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DÉPRESSION

 

Dépression : la piste d'une maladie infectieuse

Elena SenderPar Elena Sender


Génétiques, environnementales... Les causes de la dépression sont multiples. Elle pourrait même être due à... une infection. Des approches innovantes qui font naître de nouveaux espoirs de traitements.
La maladie se joue souvent en plusieurs actes, aux conséquences de plus en plus dramatiques pour l’organisme et surtout pour le cerveau. © Thomas Eisenhuth / ZB / Picture-Alliance/AFPLa maladie se joue souvent en plusieurs actes, aux conséquences de plus en plus dramatiques pour l’organisme et surtout pour le cerveau. © Thomas Eisenhuth / ZB / Picture-Alliance/AFP

Dépression : 10 traitements performants
Dépression : les gènes, un facteur de vulnérabilité
NUMÉRIQUE. Cet article est extrait du magazine Sciences et Avenir n°817, en vente en mars 2015. Le magazine est également disponible à l'achat en version numérique via l'encadré ci-dessous.

"Des véhicules qui n’ont plus d’essence", voilà comment le professeur Philippe Fossati, psychiatre à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière (Paris), définit ses patients souffrant de dépression. "Ce ne sont ni des personnes paresseuses, ni manquant de volonté. Les bousculer ne sert à rien. Elles sont malades. Leur cerveau est tout simplement en panne." La dépression — du latin depressio "enfoncement" — touche près de 5 millions de personnes, soit 7,5 % de la population, dont une majorité de femmes (environ deux tiers des malades). Elle frappe à tout moment, même si certains passages de la vie sont plus propices que d’autres. Elle se caractérise, selon les standards internationaux de psychiatrie, par plusieurs critères dont la présence pendant au moins quinze jours de l’un de ces symptômes : une grande souffrance morale et/ou une perte de plaisir quasi complète dans les activités de la vie quotidienne associés à au moins trois ou quatre autres symptômes, comme une altération de l’appétit et du sommeil, un ralentissement moteur ou une agitation, mais aussi un sentiment de culpabilité, une auto-dévalorisation, un trouble de la concentration ou des idées suicidaires.

La maladie se joue souvent en plusieurs actes, aux conséquences de plus en plus dramatiques pour l’organisme et surtout pour le cerveau. Au point que certains chercheurs parlent désormais de maladie "neurotoxique". "Le premier épisode finit la plupart du temps par passer tout seul, explique Guillaume Fond, psychiatre et chercheur au Centre expert schizophrénie de l’hôpital Henri-Mondor de Créteil (Val- de-Marne), mais plus l’état dépressif non traité se prolonge, plus on risque la récidive. Et chaque nouvel épisode devient plus grave que le précédent avec un risque accru de résistance aux traitements. Car la dépression agresse le cerveau (voir l'infographie ci-dessous) et laisse des séquelles structurelles et fonctionnelles qui le fragilisent." Pour preuve, une étude récente menée par Philip Gorwood, de l’unité Inserm 894 du centre hospitalier Sainte-Anne, à Paris, sur plus de 2.000 patients, montre que des personnes ayant déjà connu deux épisodes dépressifs au moins en gardent des séquelles cognitives. Par rapport à des sujets témoins, ils exécutent de manière plus lente des tâches qui requièrent attention, concentration et rapidité.





"Ce trouble mental peut être mortel. Il dépasse largement le mal-être passager, martèle Philippe Fossati qui veut en faire saisir toute la gravité. 11.000 personnes se suicident chaque année en France. Or la grande majorité d’entre elles souffre de troubles mentaux." Ainsi, près de 70 % des personnes qui attentent à leur vie souffrent d’une dépression, le plus souvent non diagnostiquée ou non traitée selon l’association France Dépression. "Il est donc grand temps de se mobiliser pour lutter massivement contre ce fléau", poursuit le médecin. Mais pour cela, encore faudrait-il détecter à coup sûr la maladie et la traiter. Or la dépression sévère ou le "trouble dépressif majeur" qui se prolonge dans le temps — entré pour la première fois dans le manuel de référence de psychiatrie américain (DSM) en 1980 — est loin d’avoir révélé tous ses mystères. Si les médecins possèdent un arsenal pour en venir à bout, ils ne parviennent pas à guérir 30 % des patients, qualifiés de "résistants". "Le problème est que la cause de la maladie demeure inconnue. C’est ce "chaînon manquant" que nous recherchons toujours", lâche Guillaume Fond.

Le poids des carences affectives dans l’enfance

"Les scientifiques admettent en effet désormais qu’il n’y a pas une mais "des" dépressions, avec des causes distinctes, qu’on devrait traiter de manière différente, poursuit le psychiatre. Elle pourrait être le fait de facteurs génétiques, qui rendraient les sujets plus ou moins vulnérables, mais aussi de facteurs environnementaux." Ainsi, les carences affectives durant l’enfance comme les deuils précoces, les négligences, la maltraitance, les abus sexuels perturberaient la réponse au stress de l’organisme (axe du stress) pendant le développement, rendant l’individu hypersensible. D’autres facteurs au cours de la vie adulte — deuil, séparation, mise à l’écart professionnelle, maladie, grossesse — concourraient ensuite à déclencher le processus.

Un lien entre la toxoplasmose et certains suicides

Mais ces processus déclencheurs partiellement éclaircis n’expliquent pas tout. "Pourquoi les traitements ne fonctionnent-ils pas chez tout le monde ? reprend Guillaume Fond. La question est désormais de savoir si une certaine catégorie de dépression n’aurait pas une composante totalement différente des autres et inexplorée." Ce psychiatre, comme le professeur Philippe Fossati, fait partie des tenants d’une hypothèse nouvelle : une inflammation cérébrale, provoquée par des agents pathogènes extérieurs, pourrait- t-elle être en cause ?

Turhan Canli, professeur associé au département de psychologie de l’université Stony Brook (États-Unis), rend compte de cette théorie surprenante. "Plusieurs études post mortem rapportent la présence de marqueurs de l’inflammation dans le cerveau des dépressifs majeurs, notamment dans la zone de régulation des émotions", révèle-t-il. Cette augmentation de molécules typiques de l’inflammation (cytokines) serait similaire à celle observée lors d’une infection par certains pathogènes, notamment Toxoplasma gondii, ce parasite agent de la toxoplasmose qui vit chez les félidés et infecte un tiers des humains. "Une corrélation positive a pu être faite entre la prévalence de ce pathogène et les taux nationaux de suicide grâce à une étude menée dans vingt pays européens", rapporte encore Turhan Canli. Ce n’est pas tout. Parmi les patients diagnostiqués en dépression majeure ou trouble bipolaire, ceux ayant un passé suicidaire présentaient un taux plus élevé d’antécédent de toxoplasmose. Une piste très prometteuse selon Guillaume Fond, qui a étudié l’association entre toxoplasmose et schizophrénie, l’infection parasitaire touchant en effet en phase aigüe l’ensemble des cellules cérébrales. "Une personne souffrant d’un premier épisode psychotique dans la schizophrénie a 2,7 plus de risques d’avoir une sérologie positive à la toxoplasmose qu’une personne saine", commente-t-il. Et d’autres résultats positifs ont été apportés dans le domaine des troubles obsessionnels compulsifs. De là à penser que la dépression pourrait n’être qu’une conséquence d’une telle pathologie parasitaire, il n’y a qu’un pas que les chercheurs comptent bien étayer avant de franchir.

