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NEUROSCIENCES

 


Un psychanalyste face aux neurosciences      
texte intégral


  par André Green dans mensuel n°99 daté mai 2000 à la page 93 (5516 mots)
Le débat entre psychanalyse et neurosciences a trait, entre autres à l'idée que nous nous faisons de la vie psychique et de la spécificité de l'homme. L'article que l'on va lire aurait dû être le premier d'une série sur les rapports entre biologie et psychanalyse. Il en est le second. En effet, en 1989, la publication du livre de J.-P. Changeux et A. Connes, « Matière à pensée », nous avait semblé propice pour aborder enfin ce problème. Nous avions alors de mandé à A. Green, psychanalyste qui avait déjà discuté les thèses de J.-P. Changeux, de donner son point de vue sur les rapports de la neurobiologie et de la psychanalyse. Son texte fut envoyé fin 1990 à J.-P. Changeux pour qu'il le discute. Ce dernier a préféré écrire un article indépendant que nous avons publié dans notre numéro de juin1992 sous le titre « Les neuronesde la raison ». Le débat prévu à l'origine n'a pas eu lieu. Nous publions donc le texte original d'André Green dans le présent numéro, suivi des réflexions que la lecture des « neurones de la raison » a inspiré au psychanalyste. Ainsi le lecteur pourra-t-il se faire une idée de la diversité et de la vivacité des opinions sur ce sujet.

Dans leur jargon d'initiés, les psychanalystes emploient le verbe « chaudronner » par allusion à l'histoire racontée par Freud dans Le mot d'esprit et sa relation à l'inconscient : « A emprunte un chaudron de cuivre à B. Une fois qu'il l'a rendu, B fait traduire A en justice en l'accusant d'être responsable du gros trou qui se trouve maintenant dans le chaudron, et qui rend l'ustensile inutilisable. A présente sa défense en ces termes : " Primo, je n'ai jamais emprunté de chaudron à B ; secundo, le chaudron avait déjà un trou lorsque B me l'a donné ; tertio, j'ai rendu le chaudron en parfait état " ». Bref, une accumulation de dénis qui s'annulent logiquement.

Les scientifiques n'agissent pas autrement à l'égard de l'inconscient, et au-delà à l'égard de la psychanalyse. J'entends encore Jacques Monod disant « Montrez-moi une seule preuve de l'inconscient ! », bien convaincu qu'il saurait en démontrer l'inanité. Plus tard, la stratégie devait changer. « L'inconscient, mais bien sûr qu'il existe ; il est certain que la conscience n'est qu'une toute petite partie de ce qui vit : tout ce qui n'est pas conscient est inconscient. Tous les mécanismes biologiques sont inconscients, la majeure partie des mécanismes cérébraux se passent en dehors des structures biologiques de la conscience » disait-on. Dans le même ordre de logique, vers les années 1950, les neurophysiologistes n'avaient d'yeux que pour les structures cérébrales régulant la conscience. Avec ces études, la neurobiologie de l'inconscient était à portée de main 1. L'inconscient des neurobiologistes était cependant fort différent de l'inconscient de Freud. Puis avec les neurotransmetteurs, la chimie a relayé l'électricité. Le chaudron, cette fois, bouillonnait. L'énigme des maladies mentales était à deux doigts d'être levée. Bientôt la psychogenèse ne serait plus qu'un souvenir datant de la préhistoire de la psychiatrie. L'ambivalence n'existait pas chez les biologistes. En 1953, on découvrait les premiers neuroleptiques. A Sainte-Anne, dans le service hospitalier qui était La Mecque de la toute nouvelle psychopharmacologie, Jacques Lacan tenait aussi son séminaire de psychanalyse. Les drogues psychotropes auraient-elles fait bon ménage avec l'inconscient ? Jean Delay, le maître de céans, psychiatre et homme de lettres, rêvait déjà de psychothérapies qui supplanteraient la vieille psychanalyse par des méthodes mixtes : narcoanalyse supposée faciliter la levée du refoulement grâce au « sérum de vérité » ; cures sous champignons hallucinogènes, imprudemment prônées comme agents libérateurs de l'imaginaire, etc. Les psychanalystes du crû récusèrent l'invitation. Nos psychiatres d'alors n'avaient pas perçu dans quel engrenage ils risquaient d'être broyés. Et l'on aurait eu beau jeu de nos jours, s'ils avaient fait un autre choix que celui de leur cohérence, d'accuser les psychanalystes d'avoir favorisé la toxicomanie ! Le temps passant, le développement de la psychopharmacologie allait profiter, pensait-on, du progrès des neurosciences. La neurobiologie devenant moléculaire, on allait pouvoir balayer toute cette métaphysique de pacotille, pour qu'enfin la psychiatrie devienne moléculaire à son tour. Les ouvrages comme L'homme neuronal procèdent de cette inspiration. Il suffit cependant que l'on aborde le problème des aspects affectifs des comportements pour qu'un autre neurobiologiste, Jean-Didier Vincent, auteur d'une Biologie des passions 2 nous ramène à une vision plus nuancée, bien éloignée du triomphalisme parti à l'assaut de ce que Changeux appelait la « Bastille du mental ».

La méconnaissance, voire le déni de la vie psychique par les scientifiques, l'acharnement à postuler une causalité exclusivement organique à toute symptomatologie, conduit à des jugements peu sereins. Il est fréquent qu'on accuse un psychanalyste d'être « passé à côté » d'une affection organique. Et l'on se gaussera de ce soi-disant thérapeute, qui ne s'était pas rendu compte qu'il avait affaire à une « vraie » maladie. Mais qu'un chirurgien opère quatre fois un malade indemne de toute atteinte organique sur la foi d'hypothèses étiologiques infondées et sans consistance à la recherche d'une « lésion » introuvable, alors qu'il se révèle aveugle et sourd à la demande inconsciente de son patient, personne ne songera jamais à lui en faire le reproche. N'était-ce pas son devoir d'éliminer une cause possible de désordre pathologique ? Quant à se poser la question de l'impact traumatique de telles opérations, ou celle de leur rôle de fixation pour entretenir une conviction quasi délirante, la formation médicale n'y prépare guère. « La psychiatrie, vous l'apprendrez en trois semaines », disait une sommité de la neurologie des années soixante à ses internes qui se plaignaient d'une expérience insuffisante dans ce domaine.

Toutes ces remarques vont dans le même sens : celui d'une dénégation forcenée de la complexité du fonctionnement psychique et du même coup de l'inconscient, tel que la psychanalyse le conçoit, par les défenseurs de la cause du cerveau, neurobiologistes, psychiatres et neurologues. La neurobiologie peut-elle se substituer à la psychanalyse dans la compréhension de la vie psychique et de ses manifestations ?

