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VOIR SON CERVEAU EN ACTION |
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Inria dévoile « Mind-Mirror », le 1er dispositif de visualisation de son cerveau en réalité augmentée
Voir son cerveau, en action, et dans sa propre tête, c’est désormais possible grâce au dispositif « Mind-Mirror ».
Fruit de la collaboration entre Inria (Institut National de Recherche en sciences du numérique), l’IRISA (Institut de recherche en informatique et systèmes aléatoires) et l’INSA de Rennes, le dispositif combine, pour la première fois, des méthodes de réalité augmentée et d’électroencéphalographie (EEG) en temps réel.
Voir son cerveau en action dans un miroir, comment ça marche ?
L’objectif du projet Mind-Mirror est de permettre la visualisation de l’activité de son cerveau « dans un miroir ». Les chercheurs impliqués sur le projet ont combiné pour la première fois des technologies de réalité augmentée et d’électroencéphalographie (EEG) temps-réel.
Concrètement, l’utilisateur est équipé d’un casque EEG utilisant des électrodes situées à la surface du crâne pour capter et enregistrer l’activité électrique émise par le cerveau (dispositif utilisé classiquement en médecine). Une caméra 3D et un écran recouvert d’un film semi-réfléchissant (jouant le rôle de miroir), viennent compléter le dispositif . L’activité du cerveau captée par EEG est reconstruite en temps réel pour être projetée sur un « cerveau virtuel » qui est affiché à l’écran au niveau de la tête de l’utilisateur. La caméra 3D permet de suivre la position de la tête afin que le cerveau virtuel soit parfaitement superposé, avec un effet de transparence, au niveau du crâne de l’utilisateur. L’effet de réalité augmentée est alors saisissant : dans le miroir l’utilisateur peut voir son cerveau en action dans son crâne !
Plusieurs représentations graphiques de l’activité cérébrale peuvent être utilisées comme par exemple une cartographie (ou topographie) colorée de l’activité électrique à la surface du cerveau (les pics d’activité sont représentés en rouges par exemple). Ou bien une représentation volumique qui reconstruit l’activité à l’intérieur même du cerveau (avec des voxels – ou pixels 3D). Dans un autre mode d’utilisation, une analyse (classification) de l’activité cérébrale est proposée en temps-réel qui permet à l’utilisateur de voir s’il est concentré (en rouge) ou bien détendu (en bleu).
Des premiers résultats très prometteurs pour le Mind-Mirror
Les chercheurs ont pu tester et comparer l’utilisation du Mind-Mirror par rapport à des dispositifs plus classiques de visualisation d’activité cérébrale, au cours d’une tâche où les sujets devaient apprendre à contrôler leur activité cérébrale de concentration/relaxation. Ils ont ainsi observé que le dispositif permettait d’apprendre efficacement à contrôler son activité cérébrale, tout en proposant une visualisation plus innovante et plus originale particulièrement saluée par les participants.
Les perspectives de développement du Mind-Mirror sont multiples. Les chercheurs souhaitent tester de nouvelles représentations graphiques du cerveau, ou encore de nouvelles configurations matérielles (nouveaux outils de tracking, caméra 3D low cost, smartphones, etc.).
À moyen terme, les chercheurs souhaitent également tester les multiples usages du Mind-Mirror. Les applications sont en effet très nombreuses : applications ludiques ou de divertissement (il s’agit d’une nouvelle expérience utilisateur unique !), applications de visualisation pour la science et l’éducation (mieux comprendre et appréhender le fonctionnement ou la topographie cérébrale), et surtout applications médicales pour le diagnostic ou le « Neurofeedback ». La piste du Neurofeedback est actuellement très prometteuse et est envisagée pour soigner des pathologies variées comme par exemple les troubles de l’attention, du sommeil, les acouphènes ou bien encore les déficits moteurs issus d’accidents vasculaires cérébraux. Le Neurofeedback permet en effet d’entraîner et de développer l’activité électrique de son cerveau, à partir du moment où l’on dispose d’un retour (feedback) et donc d’une boucle d’apprentissage.