Bactéries intestinales et anomalies comportementales

Mais les bactéries sont, elles aussi, pointées du doigt. Elles pourraient être tout autant responsables d’inflammation cérébrale entraînant une dépression majeure. Les études du lien entre le microbiote, les populations bactériennes qui résident dans notre intestin, et notre état mental commencent à livrer leurs résultats. Au point que des chercheurs posent désormais frontalement la question : et si ça venait du ventre ?
"Les bactéries intestinales sont susceptibles d’envoyer des signaux
au cerveau par différentes voies et ainsi de l’influencer. Si bien qu’on peut suspecter le microbiote d’être un facteur participant aux maladies psychiatriques", affirme Sylvie Rabot, chercheuse au laboratoire Micalis (Microbiologie de l’alimentation au service de la santé humaine) de l’Inra. Le microbiote — unique pour chacun d’entre nous — se compose en effet de 1.014 bactéries (100.000 milliards) d’un millier d’espèces différentes environ. Or une étude japonaise a montré que, soumises à un stress, des souris sans microbiote (axéniques) sécrétaient trois fois plus d’hormones du stress (corticostérones) que les souris normales. "Notre équipe a confirmé ces résultats par la suite en mettant en évidence que des rats axéniques étaient beaucoup plus anxieux que les rats normaux", explique Sylvie Rabot. Preuve que le microbiote régulerait donc le fonctionnement de l’axe de réponse au stress.

L’équipe de l’Inra suit cette piste. "Nous entendons montrer que certains métabolites produits par les bactéries intestinales atteignent le cerveau, provoquant des anomalies comportementales, par exemple de type anxieux ou dépressif, du moins chez la souris", révèle Sylvie Rabot. Ouvrant peut-être la voie à de nouvelles pistes de traitement des troubles anxieux et de l’humeur. Et chez l’humain ? Pour l’instant une seule étude, de l’université du Hedmark en Norvège, montre qu’il y aurait une corrélation entre microbiote et dépression. L’analyse d’échantillons fécaux de 55 personnes (37 dépressifs et 18 témoins) révèle en effet une différence de composition entre dépressifs et personnes saines. Pour aller plus loin, l’équipe de l’Inra, associée à celle du professeur Fossati, étudie plus précisément le rôle du microbiote intestinal dans la dépression. Avec en ligne de mire, de possibles traitements probiotiques (favorisant certaines bactéries) pour traiter les troubles psychiques.

Des antiviraux pour réduire les symptômes dépressifs

De son côté, Turhan Canli a encore une autre cible au bout de son microscope : les virus ! Le chercheur rapporte ainsi que la conclusion d’une méta-analyse de 28 études examinant leur éventuel lien avec la dépression donnerait de premiers indices prometteurs : "Le Borna virus [responsable de la maladie neurologique de Borna] a ainsi 3,25 fois plus de chance d’être retrouvé chez des patients déprimés que chez des sujets témoins. De même, une autre étude a montré qu’un traitement antiviral pouvait réduire des symptômes dépressifs." Le chercheur appelle clairement à multiplier les recherches considérant le trouble dépressif majeur comme une maladie infectieuse. Avec pour objectif, encore lointain, un vaccin antidépression.

 

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BIBLE ET SCIENCES ...

 

La bible et la science font-elles bon ménage ?
Arie S. Issar dans mensuel 283


Le récit biblique de l'Exode est-il sorti tout droit de l'imagination de scribes juifs ? Ou relate-t-il des événements réels dont on peut retrouver les traces dans les archives géologiques ? Arie S. Issar penche pour la seconde hypothèse. À la base de sa conviction, une étonnante corrélation entre certains faits bibliques et le modèle paléoclimatique qu'il a lui-même élaboré - sans faire appel aux experts des Saintes Écritures, ni aux travaux des historiens.
Un grand nombre de scientifiques, reprenant à leur compte les idées de Charle Percy Snow, déplorent le fossé qui ne cesse de s'élargir entre les sciences qualifiées de « dures » et celles dites « humaines ». Selon Snow, auteur des Deux C ultures , les spécialistes des deux bords ne communiquent plus1. Cette absence de dialogue se manifeste particulièrement, selon moi, dans le domaine de l'histoire, et, en particulier, dans celui des études bibliques. Tel est le triste constat auquel m'ont amené les travaux interdisciplinaires que j'ai menés à la demande de l'Unesco, il y a quelques années, travaux relatifs aux conséquences de l'évolution climatique sur le cycle de l'eau et sur les systèmes socio-économiques de la région du Levant fig. 2. Ces recherches m'ont conduit à soutenir l'idée qu'il y a 2 000 ans, à l'époque du Christ, le climat était plus froid et plus humide qu'aujourd'hui. Conclusion étayée par un grand nombre de données isotopiques 18O et 13C et d'analyses polliniques réalisées sur des échantillons prélevés au fond de la mer de Galilée ou lac de Tibériade, d'analyses de dépôts de caverne par précipitation provenant des grottes du cru et d'étude des anciennes lignes de rivage de la mer Morte. L'ensemble des observations a montré qu'un climat froid et humide était à l'origine d'une élévation du niveau de la mer Morte de cinquante mètres environ au-dessus de son niveau actuel. Montée des eaux qui permet par ailleurs d'expliquer comment les terres arides du Moyen-Orient sont devenues par la suite les greniers à grains et les réserves d'huile d'olive de l'Empire romain. Ces données corroboraient également l'affirmation de l'historien juif Flavius Josèphe selon lequel, à son époque Ier siècle, la mer Morte était longue de 100 verstes romaines*2. Le rivage de la mer Morte, plus vaste qu'aujourd'hui, se situait à proximité de la ville de Jéricho. Persuadé que ces résultats étaient susceptibles d'intéresser des historiens, j'ai proposé à une revue spécialisée dans l'histoire d'Israël un article présentant mes travaux. Le rédacteur en chef me demanda d'éviter tout développement sur les isotopes et l'analyse du pollen ainsi que toute observation relevant des sciences de la terre. Son lectorat, m'assura-t-il, constitué pour l'essentiel d'historiens, étant incapable de les comprendre.

En fait, l'ignorance des historiens de tout ce qui concerne l'observation des aspects naturels et physiques de l'environnement m'est apparue de manière particulièrement criante lors d'une discussion scientifique sur le récit biblique de l'Exode diffusée à la télévision israélienne à l'occasion de la Pâque juive passover qui commémore la sortie d'Égypte du peuple juif. Les participants, des historiens et des archéologues israéliens spécialistes de l'histoire biblique, semblaient, pour la plupart, partager l'idée selon laquelle le récit de l'Exode serait l'invention de scribes juifs de l'époque du premier temple entre 1000 et 600 environ av. J.-C.. Une époque pendant laquelle les rois de Judée se sont attachés à constituer une histoire officielle de la nouvelle nation qui, peu auparavant, n'était encore qu'une coalition de tribus.

