivi des missiles ou aux systèmes de reconnaissance vocale.
Son principe de fonctionnement peut-être comparé au système de suggestion automatique de mots utilisé lors de la saisie d'un SMS. Dans le cas du téléphone, une liste de mots probables est proposée en fonction des lettres préalablement inscrites. De son côté, Antescofo fait plusieurs hypothèses sur la note à venir en fonction de la partition mémorisée. Plus le temps passe, plus la note suivante commence à se « faire entendre », et plus la liste des hypothèses se réduit jusqu'à aboutir à la hauteur de la note réellement jouée. La différence, ici, est que l'événement doit être reconnu par Antescofo dès son arrivé, à la volée, cela pour permettre un temps de réaction instantané par le système car des variations peuvent toujours intervenir lors d'une exécution en direct.
Seul, l'agent audio ne suffirait pas à obtenir une écoute performante. Assurément, les sons à détecter ne sont pas tous consignés dans la partition. La notation baroque en est un bon exemple : l'écriture comporte certains éléments qualifiés d'absolus, comme la hauteur de la note, et d'autres qui sont relatifs, c'est-à-dire laissés à la discrétion de l'interprète à l'intérieur de certaines limites, comme le tempo ou les dynamiques* par exemple.
De même, la variabilité introduite par les différents types d'instruments et les techniques de jeu propres à chaque musicien doivent être prises en compte. Tel pianiste appuiera particulièrement fort sur les touches de son instrument avant de jouer un accord, tel violoniste tiendra son archet d'une façon différente de celle d'un autre, tel flûtiste produira un staccato plus court que ceux de ses collègues.
Il ne faut pas non plus oublier la difficulté de reconnaissance dans un environnement soumis aux bruits de fond, aux différences d'accordage et aux biais des dispositifs de captation. Or, ce sont toutes ces fluctuations qui donnent à chaque interprétation son caractère unique. C'est en ce sens que toute partition destinée à un interprète est dite « virtuelle » : elle ouvre des champs de possibles, sans les déterminer complètement.
Confrontés à ces nombreux obstacles, nous avons fait appel à un autre partenaire. Nous avons sollicité Claude Delangle, professeur au Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris, pour étudier de près ces phénomènes aléatoires. Et ce, pour tout style de musique confondu, de Maurice Ravel à Astor Piazzolla en passant par Steve Reich et la création contemporaine européenne. Ses observations ont permis de recenser les différents types d'interprétations possibles pour une même oeuvre, ce qui a ensuite permis d'identifier les paramètres jouant un rôle clé dans ces variations, parmi ceux-ci : le tempo.
Cette analyse conduite par Claude Delangle a débouché sur la mise au point du second logiciel du système d'écoute, baptisé « agent temporel ». Son rôle : synchroniser la machine et le musicien, pour s'adapter aux variations de tempo. On peut comparer son principe de fonctionnement à la « sympathie des horloges », un phénomène de physique découvert au XVIIe siècle par Christiaan Huygens. Ce dernier avait montré que deux pendules oscillants finissaient par se balancer au même rythme s'ils étaient reliés avec des lames de profil correct. Dans le cas d'Antescofo, l'agent temporel joue le rôle de la lame. À tout moment, l'horloge interne de l'ordinateur est ainsi couplée au rythme du musicien.
Compétition et collaboration
Le système d'écoute « interactif » d'Antescofo est aujourd'hui composé de ces deux agents. Ils sont en collaboration et en compétition permanente : l'agent temporel aide l'agent audio à anticiper de futurs événements (notes, dynamiques), et l'agent audio aide l'agent temporel à décoder la bonne vitesse (tempo). Le résultat final du décodage se fait donc en fonction de la certitude soit temporelle, soit événementielle de chaque agent. Comme les êtres humains, Antescofo combine donc plusieurs sources d'information, chacune faillible, pour arriver à une écoute fiable.
Mais Antescofo ne se contente pas d'écouter. Il permet aussi à l'ordinateur d'agir, c'est-à-dire de jouer sa propre partition électronique, en réaction au jeu de l'instrumentiste. Cet « accompagnement réactif » nécessite toutefois une certaine capacité d'anticipation. En effet, pour pouvoir jouer ensemble, les musiciens humains, en plus d'une écoute élaborée, anticipent le jeu de leurs collègues afin de se synchroniser avec eux. Cela concerne autant la temporalité du jeu que les dynamiques de l'interprétation.
À cet égard, il ne faut pas parler du temps mais des temps musicaux. Notamment, une partition de musique occidentale classique contient des événements obéissant à des échelles de temps différentes qui se superposent. Les opéras débutent par exemple par une ouverture orchestrale décomposée en plusieurs mouvements, qui précède plusieurs actes. Ce temps « macroscopique » diffère du temps « microscopique », qui désigne la durée de chacune des notes. Dans l'intervalle de ces temps extrêmes, on trouve d'autres échelles, celles de la mesure, du rythme, de l'harmonie, de la mélodie... De plus, l'écriture musicale, à travers les siècles, a permis aux compositeurs d'écrire ces temps en valeurs relatives, donnant une certaine liberté au musicien au moment de l'interprétation.
L'existence de ces différentes échelles de temps représente un défi majeur pour l'informatique musicale, à la fois pour son écriture et pour son exécution en temps réel. Pour répondre à cet enjeu, Antescofo a été doté d'un langage de coordination assez similaire aux langages dédiés à la programmation des systèmes temps réels*, comme la commande de vol des Airbus. Son rôle est de lancer les programmes musicaux aux moments indiqués en réaction au jeu des musiciens, et de les synchroniser entre eux et avec les interprètes.
