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UNE ARME À DOUBLE TRANCHANT

 

Une arme à double tranchant
Dominique Pestre dans mensuel 509


Les États ont toujours mobilisé les communautés savantes pour renforcer leurs capacités militaires ou justifier leur idéologie. Ce qui a influencé la pratique des sciences, humaines et sociales en particulier.
Pour l'historien, l'appel lancé le 20 février 2015 dans Libération par le président du CNRS Alain Fuchs, et repris le 18 novembre dernier dans une lettre aux chercheurs (lire p. 84), n'apparaît pas anodin. Ses textes sont certes adossés à un travail de réflexion entamé depuis les attentats contre Charlie Hebdo et l'Hyper Cacher, mais la publication d'un appel à la mobilisation sous forme d'une tribune libre dans la presse, tout comme l'appel individualisé aux chercheurs, sont peu habituels.

La mobilisation des communautés savantes, en revanche, est aussi vieille que les sciences elles-mêmes. La raison en est simple : les savoirs d'observation et d'expérimentation, comme les mises en statistique et mathématique, permettent l'anticipation. Construisant des régularités, ils offrent une capacité de maîtrise sur le monde, une capacité d'agir. Il n'est donc pas étonnant que les pouvoirs aient toujours cherché à les mobiliser : de Galilée et ses liens avec l'arsenal de Venise au début du XVIIe siècle aux savants français venant au secours de la Révolution menacée ; des chimistes développant les gaz de combat pendant la Première Guerre mondiale aux physiciens et biologistes britanniques inventant la recherche opérationnelle, en 1940, pour optimiser la gestion du système de radars côtiers et celle des convois dans l'Atlantique Nord.

Comme l'indiquent ces exemples, la raison qui commande la mobilisation générale est souvent... la guerre ! Ce n'est toutefois pas la seule. Dans l'histoire, la question des valeurs a joué aussi un grand rôle. Ce fut le cas dans les actions menées contre les guerres coloniales, dans la guerre au nazisme et ses politiques d'extermination ; ce fut le cas, durant la guerre froide, dans la lutte contre le communisme (et, symétriquement, contre le capitalisme). C'est enfin vrai, aujourd'hui, dans la lutte contre le réchauffement climatique - le combat pour Gaïa prenant souvent valeur universelle.

Mais la mobilisation active des sciences fut tout aussi massive pour la vie économique. Les entreprises sont, en effet, de grandes productrices de savoirs scientifiques et techniques, et elles ont pris, depuis un siècle et demi, une place centrale. Aujourd'hui, dans un monde en concurrence généralisée, les États sont au coeur des processus de mobilisation, et dépensent plus pour la recherche et le développement que durant la guerre froide. Puisque l'idée est qu'il faut créer chez soi des « Silicon Valley » permettant de survivre à la compétition internationale, les sciences sont placées au coeur de la mobilisation. Et ces raisons sont légitimes, puisque les sciences ne sont pas hors du monde, mais dans le monde.

Comment les scientifiques ont-ils réagi à ces demandes ? De façon variée ! Au début de la Première Guerre mondiale, Albert Einstein fait par exemple exception en refusant de signer le manifeste des intellectuels allemands par lequel 93 scientifiques, philosophes et artistes de renommée internationale défendent le militarisme prussien. Pacifiste, Einstein refuse de prendre position. Vingt-cinq ans plus tard, en revanche, confronté à la barbarie nazie, il accepte d'alerter le président Roosevelt sur le potentiel militaire du nucléaire et l'importance de se doter de ces armes avant les Allemands. Il ne participe toutefois pas au programme américain et ne se rend pas au laboratoire de Los Alamos, au Nouveau-Mexique, où sera fabriquée la première bombe atomique. De la même façon, durant les premières années de la guerre froide, les physiciens américains contribuent massivement à la conception de nouveaux systèmes d'armes (tel le guidage des missiles balistiques) pour lutter contre le communisme - comme le feront les physiciens soviétiques. Mais les défections se multiplient à la fin des années 1960, du fait de l'opposition de la jeunesse étudiante aux États-Unis à la guerre du Vietnam.

Quelles sont les conséquences de ces mobilisations ? Transforment-elles les pratiques de science ? Oui, et les sciences en sortent transformées, puisque aucun savoir n'échappe au contexte qui le voit naître. Prenons un exemple, celui des laboratoires Bell, aux États-Unis, et le fait que c'est là que s'invente le transistor entre 1947 et 1948. Les historiens ont montré que la structure du laboratoire est ici très certainement décisive - qu'en un sens l'université ne pouvait pas réussir, ou du moins pas aussi vite. Organisés par les responsables des brevets, les chimistes et cristallographes de la Bell travaillent avec les ingénieurs, les physiciens et les théoriciens quantiques pour maîtriser la chaîne des savoirs nécessaires, et ils contribuent ainsi, de façon décisive, à la création de l'électronique et de la physique des solides. Pareillement, c'est bien le département de la Défense aux États-Unis qui, par ses financements et les conditions qu'il impose, recompose le champ de la physique des matériaux à la fin des années 1950. Mais soyons clairs : dire cela n'implique pas que les effets soient nécessairement positifs. L'avènement de pratiques nouvelles en stérilise toujours d'autres, et peut même les faire disparaître ! Et cela est particulièrement vrai pour les humanités et les sciences sociales.

DIVERSITÉ DES ANALYSES
Ces dernières se sont régulièrement mobilisées, elles aussi. Les historiens et géographes ont contribué à la « fabrication » des nations et de leurs imaginaires. Et les littéraires, essayistes et ethnologues, aux côtés des médecins, naturalistes et biologistes, ont joué un rôle majeur dans la solidification de la notion de race et de son « évidence », du XVIIIe au XXe siècle. Cela n'a pas été innocent dans les contextes coloniaux et impériaux, dans la fabrication de soi (la race blanche, la civilisation) et de l'autre (l'indigène, l'oriental).

La mobilisation pour l'action immédiate tend à transformer les humanités et les sciences sociales plus radicalement que les sciences dures. La raison en est que beaucoup d'entre elles, l'histoire ou l'anthropologie par exemple, visent la compréhension des situations, la variété des univers sociaux. Elles cherchent à dire comment les gens pensent et font, sans idée a priori de les classer ou d'« éduquer » qui que ce soit. Certes, cette posture n'implique pas d'abandonner ses propres valeurs. Mais comprendre les logiques complexes qui prévalent dans chaque milieu suppose de mettre momentanément entre parenthèses ses propres certitudes ; cela conduit à mobiliser des formes d'empathie, à se voir soi-même autrement. Il s'agit d'une expérience constitutive des humanités et des sciences sociales.

Mais lorsque ces savoirs sont appelés pour dire ce qu'il convient de faire, ici et maintenant, en fonction d'un objectif donné, les choses se brouillent - une expérience que les anthropologues, très mobilisés durant la Seconde Guerre mondiale et la guerre froide, ont bien connue ; et qui les a conduits à se sentir souvent, d'un point de vue éthique, en porte-à-faux avec ce qui constituait leur métier. On comprend dès lors pourquoi, lorsque ces savoirs sont mobilisés, les choses ne peuvent être simples.

