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U R S S

 


 

 

 

URSS
HISTOIRE
1. Une gestation douloureuse (1917-1922)
1.1. La révolution d'Octobre
1.2. La guerre civile
1.3. Le communisme de guerre
2. La pause de la NEP (1921-1929)
2.1. Une situation alarmante
2.2. Une timide libéralisation
Un compromis avec le libéralisme économique
Le renforcement de l'autorité du parti
Une nouvelle vague de répression
2.3. Une révolution culturelle
Modernisation et laïcisation de la société
L'effort pédagogique
2.4. Une intégration problématique dans la communauté internationale
2.5. La lutte pour la succession de Lénine
Un débat idéologique
La victoire de Staline
3. L'ère stalinienne (1929-1945)
3.1. Mise en place de la première économie socialiste
Dékoulakisation
Collectivisation des terres
Priorité à l'industrie lourde
3.2. De la répression à la Grande Terreur (1930-1938)
L'élimination des oppositions (1930-1934)
La Grande Terreur (1936-1938)
3.3. Une société de plus en plus conservatrice
3.4. La fin de l'isolement diplomatique et la guerre (1934-1945)
Le tournant diplomatique antifasciste (1934-1939)
Le pacte germano-soviétique (1939-1941)
La « grande guerre patriotique » (1941-1945)
4. La seconde ère stalinienne (1945-1953)
4.1. La guerre froide
4.2. La répression des nationalités
4.3. Remise en ordre et retour à la terreur
5. Les années Khrouchtchev et les limites de la détente (1953-1964)
5.1. Le dégel (1953-1958)
Le dégel politique
Le XXe Congrès (1956)
La coexistence pacifique
Le dégel économique
Le dégel social
Le dégel culturel
5.2. Les limites de la détente (1958-1964)
Les problèmes de la coexistence pacifique
Les déceptions économiques
Vers la chute de Khrouchtchev
6. L'ère brejnévienne et les années de stagnation (1964-1985)
6.1. L'immobilisme politique et l'âge d'or de la nomenklatura
6.2. De prudentes réformes économiques
Des résultats décevants
6.3. Les mutations sociales
6.4. La dissidence intellectuelle
6.5. De la détente à la reprise de la guerre froide
6.6. Un régime dans l'impasse
7. Gorbatchev et l'effondrement de l'URSS (1985-1991)
7.1. Glasnost et perestroïka
7.2. Des réformes rapidement dépassées
7.3. La démocratisation « par le bas »
7.4. La fin de la guerre froide
7.5. L'effondrement du bloc de l'Est (1989-1991)
7.6. L'éclatement de l'URSS
Voir plus
URSS
sigle de Union des républiques socialistes soviétiques, en russe (SSSR) (Soïouz sovietskikh sotsialistitcheskikh respoublik)
Évolution de la situation administrative en U.R.S.S., 1921-1924
Cet article fait partie du dossier consacré à la guerre froide.
Ancien État d'Europe et d'Asie (1922-1991) ; 22 400 000 km2 ; capitale : Moscou. L'URSS était constituée, après la Seconde Guerre mondiale, de quinze républiques : Arménie, Azerbaïdjan, Biélorussie, Estonie, Géorgie, Kazakhstan, Kirghizistan, Lituanie, Lettonie, Moldavie, Ouzbékistan, Russie, Tadjikistan, Turkménistan, Ukraine.
HISTOIRE

Issue de la révolution d’octobre 1917, marquée dans sa genèse par le communisme de guerre et la guerre civile qui s’achève en 1922, l’URSS connaît d’abord la pause sociale et idéologique de la NEP, la nouvelle politique économique (1921-1929), avant de subir la glaciation de l’ère stalinienne (1929-1953). Celle-ci est suivie, avec Khrouchtchev, d’une phase limitée de dégel (1953-1964), qui ne remet pas en cause la suprématie du parti et de l’appareil d’État, réaffirmée sous Brejnev (1964-1982). Les réformes amorcées par Gorbatchev (1985-1991) révèlent les blocages du régime et de la société et conduisent à l’effondrement brutal de l’URSS en 1991.
1. Une gestation douloureuse (1917-1922)

Évolution de la situation administrative en U.R.S.S., 1921-1924Évolution de la situation administrative en U.R.S.S., 1921-1924
C'est le 30 décembre 1922 que les congrès des soviets des Républiques socialistes soviétiques de Russie, d'Ukraine, de Biélorussie et de Transcaucasie décident de former l'Union des républiques socialistes soviétiques. La nouvelle URSS regroupe la majeure partie des territoires de l'ancien Empire russe, désormais contrôlés, à la suite d'une guerre de cinq années, par le nouveau régime issu de la révolution d'octobre 1917.
1.1. La révolution d'Octobre

Dans les jours qui suivent le renversement du gouvernement provisoire à Petrograd (actuelle Saint-Pétersbourg), le 25 octobre 1917, le nouveau pouvoir insurrectionnel dirigé par Lénine annonce une série de décrets sur l'abolition de la propriété privée de la terre, sur le droit des peuples à l'autodétermination et sur la paix (conclue avec l'Allemagne au traité de Brest-Litovsk, le 3 mars 1918).
1.2. La guerre civile

T'es-tu engagé comme volontaire ?T'es-tu engagé comme volontaire ?
La dissolution, le 6 janvier 1918, de l'Assemblée constituante où les socialistes-révolutionnaires (non marxistes) étaient majoritaires, achève la mainmise des bolcheviks sur le pouvoir. Mais, à cette date, ils ne contrôlent qu'une partie de la Russie centrale. La formation d'armées contre-révolutionnaires (dites Armées blanches) au sud, à l'est de l'Oural et à l'ouest du pays, soutenues par l'intervention des Alliés, contraint les bolcheviks au conflit armé pour la conquête du territoire.
Affiche de recrutementAffiche de recrutement
La sanglante guerre civile, qui embrase le pays à partir du printemps 1918, ne met pas seulement aux prises l'Armée rouge avec les Blancs. L'ancien empire devient le théâtre de conflits multiples avec la montée des forces centrifuges, en particulier en Ukraine et dans le Caucase, et l'exacerbation des tensions sociales qui s'expriment, notamment, par des soulèvements paysans. Cette guerre civile s'achève fin 1920 dans la partie occidentale de l'ancien empire, mais elle se poursuit jusqu'en 1922, en Sibérie et en Asie centrale.
1.3. Le communisme de guerre

La victoire des bolcheviks a été acquise au prix d'une véritable dictature politique (la « terreur rouge » s'est appuyée sur la Tcheka, police politique du nouveau régime) et économique, le « communisme de guerre » : nationalisation de l'économie, réquisitions forcées de la production agricole, rationnement alimentaire, etc.
Cette victoire est sanctionnée par la création de l'URSS, le 30 décembre 1922, qui proclame l'égalité des républiques fédérées.
Cependant, en fait comme en droit, ainsi que le stipule la Constitution de 1924, les différentes républiques de l'Union se trouvent sous la tutelle du centre politique, auquel elles délèguent nombre de compétences fondamentales (défense, sécurité, budget, etc.). Ainsi l'URSS, dès sa création, est marquée par la volonté des bolcheviks de créer un État fort et centralisé.
2. La pause de la NEP (1921-1929)

2.1. Une situation alarmante

Au sortir de la guerre civile, le pays est profondément meurtri et bouleversé : la production industrielle atteint à peine 12 % de celle d'avant-guerre et la désorganisation de l'agriculture conduit à la grande famine de 1921-1922, qui fait plus de 5 millions de victimes dans le sud du pays.
De plus, les oppositions politiques au régime se ravivent avec la révolte, réprimée dans le sang en février 1921, des marins de Kronchtadt qui revendiquaient le pluripartisme et l'élection libre de nouveaux soviets (→ insurrection de Kronchtadt). C'est dans ce contexte de bilan et de tensions que le Xe Congrès du parti, en mars 1921, décide de mettre en place la nouvelle politique économique (NEP).
2.2. Une timide libéralisation

Un compromis avec le libéralisme économique
La NEP marque le début d'une détente, concrétisée par une relative libéralisation de l'économie : le commerce extérieur est légalisé, les petites entreprises dénationalisées, les réquisitions de la production agricole remplacées par un impôt en nature. Lénine, grand artisan de ce changement de cap, reconnaît la nécessité d'une transition longue vers le socialisme.
Le renforcement de l'autorité du parti
Cette libéralisation économique contraste cependant avec les décisions politiques du Xe Congrès concernant la conduite du parti. Sous l'effet du traumatisme créé par la révolte de Kronchtadt, celui-ci proscrit toute fraction ou opposition au sein du parti, fournissant à ses organes bureaucratiques des pouvoirs et des moyens de contrôle nouveaux, que Staline, promu secrétaire général du Comité central dès 1922, saura tourner à son avantage pour asseoir sa position.
Une nouvelle vague de répression
Alors que le pays commence à se relever, une nouvelle vague de répression s'abat sur les socialistes-révolutionnaires, l'intelligentsia « indépendante » – plusieurs centaines de savants sont expulsés d'URSS en 1922 – et l'Église orthodoxe, victime d'une très violente campagne anticléricale. Ces mesures répressives, qui accompagnent la nouvelle tolérance proclamée dans la vie économique et sociale, témoignent des fortes contradictions qui caractérisent la NEP.
2.3. Une révolution culturelle

Modernisation et laïcisation de la société
La volonté de créer un « homme nouveau », affranchi des entraves matérielles et spirituelles de la société capitaliste, s'est exprimée tôt, à travers plusieurs mesures spectaculaires : laïcisation de l'état civil et du mariage, décret sur le divorce (1917), légalisation de l'avortement en 1920.
Proclamant la liberté de conscience, les bolcheviks promulguent, dès janvier 1918, la loi sur la séparation de l'Église et de l'État et sur la déconfessionnalisation de l'école. Une campagne en faveur de l'athéisme est lancée, dans le cadre d'un immense effort d'éducation populaire, destiné à répandre le matérialisme scientifique.
L'effort pédagogique
La lutte contre l'analphabétisme, entreprise dès 1919 en Russie, est étendue à toute l'URSS en 1923. Le principe de l'instruction gratuite et obligatoire des enfants, adopté dès 1918, est progressivement appliqué dans tout le pays – en 1932, 98 % des enfants sont effectivement scolarisés –, des facultés ouvrières (rabfak) sont créées en 1919, pour l'alphabétisation et l'instruction des adultes. L'enseignement est dispensé dans les langues autochtones. À cet effet, des dizaines de langues parlées sont dotées d'alphabets. Les moyens d'expression et d'information sont mobilisés pour les tâches de l'agit-prop et nombre d'artistes s'engagent avec enthousiasme dans la promotion de l'« homme nouveau », expérimentant par la plume, le théâtre, le cinéma, de nouvelles expressions, où s'affirme la dimension utopique des années 1920.
2.4. Une intégration problématique dans la communauté internationale

Dimitri Moor, Vive la IIIe Internationale !Dimitri Moor, Vive la IIIe Internationale !
Après la Première Guerre mondiale, l'Union soviétique, première patrie du socialisme, fait figure d'État isolé sur la scène internationale, d'autant qu'elle donne le sentiment de mener un double jeu diplomatique.
À l'exception notable de l'Allemagne, avec laquelle elle noue des relations durables à partir de 1922, la normalisation de ses liens avec les grandes puissances reste longtemps formelle – son existence est reconnue de jure par la France et la Grande-Bretagne en 1924.
Tout en cherchant à établir des relations diplomatiques avec les autres États, les dirigeants soviétiques ne cachent pas leur ambition de promouvoir un nouvel ordre mondial fondé sur le marxisme. La création de la IIIe Internationale (Komintern) en 1919 est, en effet, progressivement marquée par l'emprise de Moscou sur les jeunes partis communistes occidentaux, dont l'URSS constitue le modèle.
2.5. La lutte pour la succession de Lénine

Un débat idéologique
Portrait et citation de LéninePortrait et citation de Lénine
Si la NEP est caractérisée par la détente des relations entre l'État et la société, elle est aussi marquée par d'intenses affrontements pour la succession de Lénine qui, gravement malade à partir de 1922, meurt en 1924. Ces luttes se déroulent sur fond d'importantes controverses concernant les voies de développement du pays et le sens de la NEP dans la perspective de l'avènement du socialisme. À travers les différents courants qui s'affirment – celui de gauche avec Trotski, prônant la priorité à l'industrialisation ; celui de droite avec Boukharine, défendant la poursuite de la NEP –, Staline mène surtout une lutte tactique et, sans prendre vraiment position, cherche à incarner la juste ligne du parti.
La victoire de Staline
Joseph StalineJoseph Staline
En l'espace de cinq ans, Staline parvient à évincer les principaux dirigeants historiques du bolchevisme, pour s'affirmer comme le nouveau Lénine. Au-delà d'un habile arbitrage, Staline assure son ascension en usant de ses fonctions pour placer ses alliés aux postes clés. Il bénéficie des fortes mutations sociologiques du parti, s'affirmant parmi les nouveaux militants peu politisés comme l'homme du centre face aux concurrents « déviants ». Parvenu en 1927 à éliminer l'opposition unifiée de Trotski, Zinoviev et Kamenev, Staline engage la rupture avec la NEP et amorce en 1929 le « grand tournant » pour la construction du socialisme.
3. L'ère stalinienne (1929-1945)

Staline s'affirme comme le nouveau guide et l'instigateur du « grand tournant » pour la construction du socialisme. Cette deuxième révolution, au carrefour des années 1930, se caractérise par des bouleversements radicaux qui modifient en profondeur la physionomie de l'URSS.
3.1. Mise en place de la première économie socialiste

En 1927, la production industrielle a retrouvé son niveau d'avant-guerre. En revanche, la quantité de céréales sur le marché est deux fois inférieure à celle de 1913, soulignant l'état de sous-développement de l'économie rurale.
Dékoulakisation
Prenant prétexte de la faiblesse des récoltes, le clan stalinien entreprend une vaste offensive contre la paysannerie et, renouant avec les pratiques du communisme de guerre, lance une campagne de réquisitions forcées des céréales. Face aux résistances paysannes, Staline radicalise l'intervention du centre et désigne comme ennemi de classe les koulaks (paysans riches, ou supposés tels : aucune définition de la « richesse » n'est donnée par le pouvoir, qui soumet ainsi l'ensemble de la paysannerie à l'arbitraire de ses représentants locaux).
Collectivisation des terres
Affiche de propagande soviétiqueAffiche de propagande soviétique
La dékoulakisation s'accompagne de la collectivisation des terres, menée à partir de 1929 dans un climat de violences extrêmes – massacres, déportations, etc. La déstructuration et l'épuisement de l'économie rurale se traduisent par une immense famine qui, en 1932-1933, fait, en Ukraine principalement, plus de 6 millions de victimes. L'accalmie de la NEP est une époque révolue.
Priorité à l'industrie lourde
Affiche de propagande soviétiqueAffiche de propagande soviétique
Le lancement du Ier plan quinquennal (1929-1933) donne la priorité à l'industrie lourde et marque le début des grands chantiers pour la modernisation du pays. Une nouvelle classe ouvrière, issue en grande partie de l'exode rural provoqué par la collectivisation, est en train de naître. Au rythme d'une propagande sans relâche prônant l'émulation socialiste, le premier plan, conduit avec une poigne de fer, se donne des objectifs irréels et ne parvient pas à maîtriser l'ensemble des changements induits par la dynamique engagée.
Le IIe plan quinquennal (1933-1937) est donc marqué par une rectification en faveur des industries légères, des biens de consommation et un plus grand souci de la formation de la main-d’œuvre. Le lancement du mouvement stakhanoviste en 1935 – du nom du mineur Stakhanov ayant réalisé 14 fois la norme d'extraction – annonce la nouvelle mobilisation exigée de la société pour la « consolidation du socialisme ».
3.2. De la répression à la Grande Terreur (1930-1938)

L'élimination des oppositions (1930-1934)
C'est la dékoulakisation qui a conduit à la mise en place du Goulag (administration principale des camps) qui, sous l'égide de la Guépéou (administration chargée de la sécurité de l'État qui s'est substituée en 1922 à la Tcheka), inaugure le système concentrationnaire soviétique, véritable société pénale parallèle.
De 1930 à 1934, la répression des divergences politiques (portant notamment sur les choix du Ier plan quinquennal) se solde par l’exclusion d’un quart des membres du parti, mais se fait encore sans exécutions capitales. En janvier 1934, le XVIIe Congrès du parti dresse le bilan du grand tournant et consacre l'assise de Staline, le « Lénine d'aujourd'hui ». Une accalmie se dessine après les immenses efforts consentis. Elle est cependant de courte durée.
L'assassinat, le 1er décembre 1934, de Kirov, secrétaire du parti de Leningrad, par un jeune communiste, permet de légitimer la hantise du complot, déjà présente dans les propos des dirigeants, pour expliquer les défaillances nombreuses du système. Ce meurtre accroît le climat de suspicion générale et entraîne le renforcement de la répression (loi autorisant l'instruction accélérée des affaires de terrorisme).
La Grande Terreur (1936-1938)
La répression culmine avec la Grande Terreur (ou les Grandes Purges). Ponctuée par les grands procès publics des dirigeants historiques du bolchevisme, la Grande Terreur (en russe Iejovchtchina, du nom de Nikolaï Iejov, nommé à la tête du NKVD [Commissariat du peuple aux Affaires intérieures qui a succédé à la Guépéou en 1934] est la période des purges les plus sanglantes : 2 millions d'arrestations, un tiers d'entre elles se soldant par des exécutions.
La répression touche en particulier les cadres de l'armée, de l'administration, du monde scientifique et artistique, mais elle n'épargne pas non plus les simples citoyens. La typologie des victimes est brouillée. Sur fond de terreur aveugle, l'équipe stalinienne prône la nouvelle légalité socialiste et un ordre social marqué par le retour aux valeurs traditionnelles, même si l'équivalence entre consolidation et répression s'estompe à la fin de 1938 avec la mise à l'écart de Iejov.
3.3. Une société de plus en plus conservatrice