Hypothèse essentiellement justifiée par l'absence de toute trace archéologique dans la péninsule et de toute mention de l'Exode dans les anciennes annales égyptiennes. La plupart des intervenants soulignèrent, en outre, que cette théorie est celle qui domine actuellement au sein de la communauté internationale des experts ès Ecritures saintes.

En écoutant cette discussion très érudite, je me suis posé deux questions. Primo , combien de ces historiens tellement au faîte de tout ce qui a pu être écrit à toutes les époques sur la période dont ils sont spécialistes seraient à même d'interpréter ou de comprendre les données de l'environnement naturel sédiments de grottes, sédiments lacustres, pollens ou isotopes, par exemple que nous, spécialistes des sciences de la terre, avons pu rassembler sur la même période ? Secundo , combien d'entre eux se sont effectivement rendus sur le terrain, là où ont eu lieu les événements dont ils discutent, à la recherche de faits susceptibles de les corroborer ?

Pour avoir passé pas mal de jours et de nuits dans le désert du Sinaï, j'aurais voulu pouvoir leur dire qu'aucun scribe, pas même le plus inventif, n'aurait pu imaginer les événements décrits dans la Bible sans avoir assisté lui-même à des phénomènes comparables ou sans avoir recueilli le récit sous une forme ancestrale, écho lointain d'une expérience historique traumatisante vécue par certains de ses ancêtres.

Comme je doute que les scribes ou leurs protecteurs aient pu pousser le raffinement jusqu'à envoyer des émissaires dans le désert du Sinaï pour étudier l'environnement naturel et inventer de toutes pièces un récit d'exode, je soutiens que des événements relatés dans la Bible se sont bel et bien produits fig. 1. Et que nos ancêtres ont transmis leur expérience du monde d'abord à leurs enfants ce en quoi ils se distinguent assez peu des savants modernes, avant que ces derniers ne fassent de même, et ainsi de suite, jusqu'au jour où les scribes se sont mis au travail pour rassembler les récits provenant de la tradition orale et leur donner la forme écrite leur permettant d'accéder au statut de récits bibliques vénérés.

Ma conviction a grimpé d'un cran lorsque, à mon grand étonnement, je me suis aperçu que la liste des « plaies de l'Égypte » dont furent victimes, selon la Bible, les anciens Égyptiens, corroborait le modèle de réponse de l'environnement à un refroidissement du climat en Egypte, modèle que j'avais élaboré sans consulter les Saintes Écritures. L'hypothèse d'un refroidissement effectif du climat à l'époque était également confirmée par les différentes données naturelles dont je disposais. Selon la Bible, ces « plaies » étaient autant de moyens de punir le malheureux peuple égyptien du refus du Pharaon de laisser partir le peuple d'Israël. Or, il existe une étonnante corrélation entre certains récits bibliques et le nouveau modèle paléoclimatique que j'ai mis au point pour la région du Levant3.

Pour ne pas faire de jaloux, il me faut adresser également quelques critiques aux spécialistes des sciences de la terre. Lorsque je leur ai annoncé avoir découvert, à ma grande surprise, une corrélation entre le texte biblique et les observations que j'avais effectuées sur le terrain, ils ont en général refusé de prendre mon hypothèse au sérieux et de reconnaître que ce texte pouvait constituer, à condition d'être étudié de manière critique, une source utile d'informations.

Mais avant d'aborder la question de l'impact des changements climatiques passés, voyons quel est actuellement le régime climatique de la région du Levant. La région méditerranéenne est située aux confins de deux zones climatiques, celle des vents d'ouest, au nord, et celle, saharienne, appartenant à la zone de convergence intertropicale, au sud. L'été, la zone saharienne fait sentir ses effets sur l'ensemble du Moyen-Orient, car son influence s'étend alors vers le nord. L'hiver, en revanche, elle se déplace vers le sud, abandonnant la région aux influences des fronts froids cyclonaux de l'ouest et du nord-ouest à l'origine de précipitations se produisant normalement entre novembre et mars.

L'Égypte appartient à la zone climatique saharienne, et seule la partie la plus au nord du pays est soumise à l'influence du régime méditerranéen. Le système du Nil, toutefois, dépend des pluies des alizés et non des vents d'ouest. Le fleuve est alimenté par les précipitations des régions subéquatoriales d'Afrique de l'Est qui ont leur origine dans les courants aériens se déplaçant vers le sud-ouest à partir de l'océan Indien et de l'équateur. Les pluies d'été alimentent essentiellement le Nil bleu et l'Atbara qui descendent des hautes terres du nord et du centre de l'Éthiopie. Le Nil blanc, pour sa part, draine les pluies tombant sur l'Ouganda au ni-veau de l'équateur et sur le sud de l'Éthiopie, régions qui connaissent deux saisons des pluies, ce qui donne au fleuve un débit plus régulier.

Le travail d'interprétation paléoclimatique a débuté lorsque nous avons pu préciser les caractéristiques du climat qui prévalait dans notre région au début du Pléistocène, c'est-à-dire durant la dernière période glaciaire. Un climat très différent de celui d'aujourd'hui, si on se fonde sur un modèle paléoclimatique élaboré pour tenter d'expliquer un certain nombre de phénomènes naturels apparus en ces temps reculés ou plus tardivement. Tout changement climatique se traduit par une élévation ou une baisse du niveau de la mer Morte. Pendant la dernière période glaciaire, ce niveau se situait à 200 mètres au-dessous du niveau moyen de la mer, le niveau actuel tournant autour de - 430 mètres.

Le refroidissement climatique survenu alors s'est traduit également par l'accumulation de couches de loess, dépôts éoliens constitués de poussières déplacées à partir des déserts environnants fig. 3. L'amoncellement de ces débris s'est achevé autour de 13 000 ans avant J.-C. du fait du passage brutal d'un climat humide à un climat plus aride à la fin du Pléistocène. A succédé une période de dépôts éoliens de sables sur l'ensemble du nord-ouest du Néguev, au sud d'Israël fig. 5. Deux couches principales peuvent être distinguées. La plus étendue, constituée de sables qui ont commencé à s'agglomérer à la fin de la dernière période glaciaire, c'est-à-dire il y a 15 000 ans environ, et ont continué à progresser vers l'intérieur des terres pendant la majeure partie de l'ère préhistorique. L'autre, de facture plus récente et encore mobile actuellement, date de la fin de la période byzantine et du début de la conquête musulmane, il y a environ 1 500 ans4, et ne couvre que la région du littoral. Ses dunes aux couleurs vives dissimulent des couches de limon qui contiennent des artefacts remontant au chalcolithique jusqu'à l'époque byzantine.