Dans ces langages, qualifiés de synchrones, on déclenche une action simultanément à la détection d'un événement, c'est-à-dire avec un temps de réaction quasi nul. Bien sûr, dans la machine, l'action est réalisée après la survenue de l'événement, mais on maîtrise ce décalage afin qu'il devienne négligeable. Pour Antescofo, le temps de réaction est ainsi inférieur à 15 millisecondes, ce qui le rend imperceptible.
Le couplage du système d'écoute interactive et d'accompagnement réactif est l'idée principale derrière le projet Antescofo. Une première version du logiciel a vu le jour en 2009. Capable de se tenir aux côtés des musiciens pour participer à l'interprétation de l'oeuvre, elle ouvre la voie à de nouveaux paradigmes musicaux. Une application immédiate d'un tel système est l'accompagnement automatique d'un interprète solo. Un saxophoniste peut se faire accompagner d'un piano virtuel par exemple. L'ordinateur joue alors le rôle d'un musicien et réagit, en temps réel, au jeu de l'instrumentiste.
Le langage synchrone d'Antescofo permet d'ajouter, aux événements musicaux d'un accompagnement classique, d'autres programmes informatiques multimédias. On peut notamment intégrer des effets sonores, contrôler la lumière et diffuser des vidéos. Autant d'actions supplémentaires destinées à enrichir le vocabulaire musical d'éléments scéniques. Parmi les compositeurs intégrant ces technologies dans leurs oeuvres, le premier à avoir exploré ces possibilités est Philippe Manoury. Son opéra La Nuit de Gutenberg est composé d'acteurs, de chanteurs, d'un choeur, d'un orchestre, de vidéos et de dispositifs électroniques. Cette mise en présence du vivant et du numérique devient une interprétation cohérente, jouée avec Antescofo en partie.
Orchestres prestigieux
Depuis sa création, Antescofo a fait l'objet de tests et d'améliorations grâce à une collaboration fertile avec plusieurs compositeurs, dont Jonathan Harvey, Philippe Manoury, Emmanuel Nunes et Pierre Boulez. Il est aujourd'hui utilisé lors de concerts publics avec divers artistes et ensembles dont l'Orchestre de Radio France, l'Orchestre écossais de la BBC, l'Orchestre philharmonique de Berlin, l'Orchestre philharmonique de Los Angeles et des salles d'opéra. Son répertoire consiste en plus de trente oeuvres.
L'aventure ne s'arrête pas là. L'écriture musicale, avec toute sa richesse d'expression et sa réalisation scénique, pose toujours des défis à la conception de langages informatiques dédiés ainsi qu'au domaine de l'intelligence artificielle. Ce qui fait l'originalité du musicien humain lors d'une exécution est un point essentiel qui nécessitera beaucoup d'avancées pour pouvoir l'intégrer dans l'intelligence des machines. L'idée globale est de doter les ordinateurs d'un langage aussi riche que celui des humains. Dans ce but, Antescofo mobilise désormais des chercheurs, des artistes et des interprètes au sein d'une équipe-projet commune avec l'Ircam, l'Inria et le CNRS, baptisée MuSync.
*LA DYNAMIQUE désigne la manière dont est jouée la note. Celle-ci peut être plus ou moins accentuée, plus ou moins maintenue ou plus ou moins étouffé par exemple.
*UN SYSTÈME est en temps réel lorsque ses actions logicielles, suffisamment rapides, dirigent des processus en cours d'exécution.
L'ESSENTIEL
- LE LOGICIEL ANTESCOFO interprète une partition de musique tout en s'adaptant au jeu des instrumentistes.
- DOTÉ D'UN SYSTÈME d'écoute interactif, il ralentit ou accélère en réaction au rythme imposé par les autres musiciens.
- LES SYSTÈMES D'ÉCOUTE et d'accompagnement sont synchronisés en temps réel.
LE DÉFI POLYPHONIQUE
Une des méthodes les plus efficaces pour reconnaître la partition jouée par un instrument consiste à analyser les signaux acoustiques captés par un simple microphone. Le temps de réaction est alors bien plus rapide que celui d'une oreille humaine exercée. Toutefois, cette technique a ses limites. Elle ne permet pas d'identifier deux sons superposés. « Une polyphonie, même minimale, semble pour l'instant hors des possibilités actuelles de détection audio, car deux sons qui se superposent mélangent leurs harmoniques, et l'on ne sait plus à quelles fondamentales chacun appartient », explique Philippe Manoury, compositeur français. Cela pose problème. En effet, lors d'un concert, flûtes, hautbois, clarinettes, pianos, guitares et autres instruments se côtoient. Il faut donc reconnaître autant de partitions qu'il y a d'instruments. Pour y parvenir, Antescofo ne s'appuie pas que sur la reconnaissance des hauteurs. Il dispose dans sa base de données d'un ensemble de profils sonores, sortes de carte d'identité, décrivant le mode de fonctionnement de chaque instrument de l'orchestre. Ce qui lui permet de distinguer le son d'une flûte par rapport au son d'un piano.
ANTESCOFO A JOUÉ EN PUBLIC
- Speakings, de Jonathan Harvey (Orchestre écossais de la BBC, 2008).
- Explosante-Fixe, de Pierre Boulez, (Orchestre philharmonique de Los Angeles, 2010).
- Einspielung, d'Emmanuel Nunes (festival Agora, 2011).
- La Nuit de Gutenberg, de Philippe Manoury (Opéra national du Rhin, 2011).
- Re Orso, un opéra de Marco Stroppa (Opéra comique de Paris, 2012)
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