Deux possibilités nouvelles sont proposées par le Mind-Mirror qui pourraient permettre d’améliorer le Neurofeedback : 1) pouvoir voir une représentation de l’ensemble de son cerveau en action (information spatiale riche), et 2) pouvoir voir son activité cérébrale à sa place c’est-à-dire à l’intérieur de sa propre tête (information in-situ ou co-localisée). A noter que certaines thérapies utilisent déjà des miroirs (comme par exemple les thérapies pour soigner la douleur d’un membre fantôme qui utilise un miroir pour projeter l’image du membre valide directement au niveau du membre amputé) et semblent donner de très bons résultats. Les chercheurs font donc l’hypothèse que l’information visuelle enrichie du Mind Mirror permettra au patient de mieux apprendre à contrôler son activité cérébrale dans une boucle de Neurofeebdack.
Le Mind-Mirror a fait l'objet d'un dépot de Brevet, et d'une publication scientifique dans la meilleure Conférence internationale du domaine de la réalité virtuelle aux Etats-Unis (Minneapolis, USA, Avril 2014, IEEE Conference on Virtual Reality).
Nouvelles technologies et nouvelles thérapies pour le cerveau
Les recherches sur le cerveau sont actuellement en plein boom, notamment sous l’impulsion de financements colossaux Européens (Human Brain Project) et Américains (BRAIN project). Les nouvelles technologies ont et vont révolutionner la connaissance et la compréhension du cerveau humain tant sur le plan anatomique que fonctionnel. Un objectif majeur étant pour la recherche de trouver de nouveaux traitements adaptés aux différentes pathologies de cet organe complexe.
Inria est particulièrement impliqué sur ces problématiques des interfaces cerveau-ordinateur, ou BCI (Brain-Computer Interface). En réponse aux nombreux défis scientifiques posés par la recherche et le monde médical, de nombreuses équipes Inria sont ainsi mobilisées sur le BCI, notamment sur le neurofeedback.
Le projet OpenViBE1 a été le premier projet Français multipartenaires sur les interfaces cerveau-ordinateur, impliquant notamment Inria (pilote du projet), le CEA, le GIPSA-Lab et l’Inserm, est l’une des illustrations concrètes de l’implication des équipes de recherche françaises sur le sujet. Le projet a ainsi permis d’aboutir à la mise au point du tout premier logiciel français OpenViBE permettant « d’agir par la pensée », ouvrant la voie à de nombreux développements technologiques et débouchés économiques dans les domaines médicaux mais aussi de la réalité virtuelle et des jeux vidéo.
Mensia Technologies issue d’Inria en novembre 2012 est aujourd’hui la toute première start-up technologique française visant les applications médicales du Neurofeedback et de l’EEG temps-réel. Mensia met actuellement au point des produits médicaux basés sur des casques EEG et sur le logiciel OpenViBE, pour le traitement Neurofeedback de pathologies très variées : déficits attentionnels, dépression, syndrome de stress post-traumatique, troubles du sommeil, etc.
Photos et vidéos du Mind-Mirror disponibles sur demande
Crédits Mind-Mirror : le projet a été soutenu par l’ANR (Agence Nationale de la Recherche – via le projet HOMO TEXTILUS), la Région Bretagne (via une bourse de doctorat), et le Laboratoire d’Excellence CominLabs (via le projet HEMISFER). Le projet est une collaboration entre deux équipes de recherche Inria (Hybrid (Rennes) et POTIOC (Bordeaux)) et associe des chercheurs d’Inria et de l’INSA Rennes.
À propos d'Inria - www.inria.fr
Créé en 1967, Inria est le seul institut public de recherche entièrement dédié aux sciences du numérique. A l’interface des sciences informatiques et des mathématiques, les 3400 chercheurs d’Inria inventent les technologies numériques de demain. Issus des plus grandes universités internationales, ils croisent, avec créativité, recherche fondamentale et recherche appliquée. Ils se consacrent à des problèmes concrets, collaborent avec les acteurs de la recherche publique et privée en France et à l’étranger, et transfèrent le fruit de leurs travaux vers les entreprises innovantes. Les chercheurs des équipes Inria publient environ 5000 articles chaque année. Ils sont à l'origine de plus de 110 start-ups. Le budget primitif d'Inria s’élevait en 2013 à 233 millions d'euros dont 27 % de ressources propres.