Une preuve en est que, aux États-Unis après 1945, lorsqu'il a été demandé aux sciences sociales de se mobiliser en tant que telles dans la lutte contre le communisme, le constat a été rapidement fait qu'elles devaient adopter des méthodes plus « opérationnelles » : en simplifiant leurs analyses trop contextualisées par exemple ; en privilégiant des approches expérimentales de types behaviouristes ou la psychologie expérimentale ; en acceptant de transformer leurs connaissances en outils d'aide à la décision ou la gestion des populations - ce qui n'a pas été toujours suivi d'effets.

C'est donc surtout à partir des analystes des systèmes et des théoriciens des jeux et de la décision rationnelle, c'est-à-dire, à partir du monde des scientifiques, des ingénieurs et des économistes, que de nouvelles approches sont apparues. Ce sont souvent ces spécialistes qui ont transposé les outils de l'analyse de la confrontation nucléaire à celle de la vie sociale et économique. Ces approches méritent attention mais elles ont leurs limites ! Elles n'invalident en rien les autres approches des humanités et des sciences sociales, et ce serait une perte lourde que d'obliger tout un chacun à se comporter comme dans les sciences de laboratoire.

Resterait à revenir sur une injonction, présente dans le dernier appel de M. Fuchs, selon laquelle les sciences sociales devraient devenir plus actives dans la communication de leurs connaissances. Le problème n'est toutefois pas une simple question de « transfert ». Les sciences sociales ont en effet ceci de particulier qu'elles ne sont pas les seules à dire ce qui se passe dans le monde (chacun s'y emploie) ; que les propositions alternatives ne peuvent être simplement « réfutées » (les choses ne sont pas aussi simples que dans les sciences dures) ; et qu'elles ont affaire à des personnes qui réfléchissent, argumentent et voient des aspects différents des problèmes.

Il ne peut donc y avoir de solution clé en main, comme avec les technologies ! Quant aux politiques, ils savent souvent d'avance ce qu'ils doivent faire (car leurs agendas sont largement politiques), et ils possèdent leurs propres réseaux de savoir (dans les administrations par exemple). En fait, vis-à-vis des politiques, le problème est souvent qu'ils n'ont pas envie d'écouter ceux qui risquent d'aller à l'encontre de leurs certitudes.

Que retenir ? Qu'il n'est pas déplacé de demander aux sciences sociales et aux humanités d'analyser les urgences du moment. Qu'elles ont beaucoup à dire. Que leur force est largement dans la diversité des manières qu'elles utilisent pour analyser les choses. Mais que leurs analyses ne se transforment pas aisément en solutions tout-terrain ! Et que cela n'est pas nécessairement une mauvaise chose, puisque cette diversité des analyses est une garantie de ne pas rester démuni devant l'inattendu. En ce sens, cette biodiversité qu'on ne peut pas toujours traduire en règle simple constitue un avantage.

 

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L'ORIGINE GESTUELLE DU LANGAGE

 

L'origine gestuelle du langage
Michael C. Corballis dans mensuel 341


Le langage n'est pas apparu subitement dans l'évolution humaine : notre capacité à parler résulte de la conjonction de nombreux éléments neurologiques et anatomiques. L'universalité des langues des signes et notre propension innée à accompagner nos discours de gestes laissent penser que le geste a précédé la parole.
En 1934, alors qu'il dînait avec le philosophe Alfred North Whitehead, le psychologue béhavioriste Burrhus Skinner entreprit de lui expliquer en quoi consistait le béhaviorisme*. Prié de lancer un défi à Skinner, Whitehead énonça la phrase : « Aucun scorpion noir ne tombe sur cette table » , avant de demander à son interlocuteur de lui expliquer la raison de son choix. La réponse se fit attendre plus de vingt ans : Skinner la publia en 1957, en annexe de son ouvrage Verbal Behavior 1 . Selon lui, Whitehead avait exprimé inconsciemment sa crainte du béhaviorisme, le comparant à un scorpion noir auquel il ne permettrait pas de s'immiscer dans sa philosophie. Le lecteur sceptique est autorisé à conclure que cette explication tient plus de la psychanalyse que des principes béhavioristes.

Toujours est-il que Whitehead avait mis à profit l'une des principales caractéristiques du langage humain, qui le distingue des autres formes de communication : sa générativité. Tandis que la communication animale semble toujours limitée à un petit nombre de signaux ne concernant que des contextes bien précis, nos phrases transmettent un nombre infini de notions ou de propositions. Nous comprenons aussi instantanément des combinaisons de mots inédites. Le langage nous permet par ailleurs de nous évader du présent, en évoquant des événements qui se sont déroulés ailleurs et à un autre moment. Nous utilisons le langage pour inventer, par exemple, des événements qui ne se sont jamais produits et qui ne se produiront jamais. Cette remarquable souplesse est en partie possible grâce à une invention humaine : la grammaire, ensemble de règles récursives qui nous permettent de concevoir des phrases aussi complexes que nous le souhaitons. Selon le linguiste Noam Chomsky, cette capacité, qu'il a nommée « grammaire universelle » est exclusivement humaine, et tous les langages humains en dérivent.

Expression simpliste. Pourtant, on a réussi à enseigner des éléments de langage à des singes en captivité. Ainsi, Kanzi, jeune chimpanzé nain étudié par Sue Savage-Rumbaugh, de l'université d'Etat de Géorgie, a réussi à s'exprimer avec un semblant de langage, au moyen de symboles inscrits sur un clavier d'ordinateur, et même à comprendre des ordres oraux modérément complexes formulés en anglais2. Toutefois, les « énoncés » de Kanzi sont généralement limités à l'association de deux ou de trois symboles, et même si l'ordre de ces associations peut être original, leur complexité grammaticale ne dépasse pas celle que maîtrise un enfant de 2 ans. Or, les enfants progressent et finissent par acquérir une grammaire complexe et récursive bien plus complexe que toutes les acquisitions de Kanzi, ou de n'importe lequel de ses congénères. S'il ne fait aucun doute que Kanzi et d'autres grands singes peuvent représenter des actions et des objets du monde réel au moyen de symboles, il leur manque en revanche presque toutes les autres facultés indispensables au « vrai » langage. Comme le fait remarquer Steven Pinker, du Massachusetts Institute of Technology, les singes « n'y arrivent pas » 3 , tout simplement.

On peut donc raisonnablement imaginer que la grammaire est apparue chez les hominidés après la divergence entre ce groupe et celui qui allait évoluer vers les chimpanzés modernes. Quand ? Les avis sont partagés. Pour Derek Bickerton, de l'université d'Hawaii, par exemple, la grammaire n'a pu se former progressivement : son apparition a été un événement isolé et accidentel, intervenu tardivement dans l'évolution des hominidés, au moment où Homo Sapiens lui-même est apparu en Afrique, il y a environ 150 000 ans4. Cela expliquerait pourquoi Homo sapiens a dominé et finalement supplanté tous les autres hominidés, tels l'homme de Neandertal en Europe ou Homo erectus en Asie du Sud-Est.

En se fondant sur des restes fossiles, Philip Lieberman, de l'université Brown, soutient que les hominidés n'ont été que tardivement pourvus de l'appareil phonatoire nécessaire à la parole, et que même l'homme de Neandertal, disparu il y a seulement 30 000 ans, aurait eu des difficultés à articuler. Il affirme lui aussi5 que notre espèce s'est distinguée des autres hominidés par le langage. Quant aux linguistes qui tentent de retracer l'origine de toutes les langues modernes dans une langue originelle commune, ils supposent aussi implicitement que le langage articulé est apparu récemment, et certainement pas avant Homo sapiens .