Une telle ambition repose sur des postulats simplificateurs : la vie psychique est l'apparence d'une réalité qui est l'activité cérébrale. Or celle-ci n'est vraiment connaissable que par la neurobiologie. Ergo , c'est cette dernière qui permettra de connaître vraiment la vie psychique. Ceci revient à dénier à la vie psychique un fonctionnement et une causalité propres, même si l'on admet la dépendance de celle-ci à l'égard de l'activité cérébrale. La littérature du XIXe siècIe ne manque pas de mettre en scène le personnage du médecin matérialiste convaincu s'opposant au curé du coin. On peut douter que nous soyons sortis de cette représentation simpliste, quand on assiste à l'assaut de certains neurobiologistes contre l'« Esprit », dont l'acte d'accusation englobe et amalgame le psychisme et se résume ainsi : « si vous croyez au psychisme, c'est que vous ne croyez pas à la physiologie du cerveau, c'est que vous croyez à l'Esprit ; c'est en fin de compte que vous êtes religieux, c'est-à-dire fanatique et antiscientifique ». J'exagère ? Pas vraiment. Le psychisme reste un domaine obscur, inquiétant, redoutable. Chacun s'autorise d'une compétence en ce domaine, comme s'il possédait de la science infuse. La maladie mentale existe, mais si les investigations cérébrales ne révèlent rien, être malade psychiquement, ce n'est pas être vraiment malade, c'est avoir une maladie imaginaire. Ou bien dans le cas contraire, c'est une maladie dont le support somatique s'ancre dans la génétique dont on ne tardera pas à connaître les véritables causes. Elle rejoint alors le cortège des maladies du destin. Et les névroses ne sont-elles pas les troubles dont souffrent ceux qui n'ont rien à faire d'autre que d'y penser, ou qui « s'écoutent » ?

Quant à la psychanalyse, on sait bien qu'elle ne sert à rien et qu'elle est une escroquerie. Que les chercheurs quittent leurs laboratoires, qu'ils prennent le chemin des consultations de psychiatrie. ils sentiront alors le poids de la maladie mentale et de sa souffrance. Qu'ils s'interrogent sur le fait que la consommation des tranquillisants dépasse de loin celle de tous les autres produits et atteint des proportions inquiétantes. Thérapeutique psychotrope ou toxicomanie légale ? Il est sans doute plus simple et plus expéditif de prescrire et de se débarrasser de l'ennuyeux angoissé que de chercher à comprendre le fonctionnement psychique d'un individu singulier.

L'exigence de scientificité est parfois confondante de naïveté. Il y a quelques années, au cours d'une réunion sur la recherche en psychiatrie, réunissant d'éminents psychiatres, expérimentalistes, neurophysiologistes, neuropharmacologistes, une autorité en neuropharmacologie exprima ses plaintes et ses griefs à l'égard des psychiatres qui, disait-il, « ne savaient pas faire de la recherche ». Ainsi, comme il était extrêmement important de savoir ce qui advenait aux médicaments au-delà de la barrière méningée, la seule manière de lever l'obstacle était de pratiquer sur les patients traités des ponctions sous-occipitales fréquentes, quotidiennes et même pluri-quotidiennes. Il est clair que ce chercheur n'avait jamais vu un malade mental de sa vie et n'avait pas la moindre idée de ce que pouvait représenter, en soi, pour un malade mental, la piqûre d'une aiguille à la base du crâne pour en prélever le liquide céphaIo-rachidien. C'aurait pourtant été un beau projet de recherche que d'étudier la psychose expérimentale comme maladie induite par le médecin ! Le 12 décembre 1978, au cours d'un entretien avec J.-P. Changeux, d'où devait partir l'idée du projet qui deviendra L'homme neuronal , Jean Bergès racontait qu'il avait entendu Jacques Monod dire que, si l'on suspendait pendant un certain nombre d'années les dépenses entrainées par les malades mentaux et qu'on affectait cet argent à la recherche, eh bien, lui se faisait fort de percer l'énigme biologique de la maladie mentale 3 et de la traiter efficacement. La vision de la psychiatrie développée par J.-P. Changeux ou J. Monod laisse rêveur. En mettant en avant les seuls effets des molécules, elle repose sur un déni fondamental de toute organisation psychique, qui ne serait pas le reflet d'une désorganisation neuronale primitive.

Nous n'avons pas fini de chaudronner : une troisième attitude se fait jour parmi les biologistes. Loin du déni ou de la confusion, voici que des chercheurs des plus sérieux auraient découvert les bases biologiques de l'Inconscient. Et d'autres de prétendre avoir dévoilé « les mécanismes inconscients de la pensée » 4.

Ainsi, la boucle est bouclée, les trois arguments du chaudron ont été défendus. La

publication de l'ouvrage de Connes et Changeux Matière à pensée 5 me permet de reprendre et de développer une discussion antérieure sur L'homme neuronal de J.-P. Changeux. La thèse de J.-P. Changeux 6 est connue depuis 1982 : tout fonctionnement mental s'inscrit dans un déploiement physique de cellules et de molécules et dans leurs remaniements. Le développement actuel de cette thèse tend à la formalisation mathématique de la position précédente. Un mécanicisme sans doute, mais que l'on pourrait donc mimer par la logique des équations. Je pense que la validité de ces thèses peut s'argumenter à partir de la mécanique définie par Changeux pour tenter de rendre compte des processus de création, par exemple de création scientifique.

Avant d'aller plus avant, j'aimerais cependant préciser que je suis persuadé qu'aucune activité psychique n'est indépendante de l'activité cérébrale. Mais je tiens à ajouter que cette opinion n'infère nullement que la causalité psychique soit à trouver dans l'ensemble des structures du cerveau. Les modèles de l'activité psychique conçus par les scientifiques sont tout à fait insuffisants. Changeux fait observer que quelqu'un qui fait une psychanalyse n'acquiert pas pour autant la connaissance de son cerveau. Certes, mais la connaissance du cerveau permet-elle de connaître ce qui se passe au cours d'une pychanalyse ? Il est permis d'en douter. Reste que la connaissance du cerveau permet la connaissance... du cerveau. Je pense, contrairement à J.-P. Changeux, que de tous les modèles existants de l'activité psychique, y compris les modèles de la neurobiologie, ceux de la psychanalyse freudienne me paraissent, en dépit de leurs imperfections, ceux dont l'intérêt est le plus grand pour comprendre les pensées et les productions humaines, sans pour autant les couper du psychisme ordinaire. Les modèles de la psychanalyse freudienne maintiennent les relations du psychique au corporel, tout en reconnaissant l'obscurité de leurs rapports ; ils font la part du développement culturel ; ils soulignent l'intérêt d'une constitution progressive de la psyché qui fasse sa place aux relations avec l'autre, qui est en même temps le semblable ; ils s'efforcent enfin de préciser ce qui détermine l'organisation psychique et qui fonde un mode de causalité spécifique la causalité psychique.

C'est ce dont les hypothèses fondamentales et les conceptions théoriques de la psychanalyse freudienne s'efforcent de rendre compte : les pulsions ancrent le psychique dans le somatique ; le refoulement trouve partiellement son origine dans les effets de la culture ; le développement de la psyché repose en partie sur l'identification aux figures parentales ; les fantasmes primaires organisent l'expérience imaginaire ; l'investissement de ce qui est chargé de sens et important est le moteur de la causalité psychique. Ainsi, la formulation du vieux problème des relations corps-esprit ne reçoit de réponse satisfaisante à mes yeux ni dans la réduction exclusivement au profit du corps, ni dans le postulat de l'existence d'un psychisme d'essence indépendante de celle du corps. La formulation à laquelle je me range repose sur l'hypothèse d'un dualisme de fait qui réclame des justifications que je ne puis donner ici faute de place.