30e anniversaire de la révolution russe30e anniversaire de la révolution russe
La nouvelle Constitution soviétique de 1936 – « la plus démocratique du monde » selon Staline –, étend le suffrage universel à tous les citoyens de l'URSS, reconnaît la légitimité de l'État – qui n'est plus considéré comme une forme politique transitoire – et précise l'organisation de l'URSS en 11 républiques fédérées.
Toute une série de mesures – dans le domaine de la famille (interdiction de l'avortement en 1936, restriction du divorce), de l'organisation des grands corps (rétablissement des grades dans l'armée en 1935), de la culture (remise en valeur de la littérature russe classique, réhabilitation partielle de l'histoire impériale grand-russe) – marquent la mise en place d'un fort conservatisme social.
À la veille de la guerre, le pouvoir stalinien est parvenu à détruire, dans le parti et dans le pays, tous les liens de solidarité personnels, professionnels et politiques : seul triomphe le principe d'allégeance absolu à la personne du guide suprême, Joseph Staline.
3.4. La fin de l'isolement diplomatique et la guerre (1934-1945)

Le tournant diplomatique antifasciste (1934-1939)
Le double jeu soviétique dans les relations avec les pays occidentaux s'estompe avec l'arrivée de Hitler au pouvoir en 1933. La nouvelle menace que représente l'Allemagne nazie entraîne le rapprochement de l'URSS avec les grandes puissances occidentales, qui se concrétise par son entrée à la Société des Nations (SDN) en 1934 et par son orchestration de la lutte antifasciste par l’intermédiaire des partis communistes. Mais ce front commun reste fragile. La faiblesse des démocraties face à l'expansionnisme allemand – en particulier lors de l'annexion de l'Autriche en 1938 –, conduit peu à peu l'Union soviétique à un renversement d'alliances.
Le pacte germano-soviétique (1939-1941)
Les progrès de la coopération germano-soviétiqueLes progrès de la coopération germano-soviétique
À la veille de la Seconde Guerre mondiale, malgré la force des antagonismes idéologiques, l'URSS stalinienne se tourne brusquement vers son premier allié historique depuis 1922, l'Allemagne : elle signe avec Hitler un pacte de non-agression (23 août 1939), dont les protocoles secrets prévoient le partage de l'Europe orientale entre les deux puissances (→ pacte germano-soviétique).
C'est en vertu de ces protocoles que, de septembre 1939 à août 1940, l'URSS annexe, aidée en cela par l'offensive nazie, la Pologne de l'Est, la Carélie, les États baltes, la Bessarabie et la Bucovine du Nord.
Dès lors, l'URSS se tient hors du conflit mondial jusqu'à l'invasion surprise des armées allemandes.
La « grande guerre patriotique » (1941-1945)
Le plan Barbarossa, déclenché le 22 juin 1941 par Hitler, prend Staline par surprise. En quelques semaines, les Allemands occupent l'Ukraine, la Biélorussie et menacent de prendre Moscou à l'automne.
L'agression du IIIe Reich détermine le basculement de l'URSS dans le camp des Alliés. Dès l'été est signé un accord de coopération anglo-soviétique, tandis que les États-Unis accordent un premier prêt à l'URSS. Enfin, Staline réussit à mobiliser la population au service de la « grande guerre patriotique » (→ Seconde Guerre mondiale), en favorisant l'union nationale par des concessions, notamment dans le domaine religieux : l'Église orthodoxe peut se réorganiser légalement en 1943 ; l'islam soviétique est doté, en 1941, de quatre directions spirituelles.
Après dix-huit mois de revers et de défaites, les Soviétiques remportent la difficile victoire de Stalingrad, en février 1943. Ce succès marque un tournant dans la guerre et le début de la contre-offensive décisive de l'Armée rouge pour la reconquête du territoire (victoire de Koursk en juillet 1943).
À partir de 1944, l'Armée rouge participe à la libération de l'Europe occupée (Pologne, Tchécoslovaquie, Roumanie, Hongrie, Bulgarie) et se lance dans la dernière bataille de Berlin (mars 1945), qui s'achève par la capitulation de l'Allemagne.
Pour en savoir plus, voir les articles guerre germano-soviétique, Seconde Guerre mondiale.
4. La seconde ère stalinienne (1945-1953)

4.1. La guerre froide

La Paix vainquera la Guerre !La Paix vainquera la Guerre !
Grâce à la part prise à la victoire, le poids de l'URSS, qui a payé un très lourd tribut à la guerre, s'est considérablement accru sur la scène internationale. Mais la participation des Soviétiques à la libération de l'Europe ne se fait pas sans contreparties. Dès 1944, l'Armée rouge reprend le contrôle des États baltes, de l'Ukraine polonaise et de la Bessarabie, qui sont intégrés à l'URSS. Son avancée jusqu'à Berlin permet à Moscou, après les accords de Yalta (février 1945), d'assurer sa mainmise sur l'Europe centrale et orientale, avec la création, en 1947, du Kominform (bureau d'information des partis communistes et ouvriers), et l'organisation, entre 1945 et 1948, de gouvernements communistes dans les États de la région. Par ailleurs, l'URSS signe en février 1950 un traité d'amitié et d'assistance mutuelle avec la Chine.
La constitution du bloc soviétique, déterminante dans la rupture avec les Alliés, est à l'origine de la guerre froide et de l'édification d'un monde divisé entre Est et Ouest qui, jusqu'à la fin des années 1980, conditionnera les rapports de forces internationaux.
4.2. La répression des nationalités

Sur le plan intérieur, le bilan de la guerre est particulièrement lourd : 26 millions de victimes (dont la moitié de soldats, la moitié de civils), 25 millions de sans-abri. Au cours du conflit, l'emprise du pouvoir sur la société s'est certes relâchée : mais la répression n'est cependant pas en reste, elle s'est déplacée, touchant des peuples entiers accusés de collaboration avec l'ennemi.
Dès 1944, la déportation des Tatars de Crimée, des Tchétchènes, des Ingouches, des Balkars, des Kalmouks, et d'autres peuples encore, grossissent les effectifs du Goulag de plus de un million de personnes. Dans l'après-guerre, les « nationalités » (peuples punis auxquels s'ajoutent les Baltes, les Ukrainiens et les Roumains, accusés de résistance nationaliste) composent la majorité de la population des camps.
4.3. Remise en ordre et retour à la terreur

Le IVe plan quinquennal (1946-1950) entraîne une nouvelle mobilisation sociale pour la reconstruction du pays. En 1950, la production industrielle dépasse de 73 % celle de 1940, mais la production agricole atteint à peine celle enregistrée à la veille de la guerre.
Cette période est surtout marquée par le renforcement des contraintes idéologiques : l'exaltation du rôle de « peuple dirigeant » des Russes accompagne l'accroissement de la mainmise du centre sur les républiques de l'URSS ; la lutte contre les influences « décadentes » de l'Occident confirme la fermeture du pays. Enfin, la campagne contre le « cosmopolitisme », à partir de 1948, prend une tournure ouvertement antisémite, touche les cadres de Mingrélie – une région du sud de la Géorgie (1951) – et culmine avec le complot des « blouses blanches » : des médecins juifs sont accusés de tentative d'assassinat sur Staline et d'autres dignitaires, peu avant la mort du « petit père des peuples », le 5 mars 1953.
Pour en savoir plus, voir les articles Staline, stalinisme.
5. Les années Khrouchtchev et les limites de la détente (1953-1964)

Nikita KhrouchtchevNikita Khrouchtchev
La disparition de Staline entraîne le passage rapide du totalitarisme à un simple régime autoritaire. Mais, si les années Khrouchtchev sont synonymes de détente (sur le plan intérieur comme international), elles constituent aussi l'ultime tentative de mobilisation de la société pour la « construction du communisme ».
5.1. Le dégel (1953-1958)

Le dégel politique
En l'absence de tout candidat désigné par le guide, une lutte s'engage dès mars 1953 pour la succession au poste de Staline. La concurrence entre le président du Conseil Gueorgui Malenkov et le premier secrétaire du parti Nikita Khrouchtchev (qui devient également président du Conseil en 1958) se dénoue finalement en faveur de ce dernier qui, dès 1956, sort l'URSS du stalinisme.
Malgré les affrontements internes, un consensus se manifeste très tôt sur l'assouplissement du régime : dès le 27 mars est décrétée l'amnistie de près de 900 000 personnes. Beria, ministre de l'Intérieur de Staline, est arrêté le 26 juin et exécuté. Sa disparition entraîne la réorganisation de son ministère, qui perd la gestion du Goulag. La police politique s'autonomise et prend le nom de Comité à la sécurité d'État (KGB).
Le XXe Congrès (1956)
Le XXe Congrès du PCUS, en février 1956, marque une étape décisive dans la politique intérieure et extérieure de l'URSS. Sur le plan politique, il prône un retour au léninisme. Mais c'est la divulgation, devant les seuls délégués soviétiques, les 24 et 25 février, du « rapport secret », qui fait de ce Congrès un événement sans précédent et scelle la rupture avec le stalinisme. Khrouchtchev y dénonce le « culte de la personnalité » de Staline et rejette la responsabilité des nombreux excès passés, non sur le parti, mais sur la seule personne de son chef.
Rapidement divulgué en URSS et hors du pays, le rapport crée un choc sans précédent, en particulier dans les démocraties populaires agitées par les révoltes polonaise et hongroise. Les remous importants suscités par le rapport secret, au sein du parti, vulnérabilisent la position de Khrouchtchev, qui reprend cependant l'avantage en obtenant du Comité central la condamnation du « groupe anti-parti » et l'exclusion de Molotov, Malenkov et Kaganovitch, en 1957.
La coexistence pacifique
Sur le plan international, N. Khrouchtchev présente XXe Congrès sa doctrine de « coexistence pacifique », qui annonce la détente des relations avec l'Ouest et la fin de la guerre froide. L'hégémonie de l'URSS en Europe orientale ne se desserre pas pour autant, comme le montrent la signature, en mai 1955, du pacte de Varsovie avec sept démocraties populaires et l'intervention de l'armée soviétique à Budapest lors de la révolution hongroise de 1956 (→ insurrection de Budapest).
Parallèlement, l'Union soviétique développe son influence internationale en soutenant les pays du tiers-monde récemment décolonisés, mais ses raports avec la Chine se détériorent à partir de 1955.
Le dégel économique
L'avènement de Khrouchtchev est également marqué par la réorientation de l'économie en faveur du développement de l'industrie légère et des biens de consommation. Cette politique, qui répond aux demandes tant de la population que des industriels, favorise aussi le relèvement des prix d'achat de la production agricole par l'État et provoque, par conséquent, la hausse des revenus des kolkhoziens (membres d'une exploitation agricole fondée sur la propriété collective des moyens de production).
L'autre volet de la nouvelle orientation, lancé en mars 1954, concerne la mise en valeur des « terres vierges » au nord du Kazakhstan, en Sibérie, et dans l'Altaï ; 37 millions d'hectares sont ainsi mis en culture : l'opération, payante à court terme (ces terres fournissent la moitié de la récolte de 1956), reste cependant difficile à gérer, car les nouvelles terres sont tributaires d'importants investissements et particulièrement vulnérables au climat difficile des régions.
Le dégel social
L'équipe poststalinienne mène enfin, sur le plan social, une politique plus libérale, tout en réactivant le mythe de la construction du communisme.
Khrouchtchev rétablit une plus grande autonomie syndicale, réduit la durée du travail et dépénalise les relations professionnelles ; il lance un vaste programme de construction de logements, qui lui garantit, avec la hausse du niveau de vie (+6 % par an), un fort soutien dans la société. Le système carcéral retrouve sa fonction régulatrice, la majorité des détenus étant alors des droits communs.
Le dégel culturel
Cependant, Khrouchtchev relance, à partir de 1957, les méthodes de mobilisation des masses, prônant le rattrapage et le dépassement des États-Unis. Sur le plan culturel, la déstalinisation s'exprime de façon spectaculaire dans un premier temps, à travers la parole retrouvée. Mais les limites au dégel culturel se font rapidement sentir, en particulier lors de l'interdiction faite à Boris Pasternak de publier le Docteur Jivago et de recevoir le prix Nobel en 1958. L'affaire Pasternak précipite une crise de conscience de l'intelligentsia. C'est à la fin des années 1950 qu'apparaissent les premiers mouvements dissidents avec, notamment, la divulgation de samizdats, ouvrages interdits par la censure, mais diffusés clandestinement. Après le XXIe Congrès du parti (1959), la ligne « dure » se confirme : le mythe de l'édification du communisme donne lieu à plusieurs campagnes idéologiques et, notamment, à une forte offensive antireligieuse.
5.2. Les limites de la détente (1958-1964)

Les problèmes de la coexistence pacifique
La confrontation Est-Ouest se poursuit indirectement, notemment au Viêt Nam et à Cuba, où l'URSS, qui soutient militairement le régime de Fidel Castro, installe des missiles en 1962, provoquant une grave crise internationale qui débouche sur une recula de l'URSS, devant le risque d'une guerre mondiale (→ crise de Cuba). Quant à la rupture avec la Chine, elle est consommée en 1961.
Les déceptions économiques
La période 1958-1964, après les cinq années de croissance qui viennent de s'écouler, est marquée par des difficultés importantes. Les récoltes catastrophiques du maïs, planté dans les nouvelles terres, sont ressenties comme l'échec de la campagne de défrichement : à partir de 1960, la crise de l'agriculture est patente et l'URSS est contrainte d'importer pour 1 milliard de dollars de céréales en 1963. La hausse des prix alimentaires suscite des protestations, voire des émeutes dans le monde ouvrier, comme à Novotcherkassk, le 1er juin 1962.
Vers la chute de Khrouchtchev
Sur le plan politique, la nouvelle offensive antistalinienne, lancée par Khrouchtchev lors du XXIIe Congrès, en 1961, accroît l'opposition au sein du parti. La nomenklatura, inquiétée dans ses prérogatives par les ambitieux projets khrouchtchéviens (réorganisation, notamment, du parti en deux branches, industrielle et agricole), se désolidarise du premier secrétaire. C'est finalement une révolte des appareils qui aboutit à la destitution de Khrouchtchev, annoncée par communiqué, le 14 octobre 1964, dans l'indifférence d'une société soviétique déçue dans ses espoirs nés de la déstalinisation.
6. L'ère brejnévienne et les années de stagnation (1964-1985)

Pour la première fois dans l'histoire de l'URSS, le règlement de la succession a été prévu lors de la destitution de Khrouchtchev, avec la nomination de Leonid Brejnev comme premier secrétaire (puis, à partir de 1966, secrétaire général) du parti .
L'ère brejnévienne, qui dure près de vingt ans, est caractérisée à la fois par une stagnation politique et économique et par la transformation de la société qui acquiert, de fait, une certaine autonomie face à l'État.
6.1. L'immobilisme politique et l'âge d'or de la nomenklatura

Leonid BrejnevLeonid Brejnev
La nouvelle équipe dirigeante opte pour le conservatisme politique, tout en recherchant une meilleure efficacité sur le plan économique. Malgré de réelles divergences sur les choix de développement, le gouvernement concentre tous ses efforts sur le maintien du statu quo. Il privilégie la stabilité des cadres, l'enracinement local des bureaucraties et assoit sa cohésion sur la généralisation du clientélisme. Les années 1970 marquent l'âge d'or de la nomenklatura, vaste réseau de potentats locaux qui, du centre aux périphéries, se constitue par un système de parrainage et s'appuie sur des intérêts convergents. Cette nouvelle « féodalité soviétique » se traduit politiquement par la présence majoritaire des cadres régionaux au sein du Comité central. Au cours de cette décennie, un culte pathétique est rendu à la personnalité vieillissante de Leonid Brejnev, qui incarne la solidarité d'une nomenklatura docile.
6.2. De prudentes réformes économiques

Jusqu'au début des années 1970, des efforts sont tentés pour rationaliser le système productif. Les entreprises obtiennent une certaine marge de manœuvre, les ouvriers étant incités à produire plus, grâce à des « fonds de stimulation ».
Le président du Conseil Alekseï Kossyguine se fait l'ardent partisan du développement de l'industrie légère et de l'amélioration qualitative de la production.
Mais, à partir de 1972, la ligne défendue par Leonid Brejnev et le secrétaire du parti Mikhaïl Souslov, prônant la priorité à l'industrie lourde, en particulier dans le domaine militaire, est adoptée et confirmée dans le Xe plan quinquennal (1976-1980) : celui-prévoit, outre le renforcement du complexe militaro-industriel, le développement du front pionnier énergétique en Sibérie, afin de stimuler l'exportation de matières premières et de favoriser l'importation de technologies occidentales.
Des résultats décevants
Le bilan des tentatives de rationalisation de la production est négatif ; les mesures incitatives sont freinées par le renforcement de la bureaucratie. Dans le secteur industriel, la situation de sous-emploi de la main-d'œuvre conduit à une baisse de production. La pénurie des biens de consommation s'installe.
La situation du secteur agricole est encore plus catastrophique : le manque d'infrastructures de transport et l'échec de la campagne des terres vierges conduisent le pays à importer massivement les céréales (40 millions de tonnes par an entre 1979 et 1984). Les mesures mises en place par le gouvernement en faveur des kolkhoziens ne parviennent pas à enrayer l'exode rural, ni à augmenter la production.
6.3. Les mutations sociales