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MUTATION , ÉVOLUTION , ET SÉLECTION |
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Mutation, Evolution et Sélection.
Par Miroslav Radman
Texte de la 427e Conférence de l'Université de Tous les Savoirs donnée le 6 juillet 2002
De nouvelles perspectives d'application pour les sciences de l'évolution.
Depuis quelques années, la science de l'évolution, traditionnellement très théorique, abstraite, académique, donne lieu à de très grandes nouveautés expérimentales et a même des implications en biotechnologie et en biomédecine. On peut ainsi utiliser des méthodes directement inspirées de l'évolution naturelle pour faire évoluer des molécules d'intérêt industriel ou pharmaceutique. On est également aujourd'hui capable d'observer l'évolution de populations bactériennes en temps réel ou encore la dynamique des gènes dans des embryons. Dans une phrase célèbre, Dobzhansky explique que la biologie n'a de sens qu'à la lumière de l'évolution. L'idée est que le but unique de la vie c'est la vie elle-même, la survie et que la grande stratégie de la survie, c'est l'évolution. Nous aimerions donc apprendre de l'évolution cette stratégie, pour connaître mieux la vie mais aussi pour pouvoir mettre en place une évolution qui nous sera utile et bénéfique.
« Imperfection », efficacité et robustesse des stratégies évolutives.
Tout être vivant, de la bactérie jusqu'à l'homme doit, pour survivre, éviter de se faire manger de l'extérieur, par les prédateurs ; il doit également éviter de se faire manger de l'intérieur par les parasites, éviter de perdre la compétition avec ses congénères et, lorsqu'il a évité toutes ces sources de mort, développer une robustesse de l'organisme face à un environnement physique souvent très agressif. Cette robustesse constitue la clé de la survie à long terme. Les stratégies de l'évolution ont une origine moléculaire qui date de près de 4 milliards d'années. On trouve des séquences dans les génomes, des bactéries jusqu'à l'homme, qui sont des preuves très convaincantes d'une origine commune de tous les organismes vivants. En cherchant à savoir comment la simplicité originelle a pu donner naissance à des individus complexes comme l'homme, on ne trouvera toutefois pas la beauté, la perfection, la finesse que notre esprit pourrait être tenté d'anticiper mais plutôt l'efficacité.
Taux d'erreur lors de la synthèse de l'ADN, des ARN et des protéines.
Les protéines sont les macromolécules responsables de quasiment tout le travail cellulaire. Le taux d'erreur dans la synthèse des protéines est de l'ordre de 1-3 10-4. Dans l'espèce humaine, on a pu estimer expérimentalement que 30% des protéines sont dégradées après leur synthèse parce que le système de contrôle qualité les a détectées - à tort ou à raison - comme défectueuses. On imagine mal un tel taux d'erreur dans une chaîne de production automobile, mais on verra plus loin l'intérêt de cette imperfection naturelle. Le taux d'erreur dans la transcription synthèse d'ARN messager est cohérent avec ce taux d'erreur en aval dans la traduction, de l'ordre de 10-5. Le taux d'erreur dans la réplication de l'information génétique (copie d'ADN en ADN) est par contre de l'ordre de 10-10, ce qui en fait un processus 1 million de fois plus fidèle que la synthèse des protéines. On pourrait en fait faire mieux pour les protéines. Ainsi, les bactéries qui résistent à l'antibiotique streptomycine ont une mutation qui leur confère une fidélité plus haute dans la synthèse des protéines. Il y a cependant un coût à cette fidélité, ces bactéries poussant beaucoup moins vite. L'efficacité est donc privilégiée par rapport à la fidélité.
Stress prévisible et stress imprévisible.