Cela pose la question des limites entre le vivant et le psychique, question qui soulève bien des problèmes. Mais elle plaide en faveur de la reconnaissance de la spécificité humaine qui fonde le psychique. C'est aussi pourquoi la recherche des facteurs pertinents pour fonder cette spécificité du psychisme humain a varié au cours des époques et pourquoi les scientifiques n'ont pas cessé d'adopter une attitude ambiguë à son propos. Qu'on en juge. La notion de spécificité humaine a longtemps été victime d'une perspective intellectualiste : l'homme possédant l'intelligence se situait au sommet de l'échelle des animaux soumis à l'instinct. Or la neurobiologie devait démontrer que l'homme partageait avec l'animal les mêmes constituants organiques et donc, implicitement, les mêmes modalités élémentaires de fonctionnement. La connectivité ou la circulation d'informations dans le « câblage » des neurones a pris le relais en devenant la clé de la compréhension des accomplissements du cerveau humain. Mais cette épistémologie n'a pas beaucoup amélioré la situation même quand elle espère une résonance du biologique au niveau des mathématiques, dont témoigne l'échange entre A. Connes et J.-P. Changeux dans Matière à pensée . C'est que la stratégie théorique des approches dites scientifiques consiste toujours à chercher la spécificité du côté des activités que l'homme seul peut accomplir, et non dans la mise en perspective de ce qui diffère entre l'animal et l'homme lorsque l'on considère des activités homologues.

Pour prendre un exemple, on devrait plutôt comparer l'instinct sexuel animal à la sexualité humaine pour que la comparaison ait quelque sens. En fait, ce qui paraît au détour de ces raisonnements était posé à son origine : donner une image de la spécificité humaine comme délivrée de sa sujétion au corps sexué. De nos jours, le fondement de la spécificité humaine est recherché du côté du langage. L'homme en dispose ; les animaux n'en disposent pas. Mais c'est alors parer au plus pressé que de donner au mot langage, lorsque cela arrange et pour éventuellement annuler son sens, une signification qui relève d'autre chose que de la linguistique. C'est ce qui s'est produit lors du colloque sur la spécificité de l'homme qui s'est tenu à Royaumont en 1974 7. M. Piatelli-Palmarini faisait état de seize traits distinctifs entre la communication des primates et le langage humain. Or nombre d'entre eux sont probablement rattachables à des propriétés extralinguistiques. Ici, la faute de raisonnement en la matière est de considérer que puisque les approches biologiques sont scientifiques, c'est que les phénomènes mentaux s'y réduisent, alors que l'analogie ne repose que sur la mise en condition scientifique d'une fraction ténue de l'ensemble des phénomènes psychiques envisagés, que rien n'autorise à valoriser de la sorte pour la compréhension de l'objet étudié.

La vague la plus récente de l'offensive antipsychanalytique des biologistes naquit durant les années 1960. Deux ouvrages de biologistes devaient s'imposer : Le hasard et la nécessité de Jacques Monod et La logique du vivant de François Jacob. Alors que le second faisait preuve de prudence, le premier adoptait une attitude résolument incisive. Quinze ans après, le ton se durcit avec l'esprit de conquête de J. -P. Changeux, élève de J. Monod, prolongateur de sa pensée et partisan déclaré d'un mécanicisme tranquille. C'est l'essence de l'Homme neuronal . Avec Jacques Ruffié, Michel Jouvet, Henri Korn, etc., Changeux s'attaque frontalement à la psychanalyse pour traquer les erreurs de Freud ou faire valoir l'optique de leur science sur la dimension psychique. Le problème est que leurs explications se situent dans une perspective qui n'apporte pas le moindre éclairage au niveau où se placent les analystes, c'est-à-dire celui de la réalité psychique. C'est que ce niveau n'a pour eux aucun sens. Leurs outils ne visant pas la vie psychique au sens des psychanalystes, ils en nient donc tout simplement l'existence, alors que leurs outils ne réussissent qu'à en donner une image dérisoire. Il est dommage que les prises de position polémiques empêchent une vraie discussion de s'établir. Exception parmi les scientifiques mais est-il une exception ou l'un des rares qui s'expriment ?, un biologiste est conscient des enjeux spécifiques des différentes méthodes employées pour décrire la réalité d'un individu 8.

Nous avons, quant à nous, fait remarquer qu'à tous les niveaux, autant la science a la possibilité d'examiner les mécanismes du fonctionnement cérébral, autant, quand la science se mêle d'aborder le psychique, elle ne manque pas de se commettre dans des raisonnements discutables 9. C'est que la science se refuse à analyser les conditions exactes de sa production effective, c'est-à-dire les conditions même d'apparition de l'« idée » créatrice, dans sa démarche comme ailleurs. Elle ne prend pas en compte le fait que l'idée créatrice dérive de processus associatifs parfaitement en dehors de la logique rationnelle et sur lesquels précisément la science ne sait rien dire, alors qu'elle a beaucoup à dire sur la production scientifique elle-même. C'est dire à quel point une position extrême de la biologie devient insoutenable. Jusqu'à présent la biologie se donnait pour but la connaissance d'un champ particulier, le vivant. Avec la neurobiologie moléculaire, elle se donne donc désormais pour but d'expliquer la Science, je veux dire les conditions d'apparition de l'idée scientifique. C'est ce qui ressort du dialogue dans lequel Changeux veut convaincre son collègue mathématicien de la dépendance des mathématiques à l'organisation cérébrale ! La question est alors de savoir si l'on peut soutenir une telle visée tout en restant fidèle aux critères qui fondent la démarche scientifique.

C'est le problème de la fin et des moyens qui est ici posé. C'est au niveau des concepts que la discussion doit s'engager et il me semble que les arguments des biologistes risquent de se retourner contre eux. Soucieux de combattre toute théorie qui survalorisait à des fins « spiritualistes » la différence entre l'animal et l'homme, ils n'ont cessé de souligner l'absence, en biologie, de propriétés exclusivement spécifiques de l'humain. S'il est bien clair que le récepteur à la dopamine ou à l'acétylcholine est le même chez le rat et l'homme, ces constatations qui servaient d'abord le combat militant des neurobiologistes vont leur poser des problèmes inattendus lorsque l'on s'attaque à la spécificité humaine. Car s'il est vrai que la marge des différences est si étroite, la connectivité à elle seule suffit-elle à rendre compte de cette spécificité humaine qu'il leur faut bien reconnaître ? Peut-être faut-il invoquer qu'une petite différence devienne décisive par ses conséquences qualitatives ? Et c'est là, dans ces conséquences qualitatives, qu'apparaît l'obligation de réintroduire ce dont on voulait à tout prix circonvenir l'influence : le psychisme, sa relation au langage et les rapport de ce dernier avec la pensée. Pour éviter que la psychanalyse devienne digne de considération, une contre-stratégie lui préfère une conception autre du psychisme. C'est ce que l'on tente aujourd'hui avec l'approche « cognitiviste » de la psychologie dont il n'est pas surprenant que la dimension également mécaniciste dérive dans l'intelligence artificielle. Un effet de plus de la volonté de dissocier l'affectif et le cognitif.

Le lien de la neurobiologie à la recherche de la vérité passe par la méthode expérimentale. Apparemment le sujet pensant le scientifique se sert de l'outil approprié qu'est la « machine » pour découvrir, tester, démontrer une hypothèse. J'entends par machine l'ensemble allant de l'hypothèse à l'instrumental. Supposé commander cette machine et la dominer, puisque ses prémisses seraient purement rationnelles, le scientifique en fait, ne peut penser que ce que sa machine est capable de faire, c'est-à-dire de tester, de vérifier. Le tour de passe-passe consiste donc à faire croire que c'est dans la liberté de pensée qu'a été conçue l'idée à découvrir, la machine ne faisant que le démontrer. Les contraintes de la production scientifique obligent à un rapprochement de plus en plus grand entre la façon dont fonctionne la machine et celle dont doit penser le scientifique pour produire un savoir pourtant considéré implicitement comme indépendant de celle-ci. Il est facile de voir le cercle vicieux que constituera l'utilisation de machines supposées mimer le fonctionnement mental 10. C'est l'une des orientations de la neurophysiologie actuelle avec son recours aux modèles formalisés et aux machines logiques : l'enjeu irréfléchi est ici la réflexion sur la genèse de la pensée scientifique, sur la genèse de toute pensée qui ne serait pas automatique...