Konstantine TchernenkoKonstantine Tchernenko
La nouvelle Constitution de 1977, préparée depuis quinze ans, abandonne le mythe du passage au communisme et de la fin de l'État, au profit du nouveau concept de « socialisme développé » ; l'État devient « l'État du peuple tout entier ». Mais la volonté proclamée d'inclure la société dans les affaires du pays est en contradiction avec l'affirmation du rôle dirigeant du parti. Toutefois, le développement de nouvelles structures socioculturelles favorise l'apparition de quelques champs d'autonomie sociale.
Au cours de ces décennies, la société soviétique connaît une profonde transformation : ralentissement de la croissance démographique, accroissement important du taux d'urbanisation et hausse du niveau de l'éducation. C'est l'émergence de cette société urbaine cultivée qui est à l'origine de nouvelles « structures informelles », voire de la constitution d'une opinion publique. L'adhésion au parti ne représente plus qu'un passeport pour l'accès à une carrière digne de ce nom.
6.4. La dissidence intellectuelle

La contestation du régime change, elle aussi, de nature dans les années 1970. La dissidence, qui se fonde désormais sur le respect de la légalité du régime, se renforce grâce à la signature de l'Acte final des accords d'Helsinki, qui lui fournit un cadre juridique international de référence et de défense des droits de l'homme. Ainsi, l'exil du physicien Andreï Sakharov en 1980 et l'expulsion de l'écrivain Aleksandr Soljenitsyne, en 1974, suscitent de vives réactions à travers le monde.
6.5. De la détente à la reprise de la guerre froide

Sur le plan diplomatique, l'emprise de l'URSS sur les démocraties poppulaires ne se desserre pas, de la répression du printemps de Prague (1968) à la menace d'intervention en Pologne qui provoque le coup d'État du général Jaruzelski (1981).
Au début des années 1970, la quête d'un équilibre entre les deux blocs se concrétise pourtant par plusieurs accords sur la limitation des armements (accords SALT de 1972 et 1979) et par la conférence d'Helsinki (1975) sur la sécurité et la coopération en Europe, qui marque le point d'orgue de la détente. Les pays occidentaux y avalisent l'influence soviétique sur l'Europe de l'Est, mais l'URSS s'engage de son côté à respecter les droits de l'homme et les libertés fondamentales. La fin de la décennie est cependant ternie par l'intervention soviétique en Afghanistan (1979) qui entraîne un nouveau durcissement des relations internationales.
6.6. Un régime dans l'impasse

À la mort de Leonid Brejnev, en novembre 1982, l'impasse économique dans laquelle se trouve le pays est patente. Le bref intermède Andropov-Tchernenko (le premier reste en fonction 14 mois, avant de mourir, et le second 13 mois) n'est marqué que par quelques velléités de lutte contre la corruption, dans un contexte de déstabilisation lié aux très fortes tensions internationales, ainsi qu'à l'enlisement en Afghanistan, où l'armée soviétique affronte les moudjahidin pendant dix ans (1979-1989).
7. Gorbatchev et l'effondrement de l'URSS (1985-1991)

Mikhaïl Gorbatchev, 1988
Mikhaïl Gorbatchev, 1988
Mikhaïl Gorbatchev, 1988L'organisation fédérale de l'U.R.S.S.
Le 11 mars 1985, l'élection de Mikhaïl Gorbatchev au poste de secrétaire général du PCUS, ouvre une nouvelle période, la dernière dans l'histoire de l'URSS. Elle est caractérisée à la fois par une forte volonté réformiste « par le haut », visant à rendre plus efficient le système soviétique existant, et par une radicalisation incontrôlée « par le bas », en réponse à l'ouverture politique, qui entraînera, au terme de six années de perestroïka, l'effondrement de l'URSS.
7.1. Glasnost et perestroïka

Le gouvernement formé par Gorbatchev est constitué de personnalités acquises à l'urgence de réformes : le « rapport de Novossibirsk », publié dès 1983, montrait déjà officiellement les déficiences, nombreuses, du système. Mais, dans l'esprit de la nouvelle équipe, il devient évident que de nouvelles réformes structurelles ne peuvent être conduites sans l'adhésion de la société.
En 1986, les orientations du groupe gorbatchévien se précisent avec la mise en avant de deux mots d'ordre : la perestroïka (restructuration), qui vise à la réforme du système, et la « glasnost » (transparence), qui marque la volonté de ne plus masquer les réalités et d'engager un nouveau dialogue social.
Cependant, une fois lancé, le mouvement déborde très vite la direction gorbatchévienne.
7.2. Des réformes rapidement dépassées

La glasnost conduit très rapidement à la remise en cause de la légitimité du pouvoir, notamment à travers la relecture du stalinisme puis de la révolution. Aux côtés des débats historiques, les domaines les plus divers, tels que l'écologie (catastrophe nucléaire de la centrale de Tchernobyl en 1986), l'idéologie, la politique des nationalités, occupent le devant de la scène. Les revendications nationales se multiplient : à la fin des années 1980, la commémoration du pacte germano-soviétique dans les trois républiques baltes donne une impulsion décisive aux forces centrifuges.
Le pluralisme des opinions, encouragé par la glasnost, pose la question de leur expression politique. Mais Gorbatchev prône d'abord des réformes économiques. Pourtant, si l'équipe dirigeante casse les mécanismes de l'économie planifiée, elle ne parvient pas à définir une alternative cohérente, et procède par demi-mesures. Le développement, encouragé, de l'autonomie des entreprises est entravé par le maintien d'un fort contrôle. Par ailleurs, le gouvernement ne réussit pas à formuler des propositions susceptibles d'insuffler de nouvelles motivations aux travailleurs.
7.3. La démocratisation « par le bas »

L'échec des réformes économiques, perceptible dans le quotidien des citoyens, éclipse la portée des réformes politiques d'importance, qui sont également pénalisées par le maintien du rôle dirigeant du parti.
Néanmoins, les réformes institutionnelles, telle la création en 1989 du Congrès des députés du peuple, élu en partie au suffrage universel direct, donnent une certaine visibilité aux multiples comités, groupes, embryons de partis politiques nés des micro-univers de la décennie précédente.
Cette démocratisation par le bas met en lumière le caractère partiel de l'ouverture politique de l'équipe dirigeante. À partir de 1990, la question du pluralisme finit par être ouvertement posée lorsque Boris Ieltsine, l'un des principaux dirigeants du PCUS, quitte le parti avec fracas.
7.4. La fin de la guerre froide

Retrait des troupes soviétiques d'AfghanistanRetrait des troupes soviétiques d'Afghanistan
Les atermoiements du gouvernement à l'intérieur du pays contrastent avec ses initiatives radicales sur le plan international. Gorbatchev s'impose, en quelques années, comme le plus ferme partisan de l'intensification des échanges économiques et de la réduction des armements. Le dialogue avec les États-Unis reprend à partir de 1985 (aboutissant notamment, en 1987, à la signature d'un accord sur l'élimination des missiles à moyenne portée en Europe). Le retrait soviétique d'Afghanistan (1988-1989), la non-intervention de l'URSS face à l'implosion des régimes communistes en Europe centrale et orientale (1989), ainsi que la normalisation des relations avec la Chine matérialisent la nouvelle donne soviétique. Mais une fois engagée sur la voie des réformes et l'abandon de son hégémonie, l'URSS se trouve elle-même confrontée à sa désagrégation interne.
7.5. L'effondrement du bloc de l'Est (1989-1991)

Le désaveu des gouvernements communistes dans les démocraties populaires, qui s'opère par la négociation (« révolution de velours » en Tchécoslovaquie) ou la violence (exécution du dictateur Ceauşescu en Roumanie), est marqué par le laisser-faire de l'URSS. En 1990, la popularité extrême de Gorbatchev sur la scène internationale est à la mesure de la désaffection qu'il suscite dans l'opinion publique soviétique.
Au cours des années 1990-1991, les tensions se multiplient. La proclamation de l'indépendance de la Lituanie encourage les revendications des autres républiques et rejoint les aspirations à une véritable alternance démocratique que permet le vote, par le Congrès, de l'abrogation du rôle dirigeant du PCUS (article 6 de la Constitution).
7.6. L'éclatement de l'URSS

Tentative de coup d'État, Moscou, 1991Tentative de coup d'État, Moscou, 1991
L'année 1991 précipite la fin de l'URSS : Boris Ieltsine, élu triomphalement à la tête de la Russie au suffrage universel, en juin, incarne une nouvelle légitimité face à Gorbatchev. Devant l'accélération des événements, qui menacent la cohésion de l'URSS, les éléments les plus conservateurs du parti fomentent un coup d'État qui échoue au bout de trois jours (19-21 août). La résistance conduite par Ieltsine, qui est soutenu par l'opinion et la majorité de l'armée, relèguent Gorbatchev dans l'ombre. La tentative de putsch accélère le mouvement de sécession des républiques périphériques et la défection des membres du parti. Lorsque Gorbatchev démissionne de ses fonctions, le 25 décembre, l'URSS n'existe déjà plus.
Pour en savoir plus, voir l'article Histoire de la Russie.


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LÉNINE

 


VLADIMIR ILITCH OULIANOV, DIT LÉNINE


1. De l'enfance à la relégation en Sibérie (1870-1900)
1.1. Premiers écrits politiques
1.2. L'Union de lutte pour la libération de la classe ouvrière
1.3. Déporté en Sibérie (1897-1900)
2. L'instauration du bolchevisme (1900-1905)
2.1. L'exil et la création de l'Iskra
2.2. Scission entre bolcheviks et mencheviks
3. La clarification révolutionnaire (1905-1912)
3.1. Le principe du centralisme bureaucratique
3.2. Lénine à Paris (1908-1912)
4. La révolution en marche (1912-1917)
4.1. Rupture définive entre bolcheviks et mencheviks
4.2. « La guerre est le plus beau cadeau fait à la révolution » (Lénine, 1914)
L'appel à la paix
Le contexte russe
5. La prise du pouvoir (1917)
5.1. Les Thèses d'avril
Ralliement bolchevik au Gouvernement provisoire
Retour de Lénine en Russie
5.2. Derniers obstacles avant l'insurrection
5.3. L'insurrection
6. De Brest-Litovsk au communisme de guerre (1917-1921)
6.1. Le traité de Brest-Litovsk
6.2. L'Internationale communiste
6.3. La guerre civile et la terreur (1918-1920)
6.4. Le communisme de guerre
7. La NEP et le renforcement de l'appareil (1921)
7.1. L'insurrection de Kronchtadt
7.2. La nouvelle politique économique (NEP)
7.3. Tensions au sein et autour du parti
7.4. Face aux revendications nationales
8. Les dernières années (1922-1924)
8.1. Le testament de Lénine
Extrait du « testament de Lénine »
9. Lénine fondateur du bolchevisme
9.1. L'État
9.2. Le parti
9.3. Léninisme et marxisme
Voir plus
Vladimir Ilitch Oulianov, dit Lénine

Cet article fait partie du dossier consacré à la Première Guerre mondiale.
Révolutionnaire et homme d'État russe (Simbirsk 1870-Gorki, près de Moscou, 1924).
Portrait et citation de LéninePortrait et citation de Lénine
Nourri des écrits de Karl Marx, Lénine proclama la nécessité d'une révolution socialiste en Russie. Doué d'un exceptionnel sens tactique, il sortit victorieux de toutes les luttes d'influences et, en 1917, engagea son pays dans un mouvement qui devait changer la face du monde.
Origines et formation
Issu d'une famille prospère et progressiste, lisant, adolescent, les grands démocrates russes Herzen et Tchernychevski, Vladimir Ilitch s'engage dans le mouvement révolutionnaire aussitôt après la mort de son frère aîné Aleksandr, exécuté pour avoir comploté contre le tsar Alexandre III. Exclu de l'université de Kazan où il suivait des études de droit, il adhère, dès cette époque à la pensée de Marx.
L'exil
Au retour d'un séjour en Suisse, où il rencontre le socialiste Plekhanov, il fonde en 1895 l'Union de lutte pour la libération de la classe ouvrière. Aussitôt arrêté, il est relégué en Sibérie pour trois ans (1897-1900), où il rédige le Développement du capitalisme en Russie (1899). Parti rejoindre Plekhanov à Munich, il y crée le journal de propagande, Iskra (« Étincelle »). Dans Que Faire ? (paru en 1902), il expose sa conception d'un parti centralisé qui doit être l'avant-garde du prolétariat et ne comprendre qu'un petit nombre de révolutionnaires professionnels. Il pousse alors à la scission du parti ouvrier social-démocrate de Russie entre une fraction blolchevique (« majoritaire ») opposée à la fraction menchevique (« minoritaire »).
L'insurrection d'octobre
Rentré clandestinement à Petrograd en avril 1917, il rédige les Thèses d'avril qui résument les trois mots d'ordre : « À bas la guerre ! À bas le gouvernement provisoire ! Tout le pouvoir aux soviets ! », et déclenche l'insurrection d'octobre (→ révolution russe de 1917).
La fondation du régime soviétique
Obligé de lutter contre l'anarchie où se trouve plongée la Russie alors en proie à la guerre civile, Lénine organise le communisme de guerre et met en place un pouvoir coercitif en créant la Tcheka (la police politique) et les camps de travail (le goulag, 1919). Se consacrant à la construction du socialisme en Russie, Lénine établit une dictature reposant sur une idéologie d'État qui préconise la mobilisation des masses. En 1921, il instaure le système du parti unique, tout en admettant la nécessité, sur le plan économique d'un « repli stratégique » qui prend la forme de la NEP (Nouvelle économie politique).
Le testament de Lénine
Premier président de l'URSS (fondée en décembre 1922), Lénine, atteint d'hémiplégie, dicte une lettre (qui ne sera rendue publique qu'en 1956) dans laquelle il parle de l'avenir du parti communiste et met en garde ses camarades contre Staline, qu'il juge trop brutal.
1. De l'enfance à la relégation en Sibérie (1870-1900)

Le père de Lénine, Ilia Nikolaïevitch Oulianov (1831-1886), était inspecteur de l'enseignement primaire à Simbirsk, sur la Volga. Sa mère, Maria Aleksandrovna Blank, d'origine allemande, était fille d'un médecin de campagne, aux idées progressistes. Outre Vladimir, le ménage eut cinq enfants. Son père illustre les changements sociaux profonds intervenus dans l'Empire russe après l'abolition du servage en 1861 : sa carrière professionnelle lui a permis une réelle ascension sociale, consacrée par son anoblissement en 1876.
Dès quatorze ans, Vladimir aborde la lecture des ouvrages des grands démocrates russes, alors interdits : Aleksandr Herzen, Nikolaï Tchernychevski. En 1886, son père meurt. En 1887, son frère Aleksandr, son aîné de quatre ans, est arrêté pour avoir participé à un attentat contre Alexandre III : il est exécuté le 20 mai 1887.
Dès lors, Vladimir Oulianov est engagé dans le mouvement révolutionnaire : exclu de l'université de Kazan à la fin de 1887, il participe aux cercles clandestins de la même ville qui étudient le marxisme. Il commence à se heurter à la génération des populistes (narodniki en russe), qui sont nombreux à être exilés dans la région.
1.1. Premiers écrits politiques

En 1891, il passe les examens de la faculté de droit de Saint-Pétersbourg et obtient brillamment un diplôme d'avocat qui l’autorise à plaider à partir de juillet 1892. À Saint-Pétersbourg – ville déjà fortement industrialisée (usine Poutilov) – le populisme a cédé la place au marxisme, auquel Gueorgui Plekhanov contribue à donner un grand prestige. Vladimir Oulianov y participe à l'instruction des cercles ouvriers à partir de 1894. Ses premiers textes politiques (sur le paysannat, sur l'économie), écrits en 1893, ne seront publiés qu'après sa mort. Il publie en 1894 Ce que sont les « Amis du peuple » et comment ils luttent contre les sociaux-démocrates, dirigé contre les populistes. À l'image de ses mots d'ordre et de sa doctrine, et aussi des affrontements de l'époque, son style est volontiers polémique, d'une ironie parfois féroce : il cherche à la fois à disqualifier des concurrents, souvent présentés comme des ennemis, et à mobiliser des militants en sa faveur lors des luttes acharnées entre organisations révolutionnaires rivales.
Outre la critique du populisme, il commence à attaquer les « marxistes légaux », qui refusent les conséquences révolutionnaires du marxisme, et les économistes, qui ne visent que l'amélioration de la condition économique de la classe ouvrière. En 1895, il passe l'été en Suisse, où il établit le contact avec le groupe de Plekhanov. Il rencontre Karl Liebknecht à Berlin et Paul Lafargue à Paris.
1.2. L'Union de lutte pour la libération de la classe ouvrière