Admettons un instant cette hypothèse d'une invention récente et exclusivement humaine du langage. Son émergence aurait-elle été préparée par l'existence, chez nos ancêtres, de cris, analogues aux cris d'alarme des singes ou aux hurlements des grands singes ? Il semble que non, en particulier à cause des natures bien distinctes du langage humain et des cris des primates : selon N. Chomsky, le langage humain n'est pas limité dans son expression de la pensée, et est indépendant d'aucun stimulus, tandis que les systèmes de communication entre les animaux comportent un nombre limité de signaux ou de « dimensions linguistiques », dont chacun est associé à une dimension non linguistique. Peter McNeilage, de l'université du Texas à Austin, fait aussi remarquer que les cris des primates constituent le message en eux-mêmes, tandis que les paroles prononcées par les humains peuvent être combinées de façon originale pour créer un message. Selon moi, les cris de nos lointains ancêtres subsistent aujourd'hui dans les cris affectifs des hommes, tels les pleurs, le rire ou les hurlements, plutôt que dans la parole.

Un mode d'expression aussi complexe que le langage humain serait donc apparu lors d'un événement unique, sorte de « Big Bang » linguistique ? C'est difficile à admettre. S. Pinker et Paul Bloom, aujourd'hui à l'université d'Arizona, pensent quant à eux que le langage humain a évolué progressivement, par sélection naturelle. Des primatologues, tel Richard W. Byrne, de l'université de Saint Andrews, en Ecosse, estiment que les grands singes possèdent des capacités cognitives nécessaires au langage, par exemple la capacité à adopter la perspective d'autrui : le développement de ces capacités aurait donc précédé de plusieurs millions d'années la divergence entre notre lignée et celle des chimpanzés. Peut-on réconcilier ces différents points de vue ?

Mon hypothèse est que le langage a émergé progressivement, et d'abord sous la forme de signes manuels : il n'est devenu verbal que récemment dans l'évolution des hominidés, peut-être au moment de l'émergence d' Homo sapiens . Cette hypothèse avait déjà été formulée au XVIIe siècle par le philosophe français Etienne Condillac, et elle a été reprise dans les années 1970 par l'anthropologue américain Gordon W. Hewes. Elle n'a toutefois pas reçu un accueil très favorable parmi les linguistes et les anthropologues, sans doute parce qu'elle met en jeu des mécanismes complexes, et que nous n'avons aucune preuve directe que l'un ou l'autre de nos ancêtres hominidé s'exprimait par gestes au lieu de parler. Toutefois, nous avons de plus en plus d'arguments en faveur de cette théorie.

Examinons d'abord l'évolution des primates. Ce sont principalement des animaux visuels : chez les hommes comme chez les singes, la vue est de loin le plus développé de tous les sens, l'ouïe comprise. Par ailleurs, sauf chez l'homme, les gestes des mains des primates sont principalement contrôlés par le cortex, alors que la vocalisation, en grande partie limitée à des sons exprimant des émotions, est contrôlée par le système sous-cortical. Les premiers hominidés auraient donc été mieux adaptés à la communication intentionnelle avec leurs mains. Cela expliquerait aussi pourquoi l'enseignement de langue des signes à des chimpanzés a eu de meilleurs résultats que les tentatives visant à leur inculquer un langage articulé semblable au nôtre. Un chimpanzé élevé par une famille d'humains a par exemple appris à articuler seulement trois ou quatre mots, alors que des gorilles tel Koko du Gorilla Institute et des chimpanzés tels Washoe et Tatu, qui se trouvent maintenant au Chimpanzee and Human Communication Institute ont appris plusieurs centaines de signes symbolisant divers objets ou actions.

Une autre capacité précurseur du langage est sans doute apparue il y a encore plus longtemps, peut-être 25 ou 30 millions d'années, chez l'un de nos ancêtres communs avec les grands singes et les singes : la réciprocité des gestes. Giacomo Rizzolatti et ses collègues de l'université de Parme ont remarqué que des neurones particuliers, localisés dans l'aire corticale prémotrice des singes, sont actifs lorsque les singes réalisent certains gestes de préhension. En outre, certains de ces neurones, que G. Rizzolatti et ses collègues ont nommés neurones miroirs, sont aussi actifs lorsque les singes observent une personne ou, probablement, un autre singe qui effectue des gestes identiques. Ces neurones sont dans une partie du cortex des singes qui semble avoir les mêmes fonctions que l'aire de Broca du cerveau humain, essentielle à la programmation du langage. L'activité des neurones miroirs a peut-être plus de liens avec des gestes d'échange de nourriture qu'avec le langage, mais G. Rizzolatti et Michael A. Arbib, de l'université de Californie du Sud, ont proposé qu'elle soit une préadaptation à l'élaboration du langage6. Ces neurones seraient peut-être aussi des précurseurs de la faculté d'adopter la perspective d'autrui, que R. Byrne et d'autres considèrent comme un préalable cognitif nécessaire au langage.

L'utilisation des mains pour communiquer est toutefois limitée chez les primates non humains, car ils les utilisent, comme leurs bras, pour leur maintien postural et leur locomotion. La plupart des primates sont en effet arboricoles, et ils s'accrochent ou se balancent de branche en branche grâce à leurs bras. Les grands singes sont plus terrestres, mais ils se déplacent à quatre pattes en terrain découvert. Quant aux chimpanzés et aux gorilles, nos plus proches parents, ils ont une forme particulière de locomotion, nommée « knuckle walking * » , où les mains s'appuient sur le dos des phalanges. En revanche, l'une des caractéristiques distinctives des hominidés est justement la bipédie. Libérés, les mains et les bras sont devenus utilisables pour de nombreuses activités, dont la communication.

Quel avantage déterminant a poussé les hominidés vers la bipédie ? La libération de leurs mains a-t-elle favorisé la manipulation d'outils ? Le transport d'objets ? La communication ?

Communication sociale. L'origine de la divergence entre les hominidés et les grands singes serait la formation de la vallée du Rift, en Afrique. La plupart des hominidés fossiles, de plus de 6 millions d'années à un peu moins de 2 millions d'années, ont été trouvés à l'est du Rift, là où les forêts ont été progressivement remplacées par des savanes, peu arborées. Dans cet environnement, les premiers hominidés auraient été particulièrement exposés aux attaques de chasseurs et de tueurs beaucoup plus spécialisés et efficaces : les ancêtres des tigres, des lions et des hyènes actuels. Cette situation aurait alors favorisé la cohésion et la coopération sociale, pour laquelle une communication efficace est indispensable.

Dans un environnement de ce type, la communication par gestes est plus efficace que la communication vocale. Tout d'abord, elle est silencieuse, et risque peu d'attirer l'attention des prédateurs ou des proies. Ensuite, elle est fondamentalement spatiale, comme la plupart des informations destinées aux congénères : la position de dangereux prédateurs, de gibier ou de carcasses à récupérer. Les habitants de la savane ont peut-être commencé à communiquer par signes en pointant simplement des directions. Du reste, les jeunes enfants apprennent à montrer du doigt très tôt dans leur développement, contrairement aux autres primates, qui ne le font jamais. Selon Merlin Donald, de l'université de Queens à Kingston, dans l'Ontario, ce tout premier type de communication était fondé sur le mime, qui met en jeu les mains et les bras, bien sûr, mais aussi tout le corps7. M. Donald considère que cette forme de communication est distincte du langage, mais je pense pour ma part que c'est un précurseur.