Cela nous introduit à l'avancée neurobiologique la plus ambitieuse et la plus récente : chercher un fondement mathématique aux modèles de la neurophysiologie. C'est l'objet de la discussion entre J.-P. Changeux, neurobiologiste, et A. Connes, mathématicien. Un fondement mathématique à la neurobiologie est important pour Changeux, non seulement à cause des prétentions à la rigueur de la neurobiologie, mais surtout à cause de l'idée selon laquelle la pensée mathématique pourrait offrir un modèle de fonctionnement cérébral « pur ». Fières de réussir dans la construction d'une pensée pouvant fonctionner indépendamment de tout contenu, les mathématiques sont néanmoins prises dans une contradiction. Celle d'être le critère quasi absolu de la scientificité lorsqu'elles réussissent à avancer la compréhension de phénomènes existant dans la réalité, alors même qu'une partie d'entre elles tient sa valeur d'un critère exactement opposé : celui de ne se compromettre avec aucune donnée appartenant à la réalité du monde physique. Aussi les mathématiques sont-elles, selon les biologistes, invoquées comme garantes de la vérité scientifique Changeux et tantôt récusées comme science confinées à n'être qu'une logique A. Lwoff. Dans son dialogue avec le mathématicien A. Connes, J. -P. Changeux est persuadé que c'est Connes qui possède les bons outils intellectuels qui lui serviraient, lui, Changeux, à avancer dans son propre champ. Mais il veut convaincre son interlocuteur que c'est lui, Changeux, qui tient, en dernière instance, la clé de ce que fait Connes, parce qu'à défaut de posséder les moyens de son interlocuteur, son objet est le substrat véritable le cerveau qui produit ces moyens : « L'équation mathématique décrit une fonction et permet de cerner un comportement, mais pas d'expliquer le phénomène. En biologie, l'explication va de pair avec l'identification de la structure qui, sous-jacente à la fonction, la détermine » 11. L'obsession de pureté de Changeux les mathématiques comme « synthèse épurée de tous les langages, une sorte de langage universel » 12est en fait la voie de la facilité. Car le cerveau, à ce que j'en sais, ne fonctionne pas de façon si « purement » homogène. Bizarrement, c'est Connes qui devient objectiviste en postulant la réalité non humaine des mathématiques et Changeux « subjectiviste » puisqu'il lie le fonctionnement mathématique à la structure du cerveau humain 13. C'est en tout état de cause reposer le vieux problème du rapport entre réalité et perception, qui n'est pas davantage réglé par cette discussion.

On ne pourra pas éviter de se demander comment le même cerveau capable de raisonner mathématiquement peut aussi entretenir les idées qui poussèrent Newton vers l'alchimie, ou Cantor à rechercher l'appui du Vatican. La « purification » ici est pour le moins imparfaite ! La science explique ce qui doit être tenu pour vrai ; elle devrait aussi, me semble-t-il, découvrir la raison d'être du faux.

Si Changeux se défend d'assimiler le réel biologique à des objets mathématiques, il ne paraît pas soucieux de tirer les conséquences de son attitude : « On sélectionne le modèle qui s'adapte le mieux. » On ne saurait mieux dire. Encore serais-je tenté d'ajouter : « Pour comprendre ce que l'on peut comprendre et discréditer ce qu'on ne comprend pas comme n'étant pas susceptible d'être "sélectionné" par un modèle mathématique » ! Ainsi Changeux reprochera-t-il aux physiciens de ne pas avoir tenu compte, en dehors des rôles de l'instrument de mesure et du regard de l'observateur, de leur « propre fonctionnement cérébral ». De quel côté est « l'erreur épistémologique grave » 14 dénoncée par le biologiste ? Du côté des physiciens négligents ou de celui du neurobiologiste qui assimile purement et simplement « fonctionnement cérébral » tel qu'il est connu par la science aujourd'hui et « fonctionnement mental » en termes d'analyse, de jugement, d'autoréférence ? Et ce sera Connes qui introduira la part de l'affectivité dans la recherche, cette référence bannie du discours neurobiologique 15. Curieusement, le psychanalyste se sentirait plus proche ici du mathématicien que du neurobiologiste. Il y a d'ailleurs une pensée mathématique qui peut rencontrer le discours de la psychanalyse, sans le chercher ou l'éviter. Ainsi Esquisse d'une sémiophysique du mathématicien René Thom présente des concepts mathématiques qui suggèrent des fonctionnements pas tellement éloignés de certains concepts psychanalytiques 16.

Ceci dit, on peut se demander si la position de J.-P. Changeux est admise dans tout le monde des biologistes et des neurobiologistes. D'une part, un débat actif existe dans les neurosciences et, d'autre part, pour considérer le seul registre psychanalytique, il existe des biologistes qui peuvent écrire le mot sens sans le flanquer de guillemets. Ainsi Henri Atlan indique comment un changement de niveau dans des organisations hiérarchiques « consiste en une transformation de ce qui est distinction et séparation à un niveau élémentaire en unification et réunion à un niveau plus élevé »17. La psychanalyse se trouve au coeur du questionnement qu'il énonce : comment parler de ce pour quoi nous n'avons pas de langage adéquat, parce que nos méthodes d'observation qui conditionnent notre langage ne sont pas encore adéquates ? La difficulté bien repérée ici est due à l'impossibilité d'observer tous les niveaux avec la même précision.

Le paradoxe, c'est qu'en fin de compte aussi bien Changeux, qu'Atlan et Thom, concluent que la solution du problème qui nous retient est de savoir ce qui fait que la parole a un sens. Et c'est aussi notre avis. C'est le langage qui fonde la validité de l'expérience psychanalytique comme autre manière de faire fonctionner la parole afin d'accéder à la réalité de l'inconscient. Sans pour autant conclure, comme l'a fait hâtivement Lacan, que l'inconscient est structuré comme un langage. Pour Atlan, comme pour nous, l'émergence des significations relève de l'examen des rapports du langage à la pensée rapports cerveau/langage et langage/pensée - ce qui exige sans doute une ré-appréhension de ce qu'est la pensée, cette fois-ci à la lumière des hypothèses psychanalytiques.

Il semble pourtant que même les plus radicaux des biologistes admettent l'existence d'une activité psychique, à condition de l'envisager au niveau collectif. Comme si la constitution des groupes humains avait eu le pouvoir de générer le psychisme d'une manière analogue au fruit de la collaboration des « assemblées » de neurones. Groupes de neurones en « assemblée » et hommes réunis en « société », le psychique pourrait naître de ce « collectivisme », semble-t-il. Car L'homme neuronal de J.-P. Changeux se terminait déjà par des réflexions sur le phénomène collectif de la culture, alors que parlant de l'individu, sa conception de l'image mentale était des plus simplistes 18. Prenons un exemple simple. Reportons-nous au numéro spécial de La Recherche sur la sexualité paru en septembre 1989. Comparons la pensée qui sous-tend tous les articles d'inspiration biologique et médicale sur les problèmes relatifs à la sexualité avec celle qui inspire l'exposition de Maurice Godelier, socio-anthropologue, spécialiste des Baruyas de Nouvelle-Guinée. « Sexualité, parenté et pouvoir », titre de sa contribution, permet de mesurer non pas tant l'écart entre les biologistes et le socio-anthropologue que celui de la carence des concepts qui permettraient de passer des uns à l'autre et que, en revanche, la psychanalyse pourrait posséder. Et pour cause dira-t-on.