Certains stress sont « prévisibles », par exemple, pour les bactéries, le choc osmotique, le choc thermique (chaud et froid), le choc oxydatif (créé par des macrophages, par exemple). Il y a dans le génome des bactéries des éléments de programme qui permettent de faire face à ces stress, qui ont été rencontrés à de nombreuses reprises au cours de l'histoire évolutive. Les bactéries qui ont survécu aux stress du passé sont aujourd'hui capables de détecter ces stress prévisibles : quand un stress prévisible apparaît, les bactéries activent un mécanisme de survie approprié. Le système d'évolution inductible, le système SOS est mis en action lorsque l'ADN ne peut pas se répliquer car il porte trop de lésions. Le système SOS déclenche la synthèse de polymérases peu fidèles qui sont capables de copier l'ADN défectueux et permettent de sortir du blocage initial, au prix de quelques mutations.
Pour survivre des milliards d'années, une adaptation à des stress imprévisibles est également nécessaire. Le futur est complètement imprévisible, surtout pour les bactéries. Du point de vue des stratégies moléculaires, à l'opposé des mécanismes très spécialisés, efficaces et fragiles (peu robustes) développés face au stress prévisible, les bactéries ont adopté des mécanismes généralistes, flexibles, qui permettent de faire face à l'incertitude inhérente au stress imprévisible. Concrètement, les bactéries créent alors de la diversité aveugle, gaspillent et payent ainsi une sorte d'assurance « tout risque ». On peut en déduire que dans ces conditions, s'il y a un « Grand Concepteur », ce n'est pas le concepteur des produits de l'évolution, c'est le concepteur de la méthode, de la stratégie de l'évolution. Le dernier retrait de Dieu !
Mutation, sélection et biodiversité.
La stratégie de base pour faire face à l'adversité inconnue, est représentée à la figure 1 Le schéma est général et s'applique à l'évolution des tumeurs, des bactéries, des immunoglobulines, des espèces. Dans une population de bactéries, avec un taux d'erreur de 10-10, une bactérie sur 300 environ porte une nouvelle mutation (le génome d'une bactérie typique fait environ 5 106 paires de bases). Normalement, lorsqu'on discute la biodiversité, il y a une connotation politiquement correcte, on respecte la biodiversité. Dans la vie, la biodiversité devient utile au moment où elle va être réduite à presque rien. Par exemple, si on part d'une population de un milliard de bactéries qui sont issues d'une seule bactérie et qu'on les frappe de sélection létale, avec un antibiotique comme l'ampicilline, si la population porte des mutations, un petit nombre de bactéries (1, 2 ... 10) résistantes seront sélectionnées parce qu'elles portaient par hasard une mutation qui leur confère la résistance à l'antibiotique et pourront survivre. Si on laisse pousser ces quelques bactéries, et qu'on frappe les milliards de bactéries qui en sont issues avec un autre antibiotique quelconque, une de ces bactéries aura, par hasard, reçu une mutation qui lui permettra de survivre et développé ainsi deux résistances. Les stratégies évolutives visent essentiellement à mettre en place des mécanismes adaptatifs de survie aux stress. Dans le cas des tumeurs, ce n'est pas une sélection létale, c'est plutôt une sélection compétitive (partie droite de la figure 1) : une cellule qui acquiert une mutation relâchant un des nombreux freins présents au cours du cycle cellulaire, se divise à chaque génération un peu plus vite que les autres et finit par s'imposer au sein de la tumeur. Ce type de sélection compétitive a aussi lieu chez les bactéries dans la nature, en l'absence d'antibiotiques. La biodiversité apparaît ainsi comme le substrat pour la sélection, les mutations sont comme une « assurance-Vie » qui permet de gagner la survie lorsque la population entière est frappée par une sélection létale. Les espèces évoluent de la même façon. La biodiversité permet ainsi à la vie de perdurer malgré de grandes catastrophes. La biodiversité est issue de l'imperfection des mécanismes de réplication de l'ADN, ainsi que des transferts génétiques horizontaux entre espèces proches (création d'individus mosaïques par ajout de blocs de gènes étrangers à l'espèce ayant évolué de manière indépendante des gènes existants). Le danger des monoclones est ainsi l'absence de robustesse liée à l'absence de biodiversité.