À la fin de 1895 est créée l'Union de lutte pour la libération de la classe ouvrière, qui rassemble les groupes locaux russes et le groupe Plekhanov. Vladimir Oulianov pousse à la création d'un nouveau type de militant, le révolutionnaire professionnel spécialisé. Mais, le 21 décembre 1895, les créateurs de l'Union sont arrêtés : Vladimir Oulianov est emprisonné. Par chance, il a droit à un régime libéral qui lui permet de correspondre avec l'extérieur, notamment avec sa collaboratrice, rencontrée en 1894, Nadejda Konstantinovna Kroupskaïa, alors étudiante. En février 1897, il apprend sa déportation pour trois ans en Sibérie.
1.3. Déporté en Sibérie (1897-1900)

Installé à Chouchenskoïe, dans le gouvernement d'Ienisseï, il est rejoint par sa mère et par Nadejda Kroupskaïa. Pour avoir le droit de vivre avec lui, cette dernière l'épouse le 22 juillet 1898. Vladimir Oulianov achève alors son ouvrage, commencé à la prison de Saint-Pétersbourg, sur le Développement du capitalisme en Russie, puis il rédige la brochure les Tâches des sociaux-démocrates russes. Dans le premier de ces ouvrages, il soutient qu'en additionnant les ouvriers de la grande industrie et les salariés agricoles, son pays compte 50 millions de prolétaires et semi-prolétaires. Cette image de la classe ouvrière présentant celle-ci comme la force dominante de la société russe (alors que les statistiques officielles recensent seulement 2 millions d'ouvriers pour 128 millions d'habitants, en 1897) est appelée à légitimer la voie révolutionnaire et à confirmer la thèse de l'auteur ; selon lui, l'économie russe a subi des transformations économiques majeures : la pénétration du capitalisme y est irréversible, comme le montre le triomphe des lois du marché dans l'agriculture.
Dès lors, il est absurde d'envisager – à la façon des courants slavophiles ou populistes – une spécificité russe qui justifierait le choix d'un développement particulier, différent de celui de l'Europe occidentale. Au contraire, pour Oulianov, la Russie ne peut se passer de l'étape du capitalisme industriel, malgré l'importance du secteur agricole. Ce qui freine dans ce pays le développement capitaliste et l'essor de la civilisation, c'est l'autocratie en tant que régime politique et rapport social profondément ancré dans toute la société. La bourgeoisie russe, quant à elle, est incapable de libéraliser le régime et – contrairement à ses homologues de France ou de Grande-Bretagne –, elle ne conduit pas le processus de modernisation. Le sol russe reste encombré d'institutions et de groupes sociaux moyenâgeux.
Déporté politique, Vladimir Oulianov organise par une caisse d'entraide la solidarité avec les déportés ouvriers de droit commun. Il renseigne les paysans pauvres sur leurs droits face aux paysans riches, les koulaks. Le 10 février 1900, il quitte la Sibérie, sa peine expirée.
2. L'instauration du bolchevisme (1900-1905)

2.1. L'exil et la création de l'Iskra

La mère de celui qui prend, en 1901 pour la première fois dans un article de la revue Zaria, le pseudonyme de Lénine (l'« homme de la Lena » du nom d'un fleuve de Sibérie) tente d'obtenir pour lui une résidence près d'un grand centre urbain. Mais la police signale aussitôt Oulianov comme le principal personnage révolutionnaire russe. Le 28 juillet 1900, Lénine quitte la Russie et se rend en Suisse auprès de Plekhanov. L'exil commence.
Plekhanov et le groupe d'émigrés occidentalisés qui l'entoure sont très éloignés de la réalité du mouvement révolutionnaire russe : marxistes classiques, ils n'imaginent pas de révolution possible dans ce pays arriéré. Lénine, au contraire, analyse déjà la tâche du prolétariat russe en fonction de la violence des contradictions accumulées par le régime tsariste. La Russie peut être le maillon le plus faible de la chaîne capitaliste.
Les deux hommes décident cependant de créer ensemble un journal légal pour coordonner et discipliner le mouvement. Plekhanov apporte son prestige et l'argent de la caisse social-démocrate. Il s'assure la majorité au comité de rédaction. Le titre du journal est Iskra (l'Etincelle). La rédaction s'installe à Leipzig, puis à Munich, et le premier numéro paraît en décembre 1900 avec un éditorial de Lénine sur les tâches du mouvement. En 1902, la rédaction, menacée par la police, déménage à Londres, où Trotski la rejoint. Lénine travaille au British Museum, discute avec les travaillistes et les ouvriers anglais.
Les divergences avec Plekhanov s'aggravent. Celui-ci, resté à Genève, crée une revue spéciale sur les questions philosophiques, l'Aube. Lénine refuse la distinction entre un journal ouvrier limité aux questions immédiates de la condition des travailleurs et un organe théorique d'intellectuels. Il veut faire connaître les questions de politique et d'organisation aux masses les plus larges. Il continue la critique des actes de terrorisme individuels ; il assure, grâce à l'immense travail de secrétariat accompli par sa femme Nadejda Kroupskaïa, la centralisation des informations en provenance de Russie.
Le réseau de distribution de l'Iskra est d'une infinie complexité (de Londres à Kiev ou à Odessa, ou même par le Grand Nord, jusqu'à Saint-Pétersbourg).
2.2. Scission entre bolcheviks et mencheviks

Après le Ier Congrès symbolique du parti ouvrier social-démocrate de Russie (POSDR) à Minsk (1898) auquel Lénine, déporté à l’époque en Sibérie, n’a pu assister, l'essentiel du travail de Lénine vise à la préparation du IIe Congrès, qui se tient en juillet-août 1903, d'abord à Bruxelles, puis à Londres.
Une cinquantaine de délégués adoptent le programme rédigé par Plekhanov et Lénine, où figure pour la première fois dans l'histoire d'un parti social-démocrate le mot d'ordre de dictature du prolétariat. Mais la bataille essentielle du Congrès se déroule sur la question des statuts : Lénine propose que ne soit membre du parti que celui qui « participe personnellement à l'une de ses organisations ».
L'autre tendance, dirigée par Iouli Ossipovitch Zederbaum dit L. Martov propose une formule plus souple, plus proche de la tradition des divers cercles du mouvement russe. La tradition de l'intelligentsia s'oppose à la nouvelle conception d'un parti avant-garde disciplinée de révolutionnaires professionnels qui jouent un rôle dirigeant. Pour Lénine, la lutte des classes est moins l'effet de transformations sociales spontanées que le résultat de l'action délibérée du parti : c'est celui-ci qui guide le prolétariat en lui donnant la force que les ouvriers, dispersés, ne possèdent pas, et qui leur communique la vérité.
Le départ du Congrès des délégués du Bund (parti socialiste d'ouvriers juifs) et des économistes donne la majorité à Lénine : sa fraction, qui prend alors le nom de bolchevik (majoritaire), désigne un comité de rédaction et un comité central, où elle détient le pouvoir contre l'autre fraction, dite menchevik (minoritaire). C'est le début de la grande querelle.
Dès après le Congrès, Plekhanov, conciliateur, obtient un changement de majorité au comité de rédaction, d'où Lénine est bientôt exclu. Ce dernier reprend alors les liens avec les groupes bolcheviks de Russie et lance en janvier 1905 son propre organe, V period (En avant).
3. La clarification révolutionnaire (1905-1912)

3.1. Le principe du centralisme bureaucratique

Le 22 janvier 1905, le tsar fait mitrailler une manifestation d'ouvriers ; c'est le Dimanche rouge. Lénine pressent la crise révolutionnaire et obtient la convocation d'un congrès du parti, qui se réunit à Londres en avril 1905. En fait, seuls les bolcheviks y participent. La coupure entre les groupes de l'intérieur, en majorité bolcheviks, et l'émigration (en majorité menchevik) semble totale.
Certes, la conception centraliste de Lénine est fortement attaquée au sein de la IIe Internationale par le groupe révolutionnaire de Rosa Luxemburg, qui en dénonce les dangers bureaucratiques. Mais l'organisation bolchevik compte 8 000 militants en Russie, implantés dans la plupart des centres industriels.
En juin 1905 éclate la révolte du Potemkine, en octobre la grève générale. Le tsar est contraint de publier un manifeste octroyant au pays les libertés fondamentales et un Parlement. Mais les masses ouvrières se sont organisées dans une nouvelle forme de pouvoir, les soviets des délégués ouvriers. Les bolcheviks, attachés à la clandestinité, n'y joueront au début qu'un rôle secondaire. À l'inverse, Trotski, qui s'oppose aux thèses de Lénine, sera président du soviet de Saint-Pétersbourg.
Poussé par le mouvement, l'appareil bolchevik se modifie ; les responsables sont élus et de nombreuses fusions avec les comités mencheviks se produisent. En décembre 1905, à Tampere, en Finlande, une conférence bolchevik se réunit. À la même époque, la révolte du soviet de Moscou est noyée dans le sang. La conférence décide, contre l'avis de Lénine, de boycotter les élections à la douma (l'assemblée législative) ; quelques jours plus tard, Lénine et Martov se mettent d'accord pour la réunification des deux tendances du parti, qui se produit au congrès de Stockholm en avril 1906. Les mencheviks sont majoritaires au congrès, mais les bolcheviks, organisés en tendances, inspirent le journal Le Prolétaire. Au congrès de Londres (mai 1907), les bolcheviks reprennent la majorité et introduisent le principe du centralisme démocratique.
3.2. Lénine à Paris (1908-1912)

Lénine, après un séjour à Saint-Pétersbourg en novembre 1905, avait regagné l'étranger. C'est à Genève, en février 1908, qu'il entreprend la rédaction de Matérialisme et Empiriocriticisme (paru en 1909). À partir de décembre 1908, il vit à Paris, où il traverse une période très difficile, tant financièrement que politiquement. C'est à Paris que se tient la cinquième conférence du parti ouvrier social-démocrate de Russie, où Lénine continue à s'opposer au boycottage des élections, qui se traduit maintenant par l'otzovizm, c'est-à-dire le rappel par le parti de ses députés siégeant au Parlement.
En fait, le POSDR semble au bord de la décomposition : les mencheviks développent le courant « liquidateur », qui se fixe désormais comme principal objectif l'installation de la démocratie bourgeoise en Russie. Plekhanov a rompu à la fin de 1908 avec les liquidateurs et s'allie avec Lénine : en 1910, une séance plénière du Comité central réalise une nouvelle fois une unification réclamée par Trotski, mais à laquelle Lénine ne croit guère. Dès le 11 avril, ce dernier écrit à Gorki : « Nous avons un bébé couvert d'abcès. » En août, à Copenhague, bolcheviks et mencheviks de la tendance Plekhanov s'unissent pour publier la Rabotchaïa Gazeta (Gazette ouvrière), illégale, et Zvezda (l'Étoile), légale.
Entre 1908 et 1912, la colonie social-démocrate émigrée se regroupe autour du parc de Montsouris à Paris. Lénine s'installe finalement au 4, rue Marie-Rose avec sa mère et sa femme. Il vit toujours très modestement, entre les promenades à bicyclette et les passages à l'imprimerie du journal. Il descend parfois à Montparnasse, mais il méprise la « pourriture de la révolution », l'esprit « montparno ». Il travaille beaucoup à la Bibliothèque nationale. Pour combattre l'idéologie mystique développée par Gorki dans sa retraite de Capri, il ouvre à Longjumeau, au printemps 1911, une école du parti.
4. La révolution en marche (1912-1917)

4.1. Rupture définive entre bolcheviks et mencheviks

En janvier 1912, une conférence du POSDR se réunit à Prague : le réveil du mouvement ouvrier en Russie annonce un renouveau. La conférence exclut les mencheviks « liquidateurs », place le parti sous la direction exclusive des bolcheviks, qui décident alors la publication d'un organe quotidien légal, Pravda (la Vérité), qui changera plusieurs fois de titre du fait des interdictions. Les mencheviks sont désormais dépassés ; les tentatives unitaires de Trotski seront vaines.
En 1912, le 1er mai, 400 000 ouvriers arrêtent le travail en Russie. En juin, Lénine se rend à Cracovie (Pologne), pour animer de plus près le travail en Russie. Aux élections à la quatrième douma (automne 1912), les députés bolcheviks ont plus d'un million de voix ouvrières (contre 200 000 aux mencheviks). En dépit des efforts de l'Internationale socialiste, la scission entre bolcheviks et mencheviks est totale.
La santé de Nadejda Kroupskaïa exige le déménagement du couple dans le village de Poronin, au pied des Hautes Tatras. Lénine y prépare un congrès du parti qui doit se tenir en été 1914, mais que la guerre rend impossible. Quand celle-ci éclate, il obtient un passeport pour la Suisse, d'où il assistera à l'effondrement de l'Internationale socialiste face à la guerre.
Au moment où éclate la guerre, les conceptions politiques des bolcheviks s'opposent à tout ce que le marxisme officiel enseigne en Russie comme dans l'Internationale : les bolcheviks refusent de considérer l'étape de la démocratie bourgeoise comme le but essentiel de la lutte à mener dans un pays arriéré. L'échec de 1905 a amené les mencheviks à rejoindre de fait le camp de la bourgeoisie libérale. Il a conduit Lénine à élaborer la théorie de la nécessité de l'alliance entre le prolétariat et la paysannerie pour établir une dictature révolutionnaire qui permettrait à son tour de soulever l'Europe industrialisée. En revanche, la question des soviets reste controversée parmi les bolcheviks. Le caractère spontané de ces assemblées leur paraît remettre en question la prééminence du parti.
4.2. « La guerre est le plus beau cadeau fait à la révolution » (Lénine, 1914)

Mais c'est sur la question de la guerre que le clivage entre Lénine et la social-démocratie traditionnelle va se cristalliser. Les grands partis de la IIe Internationale se solidarisent avec leurs gouvernements respectifs. Lénine, qui fait reparaître en Suisse, dès octobre 1914, l'organe central bolchevik le Social-Démocrate, écrit un manifeste dans lequel il souhaite la défaite de la monarchie tsariste : « La défaite de l'armée gouvernementale affaiblit ledit gouvernement, contribue à l'affranchissement des peuples opprimés par lui et facilite la guerre civile contre les classes dirigeantes. C'est particulièrement vrai en ce qui concerne la Russie ». Il voit donc dans la guerre la chance de la révolution.
L'appel à la paix
Pour transformer la défaite éventuelle du tsarisme en révolution, pour lutter contre le « social-chauvinisme », Lénine réunit la conférence de Zimmerwald en septembre 1915. Il groupe autour de lui Karl Radek et des délégués allemands et scandinaves. Mais son propre texte, jugé trop tranché, est remplacé par celui de Radek pour représenter la position de la « gauche zimmerwaldienne », minoritaire face à la majorité plus modérée groupée autour de l'Allemand Ledebour, et au centre, avec Trotski. Les débats sont extrêmement houleux, et Lénine n'atteint pas son but de faire condamner la IIe Internationale. En revanche, il signe le manifeste qui marque, selon lui, « un pas en avant dans la véritable lutte contre l'opportunisme » en appelant les ouvriers du monde à lutter pour une paix sans annexions ni indemnités de guerre.
En avril 1916, la conférence de Kienthal déclare qu'« il est impossible d'établir une paix solide dans une société capitaliste ». C'est l'esquisse de la IIIe Internationale. L'analyse théorique de l'impérialisme (l'Impérialisme, stade suprême du capitalisme, écrit au printemps 1916, publié en 1917) s'accompagne de l'affirmation que le développement inégal du capitalisme peut permettre la victoire du socialisme d'abord en Russie, alors même que les grands États capitalistes occidentaux resteraient sous la domination bourgeoise.
Le contexte russe
En Russie, l'organisation bolchevik a été décapitée par l'arrestation des députés et du bureau russe du Comité central à la fin de 1914. Mais, en 1916, le tsarisme est discrédité. Le rôle de Raspoutine auprès du tsar, le désastre militaire, la crise économique de l'hiver 1916-1917 sonnent le glas du régime.
Lénine analyse les conditions d'une possible révolution : outre « la répugnance des couches inférieures à voir encore baisser leur niveau de vie », il faut, pour provoquer une révolution, « que les couches supérieures se trouvent dans l'impossibilité de continuer à gérer de la même façon le pays et son économie ». C'est le cas en Russie. Mais, « si l'oppression des couches inférieures et la crise des couches supérieures pourrissent le pays, elles ne sauraient susciter une révolution en l'absence d'une classe révolutionnaire capable de transformer la condition passive des opprimés en indignation et en révolte active ». C'est là qu'est le rôle des bolcheviks.
5. La prise du pouvoir (1917)

5.1. Les Thèses d'avril

En mars 1917, Petrograd (nouveau nom de Saint-Pétersbourg depuis 1914) se révolte. Comme en 1905, un soviet se forme, composé d'ouvriers, de soldats et de paysans. Mais il est dominé par les mencheviks et les sociaux-révolutionnaires, qui font confiance à un Gouvernement provisoire constitué par les bourgeois libéraux sous la direction du prince Lvov, qui s'est adjoint le socialiste Aleksandr Kerenski. Le gouvernement libère les détenus politiques, promulgue une amnistie et la liberté des nationalités et des syndicats. Mais il maintient les alliances du tsarisme à l'étranger et continue la guerre.
Ralliement bolchevik au Gouvernement provisoire
Les bolcheviks hésitent face aux événements. Certes, alors que les mencheviks, encore majoritaires au Ier Congrès panrusse des soviets, soutiennent le pouvoir bourgeois, la Pravda, bolchevik, réclame dès le début de mars la fin de la guerre, mais se contente de demander la mise en place d'une république démocratique. La libération des dirigeants bolcheviks arrêtés entraîne le ralliement de la majorité bolchevik à un soutien critique au Gouvernement provisoire, représentant la nécessaire étape bourgeoise.
Lénine, qui, dans ses Lettres de loin, a recommandé la constitution d'une milice ouvrière et la transformation de la guerre impérialiste en guerre civile, est alors minoritaire. Il lui faut revenir en Russie. Il obtient, à la suite de négociations entre Platten, un socialiste suisse, et l'ambassade d'Allemagne de traverser ce pays dans un wagon « exterritorialisé » ; l'Allemagne croit ainsi favoriser la désorganisation de la défense russe.
Retour de Lénine en Russie
Lénine à PetrogradLénine à Petrograd
Le 16 avril, Lénine arrive à la gare de Petrograd. Dès son premier discours, il salue « la révolution russe victorieuse, avant-garde de la révolution prolétarienne mondiale ». Il développe les « Thèses d'avril » : le Gouvernement provisoire est un gouvernement impérialiste et bourgeois, et il est impossible de terminer la guerre sans renverser le capital. Il faut que les soviets soient le lieu d'où sortira le nouveau pouvoir, qui appliquera les mesures bolcheviks : nationalisation de la terre, fusion des banques en une grande banque nationale, contrôle des soviets sur la production et la distribution. Enfin, Lénine propose l'abandon du terme social-démocrate et l'adoption de celui de communiste.
Beaucoup de bolcheviks, dont Zinoviev et Kamenev, s'opposent aux Thèses d'avril, qui paraissent dans la Pravda sous la seule responsabilité personnelle de Lénine. Ce dernier multiplie les meetings, les réunions avec les ouvriers et les soldats. Avec un programme simple, « le pain, la terre et la paix », il envisage la poursuite du mouvement révolutionnaire. Il obtient enfin l'adoption de ses thèses par la majorité des bolcheviks au cours de la conférence d'avril du POSDR. La plupart des petits groupes indépendants se rallient à leur tour au bolchevisme.
5.2. Derniers obstacles avant l'insurrection

Kerenski échoue dans la tentative d'offensive militaire du 1er juillet. Le 17 juillet, le peuple et la garnison de Petrograd se soulèvent, mais Lénine juge le mouvement prématuré. En effet, le gouvernement écrase le mouvement et arrête les leaders bolcheviks ; Lénine passe à la clandestinité, d'un appartement à un autre, puis s'enfuit en Finlande en août 1917. Cependant, l'unification a été réalisée entre les groupes ralliés au bolchevisme, et Trotski est entré au parti en juillet. Le Comité central élu, le 19 août, au VIe Congrès, comprend Lénine, Trotski, Zinoviev, Kamenev, Boukharine.