Ayant fait la critique des présupposés intellectuels de la science biologique, les psychanalystes se situeraient-ils, dans le pur ciel des idées, à partir du choix de paramètres moins fondés que ceux des neurosciences ? Je souhaite que l'on se souvienne que les psychanalystes, tout comme les psychiatres, ont une activité thérapeutique. Que nous dit la neurobiologie de ces pièges à souffrance humaine ? Mettra-t-on en doute les positions de ces thaumaturges menacés par les progrès fulgurants de la thérapeutique psychiatrique ? Tournons-nous vers les théoriciens de la psychiatrie contemporaine, G. Lanteri-Laura, M. Audisio, R. Angelergues 16 et E. Zarifian. Nous ne nous attacherons qu'à ce dernier, car en tant que représentant de la psychiatrie pharmacologique, et fort peu suspect de sympathies psychanalytiques, sa critique des représentants des neurosciences est à prendre en considération. Il accuse ceux-ci de défendre des positions abusives en invoquant une causalité purement cérébrale aux maladies mentales, et de méconnaître dans cette optique le rôle du temps et de l'environnement. Il souligne leur confusion entre pensée et psychisme. Il dénonce leurs revendications méthodologiques. « L'application de la quantification, de la statistique et des méthodes de la biologie n'a, à ce jour, strictement rien apporté comme découverte importante à la psychiatrie » 19. La progression des connaissances s'est faite en sens inverse de ce qui était souhaité, vers le plus petit le neurone et ses molécules là où l'on espérait des lumières sur le plus grand l'individu et ses rapports aux autres.Plus on « descend » vers la cellule, moins les phénomènes relatifs au comportement deviennent intelligibles. Si tant est que le comportement soit la bonne référence...

Quant au prestige tiré de la connectivité, Zarifian montre qu'il y manque l'essentiel pour une conception neurobiologique à prétention explicative de l'humain : la connexion entre les parties superficielles et profondes du cerveau. « L'idéologie neurobiologique est propagée par des psychiatres qui ne connaissent rien, à la neurobiologie et par des neurobiologistes qui ne connaissent rien à la psychiatrie » 20. La dernière-née des stratégies théoriques pour circonvenir la psychanalyse au moyen d'arguments tirés de la biologie n'est plus de réfuter l'existence de l'inconscient à la manière d'un J. Monod, c'est de ramener cette existence à ce que la neurobiologie prétend éclairer. Autant dire qu'il faudra préalablement contraindre le psychisme à entrer dans la grille des circuits qui sont à la portée des conceptions neurobiologiques. Ainsi aux dernières nouvelles, par une interprétation sommaire de l'action pharmacothérapique, le substrat de l'inconscient est-il attribué aux neurones dopaminergiques. Lors du rêve, « seules parmi les cellules monoaminergiques, les neurones dopaminergiques n'ont pas changé d'activité, l'équilibre métabolique aires sensorielles/aires limbiques est nettement en faveur des aires limbiques ; le système nerveux central fonctionne sur le mode inconscient » 21.

Cette « découverte » est connue de ceux qui s'intéressent à ces questions depuis les années cinquante, où les discussions sur le « dreamy-state » de l'épilepsie temporale, suite aux travaux de Penfield, avaient déjà permis de soupçonner le rôle du système limbique dans ce type d'altération de la conscience. Seul s'y trouve ajouté le rôle des neurones dopaminergiques. Cet exemple parait fondé sur une conception biochimique des maladies mentales encore inexistante à ce jour. Aussi veut-on accréditer l'idée que l'équilibre conscient/inconscient dépendrait des rapports des systèmes mono- aminergiques et doparainergiques. C'est bien la seule démarche possible : pour éviter d'entrer dans la complexité de l'objet immaitrisable par les procédures expérimentales, il s'agira de ramener l'investigation à la façon dont la machine pourra le traiter en laissant croire qu'on n'a pas ainsi modifié l'objet. En un temps ultérieur, la complexité initiale aura disparu au profit du traitement de sa forme simplifiée. Ainsi la conclusion de l'article cité plus haut dit-elle : « Les connaissances neurobiologiques actuelles peuvent donc rendre compte, sans pour autant le démontrer, de l'existence d'un mode de fonctionnement particulier différent du conscient et assimilable à l'inconscient décrit en psychanalyse. » 22. Nous savons bien que le lecteur de cette revue n'est pas familier avec le langage et les concepts psychanalytiques. Nous pourrions lui demander, afin qu'il se fasse une idée de ce qu'est le psychique, de s'interroger sur les circonstances de sa lecture d'un tel article, et sur l'analyse de ses états d'âme à l'orée de celle-ci. Une idée plus complète, encore que très incomplète, de cette notion exigerait qu'il s'interroge sur son état d'esprit au moment d'arriver à la fin de sa lecture, pour envisager le déroulement rétrospectif de ce qui s'est passé en lui. En ce qui me concerne, je ne pensais pas pouvoir être en mesure de fournir une explication de ce qu'est le psychisme. Ce serait déjà beaucoup si j'étais parvenu à donner une idée de ce qu'il n'est pas...

Par André Green

 

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UNE MOLÉCULE À DEUX VISAGES

 

Une molécule à deux visages


cerveau - par Alain Buisson et Denis Vivien dans mensuel n°341 daté avril 2001 à la page 16 (1139 mots) | Gratuit
Un vaisseau cérébral s'obstrue ou éclate, et, dans la partie du cerveau privée de sang, voilà les neurones qui commencent à mourir. Déboucher les vaisseaux ne suffit pas : encore faut-il stopper la mort neuronale. Mais dans quelle direction s'orienter quand l'agent bénéfique dans le premier cas se révèle néfaste dans le second ?

Les attaques cérébrales, ou « accidents vasculaires cérébraux » AVC ont un coût très lourd en matière de santé publique. En France, où 140 000 nouveaux cas sont déclarés chaque année, elles constituent la troisième cause de mortalité et la première cause de handicap. Il est établi que 25 % à 30 % des patients ayant subi une attaque cérébrale décèdent rapidement. Et, si un quart des survivants récupère sans séquelles apparentes, les autres souffrent de handicaps dont la nature et l'ampleur diffèrent selon l'étendue et la localisation de la région cérébrale affectée paralysie, déficits d'apprentissage, pertes de mémoire, troubles comportementaux et moteurs. A ce sombre constat une raison majeure : les moyens thérapeutiques susceptibles d'enrayer précocement les dégâts provoqués par un AVC semblent avoir une efficacité limitée. Et la molécule la plus prometteuse, actuellement utilisée aux Etats-Unis, a un double visage...

Manque critique. Les AVC regroupent deux types de pathologies, l'attaque ischémique* et l'hémorragie cérébrale, qui résultent respectivement de l'occlusion d'une artère cérébrale et d'une rupture de la paroi vasculaire. Dans l'un et l'autre cas, l'inadéquation entre les apports sanguins et les besoins métaboliques et énergétiques du cerveau conduit à des altérations irréversibles du métabolisme* cérébral et, à terme, à la mort des cellules nerveuses. Schématiquement, un AVC est donc constitué de deux phases : une phase vasculaire et une phase cérébrale. La phase vasculaire est caractérisée par une réduction brutale du débit sanguin cérébral au niveau de la zone en aval de l'occlusion. Cette zone est bordée d'une région, appelée pénombre, qui présente une réduction plus faible du débit sanguin cérébral : sa capacité à survivre dépend de la durée de l'occlusion. Si celle-ci se prolonge, la pénombre évolue lentement, parfois en plusieurs jours, vers une lésion totale. Par quel mécanisme ? Un neurotransmetteur, le glutamate, est massivement libéré par les neurones « ischémiés » dans l'espace extracellulaire. En résulte une activation excessive des récepteurs au glutamate situés sur les neurones voisins. Or, ces récepteurs sont des canaux permettant, quand ils sont activés, l'entrée de calcium. Lors d'un AVC, leur activation massive entraîne une telle entrée de calcium dans les neurones cibles que ceux-ci en meurent.