Quoi qu'il en soit, le langage gestuel traduit plus directement la forme réelle des choses et leur position dans l'espace. Nous avons vu que nos lointains ancêtres étaient dotés d'un contrôle fin des mouvements de leurs membres supérieurs, ainsi que de neurones miroirs, qui assurent la correspondance entre l'action manuelle et sa perception. Il semblerait donc logique qu'ils aient développé un langage gestuel plutôt que verbal pour communiquer intentionnellement.

Une origine gestuelle du langage expliquerait aussi l'un des mystères de son évolution : comment des sons ont-ils été arbitrairement associés à des objets ou à des faits ? A de rares exceptions près, des onomatopées telles que « boum » ou « crac » ou le « Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes ? » de Racine, le son d'un mot ne permet pas d'en déduire quoi que ce soit sur son sens. Les premiers mots imitaient-ils leurs référents ? C'est peu vraisemblable, notamment parce que le langage parlé est unidimensionnel, structuré uniquement dans le temps, tandis que les événements importants de notre monde se déroulent en quatre dimensions d'espace et de temps. Cette restriction ne s'applique pas aux gestes des mains : à l'origine, ils auraient copié le monde physique, puis ils seraient devenus de plus en plus abstraits, avant d'être remplacés par des sons tout aussi abstraits et arbitraires.

Autre argument à l'appui d'une origine gestuelle du langage : des gestes continuent aujourd'hui d'accompagner nos paroles. Certes, la parole contient la grammaire et une grande partie de la représentation symbolique, puisque nous pouvons comprendre un discours enregistré ou radiodiffusé sans grande perte d'informations. Toutefois, les gestes fournissent parfois des compléments d'information ou simplifient des explications. Demandez simplement à quelqu'un de vous expliquer ce qu'est une spirale, ou de vous dire de quelle taille était le poisson qu'il se vante d'avoir pêché ! Nous utilisons aussi spontanément des gestes lorsque nous tentons de communiquer avec des locuteurs étrangers.

Susan Goldin-Meadow et ses collègues de l'université de Chicago ont en outre montré que les gestes sont rapidement investis d'un rôle grammatical lorsque l'on empêche les individus de parler. Des langages gestuels ont par exemple été observés dans des communautés religieuses ayant fait voeu de silence. L'une des langues des signes actuelles les plus élaborées est celle utilisée par les aborigènes australiens, notamment pour contourner les interdictions de parler qui frappent les femmes après le décès d'un proche ou les jeunes hommes pendant leur initiation. Son existence ne prouve pas directement que le langage gestuel a précédé le langage verbal, car elle est fondée sur ce dernier, mais elle fonctionne de façon autonome et est parfaitement grammaticale. Des langages signés ont aussi été largement utilisés par les Indiens des plaines, aux Etats-Unis, où ils auraient permis la compréhension entre des tribus parlant des langues différentes. Toutefois, les langages gestuels les plus étudiés sont les langues des signes développées par les sourds. Il en existe un nombre incalculable de par le monde, et ce sont des langues à part entière, dotées de grammaires parfaitement abouties. L'émergence spontanée de ces langues confirme que la communication gestuelle est aussi « naturelle » à la condition humaine que le langage articulé. Du reste, des enfants uniquement exposés dès leur plus jeune âge à la langue des signes passent par les mêmes phases d'acquisition que les enfants qui apprennent à parler, y compris un stade de « babillage » silencieux en signes !

Signes universels. Si la notion de « grammaire universelle » de Chomsky comporte une part de vérité, elle s'applique au moins autant à la langue des signes qu'au langage articulé. S. Goldin-Meadow et Carolyn Mylander, de l'université de Chicago, ont récemment décrit huit enfants sourds, nés de parents entendants, qui avaient créé des langages signés bien plus élaborés que les gestes de base que leurs parents essayaient de leur apprendre8. Bien que quatre de ces enfants aient grandi aux Etats-Unis, et les quatre autres en Chine, ces langues des signes avaient entre elles plus de points communs qu'avec les signes utilisés par leurs parents respectifs. Ces enfants produisaient spontanément des phrases complexes exprimant plus d'une proposition, et ils ordonnaient leurs gestes de la même manière. Ils avaient aussi adopté spontanément l'ergatif, un cas grammatical qui marque le sujet des verbes transitifs et le distingue du sujet des verbes intransitifs. Par exemple, le mot « souris » est sujet intransitif dans la phrase « la souris entre dans le trou », alors qu'il est sujet transitif dans « la souris mange le fromage ». Dans une langue des signes à structure ergative, « souris » est indiqué par un signe différent dans les deux cas, ce que ne font ni l'anglais ni le chinois. De telles observations corroborent fortement l'hypothèse selon laquelle le développement du langage, verbal ou signé, a une composante innée.

La capacité innée des êtres humains à communiquer par gestes a aussi été mise en évidence dans une étude sur des aveugles de naissance. S. Goldin-Meadow et Jana Iverson, de l'université d'Indiana, ont observé douze non-voyants qui parlaient avec le même débit qu'un groupe de voyants : alors qu'ils ne pouvaient reproduire des gestes d'autres personnes, ils employaient le même type de gestes pour faire passer les mêmes informations, par exemple, la main prenant la forme d'un C incliné en l'air indiquait qu'un liquide était versé d'un récipient9. Il est déjà assez surprenant que les non-voyants fassent des gestes tout en parlant : les gestes semblent bien intimement liés avec l'acte de parler. Or, ce lien trouve son origine dans le cerveau.

Tout comme le langage verbal, la langue des signes employée par les sourds semble être principalement traitée par l'hémisphère cérébral gauche. En effet, des lésions de la région gauche du cerveau peuvent entraîner des difficultés à « signer » comparables à des troubles de la parole. Par exemple, des lésions sur la partie antérieure du cortex cérébral, dans la région de l'aire de Broca, causent des troubles dans la production des signes, alors que des lésions plus postérieures entraînent des difficultés de compréhension des signes. Helen J. Neville et ses collègues de l'université d'Oregon ont observé, en imagerie par résonance magnétique fonctionnelle, l'activité cérébrale de sourds qui regardaient d'autres personnes en train de « signer »10 : non seulement les aires de Broca et de Wernicke, les deux aires impliquées dans le langage et situées dans l'hémisphère gauche du cerveau, étaient activées, mais cette activité était comparable à celle de personnes entendantes qui écoutaient des phrases articulées. L'hémisphère droit du cerveau des sourds était toutefois plus actif que celui des entendants, peut-être à cause de la composante spatiale des gestes une fonction surtout traitée par l'hémisphère droit.

L'origine gestuelle du langage expliquerait aussi le lien étroit qui existe entre la latéralisation* des membres et l'asymétrie cérébrale. En effet, presque tous les droitiers utilisent majoritairement leur hémisphère cérébral gauche pour parler. Chez les gauchers, la situation est plus confuse : 60 % environ d'entre eux utilisent surtout l'hémisphère gauche pour parler, 20 % l'hémisphère droit, et 20 % ont une représentation bilatérale dans le cerveau. Doreen Kimura, aujourd'hui à l'université Simon Frasier, a aussi remarqué que les droitiers ont tendance à accompagner leurs paroles de gestes de la main droite, alors que les gauchers utiliseraient plutôt les deux mains. Selon des modèles génétiques de latéralisation proposés indépendamment par Marian Annett, de l'université de Leicester, et Christopher McManus, de l'University College de Londres, un gène contrôlerait la dominance de l'hémisphère gauche à la fois pour la parole et pour les gestes des mains. Chez les individus dépourvus de ce gène, la latéralisation serait aléatoire, et dissociée du langage. Ce gène pourrait avoir été sélectionné au moment où la verbalisation commençait à apparaître pour accompagner les gestes de communication chez les hominidés, voire pour les remplacer.