Lénine et StalineLénine et Staline
La tentative de coup d'État du général Kornilov contre le gouvernement Kerenski échoue grâce à la grève des cheminots, à la mobilisation de Petrograd et à la débandade des troupes. Par ses lettres des 25 et 27 septembre, Lénine met à l'ordre du jour la question de la prise du pouvoir par les bolcheviks. Là encore, la plupart des dirigeants bolcheviks s'opposent à lui. Ils veulent participer au « Préparlement », proposé par Kerenski en attendant la réunion de la Constituante. Trotski et Staline proposent le boycotter le « Préparlement », avec le soutien de Lénine. Ils sont minoritaires, et Lénine met en balance sa démission pour obtenir le boycottage et la décision d'insurrection.
5.3. L'insurrection

Lénine, afficheLénine, affiche
En dépit de l'opposition de Zinoviev et de Kamenev, les préparatifs militaires des bolcheviks commencent en octobre. C'est au milieu des discussions entre les fractions du Comité central, Trotski et Lénine d'un côté, Zinoviev et Kamenev de l'autre, que va se produire l'insurrection : non pas par une décision disciplinée et centralisée acquise de longue date, mais par l'initiative du comité militaire révolutionnaire.
Lénine, de retour à Petrograd, participe à la séance secrète du Comité central du 23 octobre ; le jour de l'insurrection y est fixé au 7 novembre (ou 25 octobre du calendrier russe), ce qui coïncide avec le IIe Congrès panrusse des soviets.
Lénine arrive à Smolnyï, quartier général des bolcheviks, dans la nuit du 6 au 7 novembre. Il rédige l'Appel aux citoyens de Russie, publié le 7 novembre par le soviet de Petrograd. Le 8 novembre, vers 2 heures du matin, le palais d'Hiver (siège du gouvernement) capitule. Le soir, Lénine déclare à la tribune du IIe Congrès panrusse des soviets, où les bolcheviks sont désormais majoritaires : « Maintenant nous abordons l'édification de l'ordre socialiste. »
Il vient de rédiger les décrets sur la terre (« la possession de la terre par les propriétaires fonciers est abolie immédiatement et sans contrepartie […] le droit de propriété privée sur la terre est supprimé à jamais ») ; il annonce la paix.
Pour en savoir plus, voir l'article révolution russe de 1917.
6. De Brest-Litovsk au communisme de guerre (1917-1921)

6.1. Le traité de Brest-Litovsk

Les bolcheviks ont pris le pouvoir dans l'isolement : dirigeants mencheviks et socialistes révolutionnaires ne les soutiennent pas et rallient l'opposition bourgeoise. L'économie est sérieusement atteinte, et la guerre avec l'Allemagne n'est pas encore terminée.
Les soviets sont l'organe du pouvoir. Le comité exécutif du Congrès des soviets choisit le Conseil des commissaires du peuple, dont Lénine est le président. En mars 1918, le parti ouvrier social-démocrate de Russie deviendra parti communiste (bolchevik), et, en juillet 1918, le Ve Congrès des soviets ratifiera la première Constitution soviétique.
Les négociations d'armistice avec l'Allemagne avaient commencé à Brest-Litovsk en décembre 1917. L'armistice est signé le 15 décembre ; il accorde, outre le maintien du statu quo territorial, le droit aux relations entre soldats russes et soldats allemands. La propagande bolchevik peut se développer.
Mais l'Allemagne reprend l'offensive en février 1918. En dépit de l'opposition de Boukharine et d'une partie du Comité central, Lénine exige la paix, alors que les conditions allemandes sont extrêmement dures : la Russie perd le quart de son territoire. Le traité de Brest-Litovsk est signé le 3 mars 1918. La discussion sur la paix a durement ébranlé le parti.
6.2. L'Internationale communiste

Pour exporter la révolution dans le monde, Lénine fonde, en 1919, l'Internationale communiste ou IIIe Internationale (en russe Komintern). Mais l'échec des mouvements révolutionnaires en Europe l'amène à se consacrer à la construction du socialisme en Russie.
6.3. La guerre civile et la terreur (1918-1920)

Lénine à Moscou, 1919Lénine à Moscou, 1919
Au cours de l'été 1918, la guerre civile s'étend, et les anciens alliés du tsar interviennent. Une armée tchèque sous commandement français envahit la Sibérie ; Anglais et Français attaquent par la mer Blanche et la mer Noire. La tuerie et le chaos dureront jusqu'en 1920 (→ défaite d'Aleksandr Koltchak).
La guerre civile a entraîné la « terreur rouge ». C'est la Tcheka, créée en décembre 1917 et dirigée par Feliks Djerzinski, qui exerce la fonction répressive. Pour Lénine : « Il est indispensable de prendre des mesures urgentes pour combattre les contre-révolutionnaires et les saboteurs. » Après l'attentat du 30 août 1918 (au cours duquel il est blessé au cou d'une balle de revolver), Lénine affirme : « Ceux qui espèrent une révolution sociale » propre « l'espèrent en vain ».
6.4. Le communisme de guerre

LénineLénine
Le VIIIe Congrès du parti, réuni en mars 1919, réorganise son fonctionnement, avec un Bureau politique et un Comité central, et la création d'un bureau d'organisation. La politique du « communisme de guerre » entraîne la mobilisation et le contrôle de toutes les ressources du pays : le commerce privé disparaît. Trotski propose la militarisation du travail (décembre 1919) ; il obtient d'abord le soutien de Lénine, mais les formes de plus en plus autoritaires que prend cette militarisation entraînent son abandon en novembre 1920.
En mars 1921, la question syndicale est au centre du Xe Congrès du parti. Lénine refuse l'égalitarisme et le contrôle ouvrier à la base, proposé par l'opposition ouvrière d'Aleksandra Kollontaï. Il maintient le contrôle du parti sur les organisations ouvrières, mais assure leur indépendance face à un État qu'il définit alors comme un « État ouvrier et paysan à déformation bureaucratique ».
La répression intérieure contre les socialistes révolutionnaires et les anarchistes, l'échec de la révolution européenne (défaite des communistes allemands) entraînent l'isolement et le durcissement du pouvoir bolchevik : Lénine est à la tête d'un État dont les conditions de survie sont précaires.
7. La NEP et le renforcement de l'appareil (1921)

7.1. L'insurrection de Kronchtadt

Avec la guerre civile, l'économie russe s'est effondrée. En 1921, la crise touche à son point maximal avec l'insurrection de Kronchtadt, où est alors basée la flotte russe.
La propagande bolchevik proclame que les gardes blancs (adversaires de la révolution) sont les vrais responsables de l'insurrection qui éclate au début de mars dans la flotte et dans la ville. Lénine assure : « Ce ne sont pas des gardes blancs, mais ils ne veulent pas non plus de notre régime. » Il craint que les marins ne servent, en fait, de couverture aux forces contre-révolutionnaires.
Kronchtadt est reprise par la force entre le 7 et le 18 mars. Quand Lénine affirmera que la répression est allée trop loin, il est trop tard : la coupure entre la tradition anarchisante et le jeune pouvoir soviétique est définitive.
7.2. La nouvelle politique économique (NEP)

Au nom du marxisme-léninisme, Lénine établit une dictature reposant sur une idéologie d'État qui préconise la mobilisation permanente des masses. En 1921, il instaure le système du parti unique, tout en admettant la nécessité, sur le plan économique, d'un « repli stratégique » qui prend la forme de la NEP (→ Nouvelle politique économique).
La NEP adoptée par le Xe Congrès en 1921 vise à mettre fin aux tensions qu'a révélées l'insurrection de Kronchtadt : c'est la fin des mesures de réquisition, le rétablissement de la liberté du commerce, le retour à l'économie monétarisée, la tolérance d'une industrie privée de petite taille. Lénine explique le compromis réalisé alors par la nécessité d'obtenir l'appui de la majorité paysanne de la population.
7.3. Tensions au sein et autour du parti

Le Xe Congrès est aussi marqué par la montée de l'appareil du parti : Lénine attaque avec violence l'« opposition ouvrière » d'Aleksandra Kollontaï en déclarant que toute déviation anarchisante dans un pays à majorité paysanne et à faible classe ouvrière est trop dangereuse pour pouvoir être tolérée au sein du parti. L'une des motions finales du Congrès qu'il présente déclare l'appartenance à l'« opposition ouvrière » incompatible avec l'appartenance au parti. L'autre motion finale dénonce les « indices du fractionnisme ».
On peut penser que l'attitude de Lénine est justifiée par des circonstances graves ; il réaffirme d'ailleurs au même moment la nécessité d'action fractionnelle la plus vigoureuse « en cas de nécessité absolue », et il combat vigoureusement la proposition qui vise à interdire l'élection au Comité central sur des plates-formes différentes. Les lendemains du Congrès voient le nouveau secrétariat accroître son pouvoir. Le Bureau politique détient désormais la puissance qui revient en droit au Comité central. Une purge du parti est organisée.
Certes, Lénine est conscient de la bureaucratisation qui menace le parti. Mais il croit à la possibilité de redresser la tendance par des commissions de contrôle et, plus encore, par l'inspection ouvrière et paysanne en laquelle il met le plus grand espoir. Mais, de fait, cette inspection est une émanation de l'appareil du parti et est placée sous la direction de Joseph Staline. À la suite du XIe Congrès du parti, Staline devient secrétaire général en avril 1922.
7.4. Face aux revendications nationales

Par ailleurs, Lénine voit dans les revendications nationales un facteur de dissolution de l'Empire russe. Il existe, en effet, dans l'Empire russe des partis révolutionnaires par nationalité (polonais, letton), mais Lénine souhaite, au nom de la « volonté unique », une organisation centralisée et non pas fédérative du parti : il s'oppose spécialement au Bund, qui regroupe les ouvriers juifs.
Cependant, lors de la guerre de 1914, il a proclamé qu'il faut rendre aux peuples le droit à disposer d'eux-mêmes. Ainsi Lénine s’est distingué à la fois de ceux qui, comme Rosa Luxemburg, considèrent que les revendications nationales sont toujours bourgeoises et de ceux, comme les austromarxistes d'Otto Bauer, qui préconisent l'« autonomie culturelle » des nations et considèrent que le sentiment national n'est pas incompatible avec l'internationalisme.
Une fois au pouvoir, et alors que Staline a été nommé commissaire du peuple aux Nationalités, les bolcheviks s’engagent néanmoins dans une politique brutalement centralisatrice (invasion de la Géorgie en 1921).
8. Les dernières années (1922-1924)

Depuis août 1918, Lénine est malade. À la fin de 1921 apparaissent les symptômes de l'artériosclérose ; Lénine se retire aux environs de Moscou ; à partir de 1922, il ne pourra plus travailler que par à-coups. Le 26 mai 1922, il est frappé d'une attaque. D'octobre à décembre, il reprendra ses activités, mais il sera de nouveau immobilisé à partir du 16 décembre.
Il avait déjà affirmé devant le VIIIe Congrès : « L'inculture de la Russie avilit le pouvoir des soviets et recrée la bureaucratie. » En 1920, 1921 et 1922, il répète souvent que l'appareil d'État soviétique a hérité de l'appareil tsariste. Il écrit à propos du poème de Maïakovski Ceux qui n'en finissent pas de siéger : « Notre pire ennemi, notre ennemi intérieur : le communiste bureaucrate. »
Mais Lénine reste attaché à l'idée que le parti est le légitime représentant de la dictature du prolétariat. Il en est dès lors réduit à imaginer des remèdes internes à la bureaucratie qui restent inefficaces.
8.1. Le testament de Lénine

C'est au moment où la maladie le rend à moitié paralysé qu'il prend conscience du danger principal : il dicte à la fin du mois de décembre une lettre qui est considérée comme son testament. Elle prévoit le conflit entre Staline et Trotski. Dans les jours qui suivent, Lénine apprend par quelles méthodes de répression Staline et le bureau d'organisation ont brisé le parti communiste géorgien. Il traite alors Staline de « brutal argousin grand-russe ». Puis, le 4 janvier, il écrit un post-scriptum à sa lettre du Congrès où il demande au comité de « réfléchir aux moyens de remplacer Staline à son poste ». En public, il attaque par deux articles, à la fin de janvier et au début de février, l'appareil d'État et le parti.
À la suite d'un incident entre Staline et Nadejda Kroupskaïa, Lénine est amené à envoyer une lettre de rupture à Staline le 6 mars. Mais, le 9 mars, sa troisième attaque le prive définitivement de la parole. Malgré une courte rémission en été 1923, Lénine meurt le 21 janvier 1924 après avoir fêté Noël avec les enfants du village dans le manoir de Gorki.
En dépit des protestations de N. Kroupskaïa, le culte de Lénine commence : Petrograd est débaptisé et devient Leningrad. Zinoviev déclare : « Lénine est mort, mais le léninisme est vivant », inventant ainsi un concept que Lénine avait toujours refusé. Le célèbre testament, lu au cours du XIIIe Congrès du parti (23-31 mai 1924), n'est pas rendu public : ce texte restera secret jusqu'à sa révélation par Khrouchtchev au XXe Congrès (1956).
Extrait du « testament de Lénine »
« Staline est trop brutal, et ce défaut, parfaitement tolérable dans notre milieu et dans les relations entre nous, communistes, ne l'est plus dans les fonctions de secrétaire général. Je propose donc aux camarades d'étudier un moyen pour démettre Staline de ce poste et pour nommer à sa place une autre personne qui n'aurait en toutes choses sur le camarade Staline qu'un seul avantage, celui d'être plus tolérant, plus loyal, plus poli et plus attentif envers les camarades, d'humeur moins capricieuse, etc. Ces traits peuvent sembler n'être qu'un infime détail. Mais, à mon sens, pour nous préserver de la scission, et tenant compte de ce que j'ai écrit plus haut sur les rapports de Staline et de Trotski, ce n'est pas un détail, ou bien c'en est un qui peut prendre une importance décisive. » (4 janvier 1923.)
9. Lénine fondateur du bolchevisme

9.1. L'État

En 1899, Lénine a publié sa première grande œuvre, le Développement du capitalisme en Russie qui doit servir à la critique des théories populistes. En 1917, il rédige son ouvrage essentiel sur la question de l'État, l'État et la Révolution (paru en 1918). Il y réaffirme l'analyse marxiste, montrant que l'État n'est pas au-dessus des classes, mais une machine au service d'une classe contre une autre.
Il y aborde la question de la destruction de l'État capitaliste et du type d'État qu'édifie le prolétariat pour lutter contre la contre-révolution bourgeoise : « En d'autres termes, nous avons en régime capitaliste l'État au sens propre du mot, une machine spéciale de répression d'une classe par une autre, et, qui plus est, de la majorité par la minorité […]. Il ne saurait être question de supprimer d'emblée, partout et complètement la bureaucratie. C'est une utopie. Mais briser tout de suite la vieille machine administrative, pour commencer sans délai à en construire une nouvelle, qui permettrait de supprimer graduellement toute bureaucratie, […] c'est la tâche directe, immédiate, du prolétariat révolutionnaire […]. Nos premières mesures […] conduisent d'elles-mêmes au » dépérissement « graduel de toute bureaucratie, à l'établissement graduel d'un ordre (ordre sans guillemets et qui ne ressemble point à l'esclavage salarié), d'un ordre où les fonctions de plus en plus simplifiées de surveillance et de comptabilité seront remplies par tous à tour de rôle, pour devenir ensuite une habitude et disparaître enfin en tant que fonctions spéciales d'une catégorie spéciale de personnes. »
9.2. Le parti