Le passage de dépôts de loess à des dépôts de sables à l'ouest du Néguev et au nord du Sinaï est dû au réchauffement du climat qui s'est produit à la fin de la dernière période glaciaire, entraînant une recrudescence des pluies sur le bassin d'alimentation du Nil et, par conséquent, un accroissement des quantités de sables nubiens drainés par le fleuve jusqu'à la Méditerranée. Des courants se déplaçant en sens inverse des aiguilles d'une montre ont ensuite acheminé ces sables jusqu'au littoral du Sinaï et d'Israël. Là, ils étaient balayés sur le rivage par les vagues avant d'être emportés par le vent vers l'intérieur des terres. Des dunes de sable ont ainsi pénétré jusqu'à une quarantaine de kilomètres du littoral et formé un triangle recouvrant 400 km2 40 000 ha de la partie nord-ouest du Néguev. A la même époque, le niveau de la mer Morte qui, au cours de la dernière période glaciaire se situait à 200 mètres au-dessus du niveau actuel, a commen-cé à baisser.

Il est donc possible d'établir une corrélation entre climat froid, vents d'ouest générateurs d'importantes tempêtes de pluie et de poussières provoquant l'accumulation de loess dans les déserts du Néguev et du Sinaï et niveau élevé des eaux de la mer Morte. Le réchauffement du climat se serait traduit en revanche par l'interruption des tempêtes de pluie favorables à l'accumulation de loess, l'apparition de dunes de sable et le tarissement de la mer Morte.

Certaines caractéristiques du paléoclimat peuvent également être déterminées au moyen du rapport isotopique entre l'oxygène 18 et l'oxygène 16 des sédiments lacustres. Dans les sédiments marins, une teneur élevée en isotopes c'est-à-dire un rapport 18O/16O grand indique un climat froid, l'eau de teneur plus faible étant capturée par la glace. Mais dans les sédiments lacustres, une teneur peu élevée sera également le signe d'un climat froid, parce que les pluies provenant d'une mer froide sont pauvres en isotopes lourds.

L'étude réalisée par le spéléologue israélien Amos Frumkin dans le cadre de sa thèse de doctorat a révélé la présence, dans les grottes de sel du mont Sodome, d'indices témoignant des niveaux élevés de la mer Morte. Ce mont ressemble à un énorme bouchon de sel dressé à proximité du rivage. Lorsque le niveau de la mer Morte montait, les eaux envahissaient les grottes, abandonnant ensuite le long de la rive divers débris de bois qui ont pu être datés grâce à la technique du carbone 14. Les rigoles d'écoulement par lesquelles elles s'échappaient au moment de la décrue ont taillé de profonds canyons dans le sel. Les résultats d'Amos Frumkin sont présentés sur le diagramme fig. 4. Comme on le voit, le niveau de la mer Morte a connu un certain nombre de fluctuations pendant l'Holocène, c'est-à-dire au cours des 10 000 dernières années. Je voudrais cependant attirer l'attention sur l'élévation qui s'est produite entre les années 1500 et 800 avant J.-C. pour diverses raisons techniques et de méthode on ne peut pas dater plus précisément cet épisode climatique. La montée de la mer Morte correspond à une phase climatique humide, donc froide, dans la région méditerranéenne alors dominée par les vents d'ouest. Le diagramme montre que le niveau de la Méditerranée était effectivement bas à l'époque, ce qui peut s'expliquer par un accroissement du volume des glaciers polaires. On constate également, à la même époque, une chute importante du taux d'isotopes 18O dans la partie centrale de la mer de Galilée.

Ce bouleversement climatique pourrait avoir été provoqué par l'explosion du Santorin en mer Égée, aux environs de 1600 avant J.-C. La dispersion de cendres volcaniques dans l'atmosphère, occasionnant une réduction du rayonnement solaire à la surface de la Terre, a provoqué une expansion des glaciers et le déplacement vers le sud de la zone des vents d'ouest.

Les recherches menées dans le désert de Libye par le professeur H.J. Paschur, de l'université libre de Berlin, et son équipe ont montré que ce désert avait connu une période humide autour de 3420 avant J.-C. + 230 ans datation au carbone 145.

Voyons maintenant quels enseignements tirer du rapprochement des données paléoclimatiques, archéologiques, historiques et bibliques. En commençant par la période postérieure à 2000 avant J.-C., le Moyen Empire en Égypte XIe et XIIe dynasties, 2050 à 1786 avant J.-C. connut comme une ère de paix et de prospérité. Des documents égyptiens rapportent l'arrivée sur la terre des Pharaons d'un peuple originaire de Canaan. Cette migration peut s'expliquer, selon le diagramme paléoclimatique, par un réchauffement ayant entraîné l'assèchement des régions du Moyen-Orient, alors qu'à la même époque l'Égypte, irriguée par le Nil et soumise au régime des moussons, restait florissante. Les récits de la migration des patriarches dans la Bible font référence à ces événements. Dans les documents égyptiens, certaines des tribus situées à l'est des frontières du Royaume sont désignées du nom d'Hapirou ou Apirou Hébreux ?.

Autour de 1780 commence en Égypte le règne d'étrangers appelés par les Égyptiens « Haka Hashut » Hyksos, ce qui signifie « souverains des terres étrangères » le récit de l'élévation de Joseph, fils de Jacob, au rang de vice-roi du Pharaon relate cette ascension. Leur règne dura environ 200 ans, jusqu'à la fondation de la XVIIIe dynastie par Amosis 1558 avant J.-C., c'est-à-dire grosso modo jusqu'au début de la vague de froid dont nous avons déjà mentionné les conséquences et dont le point culminant se situe vraisemblablement entre 1300 et 1200 avant J.-C. La plupart des chercheurs qui considèrent l'Exode comme un événement historique le situent entre l'époque de l'expulsion des Hyksos, c'est-à-dire autour de 1500 avant J.-C., et celle du règne de Merenptah XIXe dynastie, 1238-1220 avant J.-C.. Cette dernière date est corroborée par une stèle élevée à la mémoire de ce roi et sur laquelle est mentionnée la défaite d'Israël.

Essayons maintenant de déterminer le climat de cette époque troublée par d'importants changements climatiques globaux. On peut supposer d'abord que la zone des vents cycloniques d'ouest s'est déplacée vers le sud et a pénétré dans la partie nord de l'Égypte sous la forme d'un automne hivernal et au printemps, de tempêtes de poussière suivies de lourdes pluies. Les averses auraient provoqué des inondations dans les oueds du nord de l'Égypte, lesquelles auraient entraîné à leur tour le déplacement de limon, et des sols dans les eaux du Nil, habituellement claires à cette époque de l'année.

Les anciens Égyptiens appelaient les sols du nord de l'Égypte « deshret », c'est-à-dire « rouge ». Nous pouvons par conséquent supposer que pendant la période de refroidissement climatique, les eaux du Nil étaient rouges en hiver, donc impropres à la consommation. Lorsqu'elles sont lourdement chargées en limon, en effet, certains poissons ne peuvent y survivre. Les Hébreux, sous le joug des Égyptiens, interprétaient le « rougeoiement » des eaux, leur aspect « rouge sang », comme un châtiment infligé par Dieu à leurs oppresseurs pour les avoir réduits à l'esclavage.