Bien entendu, d'autres interprétations de la relation anatomique entre les gestes de la main et les aires cérébrales du traitement du langage ont été proposées. Ainsi, pour Elizabeth Bates, de l'université de Californie à San Diego, le langage est un système parasite, qui s'est greffé sur des aires cérébrales dévolues à l'origine à des fonctions plus élémentaires, et qu'elles continuent d'ailleurs d'accomplir. Cela concernerait les aires motrices du cortex frontal, ainsi que les aires sensorielles qui traitent à la fois la perception auditive et les différentes informations constitutives de ce que nous appelons le « sens ». Ainsi, le langage et les gestes sont toujours pensés et exécutés simultanément parce qu'ils sont traités par le même système nerveux. Le langage « déteint » inévitablement sur les gestes, qui n'en sont qu'un sous-produit.

De ce point de vue, les gestes de la main ne seraient que la cinquième roue du carrosse langagier. Le lecteur aura compris que, pour moi, ils sont plutôt les vestiges du « monocycle » sur lequel le langage a commencé à évoluer. La richesse des langues des signes et des gestes de la main démontre qu'ils n'ont rien d'accessoire. Les gestes ne sont pas en effet associés n'importe comment au discours, et ils peuvent faire passer des informations de façon systématique.

Paroles avantageuses. Si le langage était à l'origine gestuel, pourquoi parlons-nous ? Même si les premiers hominidés jouissaient d'une plus grande prédisposition pour la communication gestuelle, et que les signes silencieux aient eu la préférence dans la savane, le passage à la verbalisation devait présenter quelques avantages. Par exemple, les paroles se transmettent dans l'obscurité, lorsque des obstacles empêchent les interlocuteurs de se voir, ou encore sur des distances relativement grandes. Pour S. Goldin-Meadow et ses collègues, si les mains et la voix se partagent la tâche de communiquer, c'est parce qu'il est plus efficace de faire passer la grammaire via la syntaxe et de laisser le composant iconique aux mains, plutôt que de confier la syntaxe et le sens aux mains. Plus important encore, la verbalisation aurait libéré une nouvelle fois les mains de nos ancêtres, leur offrant la possibilité d'accompagner d'une démonstration leurs explications verbales de la fabrication et du maniement des outils.

Le passage du langage gestuel au langage articulé n'a certainement pas été soudain. Des grognements et des couinements ont commencé par ponctuer le premier langage gestuel, comme les gestes agrémentent aujourd'hui nos paroles - et pas seulement chez les Italiens. Mais la communication verbale aurait exigé des modifications importantes de l'appareil phonatoire, ainsi que le transfert du contrôle de la verbalisation des aires subcorticales vers les aires corticales. On peut raisonnablement supposer, avec P. Lieberman, que ces modifications n'ont pas été effectives avant une époque relativement récente de l'évolution des hominidés, peut-être seulement à l'apparition d' Homo sapiens , il y a environ 150 000 ans.
1 B.F. Skinner, Verbal Behavior , 1957.

2 S. Savage-Rumbaugh et R. Lewin, Kanzi : An A pe at the ßrink of the H uman M ind , Wiley, New York, 1994.

3 S. Pinker, L'Instinct du langage , Odile Jacob, 1999.

4 D. Bickerton, Langage and Human Behavior , University of Washington Press, Seattle, 1995.

5 P. Lieberman, Eve Spoke : Human Language and Human Evolution , W.W. Norton and Company, 1998.

6 M.A. Arbib et G. Rizzolatti, Communication and Cognition, 29 , 393, 1995.

7 Merlin Donald, Les O rigines de l'esprit moderne , De Boeck, 1999.

8 S. Goldin-Meadow et C. Mylander, Nature, 391 , 279, 1998.

9 J.M. Iverson et S. Goldin-Meadow, Nature, 396 , 228, 1998.

10 H.J. Neville et al. , PNAS , 95 , 922, 1998.

 

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LA MÉMOIRE 1

 

Comment la littérature réinvente la mémoire


la mémoire et l'oubli - par Claude Burgelin dans mensuel n°344 daté juillet 2001 à la page 78 (3317 mots)
Par définition, l'écriture est mémoire, conservation de traces, défi de la mort. Dans le sillage tumultueux de la Seconde Guerre mondiale, nombre d'écrivains français, de Georges Perec à Patrick Modiano, Claude Simon ou Nathalie Sarraute, ont renouvelé cet art ancestral. Leurs oeuvres dévoilent à quel point la mémoire humaine est pillarde, tricheuse et voleuse impénitente.

Plus que jamais, la mémoire anime la scène littéraire. Depuis deux ou trois décennies, de nombreux textes, souvent parmi les plus achevés, ont été écrits par des auteurs qui tournaient la tête vers la gauche, vers le passé. Mais la plupart de ces écrivains ne se sont pas contentés de faire oeuvre de mémorialistes au sens traditionnel du mot. Puisque la mémoire en son plus intime est liée au langage, aux images liées à des mots, ils ont été ainsi amenés à interroger le fonctionnement même de la mémoire, ses limites et ses pouvoirs, sa capacité à transformer ou à structurer, et même ses aptitudes créatrices. La littérature a eu ici une fonction heuristique. Elle a permis d'élargir le champ de la mémoire, d'en ouvrir les frontières et presque de renouveler le sens même du mot.

Question de survie. Cette présence polymorphe des écritures de la mémoire a entre autres origines les violences de l'Histoire contemporaine et les traumatismes qu'elles ont laissés. Se sont ainsi multipliées les histoires d'errances et d'exils Europe de l'Est, anciennes colonies, etc., souvent dramatiques, chaque fois différentes. Le génocide des Juifs avait été programmé pour être un anéantissement de la mémoire - et c'est ce qu'ont vécu bien des survivants. Les fractures ont été cassures des liens familiaux, mais aussi ruptures des liens culturels et des transmissions symboliques. Toutes sortes de fils de la mémoire ont été coupés. Pour certains, il s'agissait - ce pouvait être une question de survie - de trouver par les mots les moyens de remplacer les paroles et les langages symboliques qui n'ont pu être légués.

L'histoire de Georges Perec est de ce point de vue éloquente. Ses parents sont des Juifs d'origine polonaise. Son père est tué en 1940 lorsqu'il a quatre ans. En 1941 ou 1942, le petit Georges part avec un convoi de la Croix-Rouge dans le Vercors. Sa mère l'accompagne à la gare de Lyon : il ne la reverra plus. Prise dans une rafle, elle périt à Auschwitz en 1943. De 1942 à 1945, il se vit comme un enfant perdu, sans repère dans l'espace et dans le temps ; les liens de parenté lui paraissent incompréhensibles ; tout se passe comme s'il n'avait plus d'identité, plus d'intériorité.