L'essentiel de l'œuvre de Lénine porte sur l'édification de l'instrument révolutionnaire qu'est le parti bolchevik. En 1902, Que faire ? – qui reprend le titre du roman de Tchernychevski expose sa conception d'un parti centralisé avant-garde du prolétariat. Dans cet ouvrage, il critique les économistes qui abandonnent le terrain politique à la seule bourgeoisie : « La conscience politique de classe ne peut être apportée à l'ouvrier que de l'extérieur, c'est-à-dire de l'extérieur de la lutte économique, de l'extérieur de la sphère des rapports entre ouvriers et patrons […]. C'est pourquoi à la question : que faire pour apporter aux ouvriers les connaissances politiques ? on ne saurait donner simplement la réponse dont se contentent les praticiens, sans parler de ceux qui penchent vers l'économisme, à savoir : » aller aux ouvriers « […]. En Russie, la doctrine théorique de la social-démocratie surgit d'une façon tout à fait indépendante de la croissance spontanée du mouvement ouvrier ; elle y fut le résultat naturel, inéluctable du développement de la pensée chez les intellectuels révolutionnaires socialistes. »
Dans Un pas en avant, deux pas en arrière (1904), Lénine analyse la scission entre bolcheviks et mencheviks, et s'explique sur sa conception rigide du parti : « Voilà où le prolétaire qui a été à l'école de l'usine peut et doit donner une leçon à l'individualisme anarchique […]. L'ouvrier conscient sait apprécier ce plus riche bagage de connaissances, ce plus vaste horizon politique qu'il trouve chez les intellectuels. Mais, à mesure que se forme chez lui un véritable parti, l'ouvrier conscient doit apprendre à distinguer entre la psychologie du combattant de l'armée prolétarienne et celle de l'intellectuel bourgeois, qui fait parade de la phrase anarchiste ; il doit apprendre à exiger l'exécution des obligations incombant aux membres du parti – non seulement des simples adhérents, mais aussi des gens d'en haut. »
Enfin, en 1920, Lénine publie le Gauchisme : maladie infantile du communisme. Il y attaque le refus du compromis politique, qu'il estime parfois nécessaire et défend la nécessité de la discipline du parti : « Rejeter les compromis en principe, nier la légitimité des compromis en général, quels qu'ils soient, c'est un enfantillage qu'il est même difficile de prendre au sérieux […]. Nier la nécessité du parti et de la discipline du parti, voilà où en est arrivée l'opposition. Or cela équivaut à désarmer entièrement le prolétariat au profit de la bourgeoisie. Cela équivaut précisément à faire siens ces défauts de la petite-bourgeoisie que sont la dispersion, l'instabilité, l'inaptitude à la fermeté, à l'union, à l'action conjuguée, défauts qui causeront inévitablement la perte de tout mouvement révolutionnaire du prolétariat, pour peu qu'on les encourage […]. Celui qui affaiblit tant soit peu la discipline de fer dans le parti du prolétariat (surtout pendant sa dictature) aide en réalité la bourgeoisie contre le prolétariat. »
9.3. Léninisme et marxisme

Marx, Engels, Lénine et StalineMarx, Engels, Lénine et Staline
Le léninisme se présente comme une étape du marxisme, dont il produit les principes de la pratique politique repris comme base par les partis communistes et les États socialistes héritiers de la IIIe Internationale. De l'héritage de Lénine, on retiendra d'abord la nécessité que la lutte soit conduite par un parti dirigeant.
Ce postulat est-il marxiste et, si même Marx ne l'a pas formulé, est-il présent « en creux » dans son œuvre ? C'est un fait que Marx n'a pas laissé une « politique » entendue comme principes d'organisation, d'intervention et d'analyse de la conjoncture historique. Et cela tient à un refus de la politique entendue comme stratégie d'un état-major dirigeant ses troupes.
La révolution, selon Marx, est l'émancipation du prolétariat par lui-même, abolissant les rapports politiques de dirigeants à dirigés. Lénine a pu fonder une politique en réintroduisant le rapport entre avant-garde dirigeante et masses dirigées. Les analyses de Lénine prennent leur départ dans son projet politique.
Elles ont pour objet de répondre à des questions que Marx ne se posait pas en ces termes : quel est le point le plus faible de la chaîne impérialiste mondiale ? Comment utiliser les divergences de l'adversaire pour nouer des alliances ? Où, quand et comment intervenir pour pousser le mouvement des masses jusqu'à la prise du pouvoir ?
L'objectif essentiel des analyses marxistes était de donner aux masses en lutte la connaissance scientifique dont elles ont besoin, sans idée de direction. Lénine raisonne en stratège et en tacticien de la révolution, et Marx en tant que partie prenante dans l'émancipation du prolétariat par lui-même. Le léninisme ne fait pas état de cette différence de point de vue, mais il donne amplement ses raisons de confier la lutte à un parti dirigeant. Marx avait déjà montré que la classe ouvrière combat d'abord pour des revendications accessibles dans le cadre du système, qu'elle est, de ce fait, toujours menacée par le réformisme, qu'elle est soumise à l'idéologie de la classe dominante. Lénine tire de ces considérations la nécessité d'un parti d'avant-garde, représentant et guide d'un prolétariat qui ne peut pas, dans sa masse, accéder à l'organisation et à la conscience révolutionnaires ; Marx estime que les circonstances et sa propre lutte contraindront le « prolétariat à s'organiser en classe et en parti politique », à acquérir la conscience de soi. Avec la IIIe Internationale et ses divers héritiers, le parti de la classe ouvrière est le représentant de ses intérêts ; il la dirige et parle en son nom.
Du point du vue de Marx, la révolution n'a de sens que si elle est voulue et faite consciemment par la masse du prolétariat « organisé en parti ». Du point de vue de Lénine, le parti d'avant-garde peut utiliser toutes les occasions, forcer les étapes de l'histoire et la faire accoucher avant terme d'une révolution.
Cette conception l'a emporté contre les critiques de gauche parce qu'elle ouvrait le chemin le plus court vers la prise du pouvoir, et aussi parce qu'elle correspondait au besoin des masses de remettre leur pouvoir entre les mains d'une autorité. Au regard de ce réalisme-là, le projet marxiste d'une révolution où le prolétariat prend et exerce lui-même la totalité du pouvoir (« l'émancipation du prolétariat sera l'œuvre du prolétariat lui-même ») devait paraître renvoyé à trop long terme, voire utopique.
Il reste que, pour vaincre, le léninisme avait reproduit la séparation entre dirigeants et dirigés, entre les travailleurs et le pouvoir, séparation que le socialisme voulait abolir et que le stalinisme porta à son comble.
Pour en savoir plus, voir les articles communisme, marxisme, révolution russe de 1905, révolution russe de 1917.

 

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CHINE : LA GRANDE FAMINE DE 1959

 

 

 

 

 

Chine : famine cachée, famine oubliée  de  1959
MANON DURET
24 Juillet 2013



Entre 1958 et 1961, 36 millions de Chinois sont morts de faim. La famine a décimé les campagnes dans le silence et l’indifférence des cadres du régime communiste, pour une grande part responsables de la catastrophe. Plus de 50 ans après, cette famine si bien cachée est presque oubliée.

 Crédit Photo -- MacMurray Photograph Additions, Volume VI, #22
Crédit Photo -- MacMurray Photograph Additions, Volume VI, #22
La Grande famine en Chine a duré trois ans, de l’été 1958 à 1961. Les chiffres officiels de la catastrophe depuis les années 1980 donnent une estimation de 15 millions de morts. Aujourd’hui les historiens pensent que la famine est responsable de la mort de 30 à 60 millions de personnes. Les écarts de chiffres et la fourchette approximative montrent à quel point on a voulu occulter le passé et pointent du doigt la méconnaissance des faits de la part des historiens encore actuellement.

Un journaliste chinois, Yang Jisheng, a enquêté pendant quinze ans pour rassembler les faits et tenter d’expliquer ce qui a conduit à un désastre d’une telle ampleur. Lorsqu’il avait 19 ans, son père est mort de faim. Il a alors pensé que son village natal était un cas isolé. Devenu journaliste quelques années plus tard, il a réalisé que la famine avait touché les campagnes de toute la Chine, et principalement quatre provinces centrales sans que l’on n’en sache rien au niveau national. Il a alors rassemblé témoignages et archives officielles, dénombrant au moins 36 millions de victimes, mettant en lumière des villages rayés de la carte, des charniers et des histoires atroces. L’œuvre monumentale qu’il a rédigée à la suite de son enquête est désormais traduite, et abrégée, sous le titre Stèles, la grande famine en Chine, 1958-1961. Son ouvrage constitue désormais l’un des livres de référence, encore rares sur la question. L’auteur dit avoir voulu élever des « stèles de papier » à son père et à toutes les victimes de la famine pour qu’on ne les oublie pas et que l’on comprenne les mécanismes de la Chine communiste qui ont mené à la famine.

La question centrale du livre de Yang Jisheng est de savoir comment une famine si importante a pu avoir lieu. Pour lui, « c’est une tragédie sans précédent dans l’histoire de l’humanité que, dans des conditions climatiques normales, en l’absence de guerre et d’épidémie, des dizaines de millions d’hommes soient morts de faim et qu’il y ait eu du cannibalisme à grande échelle ». Car bien que le régime ait longtemps proclamé que la famine avait été une catastrophe naturelle, due à des problèmes climatiques, on sait désormais que le facteur humain est la principale cause de cette famine.

LE « GRAND BOND EN AVANT » ET LE SYSTÈME TOTALITAIRE
À l’origine de la période de famine, il y a une décision politique. Le PCC (Parti Communiste Chinois) au pouvoir depuis 1949 en Chine, dirigé par Mao, décide entre 1956 et 1957 d’accélérer l’évolution de la société vers le modèle communiste. Confiant dans la marche vers l’idéal, et rassuré par les bons chiffres des plans quinquennaux précédents, il décide d’accélérer la collectivisation des terres pour passer d’une économie dite « socialiste », après la réforme agraire juste aboutie, à une économie dite « communiste ». Mao prône une accélération de la production industrielle afin de rattraper au plus vite les grandes puissances occidentales, avec des slogans comme « l’Angleterre en dix ans ! ». Certains membres du parti tentent de s’opposer à cette politique qu’ils jugent « aventuriste » et dangereuse pour la société. On les fait taire en préférant au terme d’« aventurisme » le terme de « grand bond en avant » qui définit une politique sociétale et économique ambitieuse, mais nécessaire selon le Président Mao.

Concrètement cette politique s’est traduite dans les campagnes par une suppression de la propriété privée et la mise en place de ce qu’on a appelé les « communes populaires ». Les communes populaires sont des regroupements de villages à l’échelle du canton voire au-delà qui vont constituer l’unité de base de la production agricole et industrielle et régir la vie des habitants. Toutes les récoltes sont rassemblées, tous les habitants travaillent pour le compte de l’État qui redistribue une partie des produits aux paysans et envoie l’autre dans les villes. On réquisitionne le matériel agricole, les meubles, et même les casseroles pour la production d’acier. La cellule familiale est abolie et on crée des cantines populaires où toute la population doit manger. On veut créer une société nouvelle, moderne, industrielle et communiste.

Ce système aurait pu fonctionner sans un climat de surenchère intimé par le PCC et répercuté par les pouvoirs locaux. L’État en demandait toujours plus et ceux qui avouaient ne pas pouvoir suivre la cadence étaient taxés d’anti-régime, de « droitiers ». Un système totalitaire se caractérise par une organisation hiérarchique ou chacun veut plaire, craint et obéit à son supérieur et fait peser une forte pression sur son subalterne. La toute-puissance du Parti Communiste, organe du pouvoir présent à tous les échelons, de Mao jusqu’aux chefs de districts, a mené à cette situation incontrôlable : les cadres locaux recevaient l’ordre d’augmenter les rendements de blé et de riz. Ils demandaient aux paysans d’en faire plus pour plaire au parti. La récolte ne suivant pas, les cadres locaux donnaient à leurs supérieurs des chiffres faux pour maintenir leur rang. Les dirigeants du Parti avaient donc la sensation que leurs directives étaient suivies et fonctionnaient.

Lorsque la faim a commencé à se faire sentir, rien n’a pu l’endiguer. La population était épuisée par les efforts industriels qu’elle fournissait pour suivre la cadence imposée par le régime. Les paysans devaient quitter leurs champs pour faire de l’acier. Les familles n’avaient plus la possibilité d’être autosuffisantes, la propriété d’un lopin de terre ayant été bannie. Par peur du parti, les cadres empêchèrent toute communication entre les villages affamés et les villes, rendant tout ravitaillement d’urgence impossible. Les directives du Grand Bond en Avant et l’organisation hiérarchique fondée sur l’obéissance et la peur ont donc mené les campagnes à cette catastrophe.

« AVEC AUTANT DE MORTS DE FAIM, L’HISTOIRE RETIENDRA NOS DEUX NOMS, ET LE CANNIBALISME AUSSI SERA DANS LES LIVRES ».
C’est ce que Liu Shaoqi dit à Mao Zedung en 1962, effrayé des conséquences qu’il entrevoyait déjà de la politique dite du « Grand Bond en Avant ». Ainsi les dirigeants connaissaient la tragédie en cours malgré les chiffres erronés qu’ils recevaient. Zhou Xun, universitaire de Hong Kong rapporte même que dès mars 1959 Mao a proclamé : « Répartir les ressources de manière égale ne peut que faire échouer le Grand Bond en Avant. Lorsqu'il n'y a pas assez à manger, les gens meurent de faim. Mieux vaut laisser mourir la moitié des gens, de façon à ce que l'autre moitié puisse manger à sa faim ». L’idéal communiste et industriel valait donc bien que l’on sacrifie la moitié de la population qui comprenait alors 700 millions de Chinois. Malgré les tournées d’inspection de Liu Shaoqi et bien d’autres, Mao et les partisans de la « ligne » ont longtemps refusé de revoir le plan à la baisse. En 1962 seulement, Mao finit par déclarer sous la pression de certains cadres que le Grand Bond en Avant a réussi et peut donc être arrêté.

Force est de constater que la peur de Liu Shaoqi ne s’est pas encore accomplie et si l’Histoire retient Mao, elle a oublié la famine. Cinquante ans après on connaît mal les faits, à peine les causes. En France, on ne sais rien de Liu Shaoqi, l’un des plus hauts dirigeants du PPC qui dirigea officiellement le pays de 1959 à 1968. Le déni des faits est resté longtemps la règle, ce n’est qu’avec l’ouverture de Deng Xiaoping dans les années 1980 que le Parti a reconnu la famine comme une catastrophe « à 70% naturelle ». Laissant aux populations le soin de comprendre ce qu’il en était des 30% restants. L’ampleur de la famine, ses conséquences sur l’économie, la démographie ont été occultées. Les rares travaux des Occidentaux sur le sujet n’ont pu se baser sur aucune preuve solide. Les archives ouvertes un temps sur cette période sombre ont été refermées récemment après plusieurs recherches. Le gouvernement chinois n’est pas encore prêt à dévoiler ce pan de l’Histoire qui met en lumière les dérives du communisme et fragilise le régime. Les facteurs terrifiants de la grande famine font réfléchir sur les dérives totalitaires, au-delà du manque de liberté d’expression, c’est ici la soumission d’un peuple à une idéologie, qui entraine la mort de la population sans remettre en cause le régime. Il est nécessaire et urgent de faire ressortir ces événements de l’oubli, au même titre que l’Holocauste et d’autres tragédies humaines, pour en démonter les mécanismes. Les livres d’Histoire se taisent encore sur l’un des plus grands drames du XXe siècle.


Yang Jisheng, Stèles, la grande famine en Chine, 1958-1961, Paris, Seuil, 2012
Zhou Xan, The Great Famine in China, a Documentary History, Yale University Press, 2012

 

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LE MONDE HELLÉNISTE

 

L'empire d'Alexandre et les débuts du monde hellénistique

Cet article fait partie du dossier consacré à la Grèce antique.
HISTOIRE

1. La naissance du monde hellénistique

L'empire d'Alexandre et les débuts du monde hellénistiqueL'empire d'Alexandre et les débuts du monde hellénistique
Alexandre le Grand, se posant comme successeur des pharaons d'Égypte et des Achéménides de Perse, donne une impulsion décisive à l'évolution de son empire vers une conception monarchique.
Cette dernière est bien différente de celles qu'avait connues la Grèce à l'époque homérique, à Sparte ou en Épire, Thrace, Illyrie et Macédoine. Elle est en effet fortement inspirée des modèles orientaux théocratiques où, à des degrés divers, s'affirmait le caractère divin du souverain.