L'humidification des terres consécutive aux fortes pluies a probablement entraîné une augmentation de la population de crapauds et de grenouilles ainsi que du nombre de parasites tels que les poux et les bactéries à l'origine de diverses maladies frappant les hommes et le bétail. Les tempêtes de pluie étaient précédées de gros nuages de poussières qui assombrissaient la lumière du jour et suivies de fortes grêles qui détruisaient les récoltes des paysans égyptiens. En outre, l'humidification du désert se traduisait par une prolifération de sauterelles envahissant les régions les plus fertiles du pays.

Le peuple d'Israël, conduit par un certain Moïse qui avait été éduqué à la cour des pharaons, profita des difficultés auxquelles était confrontée l'Égypte, et du fait que la traversée du désert était devenue possible, pour prendre le chemin du pays de ses ancêtres.

En sortant d'Égypte, les Israélites atteignirent le rivage de la « mer des Joncs » telle est la traduction exacte du nom hébreu, appelée sans doute ainsi en raison des joncs qui poussaient le long de son rivage. Ce plan d'eau douce ou saumâtre le mot « mer » était utilisé en ancien hébreu pour désigner tout plan d'eau de quelque importance correspondait à mon avis aux immenses lacs et marécages, appelés localement sabkhas , qui s'étendaient sur toute la région que traverse aujourd'hui le canal de Suez.

Dans cette région aride la région l'était restée malgré la vague d'humidité ; avec une moyenne pluviométrique annuelle de 100 mm contre environ 50 mm aujourd'hui, les sabkhas se couvraient de croûtes de sel en surface. Il n'est pas difficile d'imaginer la fuite de ces gens à travers le labyrinthe de sabkhas , les chars de guerre à leurs trousses, au moment où, venant de l'est, se levait un violent orage de poussière appelé localement khamsin suivi, après changement de la direction du vent, de fortes pluies, car ce genre d'orages reste aujourd'hui encore caractéristique du printemps dans cette région fig. 1.

L'Exode, ce récit vieux de milliers d'années, rapporte qu'une « colonne de nuées partit de devant eux et se tint sur leurs arrières » 6 , que « le Seigneur refoula la mer toute la nuit par un vent d'est puissant et il mit la mer à sec ; et les eaux se fendirent » 7 , probablement grâce à la croûte durcie qui formait une couche de gypse et permit au peuple d'Israël en fuite de passer entre les sabkhas , et ensuite que les eaux non recouvertes d'une croûte formèrent « une muraille à leur droite et à leur gauche » 8 autrement dit protégèrent son avancée des deux côtés mieux vaut ici oublier les illustrations traditionnelles de la Bible qui prenaient le mot hébreu signifiant « muraille » dans un sens littéral et non dans son sens métaphorique de « protection », contraignant les chars à ne rouler que derrière les réfugiés et à essayer de les dépasser sur les sabkhas asséchés : « Les Égyptiens les poursuivirent et pénétrèrent derrière eux - tous les chevaux du Pharaon, ses chars et ses cavaliers - jusqu'au milieu de la mer » 9 . Puis le temps changea brutalement, ce qui est conforme à la réalité : les vents chauds et secs en provenance de l'est étaient le signe avant-coureur d'un violent orage de pluie de basse pression en provenance du nord-ouest qui allait être cause d'inondations dans la région. Les Israélites atteignirent l'extrémité des sabkhas tandis que les chariots Égyptiens aux roues étroites qui se déplaçaient avec difficulté sur la croûte de sel restèrent emprisonnés au milieu des sabkhas inondés par la pluie : « A l'approche du matin, la mer revint à sa place habituelle, tandis que les Égyptiens fuyaient à sa rencontre » 10 . Un scénario semblable pourrait se reproduire aujourd'hui avec des troupes en Jeep tentant de dépasser un corps d'infanterie en retraite dans les sabkhas pendant la saison des pluies. Le spectacle répété de véhicules immobilisés dans la boue salée de cette région, et en particulier celui de ma Jeep embourbée dans un sabkha au nord de Sharm el Cheikh, m'obligeant à parcourir à pied une longue distance, m'a convaincu qu'une expérience traumatisante réelle et très ancienne devait être à l'origine du récit de la traversée de la mer des Joncs.

Cette conviction s'est encore trouvée renforcée à Ayun Musa, un puits artésien jaillissant des profondeurs des couches aquifères du grès de Nubie, non loin du canal de Suez, et dont les eaux ont un goût amer. La Bible, en effet, mentionne que le peuple d'Israël, après la traversée de la mer des Joncs, arriva à une source aux eaux amères du nom de Mara11. L'analyse chimique des eaux d'Ayun Musa montre que celui-ci contient non seulement du sel ordinaire chlorure de sodium et du gypse sulfate de calcium mais aussi du sulfate de magnésium epsomite ou sel anglais, MgSO4 qui, même lorsqu'il n'entre qu'en faible quantité dans la composition des sels, donne à l'eau un goût amer. La Bible, naturellement, ne nous indique pas la composition chimique des eaux de Mara mais le fait qu'elle les qualifie d'amères en fait malgré tout l'un des premiers témoignages hydrochimiques de l'histoire. Et le fait que le souvenir de ce goût se soit conservé de nombreux siècles à distance des routes des caravanes qui circulaient entre la Judée et l'Égypte plaide également contre l'idée que l'histoire de cette source ait pu être inventée par des scribes.

La scène où Moïse frappe la pierre et en fait sortir de l'eau12 n'a, elle non plus, rien d'étonnant pour un hydrogéologue ayant travaillé dans les montagnes de granite, de gabbro et de porphyre du sud du Sinaï. Les bédouins Djebalia qui vivent autour de l'ancien monastère de Sainte-Catherine m'ont en effet montré comment suivre les fissures du granite à la recherche d'un filon de porphyre empêchant l'écoulement des eaux souterraines et comment chercher ensuite un filon, ou une veine, kaolinisée, facile à creuser à coups de pioche pour atteindre à quelques mètres de profondeur la surface de la nappe phréatique fig. 6. Pour des gens vivant depuis plusieurs générations sur une terre où toute l'eau provenait d'un fleuve et de ses canaux, cette manière de localiser l'eau en frappant de façon répétée sur la roche ne pouvait qu'apparaître comme un miracle puisqu'ils en ignoraient l'explication géologique.

L'impression de miracle, je l'ai moi-même éprouvée en atteignant un petit verger bédouin isolé au milieu des montagnes de granite du Sinaï, après une longue et très chaude journée de recherches hydrogéologiques. Assis à l'ombre d'une vigne abondante irriguée par l'eau tirée du puits creusé dans la roche, m'abreuvant de cette eau froide provenant d'une nappe souterraine, puis goûtant, à l'invitation du propriétaire du verger, les fruits, raisins, grenades et figues cueillis à mon intention, l'occasion me fut ainsi donnée de réfléchir au noyau de vérité historique que recèlent les anciens récits bibliques et à tenter même de donner au mot « miracle » une définition plus moderne et plus scientifique. Ne devrions-nous pas en effet définir un miracle comme un événement ayant une probabilité très faible de se produire dans notre environnement naturel et qui, pourtant, se produit ?
1 C.P. Snow, Les D eux C ultures , Pauvert éditeur, Paris, 1968.