Paradigmes lamarckien, darwinien et bactérien.
Il y a deux grands paradigmes historiques dans l'évolution : le paradigme darwinien et le paradigme lamarckien. La figure 2 représente la biodiversité par une courbe en cloche. Le paradigme lamarckien dit que si l'environnement change et qu'une version (allèle) A d'un gène ne permet plus la survie, il y a une évolution intelligente : on construit à partir d'un allèle A un allèle B qui permet la survie. Le paradigme darwinien dit qu'il y a une grande diversité naturelle dans la population ; si B est préexistant dans cette diversité, les bactéries qui portent cet allèle survivent ; si B n'est pas préexistant dans la diversité, la population entière s'éteint simplement. Ainsi le paradigme darwinien exclut l'intelligence, le choix « à la carte ».
Le paradigme « bactérien », encore appelé néo-darwinien, que j'ai élaboré avec mes collègues François Taddei et Ivan Matic, est intermédiaire entre le paradigme lamarckien et le paradigme bactérien. Il n'inclut pas l'intelligence du lamarckisme, mais inclut le stress, qui active des gènes de sauvetage, de survie, jusque là éteints, silencieux. Grâce à ces gènes, le système commence à muter davantage : en cas de catastrophe, avant de mourir, on « essaye une dernière opération génétique désespérée » et on fait exploser la biodiversité : au lieu des taux d'erreurs de 10-10, on augmente le taux d'erreur de 1000 fois, à 10-7. Le résultat est plutôt bon : même si on n'a pas l'intelligence de pouvoir construire B sur mesure, cette évolution inductible multiplie par 1000 la probabilité que l'allèle B soit présent dans la population.
Les mutateurs.
La figure 3 illustre le phénomène de la sélection du deuxième ordre. Cette expérience démontre l'énorme adaptabilité génétique des bactéries : comme disait le célèbre évolutionniste Steven G Gould, les bactéries sont de loin les organismes ayant le plus de succès sur la terre, adaptées à tout, vivant dans toutes sortes de conditions horribles, jusqu'aux eaux bouillantes des geysers. Cette adaptabilité des bactéries à une énorme variété de milieu est précisément notre problème lorsque les bactéries sont pathogènes. On étale des bactéries sur une boîte de Pétri, un tapis qui en contient de l'ordre de 10 milliards. On transfère ces bactéries sur une boîte de gelose qui contient l'antibiotique ampicilline. Seule une bactérie sur 10 à 100 millions survivra. On laisse pousser ces bactéries survivantes 24 heures, chacune donne naissance à environ 10 millions de bactéries. On met ensuite la boîte en contact avec une deuxième boîte, qui contient un autre antibiotique, différent. On sélectionne ainsi une deuxième résistance. On itère l'opération pour sélectionner une troisième propriété : la capacité à se nourrir de lactose. On évalue ensuite le taux de mutation dans les clones bactériens à chaque étape. On observe alors qu'une bactérie sur 100 000 mute 100 à 1000 fois plus vite que les autres. On appelle ces bactéries des mutateurs. Après la première sélection, 1% des bactéries sont des mutateurs, après la deuxième sélection, 50% en sont et après la troisième sélection, toutes les bactéries sont des mutateurs. Ainsi par le biais de cette sélection qui visait trois capacités spécifiques (résistance à deux antibiotiques distincts, capacité de métaboliser le lactose) les bactéries n'ont pas seulement « appris » cette triple capacité, elles ont appris une méthode qui leur permet de muter plus vite, et donc les prépare à faire face beaucoup plus efficacement à des problèmes nouveaux.