Un de ses symptômes sera désormais de ne plus avoir de mémoire de son enfance. Comme si, avec la disparition de sa mère, avaient disparu aussi les souvenirs de l'enfant qu'il fut auprès d'elle. Le texte autobiographique qu'il publie en 1975, W ou le souvenir d'enfance , met en scène de manière précise et saisissante cette destruction de la mémoire et sa reconstruction. Dans la première moitié du livre, Perec rassemble et analyse tous les souvenirs qu'il a gardés de ses premières années et tous les fantasmes qu'il a élaborés autour des très rares photos ou témoignages qu'il a pu recueillir. Il montre que tous sont marqués d'erreurs ou d'évidentes distorsions. La mémoire qu'il croit avoir n'est faite que de bribes de mythes et de légendes qu'elle s'est fabriquées. Et surtout rien ne lui rendra le souvenir d'enfance fondamental qui lui fait défaut : la souvenance de sa mère. S'il a quelques images du moment de la séparation d'avec elle, s'il se souvient peut-être de sa présence, lui font défaut les souvenirs de son visage, de sa voix, de l'enfance qu'il eut à ses côtés.

Hypermnésie. A cette perte de la mémoire Perec va réagir en devenant hypermnésique. Comme pour faire pièce à ce blanc, sa mémoire enregistre dorénavant tout ce qui lui paraît faire signe et sens. Elle se repaît de données de toute sorte, notamment de noms propres listes de noms de sportifs comme noms de lieux ou de personnages historiques, etc.. Comme si, après avoir tout perdu, sa mémoire devait désormais ne plus rien laisser disparaître. Cette mémoire hypertrophiée s'exerce surtout pour ce qui concerne les noms, les lieux, les temps, et tout ce qui aide à constituer des archives : livres, films, textes divers. Elle lui sert dès lors de substrat d'une identité de remplacement. Cette mémoire à la fois personnelle lui seul a tant emmagasiné et impersonnelle rien de plus anonyme que des listes de noms..., il la transforme par l'écriture en un terrain de jeux, de recherches et d'échanges, et fait de la mémoire un lieu de rencontres. De jardin privé, elle devient place publique.

Son Je me souviens est à cet égard exemplaire. 480 fois, il décline la phrase « je me souviens de... » en la faisant suivre d'un nom propre, d'un événement médiatique, d'un refrain, de l'intitulé d'une émission de radio, d'un slogan publicitaire, du titre d'un manuel scolaire : incandescences d'un instant, pétillements éphémères de l'histoire immédiate, fragmenticules de ce qui fait la chronique quotidienne venus s'inscrire sans qu'on le veuille au vif de notre mémoire alors même que nous ne savons pas toujours garder en nous des souvenirs de moments autrement plus impliquants.... Cette litanie de souvenirs fait immanquablement venir aux lèvres un « moi aussi... ». Et si les souvenirs d'un homme né en 1936 ne peuvent être ceux de qui est né bien après, la manière de faire de Perec indique une politique et presque une éthique de la mémoire : ces menus débris, ce ramassis hétéroclite de noms de gangsters et de sportifs, de chanteurs et d'hommes politiques, de titres de films ou d'émissions de variétés constituent pour nous des pilotis de la mémoire, signent notre façon d'avoir été latéralement contemporains de l'histoire et sont source d'un plaisir partagé de la réminiscence. Ainsi, tout en restant, consciemment ou non, lieu du traumatisme, la mémoire devient également composante d'une sorte de bonheur discret du souvenir. D'autant plus que nous sont proposées par de tels biais des stratégies actives par rapport à la mémoire. On peut par exemple ne pas attendre qu'elle fasse passivement son travail de passoire. Quand Perec rédige sa Tentative d'inventaire des aliments liquides et solides que j'ai ingurgités pendant l'année 1974 , il s'astreint à dresser chaque jour la liste de tout ce qui a constitué ses repas. Suit un bilan cocasse et vaguement inquiétant de ce qu'un Occidental quelconque peut engloutir en une année. Un mémorial de l'infime, mais qui peut devenir socle d'une mémoire. Car la mémoire n'a pas à jouer les grandes dames : elle se nourrit de tout, à commencer par ce à quoi nous ne prêtons qu'une attention distraite ou discrète. Dans Espèces d'espaces , « journal d'un usager de l'espace », Perec inventorie ceux, intimes ou publics, que nous arpentons et traversons. Puisque l'espace est de moins en moins un lieu de mémoire, que les repères sont de plus en plus instables, il importe plus que jamais de s'en faire par l'attention du regard et par la trace écrite le mémorialiste, le greffier.

Depuis la nuit des temps, pour retenir des traces, pour étayer leur mémoire, les humains ont utilisé le graphe, la lettre, le nombre. Perec est devenu un virtuose de l'association des lettres et des nombres écrivant ainsi un roman, La Disparition , sans jamais utilis e r la voyelle e, chiffrant secrètement presque tous ses textes, y engrammant des nombres 43, par exemple, date de la mort de sa mère, offrant ainsi une sorte d'architecture invisible à sa mémoire évidée. Et, paradoxe des transmissions inconscientes, il renoue par là avec quelque chose de l'univers de la Kabbale ou du talmudisme judaïque. Ses jeux avec le mémoriel lui font retrouver les ombres de la mémoire de ses ancêtres1.

Tombeau de mots. Comment garder le souvenir de celui ou de celle dont on n'a pas gardé mémoire ? Un autre écrivain français a tenté de répondre à cette question en forme de paradoxe. Un jour des années 1980, Patrick Modiano tombe sur une annonce parue dans le numéro de Paris-Soir du 31/12/1941 signalant la disparition d'une jeune fille de quinze ans, nommée Dora Bruder et donnant l'adresse de ses parents. A partir de cette simple indication, Modiano se met en quête de Dora Bruder et de son destin. Sa patiente traque lui fait retrouver les données d'état civil concernant Dora et ses parents, des Juifs immigrés, les lieux où elle a vécu, le pensionnat où elle a été cachée. De sa personne nul aujourd'hui ne semble se souvenir. Elle et ses parents ont péri à Auschwitz. Leur mémoire est partie en fumée avec eux. Rien ne reste d'eux que leurs noms... Demeurent pourtant quelques-uns des magasins que Dora a pu voir, les stations où elle prenait le métro, les boulevards qu'elle arpentait, la caserne des Tourelles où elle fut enfermée avant Drancy. Peu à peu, au travers de ces minutieux repérages d'adresses et de lieux précis, se dessine en creux le fantôme de Dora Bruder. Cette enquête patiente et acharnée vient se nourrir de toutes sortes de rappels de mémoire pour l'auteur. La mémoire de Modiano vient donner des contours à celle à jamais disparue de Dora Bruder sans pour autant venir se substituer à elle. Et alors même que la folie nazie a tout fait pour que la mémoire d'un être d'aussi peu d'importance sociale que Dora Bruder disparaisse à jamais, la quête et le récit de Modiano lui donnent à la fois une mémoire symbolique - un tombeau de mots, l'équivalent de l'inscription d'un nom sur une tombe -, et sinon une mémoire charnelle et vive, l'ombre ou le fantôme de cette mémoire2.