L'empire d'Alexandre et son partageL'empire d'Alexandre et son partage
Alexandre et les diadoques (généraux qui se disputèrent sa succession) fondèrent des centaines de villes. Beaucoup n'ont pas été identifiées, mais on en a mis au jour jusqu'à Aï-Khanoum, sur l'Oxus (l'actuel Amou-Daria), à la frontière septentrionale de l'Afghanistan. Fondées pour des raisons stratégiques, politiques ou économiques, et souvent peuplées aux dépens de l'ancienne Grèce, ces villes furent sans conteste les foyers d'un hellénisme certes dispersé, mais qui cherchait à préserver son unité. Les dialectes grecs cèdent la place à l'attique ionien, qui devient la langue obligée des documents de la koinè jusqu'aux confins de l'Orient. Cependant ne parle grec qu'une mince couche sociale parmi les indigènes.
Lorsqu’Alexandre le Grand mourut en juin 323 avant J.-C., les immenses territoires qu'il venait de conquérir ne pouvaient encore former un État. C'est à des généraux, qui, bien souvent inquiets de son génie insatiable, l'avaient suivi à contrecœur, qu'incombait désormais la responsabilité d'être ses successeurs ; le monde hellénistique allait naître de leurs insuffisances, de leurs querelles, de leurs victoires.
2. Les successeurs d’Alexandre

2.1. Babylone, 323 avant J.-C.

Dès la mort d'Alexandre, les chefs de l'armée, s'autorisant de la tradition macédonienne qui donnait aux soldats le droit d'intervenir dans les affaires de l'État, se réunirent en conseil.
Il fallait régler avant tout le problème de la succession. Les chefs des nobles cavaliers et ceux de la phalange s'opposèrent : les fantassins ne voulaient pas, en effet, que l'enfant attendu par Roxane, la princesse originaire de Bactriane qu'Alexandre avait épousée en bravant l'opinion de ses troupes, pût un jour régner sur un monde soumis par des Hellènes ; ils lui préféraient Arrhidée, bâtard de Philippe II. Un compromis fut trouvé : si l'enfant à naître d'Alexandre était un garçon (ce qui fut le cas), il partagerait le pouvoir avec Arrhidée, à qui l'on donna le nom de Philippe III. Il fallut alors aménager une régence avant que les rois Philippe III et Alexandre IV fussent capables de gouverner par eux-mêmes.
On confia à un triumvirat (conseil composé de trois chefs) l'administration de l'empire. Cratère fut nommé tuteur des rois ; Antipatros garda la Macédoine, qu'il avait gouvernée durant l'expédition d'Alexandre ; Perdiccas fut chargé de l'Asie.
Quant au gouvernement des provinces, on le partagea entre les autres chefs, qui espéraient bien s'y tailler quelque domaine, même si ce devait être aux dépens de l'autorité centrale. Ptolémée Ier Sôtêr reçut l'Égypte (où Cléomène de Naucratis fut son adjoint), Antigonos Monophthalmos (le Borgne) l'Anatolie occidentale, Eumenês de Cardia (l'archiviste d'Alexandre) la Cappadoce et la Paphlagonie (un territoire mal pacifié, que tenait encore le satrape perse Ariarathês Ier), et Lysimaque la Thrace.
Ce règlement ne pouvait guère être durable : trop d'ambitions déjà s'étaient fait jour, ainsi que des conceptions nouvelles de l'avenir du royaume, où seul Eumenês de Cardia croyait encore à la nécessité d'une politique de fusion des races.
Des révoltes eurent lieu ; les Grecs qu'Alexandre avait installés en Bactriane se soulevèrent de nouveau et ne se soumirent au satrape de Médie qu'après le massacre de la plus grande partie d'entre eux. Mais ils eurent la satisfaction de se voir désormais administrés par un satrape grec et non macédonien.
En Grèce proprement dite, Athènes, enrichie du trésor d'Harpale (trésorier félon d'Alexandre), entraîna les cités dans la guerre lamiaque (323-322 avant J.-C. ; elle y perdit, malgré la valeur de son stratège Léosthène, ses lois et Démosthène, que les Macédoniens, vainqueurs, redoutaient encore.
2.2. Triparadisos, 321 avant J.-C.

Perdiccas avait voulu – après avoir usurpé le titre de tuteur des rois –, imposer son autorité à Ptolémée Ier Sôtêr (très indépendant dans sa riche satrapie). Il fut assassiné. Ptolémée se vit proposer sa succession ; il ne l'accepta point, préférant se consacrer à la mise en valeur de l'Égypte, dont il faisait peu à peu sa propriété, et ne voulant pas avoir à affronter ses collègues pour obtenir l'empire du monde oriental.
Une nouvelle réunion des chefs militaires devenait nécessaire, d'autant que Cratère, à son tour, venait de mourir. À Triparadisos, en Syrie du Nord, le titre de régent fut donné au vieil Antipatros ; Antigonos Monophthalmos se vit offrir la « stratégie » d'Asie (pouvoir illimité sur les territoires d'Orient) ; Séleucos Ier Nikatôr, un des assassins de Perdiccas, fut installé en Babylonie.
L'empire d'Alexandre était déjà moribond ; comment Antipatros pourrait-il être capable de faire respecter depuis la Macédoine, dont il n'était jamais sorti, son autorité par les rois installés en Asie, riches et puissants ? Déjà l'Orient semblait prendre ses distances, et l'hellénisme se découvrait d'autres capitales. Eumenês de Cardia, dernier dépositaire des pensées d'Alexandret et seul fidèle à ses désirs, inquiétait, détonnait parmi les généraux : on le mit au ban de l'empire.
2.3. Antigonos Monophthalmos

Antipatros mourut en 319 avant J.-C. Cassandre, son fils, malgré ses volontés posthumes, réussit à s'emparer de la Grèce et de la Macédoine ; il en profita pour faire assassiner les rois Philippe III (317 avant J.-C.), puis Alexandre IV (310-309 avant J.-C.), qui étaient tombés ainsi en son pouvoir. En débarrassant tous les diadoques du fils de Roxane, il leur ôtait tout motif de retenue ; la couronne était désormais à qui saurait la prendre. Antigonos Monophthalmos, aidé de son fils Démétrios Ier Poliorcète (336-282 avant J.-C.), était le plus puissant ; il se noua donc contre lui une vaste coalition de tous ceux qui avaient peur qu'il ne les devançât.
Ptolémée, Cassandre, Lysimaque, le maître des Détroits, aidés de Séleucos, l'obligèrent à lutter sur deux fronts. En Occident, malgré son habileté à ôter à Cassandre l'appui des cités grecques (il les avait proclamées libres), Antigonos Monophthalmos ne put porter de coups décisifs. En Syrie, il fut vaincu, de façon inattendue d'ailleurs, par Ptolémée à Gaza (Séleucos en profita pour se réinstaller en Babylonie). En 311 avant J.-C., une paix fut signée pour que chacun reprît souffle.
La lutte recommença au printemps 306 avant J.-C. Démétrios Poliorcète (« Preneur de villes ») remporta à Salamine (sur l'île de Chypre) une éclatante victoire navale sur les Lagides ; son succès permit à Antigonos Monophthalmos de se proclamer roi et de prétendre ainsi à la succession d'Alexandre.
En 305-304 avant J.-C., Ptolémée l'imita, mais il assumait le titre, lui, pour affirmer son droit à régner en maître en Égypte, ce qu'il fit jusqu'en 283 avant J.-C. Cassandre, Lysimaque, Séleucos, à leur tour, furent proclamés « basileis » (rois).
La guerre continuait. Démétrios, roi en Macédoine (306-287 avant J.-C.), reçut de son père la responsabilité de la lutte en Occident ; il se fit accueillir à Athènes comme un libérateur et sut redonner quelque vigueur à la ligue de Corinthe.
Quelque temps, on put croire que, grâce à ces succès, Antigonos Monophthalmos pourrait réunir sous son autorité toutes les terres qu'avait possédées Alexandre, mais, au cours de l'été 301 avant J.-C., en Phrygie, à Ipsos, la fortune changea de camp. Le roi mourut sur un champ de bataille, écrasé par Lysimaque et Séleucos.
Sa fin marqua le début véritable de l'époque hellénistique ; personne ne crut plus, désormais, qu'il était possible de sauvegarder l'unité politique des terres conquises par l'hellénisme ; les alliés se partagèrent les dépouilles (le grand bénéficiaire semblant être Séleucos). Il ne restait plus à chaque survivant qu'à assurer son pouvoir sur son domaine.
3. Les années de stabilisation (301-276 avant J.-C.)

Il fallut encore près de trente ans pour que le monde grec trouvât un semblant d'équilibre.
Ptolémée Lagide tenait l'Égypte et Cyrène, et nul ne fut capable de l'inquiéter en ses domaines ; il ne voulait pas, néanmoins, renoncer à ses ambitions sur le sud de la Syrie. En 281 avant J.-C., au Couroupédion, Séleucos dut se débarrasser de Lysimaque pour s'emparer de l'Asie Mineure ; il passa alors en Europe, où il fut assassiné, mais son fils Antiochos Ier put recueillir son héritage.
Démétrios, lui, après Ipsos, ne perdit pas courage : roi sans royaume, il réussit néanmoins à reprendre pied en Grèce, et son fils Antigonos Gonatas put s'emparer de la Macédoine (après une victoire retentissante sur les Galates à Lysimacheia) et fonder ainsi la troisième des grandes dynasties, celle des Antigonides.
Ce n'était pas pour autant la fin des ambitions. Le monde hellénistique ne connut guère la paix ; à l'intérieur, tel serviteur de roi réussissait à fonder, lui aussi, une dynastie (Philetairos de Pergame, qui fut à l'origine de la fortune des Attalides), tel vassal se rendait indépendant. Sur les frontières apparaissaient des ennemis puissants : en deux siècles, le monde hellénistique devint une ruine que possédaient les Romains ou les Parthes. Mais, avant de succomber, il avait su devenir leur maître de civilisation.
4. Structures du monde hellénistique

4.1. La puissance des rois

Le monde hellénistique est le monde des rois. Ceux-ci exercent sur tous les territoires qu'ils dominent. Les empires sont immenses ; les Attalides règnent sur 180 000 km2 un pouvoir absolu, au nom des droits que leur ont donnés les succès d'Alexandre et leurs propres victoires ; droit de la lance, qui les oblige à être d'abord chefs d'armée.
Leur fonction est de protéger ceux qui se sont soumis à eux, de leur garantir la paix et la prospérité ; ils sont ceux par qui le monde est ce qu'il doit être ; ils en sont les « fondateurs » et les « sauveurs ». Les lois naissant des rois, la nature même et la vie dépendent d'eux. Un culte leur est rendu sous des formes diverses ; seule la Macédoine ne sera pas tentée de diviniser ses souverains.
La puissance de ces rois est ainsi quasi infinie, en théorie du moins, car, si les Lagides administrent leurs possessions comme on peut le faire d'un jardin – grâce à une armée de fonctionnaires – il est bien difficile aux rois séleucides et à ceux des autres dynasties de mobiliser leurs richesses. Leurs agents sont souvent difficiles à surveiller et leurs défections sont fréquentes ; la distance, l'énorme inertie de pays trop vastes ou trop attachés à leurs traditions font qu'il n'est pas facile à ces rois de réunir l'immense masse de leurs armées, de profiter des immenses possibilités que la terre pourrait fournir. Aussi succomberont-ils facilement devant Rome, qui aura moins de peine à vaincre l'Orient qu'elle n'en eut à abattre Carthage.
Leurs États ne sont pas vraiment unifiés : ces rois règnent sur des communautés plus ou moins autonomes plutôt que sur des sujets (des peuples, des temples, des cités surtout). Sauf dans l'Égypte lagide, en effet, la cité grecque (ou hellénisée) joue un rôle important. Il ne s'agit pas d'un rôle politique : ce n'est plus, sauf Rhodes, un État capable de mener une action qui soit à l'échelle du monde nouveau, et il n'y a que les confédérations en vieille Grèce pour lui donner une véritable liberté en échange de la perte d'un peu d'autonomie. Le rôle est principalement civilisateur.
Les monarchies hellénistiques ne sont plus pourtant une école de vertu et de sacrifice. Les qualités qui avaient permis aux hoplites de Marathon de vaincre, à Athènes de dominer l'Égée ne sont plus sans doute de celles que l'on ambitionne d'imiter. En effet, le plus souvent, les vieilles Constitutions n'existent plus, et le peuple, auquel on ne fournit pas les moyens de participer à la vie publique, ne peut acquérir le sens des responsabilités, le désir de servir l'État.
Au contraire, il semble que le fier citoyen, devant la pauvreté qui l'étreint (surtout dans la Grèce d'Europe, désormais à l'écart des grands courants commerciaux, mais aussi en Asie Mineure, où la guerre provoque mille tourments), a eu un moment à choisir entre deux attitudes également fatales à l'esprit civique, entre le désir d'être assisté par des riches qui dépensent leur fortune en actes d'évergétisme (achats de blé distribué à prix réduits, fondations) et la révolte stérile, qui ne peut qu'accélérer les interventions de puissances extérieures appelées par le parti des possédants inquiets.
4.2. Le rôle des cités

Les cités ne sont pas non plus des maîtres qui assument la responsabilité de la vie présente et future des citoyens comme l'étaient les cités classiques, qui faisaient participer ceux-ci à une vie religieuse qu'elles étaient seules à ordonner, avec des sacrifices pour le temps présent et des mystères donnant (comme les mystères Éleusis) des entrées dans l'au-delà.
Désormais, le citoyen est invité souvent à sacrifier pour des dieux, proches sans doute, mais extérieurs à sa ville : les rois, qui peuvent supplanter les Olympiens, auxquels on avait fait confiance. Seul, par ailleurs, dans des cités qui ne sont parfois plus, déjà, à l'échelle humaine (Antioche, Alexandrie), le citoyen cherche son salut individuellement dans la célébration de cultes ésotériques (cultes de Sérapis, de Dionysos…), auxquels il participe par l'intermédiaire de sociétés plus ou moins secrètes, plus ou moins interdites, car la cité, organe totalitaire, sait combien l'individualisme est dangereux.
Les cités ne sont guère que des municipalités, qui collectent au nom d'un roi les impôts, servent d'organes qui participent à la concertation nécessaire avec les pouvoirs centraux. Mais la médiocrité apparente de leur situation ne doit pas faire oublier combien il est important que la forme politique se soit imposée jusqu'à l'Indus, que les rois n'aient cessé de favoriser la fondation de cités neuves, d'en reconstruire lorsque les abattait quelque tremblement de terre, permettant à la civilisation de la parole de s'implanter partout où ils régnèrent, et que l'on ait pu méditer tout au bord de l'Inde les maximes de Delphes et discuter sur l'agora (la place publique) des problèmes d'une communauté franche.
Il est bien certain que l'hellénisme ne touche guère qu'une petite partie des populations barbares et que l'Asie, effleurée par les conquêtes d'Alexandre et l'administration séleucide, continua de vivre la vie de ses ancêtres. Pourtant la présence grecque en pays barbare prépara l'unification du bassin de la Méditerranée (tout en assurant des liens avec l'Orient), qui sera réalisée quand, en 212 après J.-C. – toutes races et origines confondues – tous les habitants de l'Empire romain, l'héritier des empires hellénistiques, seront devenus des citoyens de Rome.
5. Rome et la fin du monde hellénistique

Rome ne s'occupait guère des affaires d'Orient. Il fallut que Philippe V, roi de Macédoine (221-179 avant J.-C.), la provoquât en faisant alliance avec Hannibal pour qu'elle fût contrainte à agir.
5.1. La volonté de protéger les alliés de Rome

Pour empêcher le roi de passer en Italie, les Romains cherchèrent à lui susciter en Grèce même des troubles qui pussent l'occuper. En 212 avant J.-C., ils s'allièrent avec les Étoliens et les poussèrent à la guerre. Dès que le risque de jonction entre Philippe V et Hannibal se fut estompé, ils abandonnèrent toute opération, et leurs alliés, délaissés, cessèrent le combat (206 avant J.-C.). Ils n'en signèrent pas moins, pour mettre un terme à cette première guerre de Macédoine (216-205 avant J.-C.), un traité de paix qui permettait pour l'avenir toutes sortes de développements intéressants, éventuellement une nouvelle intervention.
C'est en 200 avant J.-C. que le sénat songea à revenir en Grèce ; il fallait, selon lui, protéger en Orient les alliés de Rome (ceux qui avaient contresigné la paix de 205 avant J.-C.) des ambitions dévorantes du roi de Macédoine, mais il fallait surtout trouver à employer généraux et soldats, que la victoire sur Carthage avait rendus à une vie civile qu'ils n'appréciaient guère.
En 198 avant J.-C., Titus Quinctius Flamininus (229-174 avant J.-C.) prit le commandement des troupes. Il remporta (juin 197) la victoire de Cynoscéphales et dicta ses conditions : Philippe V devait abandonner ses possessions en Grèce. Flamininus put se vanter ainsi d'avoir assuré la liberté des Hellènes. Une commission sénatoriale vint s'en assurer, et, en 196 avant J.-C., lors des jeux Isthmiques, Flamininus proclama que le sénat des Romains et le consul Titus Quinctius, ayant vaincu le roi Philippe V et les Macédoniens, laissaient libres, exempts de garnison et de tributs, et soumis à leurs lois ancestrales, les peuples suivants : les Corinthiens, les Phocidiens, les Locriens, les Eubéens, les Achéens Phtiotes, les Magnètes, les Thessaliens et les Perrhaibes ; pour les autres Grecs, la liberté allait de soi.
Ainsi, Rome s'imposait comme le patron des Grecs ; elle avait à jamais pris son rang dans le monde des rois, à leur niveau.
Antiochos III Megas dut bientôt, à son tour, s'incliner devant leur puissance. Trop fort pour ne pas inquiéter Rome (il venait de vaincre l'Iran et de dompter les Lagides), il n'avait pas hésité à recevoir à sa cour, à Antioche, Hannibal. En 192 avant J.-C., il s'allia aux Étoliens, déçus par la politique de Rome en Grèce. Rome se dut d'intervenir ; les légions passèrent en Asie sous le commandement de Scipion l'Asiatique, en plein cœur de l'hiver ; elles firent leur jonction avec les troupes d'Eumenês II, roi de Pergame ; contre une armée bien supérieure en nombre (qui alignait de surcroît 64 éléphants d'Asie), les Romains remportèrent une nette victoire (au début de 189 avant J.-C.).
Par le traité d'Apamée, Antiochos III renonça à l'Asie Mineure, s'engagea à payer une lourde indemnité, à livrer ses éléphants et ses navires. Les alliés de Rome (Pergame et Rhodes) se partagèrent les dépouilles. Ce n'était plus suivre la politique de Flamininus, mais c'était encore un moyen pour Rome d'échapper aux charges de l'administration directe en confiant à des clients le contrôle des zones arrachées à ses rivaux.
5.2. De la tutelle à la possession de Rome