2 Flavius Josèphe, La Guerre des Juifs , Harvard University Press, IV, 8, 2.

3 A.S. Issar, Water S hall F low from the rock , Springer-Verlag, 1990.

4 A.S. Issar, Israël Journal of Earth Science , 17, 16, 1968.

5 H.J. Paschur et H.P. Roper, The Libyan Western Desert and Northern Sudan During the Late Pleistocene and Holocene , Berliner Geowiss. A., 50 p, 249-284, 1984.

6 Exode, 14, 19.

7 Exode, 14, 21.

8 Exode, 14, 22.

9 Exode, 14, 23.

10 Exode, 14, 27.

11 Exode, 15, 23.

12 Exode, 17, 6.
NOTES
UNE VERSTE ROMAINE

équivaut à peu près à 210 kilomètres.
SAVOIR
Arie S. Issar, Water Shall Flow from the rock - Hydrogeology and Climate in the Lands of the Bible, Springer Verlag, 1990, traduit en français sous le titre Tu frapperas... le rocher et l'eau en jaillira - Ressources en eau : mythologies et civilisations dans les pays de la Bible, Springer Verlag, Paris.

Arie S. Issar, The impact of climate change on the hydrological cycle and socio-economic systems , Rapport rédigé par la division hydrologie de l'Unesco.

Arie S. Issar, « Climatic Change and the History of the Middle Est », Am. Scientist, 83 , 350, 1995.

 

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BIOLOGIE ET ORGANISATION SOCIALE ...

 

« La biologie ne peut pas servir à fonder l'organisation sociale »
Propos recueillis par Nicolas Chevassus-au-Louis dans mensuel 446


Le terme d'identité est omniprésent dans les débats contemporains. Le philosophe des sciences Thomas Pradeu met en garde contre la tentation récurrente d'appliquer aux sociétés humaines ce que la biologie nous enseigne de l'identité individuelle.
LA RECHERCHE : Identité nationale, sexuelle, culturelle... La problématique de l'identité est omniprésente dans les débats publics actuels. Que recouvre-t-elle en biologie ?

THOMAS PRADEU : Les biologistes se posent en fait à ce propos deux questions. Premièrement, chaque être vivant est-il unique ? C'est le problème de l'unicité biologique. Deuxièmement, qu'est-ce qui assure qu'un être vivant reste le même au cours du temps, en dépit des changements qu'il subit ? C'est le problème de l'individualité biologique. Ces questions sont particulièrement débattues en génétique, en immunologie et en neurologie. Les notions de « soi », d'« identité » et d'« individualité » sont ainsi au coeur de l'immunologie depuis les années 1940.

Toutes les disciplines de la biologie ont-elles la même approche de ces questions ?

T.P. La problématique d'ensemble est commune : c'est le double problème de l'unicité et de l'individualité. En revanche, les réponses apportées peuvent être différentes, et il devient alors important d'essayer d'opérer une synthèse entre les apports de ces différents domaines. La génétique, par exemple, s'est beaucoup intéressée à la question de l'unicité biologique. La génétique contemporaine démontre que, dans les espèces à reproduction sexuée, chaque être vivant est unique, à l'exception des jumeaux dits monozygotes, issus d'une seule fécondation. L'immunologie et la neurologie viennent renforcer cette idée, en montrant que l'unicité biologique est plus importante encore que ne le dit la génétique. Deux jumeaux monozygotes, bien que génétiquement identiques, ont par exemple des systèmes immunitaire et nerveux différents.

L'identité d'un organisme ne se résume donc pas à son identité génétique ?

T.P. En effet, c'est une erreur répandue que de confondre l'identité et l'origine : on pense que ce que je suis, c'est ce qui vient de moi. Sur le plan philosophique, c'est une thèse que l'on peut qualifier d'« internaliste » : elle consiste à penser que l'organisme se construit à partir de son propre « fond ». Cette thèse est très présente dans toutes les conceptions qui relèvent du déterminisme génétique : on croit alors que l'identité d'un organisme est définie par ses gènes, ce qui revient à dire qu'elle est « prédéfinie », programmée, dès sa conception. Le génome devient alors une version biologisée de l'« essence » individuelle. Le déterminisme génétique, qui affirme que je suis biologiquement programmé pour être ce que je suis, n'est qu'une résurgence des idées préformationnistes des XVIIe et XVIIIe siècles : l'individu existerait déjà en puissance, prédéfini, dès le stade de la cellule oeuf. Plus aucun chercheur sérieux ne défend aujourd'hui la thèse du programme génétique.

Pourquoi critiquer une thèse abandonnée ?

T.P. D'une part, parce que cette thèse reste défendue hors du domaine de la génétique. Certains spécialistes des neurosciences attribuent encore souvent à un ou plusieurs gènes un comportement ou une maladie psychiatrique. D'autre part, parce qu'une forme plus atténuée d'internalisme reste présente chez de nombreux biologistes. Elle consiste à définir l'organisme comme l'ensemble des constituants issus des divisions successives de la cellule oeuf dont il est issu. Or, il est clair selon moi que toute forme d'internalisme est erronée. L'internalisme, en effet, néglige la manière dont l'environnement est constitutif de l'organisme. L'autre, en réalité, est partie prenante du soi.

Sur quels arguments biologiques vous appuyez-vous ?

T.P. Par exemple, sur le fait que l'organisme humain est constitué à 90 % de cellules bactériennes, et seulement à 10 % de cellules porteuses de « son » génome. Ces bactéries entretiennent avec l'hôte une relation de symbiose obligatoire. Aucun des deux partenaires ne peut, dans la plupart des cas, vivre sans l'autre. Ces « endobactéries » jouent un rôle décisif dans notre digestion, dans notre développement, dans notre immunité. Loin de les rejeter, le système immunitaire entretient des relations de coexistence avec elles. Ces bactéries doivent être vues comme constituant un véritable « organe » dans l'organisme. Des entités qui font initialement partie de l'environnement sont ainsi internalisées, et deviennent des parties constitutives de notre identité.

Tirez-vous des conséquences éthiques ou politiques de cette idée que l'autre est partie prenante du soi ?

T.P. L'idée de prendre modèle sur la biologie pour penser la constitution de la société est très ancienne. Platon, déjà, pensait la constitution de la bonne cité sur le modèle de l'organisme sain. Mais cette longue histoire devrait nous inciter à la plus grande prudence. L'étude du vivant ne nous prescrit rien : elle n'offre ni modèle de société ni normes qu'il conviendrait de suivre. Toutes les biologisations du social ont donné lieu à des thèses intellectuellement très faibles et politiquement très critiquables. Ce n'est pas un hasard si l'actuel président de la République française a proposé les deux idées de la programmation génétique des criminels et de « l'identité nationale » [1]. Dans les deux cas, il s'agit de penser l'identité de l'individu dans le premier cas, du collectif dans le deuxième cas comme fixité et clôture. On « naît » criminel, on ne le devient pas. De même, selon cette conception, on devrait empêcher l'immixtion de « l'étranger » dans l'identité française et exiger de chaque citoyen qu'il exhibe ses « racines » françaises. L'appel à la biologie, au « naturel » supposé fixe et déterminé, dissimule une conception politique selon laquelle la construction de soi, par l'individu ou par le groupe, est reléguée au second plan. Les problématiques de l'identité biologique et de l'identité sociale paraissent ici avoir un socle commun.