Le défaut des bactéries mutateurs est expliqué à la figure 4 Il y a trois types de mécanismes pour maintenir la fidélité au cours de la réplication, chez les bactéries comme chez l'homme. Le premier est un nettoyage des lésions chimiques apparaissant naturellement dans l'ADN qui va être copié, à cause du métabolisme oxydatif ou des radiations par exemple. Les lésions chimiques sont réparées, coupées à gauche et à droite et remplacées, par l'activité d'une ADN polymérase. Un deuxième mécanisme s'occupe des nucléotides, A, T, G, C, substrats de base pour la synthèse de l'ADN ; il assure un taux d'erreur de l'ordre de 10-7 dans ces briques de base. Un dernier mécanisme est un système de contrôle qualité de ce qui vient d'être fabriqué. Ce système compare systématiquement la copie et l'original. A chaque fois que la copie n'est pas conforme à l'original, la copie est corrigée conformément à l'original. Ce système est efficace à 99.9%, et assure donc un taux d'erreur global de l'ordre de 10-10. La majorité des mutateurs perd ce mécanisme, ce qui explique qu'ils ont 1000 fois plus de mutations que la moyenne de la population. En outre, les mutateurs ont des taux de recombinaison plus élevé que la normale et sont donc plus susceptibles que les bactéries sauvages de donner lieu à des individus mosaïques. Avec Ivan Matic, nous avons analysé des bactéries issues d'environnements naturels (hôpitaux, etc.) et calculé que 1% des bactéries naturelles sont des mutateurs. La figure 5 montre une autre expérience. On prend une bactérie Escherichia coli cultivée depuis 1922 en laboratoire. Ces bactéries n'ont donc pas poussé depuis longtemps dans leur milieu naturel, l'intestin d'un mammifère. On introduit ces bactéries identiques dans des souris qui sont stériles, qui ne contiennent au départ aucune bactérie. Rapidement, il y a 20 % des souris ne contenant que les bactéries mutatrices.
Si on met en compétition des bactéries normales et des mutateurs dans ces souris, qui sont pour elles un milieu nouveau, on observe à chaque fois que ce sont les bactéries mutateurs qui s'imposent et s'adaptent le plus rapidement. Si on part d'un ratio mutateurs / sauvage de 1, au bout de quelques jours, il y a 100 000 fois plus de mutateurs que de sauvages. La figure 6 montre le résultat de simulations. En ordonnée, le fitness, la valeur sélective, concrètement la vitesse de survie. On voit qu'au cours du temps la vitesse de croissance augmente au gré de l'acquisition de mutations qui relâchent des freins, et atteint finalement une asymptote, fitness maximale du génome dans l'environnement. La simulation montre que les mutateurs atteignent cette vitesse de croissance maximale beaucoup plus vite que les autres. Ceci se fait au prix de quelques morts, mais n'affecte pas la mortalité générale. Etre un mutateur peut être un inconvénient pour l'individu, et un avantage pour la population. On peut à ce titre comparer les mutateurs à des « expériences pilotes ». A court terme, face à n'importe quel défi évolutif (antibiotiques...) on observe que les mutateurs gagnent face aux bactéries normales. Par exemple, des chercheurs madrilènes on observé que dans les poumons de patients atteints de mucoviscidose et traités en permanence avec des antibiotiques, la moitié de la population est constituée de mutateurs. A terme, les mutateurs paieront le prix des erreurs qui ont permis leur succès.
Nous avons cherché, dans le génome des bactéries, des traces qui prouveraient que dans le passé elles ont évolué à deux vitesses : quand la vie est dure, un taux de mutation élevé et quand la vie est facile, un taux de mutation faible. La figure 7 présente l'espace des séquences observé au gré des mutations. En l'absence de sélection létale, les bactéries vivent une marche sûre et lente vers un fitness amélioré. Les mutateurs au contraire accumulent les mutations beaucoup plus vite, s'adaptent vite, mais la létalité associée à l'érosion de leur génome les condamne à long terme. On a observé que la sexualité des bactéries, les échanges de gènes, permettent à des mutateurs de redevenir non mutateurs. Des mutateurs adaptés peuvent aussi transmettre le gène qui a permis leur succès à des non mutateurs. Disposer d'une fraction de mutateurs est alors un avantage pour la population toute entière.
Conclusion.