Des « gens de peu » sont aussi les héros des Vies minuscules , de Pierre Michon, qui a choisi de raconter les vies de huit personnages ayant, d'une façon ou d'une autre, croisé sa route. Parfois dans la réalité - camarades de lycée ou voisin de lit à l'hôpital -, parfois dans la mémoire, pour ne pas dire dans la légende - récits indécis transmis concernant un ascendant ou même des figures plus lointaines3. Tous ces êtres ont en commun d'avoir été des losers , issus presque tous des mêmes confins reculés du massif Central la Creuse, et d'avoir des destins qui les vouent à l'oubli et au silence. A ceux qui furent ainsi des êtres du bas-côté Pierre Michon redonne vie et, par la noblesse des mots, un relief et une sorte d'éclat. Mais ce faisant, ce sont, par métaphore, les linéaments de sa propre mémoire qu'il dessine. Si son récit touche çà et là à l'autobiographie, c'est là encore cette mémoire des autres et de leur destinée de perdants qui vient donner comme une étoffe à la sienne.

Mémoire d'autrui. On en vient ici à une des données à la fois limpides et énigmatiques que mettent au jour ces écritures de la mémoire. Si la mienne défaille, ne peut ou ne veut se dire, celle d'autrui peut venir la relayer ou s'y substituer. Des mémoires différentes peuvent lui donner des contours. La mémoire d'autrui peut s'emprunter, les signes de son passé représenter les miens. Dans ce cas, le travestissement s'affiche. Mais la démarche est sans doute tout aussi rigoureuse que celle qui consiste à présenter comme miens des souvenirs faits de bribes de mythes, de on-dit divers, d'emprunts inconscients aux souvenirs et aux signifiants des autres. Si « je est un autre », il y a là une façon d'aller au bout de cette logique. Dans Ellis Island , Perec, à partir d'une enquête et d'un film sur le musée new-yorkais de l'émigration, évoque à travers ce « lieu de l'absence de lieu » un centre de triage sur un îlot, un lieu de transformation des identités la mémoire de ces exilés4. En rappelant ce que purent être leurs histoires, il tente de cerner sa propre identité de juif, d'homme rattaché à nulle part, son absence de repères ou de racines. La mémoire des émigrants d'Ellis Island n'est pas la sienne, mais il peut, grâce à elle, dire la sienne - ou plutôt ce qu'il ne saurait dire autrement de la sienne.

Ainsi ce que nous rappellent Perec et bien d'autres, c'est que la mémoire est une pillarde, une voleuse et une tricheuse. La mémoire qu'il n'a plus, Perec se la reconstruit en l'empruntant à celle des auteurs qu'il a lus et relus. Ceux dont il s'est approprié les mots et les formules Flaubert, Roussel, Kafka, Queneau, Leiris, etc. deviennent comme l'humus de sa mémoire - et donc de son identité. Ma mémoire n'est donc peut-être pas mon bien propre, ce coffre-fort mal clos où seraient enfermés mes souvenirs, d'autant plus précieux qu'ils seraient à moi et à personne d'autre. Cette vision naïve d'une mémoire autarcique et repliée sur elle-même, bien des textes actuels la mettent à mal.

Pilotis paternels. A utobiographie de mon père : le titre même du livre de Pierre Pachet affiche la contradiction5. Ce père est lui aussi un juif émigré venu d'Europe de l'Est, et son histoire, une fois de plus, est faite de cassures et de pertes. Une de ses caractéristiques fut d'avoir été passablement silencieux et retenu dans l'expression de ses affects. Le récit de Pachet va lui donner la parole tout en respectant son besoin de la discrétion et de la réserve. La mémoire qu'il n'a que sobrement transmise, son fils se bornera à l'éclairer, à en indiquer les arrière-fonds : il transmet l'univers de signes de son père en en indiquant des traductions possibles. Tout cela transite par la mémoire de ce fils qui, en le faisant ainsi parler, donne à entendre comment sa mémoire est venue donner des pilotis, des arrière-cours et peut-être une couleur à la sienne.

L'entreprise la plus ambitieuse, à l'architecture et à l'orchestration singulièrement puissantes, est celle que mène à bien depuis vingt ans Claude Simon. Les Géorgiques , L'Acacia , Le Jardin des Plantes et, tout récemment, Le Tramway 2001 semblent avoir pour puissance organisatrice la mémoire6. Les Géorgiques font se superposer et s'intriquer trois histoires, celle d'un ancêtre, ex-conventionnel devenu général d'Empire, celle d'un combattant des milices populaires dans l'Espagne de 1937 lui-même, mais aussi George Orwell..., celle du soldat de 1940 qu'il fut, battant en retraite devant l'ennemi. Les histoires s'entrelacent, les tragédies se répètent, une même mémoire reprend ces événements, en fait une chambre d'échos multiples. L'Acacia crée un réseau de correspondances et d'amalgames subtils entre l'histoire du père tué en 1914 et celle de son fils frôlant la mort au printemps 1940 - comme si une seule mémoire venait brasser ces images d'époques différentes. Le Jardin des Plantes se présente comme le « portrait d'une mémoire » : c'est un texte en mosaïque, fait de fragments, d'arêtes, de menues pulvérulences ; les souvenirs savamment juxtaposés d'impressions et de sensations de toute sorte et de tout âge de la vie dessinent l'histoire d'une existence. Tout l'art de Claude Simon consiste à savoir faire architecture de cet amoncellement d'infimités, d'instantanés fixés, qui semblerait ne connaître comme ordre que celui de la dispersion. Et ses phrases, aux arborescences incroyablement ramifiées, dessinent cette trame complexe dans laquelle vient prendre forme « l'impalpable et protecteur brouillard de la mémoire » .

Toute cette constellation de textes de natures et d'inspirations différentes laisse voir combien l'imagination ne cesse d'élaborer et de réélaborer la mémoire, la métamorphosant subtilement par ajouts, oublis, superpositions. Freud a montré que l'inconscient à l'oeuvre dans nos rêves, fantasmes et souvenirs construisait ses figures par condensation ou déplacement, par métaphore ou par métonymie. Notre mémoire fait de même : elle s'approprie des histoires arrivées à d'autres, des fragments de légendes ou de mythes, des images de toute sorte. Elle en fait son miel particulier, mêlant incessamment, et bien sûr à son insu, le vrai et le faux, l'exactitude et la fable. Elle apparaît ainsi comme un espace de création au même titre que d'autres.

La mémoire vive de la langue, la plus archaïque et la mieux imprimée en nous, est liée à cet univers de rythmes et de sonorités, d'images acoustiques très anciennement engrammées comme de mises en structures aux formes plus ou moins fixes cf. en français, l'alexandrin ou le système de la rime. C'est ce rapport à la poésie, à la berceuse, au refrain, à la litanie, à la répétition envoûtante ou apaisante qui donne à la mémoire son terreau fondamental, celui sur lequel viendront se greffer les connaissances abstraites et la mise en ordre intellectuelle du monde. Ce terreau est celui que la littérature vient labourer. L'art du manieur de phrases qu'est l'écrivain est de savoir faire vibrer cet en-deçà des mots, de venir l'inscrire dans sa façon même d'organiser le sens.

Labyrinthe verbal. Toute écriture qui part vraiment à la recherche de ses arrière-fonds pétrit cette pâte verbale d'avant la mémoire organisée et qui pourtant la fonde. Serge Doubrovsky La Dispersion , Fils , Un amour de soi , etc. a construit autour de son existence un immense labyrinthe verbal7. Et, pour mener à bien ce projet autobiographique, il confie ce qu'il appelle « le langage d'une aventure » à « l'aventure du langage » . Autrement dit, son propos s'enchaîne et prend forme autour d'un flux incessant d'allitérations, d'associations, de rimes, d'entrechocs de mots. C'est là sa façon de faire entendre comment sa mémoire a agrégé des sonorités, des rythmes, des assonances comme un fonds inépuisable où sa verve viendrait constamment se ressourcer. Comme si sa manière de travailler ce matériau sonore et d'être travaillé par lui désignait cela même qui ne peut se dire : désir, excitation, jouissance - tous ces influx et afflux que nos mots ne savent encadrer et qui viennent donner son étoffe ou sa couleur à notre mémoire.