Les recherches visant à limiter les lésions cérébrales induites par une ischémie sont orientées selon deux stratégies principales : la première a pour but de dissoudre le caillot à l'origine de l'occlusion artérielle, la deuxième vise à bloquer la cascade d'événements délétères impliquant le glutamate. Malgré de bons résultats obtenus sur des modèles animaux reproduisant cette pathologie, la plupart des agents pharmacologiques bloquant directement ou indirectement la neurotransmission* provoquée par le glutamate se sont révélés décevants chez l'homme. La seule thérapie ayant démontré une certaine efficacité clinique, utilisée à l'heure actuelle aux Etats-Unis et au Canada, est l'administration d'une protéine capable de « déboucher » les vaisseaux ou les artères : l'activateur tissulaire du plasminogène t-PA. Cette molécule est une protéase qui intervient dans le système de dégradation du réseau de fibrine des caillots. Elle existe in vivo ,où elle est essentiellement produite par les cellules endothéliales. Mais elle a également été détectée dans les neurones, et semble impliquée tant dans le développement neuronal que dans la plasticité synaptique.

En 1995, des travaux réalisés au National Institute of Neurological Disorders and Stroke par le rt-PA Stroke Study Group ont porté sur l'effet d'une injection intraveineuse de t-PA recombinant chez 624 patients, dans un intervalle de temps situé trois heures après l'apparition des symptômes aigus1 : ce traitement permet un recouvrement total des fonctions neurologiques chez 11 % à 13 % des patients et n'aggrave pas l'état des autres patients2. Bien qu'il augmente de dix fois les risques d'hémorragies intracérébrales, ce qui restreint ses conditions de prescription, il a été approuvé par la Food and Drug Administration comme agent pharmacologique dans le traitement de l'ischémie cérébrale.

Toutefois, son application est limitée par une fenêtre d'utilisation extrêmement réduite trois heures maximum après l'apparition des troubles neurologiques, et on estime qu'en raison de cet impératif, 1,5 % seulement des patients américains victimes d'une attaque cérébrale ont pu en bénéficier. Par ailleurs3, des neurobiologistes américains ont observé que après une ischémie cérébrale, des souris génétiquement modifiées afin de ne plus exprimer de t-PA développaient des lésions cérébrales 50 % plus petites que des souris normales. A l'opposé, après injection de t-PA, la taille des lésions est accrue de 33 % chez les souris normales, et de 50 % chez les souris modifiées. Ces résultats suggèrent que le t-PA serait impliqué dans la cascade délétère des événements conduisant à la mort neuronale d'origine ischémique. Mais par quel mécanisme agit-il ?

Activité accrue. Quand des neurones en culture sont stimulés avec une substance appelée NMDA qui active, en fait, le récepteur au glutamate, ils sont dans des conditions qui se rapprochent de celles que l'on trouve au cours d'un accident vasculaire cérébral, et meurent. Or, si l'on ajoute un inhibiteur du t-PA, ce phénomène est amoindri4 : preuve indirecte que, dans des conditions ischémiques, du t-PA est libéré par les neurones en souffrance et accentue l'effet du NMDA. Par ailleurs, la mort neuronale est accrue quand on ajoute du t-PA, et ces observations sont corrélées à une augmentation du calcium intracellulaire, ce qui laisse présager d'un changement d'activité du récepteur au NMDA. Changement directement induit par le t-PA ? Il est fort possible que ce soit le cas. Nous avons en effet démontré4 que le t-PA coupe une partie extracellulaire du récepteur au NMDA, modifiant probablement, de ce fait, son activité. Voilà qui explique, en tout cas, l'absence d'effets délétères du t-PA sur un cerveau normal : son activité néfaste est conditionnée à l'activation du récepteur au glutamate.

S'il est clair que le t-PA accentue la mort cellulaire de neurones ischémiés tant dans des modèles in vitro que dans des modèles animaux, peut-on et doit-on pour autant extrapoler ces résultats à l'homme ? Certes, les effets bénéfiques du traitement des AVC par le t-PA, liés à sa capacité à déboucher les artères ou les vaisseaux, sont vraisemblablement minimisés par ses effets délétères sur la survie des neurones. Mais quelle est la part exacte du t-PA vasculaire et du t-PA cérébral dans la mort neuronale causée par un AVC ?

Si nos travaux ne répondent pas à cette question, ils ouvrent par contre une nouvelle piste thérapeutique. En effet, nous avons montré que l'ajout d'un inhibiteur du t-PA apparaît capable de restreindre la mort de neurones soumis à un stress neurotoxique de type ischémie. Ne serait-il pas envisageable de limiter les conséquences d'un AVC en détruisant d'abord le caillot sanguin, puis en mettant à profit les propriétés d'un inhibiteur du t-PA pour freiner la mort neuronale ?

Par Alain Buisson et Denis Vivien


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LES PERTURBATEURS HORMONAUX

 

Le casse-tête des perturbateurs hormonaux


environnement - par Yves Sciama dans mensuel n°372 daté février 2004 à la page 56 (2454 mots) | Gratuit
Certains produits chimiques qui s'accumulent dans l'environnement brouillent les signaux hormonaux. Comment les identifier, décider de substances prioritaires, définir des seuils de dangerosité ? La mise au point d'une réglementation se heurte à de multiples inconnues. L'Europe y consacre un programme de recherches, mais le chantier s'annonce pharaonique.

Quasi inconnu il y a seulement dix ans, le problème des perturbateurs endocriniens, ces polluants qui provoquent des désordres hormonaux chez les êtres vivants, figure aujourd'hui au nombre des casse-tête environnementaux à résoudre. L'Europe lui consacre depuis l'année dernière un programme de recherche qui associe 64 laboratoires, doté de 20 millions d'euros sur trois ans. Aux États-Unis, la dépense ? répartie entre autorités sanitaires et environnementales ? est du même ordre mais... chaque année. Quant au Japon, les sommes investies y seraient encore plus importantes. Et le nombre de projets de recherche recensés dans le monde ne cesse d'augmenter [1].

Cette mobilisation générale s'explique par la gravité et la diversité des anomalies constatées dans le monde animal, attestées à ce jour par des centaines d'articles. La galerie des troubles endocriniens que l'on relie à une exposition à des produits chimiques disséminés dans l'environnement tient en effet de l'inventaire à la Prévert, la poésie en moins. On y trouve des poissons qui changent de sexe [2] ou qui présentent des phénomènes d'intersexualité, tels que des ovocytes dans les testicules ; des oiseaux à la reproduction sinistrée, notamment par l'amincissement de la coquille des oeufs [3] ; des aberrations du développement ou de la métamorphose chez les amphibiens [4] ; et jusqu'à des dysfonctionnements du comportement ou des troubles du système immunitaire chez des mammifères marins [3]. Des mollusques aux ours blancs, tout le règne animal est touché.