Pourquoi ?

T.P. Il s'agit d'un socle d'ordre métaphysique. Le mot ne doit pas effrayer ! Il s'agit simplement, ici, de parler d'une conception sous-jacente de ce qu'est un être, quel qu'il soit une pierre, un arbre, une montre, un être humain, etc.. J'ai essayé de montrer que les conceptions internalistes en biologie le déterminisme génétique, la théorie immunologique du soi et du non-soi, etc. étaient le reflet, dans le domaine du vivant, d'une conception substantialiste de l'identité. Selon cette conception, tout être est autoconstruit et très largement clos à son environnement. C'est cette même conception métaphysique de l'identité qui se trouve au fondement, par exemple, des conceptions de l'identité nationale comme clôture et comme rejet de ce qui vient du dehors. En ce sens, mes recherches pourraient éventuellement servir à des réflexions situées au niveau social et politique, en contribuant à défendre, au niveau métaphysique, une conception interactionniste de l'identité, par opposition à la conception substantialiste.

Vous n'excluez donc pas que des implications éthiques ou politiques puissent être tirées de vos réflexions sur l'identité biologique.

T.P. Encore une fois, je pense que l'étude du vivant ne prescrit rien. Mais si certains souhaitent absolument proposer une analogie entre social et biologique, alors ils doivent prendre en compte ce que les sciences du vivant actuelles disent véritablement à propos de l'identité biologique : qu'elle est en construction perpétuelle et qu'elle est « ouverte », en ce qu'elle repose sur une intégration de l'autre. Mes recherches pourraient peut-être « donner des armes » à celles et ceux qui entendent critiquer les discours sociopolitiques qui prennent pour socle une biologie internaliste dont je pense qu'on peut dire aujourd'hui qu'elle est erronée.

Si l'organisme est capable d'internaliser une partie de son environnement, comment définir l'individu biologique ?

T.P. La notion d'individu biologique est en soi problématique. Il s'agit de savoir ce qui compte comme un être dans le monde du vivant. C'est une question extrêmement complexe, qui préoccupait Aristote aussi bien que Leibniz. Beaucoup de conceptions de l'individualité biologique sont fragiles parce qu'elles reposent sur une vision de sens commun : il nous suffirait d'ouvrir les yeux pour voir ce qu'est un individu biologique. Un être humain, un chien, une souris seraient ainsi des « individus ». Néanmoins, dès lors que l'on s'intéresse au vivant dans toute sa généralité, la question devient très complexe. Qu'est-ce qui compte comme un individu biologique dans le cas du pissenlit, chez qui toutes les fleurs d'un champ, produites par reproduction asexuée, sont génétiquement identiques ? De nombreux champignons qui ne peuvent vivre qu'en symbiose avec un végétal ? Des organismes coloniaux sous-marins constitués de petits sacs dotés de caractéristiques propres, comme la respiration, mais appartenant à une structure commune possédant une vascularisation unique ? Nous sommes incapables de le dire avec précision.

Comment résoudre ce problème ?

T.P. Par exemple en s'abstrayant du sens commun et en recourant aux théories de la biologie. David Hull * a défendu l'idée que c'est la théorie de l'évolution par sélection naturelle qui nous dit ce qu'est un individu biologique : compte comme un individu biologique toute entité vivante sur laquelle la sélection naturelle agit comme un tout. J'ai essayé de montrer que les théories immunologiques pouvaient nous aider à compléter cette définition de l'individu. Le système immunitaire opère en effet une distinction entre ce qui est accepté et ce qui est rejeté par l'organisme. En cela il définit les frontières de l'individu. L'immunité offre ainsi un excellent critère de définition de l'individu.

D'où provient le concept de soi, si central en immunologie ?

T.P. De la philosophie et de la psychologie. Le premier usage du terme « self » en anglais se trouve en 1690 dans l' Essai sur l'entendement humain de John Locke. Dans sa traduction française de cet ouvrage, parue en 1700, Pierre Coste traduit the « self » par le « soi ». Il explique dans une longue note comment il a été contraint de construire ce néologisme en français, pour répondre à la propre invention de Locke en anglais, qui réservait le terme de « soi » pour désigner la réflexivité chez les êtres conscients. La seconde source est dans The Science of Life des biologistes britanniques Julian Huxley et George Wells et de l'écrivain Herbert Wells, paru en 1929. Cet ouvrage peu connu a eu une influence énorme sur toute une génération de biologistes. Il se clôt par un chapitre qui utilise le terme « self » pour penser l'analogie, entre l'organisme et le soi psychologique, tel que le définissaient Freud et Jung. Dans le courant des années 1930, l'Australien Frank Macfarlane Burnet, sans doute l'immunologiste le plus influent du XXe siècle, lit ce livre et voit tout de suite dans ce « soi » le bon concept pour rendre compte de ce qui le préoccupe alors : la capacité pour un organisme de reconnaître ce qui lui est étranger et de le rejeter, comme il l'observait dans les greffes d'organe.

Vous travaillez en étroite collaboration avec des immunologistes. Que peut apporter un philosophe à des chercheurs en science expérimentale ?

T.P. Je pense qu'il existe une philosophie des sciences qui doit être au contact direct de la science la plus actuelle, réfléchir avec elle, toujours humblement, mais utilisant ses méthodes propres celles de l'analyse conceptuelle pour essayer d'éclairer certaines problématiques scientifiques. Ainsi conçue, la philosophie est une discipline très rigoureuse, loin des « bavardages philosophiques » et des prises de position aussi fermes que dénuées de fondement sérieux. La philosophie peut ainsi apporter trois choses aux immunologistes : elle peut contribuer à clarifier les concepts qu'ils utilisent « soi » et « non-soi », « individu », « tolérance », etc. ; elle peut en proposer une reconstruction historique, comme je viens de le faire à propos du soi ; enfin, elle peut s'efforcer de formuler des propositions théoriques pour l'immunologie, comme j'ai essayé de le faire en proposant ma « théorie de la continuité » [2] . Cette théorie part du fait que toute entité étrangère n'est pas rejetée par l'organisme, comme on l'a vu à propos des bactéries vivant sur le corps humain ; elle propose qu'une réponse immunitaire est due à une modification forte et soudaine des motifs moléculaires avec lesquels les acteurs de l'immunité interagissent. En d'autres termes, je suggère que la distinction entre soi et non-soi n'est pas absolue et doit être remplacée par une autre compréhension du fonctionnement du système immunitaire.
[1] Nicolas Sarkozy et Michel Onfray, Philosophie magazine n° 8, avril 2007.