Un des défis que cherchent à relever les textes les plus intenses - de Duras à Valère Novarina, de Beckett à Pierre Guyotat - est d'essayer de faire entendre à travers l'écriture quelque chose de la voix. Notre voix dit le plus intime de nous - agressivité, mélancolie, pulsions... -, notre rythmique singulière, notre musique très particulière : donc, ce qui s'est inscrit et façonné en nous dans les rapports du langage et du corps depuis notre histoire la plus archaïque. Rechercher une écriture de l'oralité, qui tente de métaphoriser les harmoniques, les justesses ou les porte-à-faux de la voix, est une des façons d'introduire la mémoire comme force organisatrice de l'écriture.

Mais l'écriture est aussi un instrument privilégié pour donner forme et organisation à la mémoire. Qu'est-ce qu'un souvenir si on ne lui donne ses racines et radicelles, ses branches et ses ramifications ? L'écriture permet de le réintroduire dans son paysage, dans la complexité de ses arrière-pays. Dans Enfance 1983, Nathalie Sarraute trame le récit de son enfance autour de quelques mots ou de quelques gestes, lancés ou reçus comme des projectiles8. C'est autour d'eux que le système nerveux de la mémoire s'est dessiné, dans la souvenance des décharges ou influx subis à partir de ces mots ou de ces signes. Mais comment faire ressentir que ce sont des gouttes d'acide toujours brûlantes ? Sarraute s'attache patiemment à décrire les ondes de choc créées par ces sensations, à mettre des mots sur ce qui est resté impression vive, mais confuse ou trop chargée d'émotions contradictoires. C'est tout ce tressage verbal qui donne à la mémoire sa consistance autant que ses pouvoirs de résonance.

Certes, par définition, l'écriture est mémoire, conservation de traces, défi de la mort. Le sens ou la nostalgie de la durée l'habitent. Mais, dans un temps dominé par la péremption toujours plus rapide des signes et des références, la littérature renouvelle son compagnonnage avec la mémoire en passant avec elle comme de nouveaux contrats. Dans la tradition grecque, les neuf muses étaient filles de Mnémosyne, la mémoire. Le mythe n'a rien perdu de son actualité : c'est en puisant dans les trésors sans fond de la mémoire individuelle ou collective, récente ou infiniment archaïque, que la littérature - et avec elle la civilisation ? - trouvera les moyens de son renouveau.

Par Claude Burgelin

 

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L'ESSENCE DU MONDE ...

 


 

 

 

 

 

Max Tegmark : « L’essence du monde est mathématique »


mathématiques - 22/07/2014 par Hélène Le Meur (707 mots)
Quelle est la nature ultime du monde réel ? La question pousse les physiciens à élaborer des hypothèses défiant l’intuition. La réalité est toujours différente de ce qu’elle paraît.

Retrouvez l'intégralité de cet entretien en suivant ce lien ou dans le n°489 de La Recherche : La réalité n'existe pas.



La Recherche : Dans votre dernier livre, vous affirmez que la réalité n’est que mathématique. Qu’entendez-vous par là ?

Max Tegmark * : L’idée selon laquelle notre Univers est un objet mathématique est très ancienne. Elle remonte à Euclide et à d’autres savants grecs. Il y a quatre cents ans, Galilée affirmait que notre monde était écrit dans le langage des mathématiques, et au XVIIIe siècle Laplace et d’autres l’ont suivi dans cette voie. Depuis, nous n’avons cessé de découvrir de plus en plus de structures mathématiques expliquant le monde qui nous entoure. Tout, autour de vous, est fait de molécules, de parti- cules, autant d’entités qui sont définies par des nombres. Et l’espace lui-même n’a finalement d’autres propriétés que ses propriétés mathématiques.

Tout serait donc mathématique, même nous ?

M.T. SI vous prenez au sérieux cette idée de brique élémentaire du monde et d’espace purement mathématiques, alors l’idée du tout mathématique vous paraît moins insensée. Pensez à votre meilleur ami et à tout ce que vous aimez chez lui : son grand sens de l’humour, son sourire, etc. Tout cela peut être traduit en termes d’interactions complexes entre particules que des équations mathématiques pourraient décrire. Au début de la physique, les scientifiques comme Laplace ont commencé par décrire une toute petite partie de la réalité. Se demander pourquoi une banane est jaune ou une tomate rouge, ne leur apparaissait pas comme une question très mathématique. Mais plus la physique a avancé dans sa description du monde, des propriétés des particules, plus tout est apparu mathématique. On sait aujourd’hui expliquer les couleurs de la banane et de la tomate. Et c’est en utilisant des mathématiques pures que Peter Higgs, Robert Brout et François Englert ont calculé et prédit l’existence d’une particule, un boson, donnant sa masse à toutes les autres. Sa découverte en 2012 au collisionneur de particules construit à Genève a conduit au prix Nobel de physique l’an dernier ! Certes, il reste énormément de choses que les équations n’expliquent pas encore, la conscience par exemple. Mais je pense que nous y arriverons, nous sommes juste limités par notre imagination et notre créativité.

Il n’y pas de raison qu’une part du monde y échappe, selon vous ?

M.T. Aucune. Il n’y a pas une part du réel qui serait mathématique et une autre qui ne le serait pas. Ce n’est pas que le monde possède certaines propriétés mathématiques, c’est que toutes ses propriétés sont mathématiques ! L’idée reste très controversée. Mais elle me rend très optimiste : si le monde n’est que mathématique, nous pouvons potentiellement tout en comprendre !

Vous considérez, comme mathématicien platonicien, que les concepts mathématiques existent indépendamment de tout acte conscient ?

M.T. Je suis même un platonicien extrême puisque je pousse l’idée bien plus loin que beaucoup d’autres : je pense que non seulement les structures mathématiques existent réellement, mais qu’elles sont l’unique réalité.

On sait aussi depuis Platon, que les choses ne sont pas ce qu’elles semblent être. Quel éclairage sur la réalité a apporté la physique du XXe siècle ?

M.T. Toutes les grandes découvertes, et en particulier les deux grandes théories du siècle que sont la relativité et la mécanique quantique, n’ont fait que confirmer que la réalité est toujours très différente de ce que l’on croit. Très étrange et défiant totalement notre intuition. L’équation de Schrödinger, équation fondamentale de la mécanique quantique, montre qu’une parti- cule peut être en plusieurs lieux à la fois. Ainsi, on ne cherche plus à décrire le mouvement de cette particule, mais sa probabilité d’être à tel ou tel endroit. Cela a donné de nombreuses appli- cations : votre ordinateur, votre télé- phone portable, entre autres. Mais un siècle plus tard, les physiciens sont toujours en désaccord sur ce que cela signifie vraiment. Je pense que si cette interprétation continue de diviser c’est parce que l’on refuse d’admettre ce qui va contre notre intuition. La force des mathématiques tient d’ailleurs au fait qu’elles n’ont aucune inhibition. L’étrangeté ne les arrête pas.



Par Hélène Le Meur

 

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