Si, durant la guerre d'Antiochos III, Philippe V s'était montré fidèle aux traités, son fils Persée (roi de 179 à 168 avant J.-C.), dès son avènement, s'attacha à rendre à la Macédoine son prestige et sa puissance. Le sénat ne pouvait l'accepter : en juin 168 avant J.-C., Paul Émile, à Pydna, força la victoire ; en un peu plus d'une heure, il détruisit l'armée royale, qui laissait 25 000 morts sur le terrain et 10 000 prisonniers.
La monarchie antigonide fut abolie, et le royaume macédonien, démembré en quatre républiques, fut contraint à la « liberté » romaine. En cette année 168 avant J.-C., Antiochos IV fut arrêté par C. Popilius Laenas dans son invasion de l'Égypte (alors qu'il tenait la victoire, il a suffi au légat arrivé devant Alexandrie d'énoncer le désir de Rome de protéger l'Égypte pour qu'Antiochos fût stoppé dans son élan).
Mais Rome n'était pas encore une puissance qui attirait la sympathie. Partout en Grèce, depuis qu'après Pydna s'était tenue une commission sénatoriale chargée de réorganiser le pays, sévissait le gouvernement des riches. Il en était de même dans les républiques macédoniennes, où l'on s'était décidé à rouvrir les mines d'argent (dont Rome avait, en 167 avant J.-C., interdit l'exploitation pour que le pays ne fût pas livré aux ambitions des financiers italiens).
En 149-148 avant J.-C., Andriscos, un aventurier qui se disait fils de Persée, réussit à s'emparer de la Macédoine en s'appuyant sur le petit peuple, à la grande inquiétude des possédants, qui virent avec plaisir ses défaites devant Rome, garante d'une certaine paix sociale : la Macédoine devint une province romaine (148 avant J.-C.) liée à l'Illyrie ; Rome était désormais directement responsable du destin d'une partie du monde grec.
Dans le Péloponnèse, certains Achéens aspiraient à rejeter la tutelle où Rome les maintenait, quelque profit que pût en tirer la confédération. En 146 avant J.-C., Critolaos et Diaios, s'appuyant sur le remuant peuple de Corinthe, firent décider la guerre ; Rome n'était pas fâchée, d'ailleurs, d'en finir avec la puissance achéenne, trop fière de ses traditions et source de perpétuelles complications. Lucius Mummius n'eut aucun mal à l'écraser. Corinthe paya le prix de ce dernier sursaut d'indépendance de la Grèce ; elle fut détruite comme venait de l'être Carthage ; cet exemple assurait la paix en Grèce, devenue de fait, sinon en droit, une possession de Rome.
5.3. Les derniers soubresauts hellénistiques

En Asie, la politique de Rome n'était guère plus séduisante. Rhodes fut punie pour avoir voulu s'entremettre entre Rome et Persée, et fut ruinée par la concurrence de Délos, devenue en 166 avant J.-C. un port franc. C'est de la bienveillance romaine que les rois de Pergame tenaient leur pouvoir ; le dernier d'entre eux, Attalos III (138-133 avant J.-C.), choisit de lui léguer son royaume, pensant que la force seule des légions pourrait y garantir le statu quo social. La révolution qu'il craignait éclata à sa mort, en 133 avant J.-C. ; Aristonicos, qui aurait dû lui succéder, souleva le peuple, les habitants des campagnes surtout, leur faisant espérer le bonheur en la « cité du soleil », mais sa défaite fut rapide. Le royaume de Pergame devint la province romaine d'Asie. Caius Gracchus régla la façon dont on y percevrait l'impôt : la dîme fut affermée à des publicains, dont les agents mirent vite la province en coupe réglée.
Ce fut Mithridate VI Eupator, roi du Pont (111-63 avant J.-C.), le dernier grand souverain d'Asie, qui se chargea de rappeler aux Romains que les Grecs n'étaient pas prêts à tous les esclavages. En 88 avant J.-C., il conquit la province d'Asie sans coup férir ; les Grecs avaient, à l'annonce de son arrivée, chassé ou exécuté les Italiens résidant chez eux. Sur sa lancée, il envahit même l'Attique. Lucius Cornelius Sulla réussit à reprendre Athènes et la Grèce ; la légion continuait d'être invincible. En 85 avant J.-C., passé en Asie, ce dernier put signer une paix qui renvoyait le roi dans son pays. L'exploitation de la province continua, déshonorant la République romaine.
La conquête de l'Orient tout entier n'était plus qu'une question de temps ; les royaumes étaient si ébranlés qu'il suffisait souvent d'attendre qu'ils s'effondrent d'eux-mêmes.
Licinius Lucullus et Pompée vinrent d'abord à bout de Mithridate, ce qui permit de régler définitivement le problème anatolien. La Syrie tomba aux mains de Pompée et devint une province romaine en 64-63 avant J.-C. Les Séleucides n'y régnaient plus en fait que dans leur capitale ; le reste de ce qui avait été le noyau de leur immense royaume était déchiré entre les ambitions des cités, des dynasties indigènes. Les uns et les autres avaient beaucoup plus de respect pour le roi arsacide (voisin puissant) que pour leur suzerain. Il convenait donc que le Romain s'installât pour qu'un pouvoir trop fort ne le fît avant lui.
Rome, désormais, possédait comme provinces la Cilicie, la Bithynie, le Pont, la Syrie, mais Pompée avait entouré ces territoires sujets d'une foule d'États vassaux, ce qui permettait d'économiser les forces romaines, car ces États pouvaient jouer un rôle dans la défense des territoires de l'Empire. Surtout, cela donnait à Pompée une situation peu commune : patron de tant de rois qui lui devaient leur trône, quelle n'était sa grandeur ! L'Égypte de Cléopâtre tomba à la bataille d'Actium (31 avant J.-C.).
Le monde hellénistique était désormais tout entier aux mains de Rome, qui n'eut guère de peine à y imposer son autorité et à l'y maintenir. Cette soumission ne fut pourtant pas une rupture avec le passé, car Rome assuma en fait le pouvoir que les rois exerçaient sans bouleverser les structures et apporta la paix.
LE PATRIMOINE HELLÉNISTIQUE

L'Athènes classique avait été l'« école de la Grèce » ; elle perd, à l'époque hellénistique, le quasi-monopole qu'elle exerçait sur la vie intellectuelle, à l'exception du domaine de la philosophie. D’autres domaines sont cependant représentés pendant la longue période hellénistique, comme l’histoire, les sciences, la littérature, ou encore la religion.
1. La philosophie

Si l'époque classique voit l'émergence du citoyen, l'âge hellénistique paraît donner naissance à un type humain nouveau : le sage. Le philosophe renonce désormais à réformer la société et – si l'on excepte, dans une certaine mesure, les stoïciens – penche vers l'individualisme. Divers courants coexistent, et parfois s'affrontent : les cyniques, ces « clochards de l'Antiquité », se veulent, comme Diogène au ive s., indifférents aux usages de la cité ; les sceptiques, qui se réclament de Pyrrhon (fin ive s.), répondent au contraire aux invitations des rois, qui, dans leurs missions diplomatiques, apprécient sans doute la dialectique redoutable à laquelle les entraîne leur attitude de critique systématique. À Athènes – où l'Académie et le Lycée continuent d'attirer les jeunes gens de toute la Grèce – naissent les deux écoles philosophiques les plus originales : l'épicurisme et le stoïcisme.
2. L'historiographie

Nombreuses sont les histoires « locales » (celle du Sicilien Timée est sans doute la plus connue) ; leur intérêt est, certes, capital, mais un nom domine l'historiographie hellénistique : celui de Polybe (210-125 environ). Achéen déporté comme otage à Rome après la bataille de Pydna, il raconte dans ses Histoires comment l'Urbs conquit le monde, et prend fait et cause pour la grandeur romaine. Précis, rationnel, il reste dans la lignée de Thucydide. Toutefois il n'a ni l'impassibilité, ni le sens de l'objectivité de l'auteur de l'Histoire de la guerre du Péloponnèse.
3. Les sciences

L'école aristotélicienne poursuit sa mission avec Théophraste (qui dirige l'école de 322 à 287), puis avec Straton le Physicien, qui prône les vertus de l'expérimentation. C'est sans doute lui qui, venu à Alexandrie auprès de Ptolémée Philadelphe, contribua à orienter les objectifs du Musée vers la recherche : avec ses jardins zoologique et botanique, mais aussi ses observatoires et ses salles de dissection, c'est un remarquable outil pour des sciences qui tendent à se constituer en disciplines autonomes.
Les mathématiques restent la discipline par excellence avec Euclide et Apollonios de Pergé. Elles trouvent d'ailleurs des applications dans de nombreux domaines : en mécanique, avec Ctésibios et Philon de Byzance ; en astronomie, avec Aristarque de Samos qui, le premier, soutint que la Terre gravitait autour du Soleil immobile et Ératosthène, qui réussit à mesurer (avec une marge d'erreur infime) la longueur du méridien terrestre. Archimède, enfin, fut non seulement un grand théoricien (c'est lui qui fixa la valeur du nombre π à 3,141 6), mais également un inventeur de génie. Ce goût pour les perfectionnements des techniques (qu'on retrouve chez des ingénieurs comme Sostratos de Cnide, l'architecte du Phare d'Alexandrie) est suffisamment exceptionnel pour être signalé dans une Grèce où dominent habituellement les spéculations intellectuelles.
4. La littérature

La comédie

La comédie nouvelle (la Néa) privilégie l'intrigue et l'étude de caractères. Avec Ménandre, excellent peintre de l'amour et des sentiments familiaux, le génie attique brille de ses derniers feux. Alexandrie, dans ce domaine, remplace désormais Athènes, sans toutefois étouffer d'autres centres qui, tels Pergame, Cos, Syracuse ou Tarente, demeurent fort actifs. Le public a changé lui aussi : à Athènes, le théâtre s'adressait au dêmos tout entier ; le poète hellénistique, lui, ne touche plus qu'une bourgeoisie cultivée, dont le goût va, à la fois, à la recherche de la nouveauté et à la nostalgie archaïsante d'un passé lointain : ainsi s'expliquent le triomphe du lyrisme et le retour de la poésie épique. On préfère généralement les pièces courtes, tels les Mimes d'Hérondas, et les épigrammes.
La poésie

Profondément renouvelée, la poésie hellénistique est marquée du sceau d'une nouvelle sensibilité : l'amour règne en maître. La poésie bucolique se plaît à évoquer les charmes de la nature, les jeux érotiques des bergers. Les animaux et les enfants entrent en force dans la littérature : un lyrisme de l'évasion s'impose. Une autre tendance rencontre d'ailleurs le goût pour l'érudition philologique (qui établit et critique les textes), c'est la poésie savante. Dans les Origines de Callimaque, l'érudition est un jeu précieux ; dans l'Alexandra de Lycophron, elle touche à l'hermétisme. L'un comme l'autre furent bibliothécaires à Alexandrie.
5. La religion

On trouve dans la religion les mêmes doutes, le même désarroi et, en conséquence, les mêmes besoins qui marquent les philosophies du renoncement de l'époque hellénistique.
Le maintien de la religion traditionnelle

Comme ils restent très attachés à leur cité, les Grecs le restent à leurs divinités civiques. Ils ont le souci, en tout cas, d'en respecter scrupuleusement le rituel. La grande majorité des « lois sacrées » qui nous sont parvenues datent, en effet, de l'époque hellénistique : plus minutieuses encore que par le passé, elles règlent avec précision les sacerdoces, les sacrifices, les finances des sanctuaires… Mais cette abondance, ce caractère pointilleux des lois n'ont-ils pas justement pour but de préserver une religion en péril ? Le mouvement amorcé dès l'époque troublée de la guerre du Péloponnèse en faveur de certains dieux se poursuit : ceux qui sont plus proches des hommes (tels Héraclès ou Dionysos, fils de mortelles et qui, de surcroît, ont connu la mort) ; ou bien ceux qui sont reconnus comme « sauveurs » ou consolateurs (Asklépios, le dieu de la Médecine, les Dioscures et les Cabires, dieux protecteurs des marins) ; ou encore ceux qui sont susceptibles de satisfaire aux préoccupations morales et intellectuelles (l’Hymne à Zeus de Cléanthe) emportent l'adhésion, tout comme la pratique des oracles ou des cultes à mystères.
Souvent organisées autour d'un dieu étranger, des confréries luttent contre l'isolement de l'homme dans un monde devenu trop vaste pour lui, et développent de nouvelles solidarités ; elles connaissent un grand succès.
L'expansion triomphante des cultes orientaux

La curiosité des Grecs à l'égard des religions orientales avait toujours été grande (pour Hérodote, l'Égypte était le berceau de toutes les religions). Depuis longtemps déjà, ils avaient recueilli et « adapté » des dieux orientaux (ainsi Bastet est-elle apparentée à la déesse Artémis). Parfois, ce sont les dieux grecs qui prennent en charge les fonctions de dieux d'Asie Mineure. Et c'est dans le domaine de la religion que le contact des cultures devait être le plus fécond. L'époque hellénistique est celle des adoptions et des syncrétismes. Le processus syncrétique témoigne sans aucun doute de la volonté de dépasser le polymorphisme des dieux, de promouvoir des dieux universels qui concentreront en eux toutes les fonctions des panthéons multiples ; il amorce l'évolution vers le monothéisme.
Le culte des souverains

La Grèce gardait le souvenir des rois du passé, ces « nourrissons » ou « rejetons » de Zeus, pour reprendre les épithètes homériques. Dans le même ordre d'idées, la monarchie nationale macédonienne, au moins à partir d'Amyntas, le père de Philippe II, affirmait l'origine divine de la dynastie. Plus concrètement encore, les cultes héroïques célébraient non seulement les demi-dieux légendaires, mais aussi certains oikistes (fondateurs de colonies grecques) et des chefs remarquables à qui étaient accordés – très rarement il est vrai – des « honneurs divinisants ». Alexandre, par ses exploits surhumains, pouvait à bon droit bénéficier de cette double tradition ; il lui fallait également apparaître comme d'essence divine pour soumettre des Orientaux habitués à leurs monarchies théocratiques. Ses successeurs développèrent, diversement selon les régions, des cultes dynastiques qui peuvent s'expliquer par le fait que le roi, tellement puissant et plus proche que les dieux, peut, par exemple, accorder ce bienfait introuvable : la paix.
Scepticisme et ferveur

Dans la religion plus que partout ailleurs, le monde hellénistique apparaît comme un monde angoissé.
Jamais la magie n'a connu pareil succès. L'astrologie et l'alchimie se développent, ainsi qu'une nouvelle forme de pensée religieuse : l'hermétisme, autour d'un Hermès Trismégiste (« trois fois très grand »). L'époque hellénistique est aussi une période importante dans l'évolution du judaïsme, d'autant qu'une forte communauté juive, rapidement hellénisée, vit à Alexandrie. La traduction de la Bible en grec, l'adoption de concepts grecs (un même terme, Hypsistos (« le Très-Haut »), qualifie aussi bien Zeus que Yahvé dans les inscriptions) prouvent la forte influence – même sur une religion apparemment irréductible comme la religion juive – de ces syncrétismes nés de l'hellénisation de l'Orient ancien.
6. Le gymnase

Le gymnase joue un rôle essentiel toutes les cités. Le gymnase est un centre de préparation militaire et de formation intellectuelle, avec ses conférences et sa bibliothèque, ses temples et ses autels (souvent dédiés à Hermès et à Héraclès) ; il est aussi le lieu de rencontre des Grecs et le siège de confréries religieuses.
Les gymnases, que l'on trouve jusqu'en Orient et en Égypte, semblent, en général, liés à la volonté de préserver l'hellénisme parmi les colons grecs de ces lointaines contrées. Un des moyens de parvenir à cette fin est l'éducation : l'enfant reçoit un enseignement littéraire du grammatiste (la connaissance des anciens poètes, et en particulier Homère, y est décisive) ; le cithariste lui apprend la musique ; il s'exerce, enfin, à la gymnastique sous les ordres du pédotribe. L'éducation ne s'adresse pas à tous ; le gymnase, réservé d'abord aux citoyens grecs, finit par admettre de riches étrangers et, dans certains cas, les élites indigènes.
7. Art et architecture (voir  l'article  spécialisé  de  la  GRÈCE  ANTIQUE )

 

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