Du point de vue de la vitesse d'évolution, de mutation, la vie se passe entre deux extrêmes mortels. Le premier, un conservatif total, avec aucune mutation, condamne les bactéries dès qu'une série de stress importants apparaissent. Le second extrême - trop de mutation - a été fabriqué en laboratoire et ceci n'est pas viable même à court terme : des levures ou des bactéries mutatrices modifiées pour produire 100 000 fois plus de mutations que des cellules normales.
Ainsi le taux de mutation optimal est une fonction de l'environnement : si la vie est facile, le taux de mutation optimal est zéro : le génome est parfaitement adapté, l'environnement ne change pas et on ne change pas le génome ; si la vie est très difficile, le taux de mutation optimal peut devenir énorme (exemple du virus du SIDA).
On pense pour finir au principe de la Reine Rouge de Lewis Caroll : la Reine Rouge est en train de courir tout le temps. Lorsqu'elle arrive au pays de la Reine Rouge, pour pouvoir lui parler, Alice doit courir aussi. Au bout de vingt minutes Alice est épuisée par sa course et interpelle la Reine car elle se rend compte qu'elle est toujours en face du même arbre qu'au départ. La Reine lui explique alors que dans son pays, pour simplement rester sur place il faut courir. C'est en quelque sorte ce que font les bactéries depuis des milliards d'années : elles « courent » génétiquement tellement vite qu'elles réussissent à s'adapter à tout environnement et à tous les antibiotiques que nous avons fabriqués.
VIDEO CANAL U LIEN
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TRANSGENÈSE , MUTAGENÈSE ET GÉNOMIQUE FONCTIONNELLE CHEZ LES MAMMIFÈRES |
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Texte de la 29ème conférence de l'Université de tous les savoirs réalisée le 29 janvier 2000 par Daniel Metzger
Transgenèse, mutagenèse et génomique fonctionnelle
Introduction
Un des objectifs de la biologie moderne est de comprendre comment un organisme complexe comme l'homme se développe à partir d'une cellule, vit dans son environnement et se reproduit. Il est clair qu'un programme génétique régit ces évènements, et que l'ADN est le support de l'information. La compréhension des mécanismes qui régulent la prolifération et la différenciation cellulaires à l'état normal et pathologique est donc d'importance majeure. Les cellules acquièrent au cours du développement des fonctions variées, notamment en exprimant des protéines différentes. La transgenèse et la mutagenèse sont des outils puissants pour étudier ces évènements complexes. Ils permettent également de réaliser des modèles animaux de pathologies humaines, de proposer des diagnostics et de mettre au point des thérapies. Enfin, la transgenèse peut être utilisée comme moyen de production de molécules biologiques d'intérêt.
L'ADN est une macro-molécule constituée de quatre éléments de base, les nucléotides A, T, C et G. Il est localisé dans le noyau des cellules sous forme bicaténaire et constitue les chromosomes. Les gènes sont constitués de séquences d'ADN qui codent pour les protéines et de séquences d'ADN régulatrices (promoteur/enhancer), qui permettent de réguler l'expression de la région codante. Une machinerie cellulaire permet de transcrire l'information contenue dans le gène en une molécule monocaténaire, qu'on appelle l'ARN messager (ARNm). L'ARNm commande l'enchaînement d'acides aminés dans un ordre déterminé, et permet ainsi la synthèse de protéines spécifiques ayant des fonctions structurales, de signalisation ou une activité enzymatique.
Chaque individu possède un patrimoine génétique différent. Le génotype désigne l'information caractéristique qui est contenue dans son génome. Le phénotype est constitué des caractéristiques physiques visibles de cet individu, qui sont déterminées par sa constitution génétique.
L'étude des gènes et des fonctions des protéines
Différentes disciplines permettent d'étudier la fonction des gènes et des protéines.
- La biochimie permet d'étudier la structure et la fonction des protéines in vitro.
- La pharmacologie permet d'analyser la fonction des protéines en modifiant leurs propriétés par des ligands.