Chez l'homme, les effets sont difficiles à étudier étant donné l'impossibilité d'expérimenter in vivo. Mais on voit mal pourquoi Homo sapiens échapperait au problème, son système hormonal n'étant pas d'une originalité particu- lière. Dans un rapport daté de 1999 [5], les autorités européennes ont d'ailleurs admis une « association » entre les perturbateurs endocriniens et une série de pathologies humaines de plus en plus fréquentes, telles que « les cancers des testicules, du sein et de la prostate, la baisse du nombre de spermatozoïdes, les malformations des organes reproducteurs, les dérèglements thyroïdiens, ainsi que les troubles intellectuels et neurologiques », tout en précisant que le « rôle d'agent causal n'a pas été confirmé »... Depuis cette date, ces présomptions se sont considérablement renforcées.

La nécessité d'une gestion de ces perturbateurs s'est imposée, mais elle s'annonce assez inextricable. Les inconnues sont nombreuses, à commencer par celles concernant les produits en cause. Rien n'indique a priori si un composé a des effets hormonaux ou pas. Quelques dizaines seulement ont été identifiés. Ils appartiennent à des familles chimiques étonnamment diverses métaux lourds, polyphénols, phtalates, PCBs, etc. et se retrouvent dans des produits allant des pesticides aux peintures industrielles, en passant par les cosmétiques ou les plastiques. Cette diversité a une double explication. Premièrement, il y a bien des façons de « brouiller » des signaux hormonaux : imiter la structure des hormones ce qui renforce leurs effets ; saturer leurs récepteurs ce qui les rend inopérantes ; entraver leur synthèse ; gêner leur dégradation, leur excrétion ou n'importe quelle étape de leur métabolisme... Deuxièmement, une telle variété reflète tout simplement celle des hormones : on en compte plus de 50 chez les vertébrés, et on ne les connaît pas toutes chez les invertébrés.

Détection difficile

Les composés perturbateurs sont donc loin d'être tous connus. Mais, surtout, ils déconcertent les toxicologues dont les outils, voire les concepts, d'évaluation des doses dangereuses se révèlent peu adaptés à des polluants qui agissent sur le système hormonal.

Un article retentissant, publié en 2002 dans les comptes rendus de l'Académie des sciences américaine, illustre en partie ces difficultés [6]. Dans cette étude, Tyrone Hayes et ses collègues de l'université de Berkeley ont étudié les effets de l'atrazine, le pesticide le plus utilisé aux États-Unis, sur des grenouilles Xenopus laevis. Ils ont montré qu'une exposition des têtards à 0,1 microgramme par litre µg/l seulement de ce produit ? une concentration très faible et couramment atteinte dans l'eau de pluie ? induit l'amorce d'un développement ovarien chez la grenouille mâle adulte. Or, un tel effet ne peut être détecté dans le cadre des procédures actuelles d'homologation des pesticides, les tests n'étudiant que la toxicité directe c'est-à-dire la mortalité, la réduction de poids, etc.. En l'occurrence, réalisés sur des amphibiens adultes, aucun impact en dessous de 47 µg/l n'avait été constaté !

Cette étude souligne aussi que l'extrême sensibilité des récepteurs hormonaux, bien connue par ailleurs, rend la détection de doses dangereuses d'autant plus difficile. Jorg Oehlmann, écotoxicologue à l'université de Francfort et responsable d'un des projets de recherche européens, indique que « la plupart des toxiques "ordinaires" ne sont pas actifs en dessous du microgramme par litre, même s'il existe quelques exceptions comme la toxine botulique. Or, avec les perturbateurs endocriniens nous devons parfois étudier les effets de concentrations cent fois plus faibles, ce qui pose ? entre autres ? de sérieux problèmes techniques. »

Au tableau des difficultés spécifiques à ces perturbateurs il faut en ajouter une autre, et elle est de taille : la relation entre dose et conséquences est inhabituelle. Comme l'explique Jorg Oehlmann : « Le principal paradigme de la toxicologie, est : "La dose fait le poison." Toute l'actuelle procédure d'évaluation du risque toxique est fondée sur le postulat que la toxicité s'accroît avec la dose appliquée. » Or cela est faux avec l'activité hormonale. Dès lors que l'on agit sur des récepteurs hormonaux, la relation dose/effets ne vaut que dans une gamme de valeurs réduite. Jorg Oehlmann et ses collègues l'ont par exemple montré dans le cas de mollusques aquatiques exposés à du bisphénol-A, une molécule synthétisée dans les années trente et couramment présente dans l'environnement elle entre dans la composition de certains plastiques, de fongicides, ignifugeants et autres antioxydants. Exposés à 100 µg/l de bisphénol-A, les mollusques présentaient une hypertrophie des ovaires et une ovogenèse suractivée. Mais cet effet « féminisant » n'a pas diminué avec la concentration, au contraire : à 25 µg/l, il était trois fois plus fort qu'à 100... Puis, ce cap passé, il a commencé à décroître [7].

Mystérieux mélanges

Depuis, des dizaines d'autres exemples de ce type ont été observés, avec des effets qui s'annulent, s'inversent ou changent radicalement lorsqu'on augmente les doses. Ainsi, commente le chercheur : « Contrairement au cas des cancérigènes, par exemple, un effet peut être induit dans une fenêtre de concentration très étroite sans que vous puissiez l'observer si vous appliquez une dose plus forte. Or, les procédures actuelles d'évaluation du risque reposent sur la détermination d'une dose minimale sans effet observable. Mais si l'on redoute qu'en deçà de ce seuil il existe une étroite fenêtre de concentration induisant des effets négatifs, alors il faut revoir toute la procédure... »

Les scientifiques se heurtent encore à un autre problème plus classique mais auquel les perturbateurs endocriniens ne semblent pas échapper, celui des « mélanges » : l'effet de la combinaison de produits correspond rarement à la somme des conséquences attendues pour chacun d'entre eux pris isolément.

Andreas Kortenkamp, de la London School of Pharmacy, a par exemple étudié les effets d'un cocktail de 8 composés faiblement oestrogènes féminisants, chacun à une concentration bien inférieure à son seuil d'activité observable [8]. Pour cela, il a utilisé un test courant, dit YES pour Yeast Estrogen Screen, qui consiste à doter des levures d'un récepteur humain de l'hormone oestrogène. Grâce à une manipulation génétique ad hoc, l'activation du récepteur s'accompagne de la synthèse d'une enzyme facile à doser. Résultat : l'activité du mélange est apparue bien supé- rieure à la somme de celle des 8 constituants. Pour un mélange constitué d'un oestrogène extrêmement puissant le 17b-oestradiol et 11 composés notablement moins actifs trois cent cinquante à cent mille fois, l'observation est la même. Certes, il s'agit de résultats in vitro : on ne peut donc les extrapoler à notre métabolisme général, vraisemblablement protégé par des mécanismes régulateurs. Mais le problème soulevé est de taille : et s'il était impossible de définir des seuils réglementaires de contamination pour une substance isolée ?

De cette accumulation de questions n'émerge pour l'instant qu'une certitude : la découverte de la perturbation endocrinienne va tôt ou tard contraindre à réexaminer la majorité des 90 000 composés nouveaux synthétisés par l'homme depuis le début de l'ère industrielle. Un chantier pharaonique qui durera au moins quinze ans, sinon beaucoup plus. Pour commencer à s'y attaquer, les autorités de la plupart des grands pays ont défini dès 1998 des stratégies convergentes. Elles consistent, en simplifié, à établir d'abord une liste de produits urgents à étudier, puis à leur faire subir une série de tests approximatifs et à étudier enfin en détail ceux qui se seront montrés les plus actifs, de façon à produire une estimation du risque.