[2] T. Pradeu, Les Limites du soi, immunité et identité biologique, Vrin, Paris, 2009.
NOTES
Thomas Pradeu, maître de conférences en philosophie des sciences à l'université Paris-IV. Il coanime les séminaires « philosophie et immunologie » à l'Institut d'histoire et de philosophie des sciences et des techniques à Paris. Ses recherches portent sur la notion d'individu et d'identité biologique. Il vient de publier, avec l'immunologiste Edgardo Carosella, L'Identité, la part de l'autre, Odile Jacob, 2010.

* DAVID HULL était un philosophe de la biologie américain. Il est décédé en août 2010.

 

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FREUD ET LA SCIENCE

 

Freud et la science
mensuel 399


Très intéressé par votre dossier consacré à « Freud et la science » La Recherche de mai 2006 ; n° 397 ; p. 30, je vous soumets quelques réflexions personnelles, celle d'un médecin radiologiste habitué depuis trente ans à écouter des milliers de patients « couchés sur le divan » des longs examens de radiodiagnostic et, en même temps, celui d'un spécialiste des sciences humaines en préhistoire. D'un point de vue purement médical et humain, je ne peux accepter de la psychanalyse qu'un seul point, heureusement incontestable : celui d'une méthode d'écoute de souffrants dans la mesure où elle autorise un mono-dia-logue entre analyste et analysé. En revanche, d'autres, bien plus convaincants que moi, et bien plus réalistes, ont justement apprécié l'aspect mercantile de cette écoute, très « coûteuse ». Mais revenons aux patients. Après tout, c'est d'eux dont il s'agit. Même Le Livre noir de la psychanalyse semble les oublier. En effet, quelle étude pourra un jour, enfin, nous révéler ce que pensent vraiment ces souffrants de 5, 10, 15 années de psychanalyse ? Qui aura le courage de les entendre, de les écouter, de les faire parler pour dire s'ils sont vraiment soulagés ? Loin des querelles d'école, loin des données glaciales de la science, loin des postulats épistémologiques, quand les malades et les névrosés auront-ils droit à la parole, libres et responsables ? C'est ce que je crois avoir faiblement entendu de la part de ces milliers de patients que je côtoie depuis des décennies. Leur voix si faible mais si forte, bien plus forte que le lobby des quelques milliers de psychanalystes français, capables de faire museler par un ministre complaisant, un rapport officiel de l'Inserm, pour perpétuer leur pouvoir...

Alors que je termine ce courrier, Élisabeth Roudinesco, historienne, grande prêtresse de l'histoire de la psychanalyse est en train de s'exprimer sur France-Culture. Ses arguments toute critique de Freud est plus ou moins entachée d'antisémitisme... les thérapies comportementales et cognitives sont des méthodes barbares sont indignes d'une scientifique, et se situent à la limite de l'insulte. Elles trahissent à l'évidence les réactions désespérées et irrationnelles d'une mouvance aux abois qui, sentant sa mort prochaine, telle une bête traquée, se débat dans d'inutiles et vaines convulsions.

• Jean Zammit, Toulouse

Quand un psychanalyste lit ce qui se dit ou s'écrit au sujet de la psychanalyse, il est toujours étonné de la naïveté et de la simplicité de ce qui est présenté comme science. Il est beaucoup question de mesures et d'évaluation. Comment mesurer une souffrance morale insupportable ? Telle analysante qui venait à chaque séance en larmes, en proie à une angoisse incommensurable, arrive, quelques mois plus tard, souriante, le pas vif. Et pourtant elle répète que sa vie est triste, insupportable, que son mal de vivre est toujours là, voire plus fort qu'avant. Il reste, en effet, quelque chose à dire, qu'elle gardera des années, quelque chose inconnu d'elle-même, qu'elle ne veut pas lâcher, bien que cela soit une souffrance profonde pour elle. Comment mesurer cela ? N'oublions pas, non plus, l'exemple que donnait Freud de deux nations faisant tuer des dizaines de milliers d'hommes pour défendre une ferme ou une fontaine devenues la représentation symbolique de la nation, alors que la mesure stratégique de l'enjeu pouvait être nulle.

Contrairement à ce qui se dit couramment, la psychanalyse n'a pas dit son dernier mot. La psychanalyse n'en est même qu'à ses débuts, et si on doit parler de science à son propos, c'est du côté de la logique, des mathématiques, de la linguistique, peut-être aussi un peu des neurosciences, mais certainement pas à un niveau de classe élémentaire.

• Jean Aurousseau,

par courrier électronique

Henri Poincaré, dans Science et Hypothèse, ouvrage publié en 1900, - la même année que l' Interprétation des rêves de Freud -, conclut : « La conséquence est que la science n'atteint pas les choses elles-mêmes, comme le pensent les dogmatismes naïfs, mais les rapports entre les choses ; en dehors de ces rapports, il n'y a pas de réalité connaissable. » La psychanalyse freudienne n'affirme pas autre chose. Elle s'inscrit dans l'ensemble des connaissances humaines en montrant des variations de forces interpersonnelles psychiques à l'oeuvre. C'est pourquoi les individus ne peuvent constituer des systèmes paramétrables, fixes et constants dans le temps. Il nous faut par conséquent reconsidérer le caractère scientifique des événements qui ne peut incomber au seul naturalisme. Comme le rappelait Philippe Descola dans La Recherche d'avril 2004 « Le monde, par-delà la nature et la culture », p. 63, chaque culture se nourrit aussi et à divers degrés d'animisme, de totémisme et d'analogisme. Or, ces trois réalités culturelles universelles ne peuvent être étudiées scientifiquement en tant qu'objets au même titre que le naturalisme parce qu'elles font davantage référence à la perception intime et non au savoir issu de l'observation d'un objet par un sujet.

La question primordiale est donc la suivante : le caractère scientifique d'un événement n'émerge-t-il pas de l'articulation de nos conceptions naturalistes avec la perception intime des phénomènes ? Dans l'affirmative, il faut faire l'hypothèse de l'existence d'un « cerveau social » transindividuel opérant au cours du fonctionnement mental du cerveau neuronal. Cela expliquerait pourquoi seules les opérations mentales sont actuellement répertoriables.

• Louis Coste, Argenteuil

Votre dossier « Freud et la science » est, par sa construction même, biaisé : sous l'intitulé éloquent « Qu'a-t-il vraiment découvert ? », ce dossier confie l'appréciation historique et scientifique de l'oeuvre de Freud à un philosophe qui s'est principalement illustré par sa participation militante à la polémique relancée en 2005. Le souci d'objectivité aurait voulu que vous fassiez appel, pour le même nombre de pages, à un psychanalyste connaissant réellement l'oeuvre entière de Freud, dont les pans les plus importants sont délibérément négligés dans cet invraisemblable article. Le point de vue d'un analyste, quel qu'il fût, mais tenant compte des quarante ans de la pratique freudienne, aurait alors pu être comparé par vos lecteurs à celui que vous avez choisi de promouvoir.

• Maurice Dayan,

par courrier électronique

 

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