- La génétique, par mutagenèse et transgenèse, modifie le génotype pour analyser le phénotype résultant de cette modification. Ceci peut être réalisé avec des lignées cellulaires ou des animaux comme la drosophile, le nématode, le poulet ou la souris.
D'ici quelques années, les séquences complètes du génome de l'homme et de la souris seront établies. Ceci permettra de mettre en évidence des dizaines de milliers de gènes inconnus, dont il faudra trouver la fonction au niveau moléculaire, tissulaire, ainsi que dans l'organisme entier. Aux techniques classiques de biologie moléculaire et de génétique, s'ajoutent la bio- informatique qui est un outil puissant de comparaison et d'analyse des séquences d'ADN. La transgenèse vient compléter cet éventail avec le formidable potentiel qu'elle offre de pouvoir
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modifier à la demande n'importe quel gène, et ainsi de pouvoir étudier sa fonction physiologique au niveau de l'organisme entier .
La souris comme modèle animal
Pour comprendre la fonction des gènes, il est essentiel de réaliser des études génétiques. La souris est un très bon modèle animal, car relativement proche de l'homme. En effet, c'est un mammifère, et la taille de son génome et le nombre de ses gènes sont similaires à ceux de l'homme. L'élevage de la souris est relativement aisé grâce à sa petite taille, sa maturité sexuelle rapide (six à huit semaines), sa période de gestation relativement courte (trois semaines), et son coût modéré. De plus, des techniques permettant de modifier le génome par transgenèse "classique" dans le but de surexprimer un gène ou d'exprimer un gène muté, et par invalidation spécifique de gènes sont disponibles dans cet organisme. Ces outils génétiques, que nous allons décrire, permettent non seulement sur le plan fondamental de mieux comprendre la fonction des gènes, mais également de produire des animaux qui portent des mutations similaires à celles présentes dans des maladies génétiques humaines. Ainsi, l'identification des gènes responsables de déficiences chez la souris permet non seulement de faciliter les diagnostics et la compréhension de maladies humaines, mais également de créer des modèles animaux permettant de réaliser des essais thérapeutiques pour faciliter la mise en place de traitements.
La transgenèse classique
La transgenèse "classique" permet l'insertion d'un fragment d'ADN dans le génome et l'expression du gène qu'il porte. Pour établir un organisme transgénique pour un gène donné par transgenèse "classique", celui-ci est tout d'abord cloné et modifié in vitro afin de permettre son expression. Le mini-gène (ou transgène) est injecté dans le pronucléus mâle de l'œuf fécondé de la souris, qui est ensuite réimplanté dans une mère porteuse [figure 1]. Les souriceaux issus de ces œufs sont analysés pour vérifier la présence et l'expression du transgène. Le transgène est en général intégré au hasard dans le génome. Les souris portant le mini-gène dans la lignée germinale sont sélectionnées pour établir des lignées transgéniques. Les mini-gènes sont utilisés en général pour exprimer une protéine d'intérêt. Pour diriger son expression, la séquence codante de l'ADN doit être précédée d'une séquence d'ADN promotrice. La transgenèse permet également d'étudier les séquences promotrices. En plaçant le promoteur en amont d'une séquence codante d'une protéine facilement visualisable (enzyme, protéine fluorescente, etc.), il est aisé de déterminer les types cellulaires dans lesquels le gène est exprimé, et les séquences d'ADN spécifiant cette expression. Certains promoteurs sont actifs dans toutes les cellules, alors que d'autres ne sont actifs que dans des types cellulaires donnés. De plus, ils peuvent être actifs seulement pendant certains stades de développement ou de la vie adulte, ou être inductibles.
Les manipulations génétiques chez la souris nécessitent un équipement spécialisé et un personnel hautement qualifié. Pour établir une lignée de souris transgénique il faut près d'un an. Malgré ces difficultés, cette approche est largement utilisée. Notons cependant que cette technologie ne permet pas d'abolir l'expression du gène endogène. A la fin des années 1980, une autre technologie, permettant d'inactiver un gène donné ou de le remplacer par un gène muté, a été mise en place.
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