Pour l'instant, tout cela relève du voeu pieux. A priori, la mauvaise volonté n'est pas en cause : rarement un problème d'environnement aura reçu tant d'attention dès les premières alertes. Mais la complexité du phénomène semble avoir raison de tous ces efforts. La simple sélection de substances prioritaires à étudier se révèle particulièrement laborieuse. Cette première étape repose en effet sur la littérature préexistante, sur les volumes de production, sur la persistance dans l'environnement, sur l'exposition, etc. Bref, sur un cocktail de facteurs inconfortablement subjectif. D'ailleurs les États-Unis n'ont à ce jour pas encore franchi cette étape. L'Europe, elle, a confié cette tâche à un bureau d'études des Pays-Bas, qui a retenu 553 substances, s'attirant aussitôt les critiques de l'industrie mais aussi celles du comité chargé des toxiques, qui relève de la Commission européenne CSTEE. Ce dernier a, entre autres, dénoncé des critères de sélection « trop restrictifs » ayant probablement conduit à « manquer certains produits » [3]. Mais il a tout de même fini par adopter cette liste comme base provisoire de travail. Le Japon, quant à lui, a sélectionné 948 molécules prioritaires.

« Enfer réglementaire »

L'étape suivante le tri et les essais pose encore plus de problèmes. Cette étape nécessite une batterie de tests suffisamment fiables, sensibles et complets pour qu'une molécule puisse être considérée comme inoffensive ? au moins provisoirement. Or, la mise au point de ces tests se heurte à toutes sortes de difficultés, liées à la complexité du sujet. D'après Gary Timm, membre du comité chargé de la perturbation endocrinienne mis sur pied par l'administration américaine : « L'Agence de protection de l'environnement américaine l'EPA devrait commencer les essais en 2005, probablement avec une liste de substances très limitée, une centaine au maximum. Nous verrons alors si nos tests fonctionnent, s'il faut les améliorer, et nous essaierons d'avancer. » Et l'Europe ne sera certainement pas prête avant...

Quant à la troisième étape, l'évaluation des risques, elle sera difficile en l'absence de données solides sur l'exposition de l'homme et des écosystèmes à une vaste palette de composés, pour tenir compte des synergies. Or, personne ne sait au juste pour quels produits il importe en priorité de mesurer l'exposition, et seules des études disparates portant sur un faible nombre de molécules ont jusqu'à présent été menées.

Rien d'étonnant donc à ce qu'un spécialiste ait récemment qualifié la phase actuelle d'« enfer réglementaire ». Dans les faits, lorsque des substances particulières apparaissent comme posant un problème aigu, elles sont traitées au cas par cas, en fonction des informations disponibles et des pressions exercées par les uns et les autres. Le Japon a par exemple demandé à ses industriels, en 1998, de tout faire pour réduire les émissions de nonylphénol, un produit utilisé en masse pendant plus de quarante ans, notamment dans des détergents, émulsifiants, agents dispersants, dont les concentrations dans l'environnement apparaissaient problématiques féminisation de certains poissons d'eau douce. Selon Taisen Ogushi, l'un des principaux spécialistes nippons, cette simple demande, non assortie de contraintes réglementaires, a suffi à réduire la contamination à un niveau acceptable en moins d'un an.

Dans ce dossier, l'industrie chimique plaide que « sans une compréhension améliorée de la perturbation endocrinienne et de meilleurs outils d'évaluation, toute mesure de précaution au-delà de ce qui est déjà prévu par les contrôles existants ne serait qu'un saut dans l'inconnu, qui ferait sans doute plus de mal que de bien [9] ». Les industriels soulignent qu'il ne faudrait pas mettre en circulation des listes de produits actifs, qui sèmeraient gratuitement la suspicion, mais effectuer de réelles analyses de risque. Scientifiquement, cela se défend... mais cela aboutit à différer toute possibilité de légiférer avant l'accumulation d'une quantité énorme de données, autrement dit avant de nombreuses années.

À l'inverse, les associations de protection de la nature réclament une application stricte du principe de précaution et des mesures énergiques. Aux États-Unis, les choses sont allées jusqu'à un retentissant procès intenté à l'EPA par plusieurs associations, au terme duquel l'administration a été condamnée à hâter l'évaluation de certains produits, calendrier contraignant à la clé [10]. Une soixantaine de spécialistes en vue ont par ailleurs signé une pétition récente du WWF [11], exigeant que partout où il existe des produits de substitution sûrs « safe alternatives », il soit mis fin à l'utilisation de substances ayant une activité hormonale malgré les incertitudes scientifiques. Comme le résume Jorg Oehlmann : « Il a même été réclamé que les perturbateurs endocriniens soient tout simplement interdits en tant que tels. C'est évidemment stu- pide ? mais en dehors de cette position extrême pour l'instant il n'y a rien. » Car on ne peut interdire une substance au motif qu'elle a un effet hormonal en laboratoire, sans étudier si cet effet est négligeable ou problématique dans l'environnement réel.

L'ère des décisions en matière de perturbation endocrinienne paraît encore lointaine. D'autant que si le travail de recherche repose aujourd'hui principalement sur des fonds publics, les autorités européennes comme américaines semblent décidées à faire financer les essais ? lorsqu'ils seront au point ? par l'industrie chimique. Des essais qui coûteront 250 000 dollars par molécule pour un diagnostic rapide, et dix fois plus pour des tests approfondis, selon les Américains. Autant dire que les choses n'iront pas toutes seules, et que le problème des perturbateurs endocriniens risque de faire parler de lui encore un certain temps. Comme le remarque Gary Timm : « C'est sûrement un domaine offrant d'excellentes possibilités de carrière...

LE Contexte En 1996, une journaliste et deux zoologues américains publient Our Stolen Future, une enquête sur les perturbations graves du système hormonal observées dans le règne animal, liées à l'accu- mulation dans l'environnement de polluants fabriqués par l'homme. En quelques mois, le livre devient un best-seller aux États-Unis, et la perturbation endocrinienne entre sur la scène publique. Dès 1997, les crédits de recherche commencent à affluer aux États-Unis, au Japon, puis en Europe. En ce début du XXIe siècle, le problème est devenu l'une des grandes préoccupations environnementales.

Par Yves Sciama

 

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NEUROCHIRURGIE ET ROBOTIQUE

 

  00:16:00  1990  SD 4/3  Sonore
L'équipe de neurochirurgie du Professeur Benabid, assistée par un robot mis au point à l'Hôpital de La Tronche, près de Grenoble, pratique une biopsie crânienne stéréotaxique. Un logiciel permet grâce à une modélisation 3D, réalisée à partir d'imagerie RMN et X, de piloter le robot qui permettra au chirurgien d'optimiser la définition de la trajectoire des instruments.
Dominique Hoffman, neurochirurgien, le Professeur Alim-Louis Benabid, chef du service de neurochirurgie, et le Professeur Demongeot, chef du service d'informatique médicale, expliquent comment un travail conjoint avec des mathématiciens et des informaticiens a permis la numérisation d'un atlas du cerveau, la représentation 3D des images médicales et la mise en correspondance de toutes ces données.
La chirurgie assistée par ordinateur permet de s'aventurer dans des zones qui jusqu'ici étaient peu visibles.

Producteur : CNRS AV
  
Auteur : PAPILLAULT Anne (CNRS AV, UPS CNRS, Meudon) DARS Jean-François (CNRS AV, UPS CNRS, Meudon)
Réalisateur : PAPILLAULT Anne (CNRS AV, UPS CNRS, Meudon) DARS Jean-François (CNRS AV, UPS CNRS, Meudon)
Conseiller scientifique : LAVALLEE Stéphane CINQUIN Philippe

 

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